La Roche-Posay

Internet

Plainte non fondée

Avis publié le 4 juillet 2023
LA ROCHE-POSAY – 923/23
Plainte non fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société Pinsent Masons, cabinet d’avocats, plaignante, et les représentants de la société L’Oréal, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de déontologie publicitaire a été saisi, le 19 avril 2023, d’une plainte émanant du cabinet d’avocats Pinsent Masons, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de publicités en faveur de la société L’Oréal, pour promouvoir son offre de produits cosmétiques de marque La Roche-Posay.

Les publicités en cause, diffusées sur le site Internet de la marque, présentent différents produits de la gamme, à destination des personnes malades du cancer par les allégations : « Accompagnement anti-cancer », « Coffret oncologie », « Coffret de soins et de conseils indispensables au confort des patients avant pendant et après traitement anti-cancer », « L’essentiel pour prendre soin de ma peau pendant mon cancer », « Protéger ma peau du traitement anticancéreux – Je protège ma peau de mon traitement anticancéreux », « Des soins cosmétiques journaliers sont essentiels pour protéger la peau des agressions dues aux traitements anticancéreux. Ils garantissent une meilleure qualité de vie lors de la thérapie » ,  « restaure la barrière cutanée » et « ultra-réparatrice ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant relève tout d’abord que ces messages diffusés par l’annonceur sur son site Internet ont la nature de messages publicitaires en ce qu’ils sont utilisés pour faire connaître au public ses produits. En utilisant ces messages sur son site, l’annonceur cherche en effet à capter l’attention du public ciblé, ici les personnes souffrant d’un cancer et suivant un traitement anti-cancéreux, pour leur faire connaître et acheter ses produits cosmétiques. La publicité présente un caractère commercial évident, les messages publicitaires sont rattachés aux produits vendus par l’annonceur sur le site Internet. En outre, la plainte porte sur le contenu des messages publicitaires et non sur les produits concernés. Dès lors, la présente plainte entre dans le champ de compétence du JDP et doit être jugée recevable.

Le plaignant relève en outre que, sur son site internet, l’annonceur se positionne comme un acteur incontournable dans l’accompagnement des patients sous traitement anti-cancéreux. Il reproduit de nombreuses citations de médecins à proximité immédiate de visuels des produits commercialisés sur le site. L’annonceur utilise par ailleurs à de nombreuses reprises un vocabulaire médical tels que les termes « traitement anticancéreux », « symptômes », « parcours de soin », « effets secondaires cutanés », « cancer », « traitement anti-cancer », ou encore « dermatologique ». L’association de ces éléments crée à l’évidence chez le consommateur une confusion entre l’univers des cosmétiques et l’univers médical.

Or seuls des produits cosmétiques, et non des médicaments, sont commercialisés par l’annonceur. Par cette confusion, l’annonceur cherche à rehausser les qualités de ses produits cosmétiques en créant dans l’esprit du consommateur l’idée que ses produits cosmétiques sont en réalité bien plus que de simples crèmes, shampooings ou autres et qu’ils sont en réalité indispensables dans le traitement anti-cancéreux, suggérant ainsi que les produits de l’annonceur pourraient aider le patient à combattre la maladie. La confusion est également entretenue par l’association des termes « Coffret » et « Oncologie » pour la vente d’un ensemble de produits (la crème « Lipikar Syndet AP+ », le soin hydratant du visage « Toleriane Dermallergo Crème », le baume « Cicaplast Baume B5+ » et le vernis « Toleriane vernis silicium »), qui est trompeuse pour le consommateur. Les produits proposés dans ce coffret n’ont pas de lien avec l’étude des « tumeurs cancéreuses » et encore moins d’effets dessus. Les termes « Coffret oncologie » sont par ailleurs présentés en caractère gras, dans une taille de police importante et placés en tête de la page du site Internet sur laquelle sont vendus les produits cosmétiques de l’annonceur et à plusieurs reprises sur la même page, ce qui renforce la confusion avec l’univers médical.

De même, le texte « Coffret de soins et de conseils indispensables au confort des patients avant, pendant et après traitement anti-cancer » fait croire au consommateur que le « Coffret oncologie », censé donc avoir une action sur le traitement des cellules cancéreuses, serait « indispensable » au patient avant pendant et après traitement anti-cancer. A nouveau, l’annonceur joue avec la sensibilité du consommateur visé qui, à l’évidence, associera les produits contenus dans le « Coffret oncologie » à la lutte contre la maladie.

Par ailleurs, la toxicité dermatologique des traitements anti-cancéreux reste à ce jour un problème non résolu. Les traitements anti-cancéreux entraînent dans une grande majorité des cas des effets sur la peau tels que rougeurs, éruptions cutanées, sécheresse, desquamation, démangeaison, plaies ou fissures cutanées, changement de couleur de la peau, photosensibilité accrue, ou encore un syndrome main-pied. La prise en charge médicamenteuse de ces effets (à la fois pour prévenir et traiter) est aujourd’hui encore très limitée. Ces effets secondaires sur la peau sont parfois tels qu’il est nécessaire de diminuer la posologie ou bien décider de l’arrêt du traitement.

Le plaignant rappelle que tel que défini à l’article 2 du Règlement CE n°1223/2009 du Parlement et du Conseil du 30 novembre 2009 (également rappelé en préambule des Recommandations « Produits Cosmétiques »), un produit cosmétique ne peut avoir pour fonction que de nettoyer, parfumer, modifier l’aspect, protéger, ou maintenir en bon état les parties superficielles du corps humain, les dents et les muqueuses buccales. Des produits cosmétiques ne peuvent donc pas avoir de propriétés curatives, sauf à être requalifiés en médicaments.

Dès lors, que des produits cosmétiques tels que ceux proposés à la vente par l’annonceur soient présentés comme pouvant prévenir et traiter les effets secondaires du cancer, est mensonger.

Il est également important de souligner que le consommateur visé par la publicité litigieuse est une personne atteinte d’une maladie grave, un cancer, qui dans certains cas peut mener au décès du patient. Le consommateur visé est donc une personne gravement malade et, dans bien des cas, dans une situation de fragilité psychologique importante.

Le plaignant énonce que la campagne publicitaire en cause n’est pas conforme aux règles déontologiques, en particulier aux articles 1, 4, 5 et 6 du Code ICC « Publicité et Marketing – Code de communications » et au préambule ainsi qu’aux articles 1.2 et 1.4 de la Recommandation de l’ARPP « Produits Cosmétiques ».

En ce sens, et à titre illustratif, dans son bilan Publicité & Produits cosmétiques d’octobre 2015, l’ARPP a considéré que :

  • La référence à l’immunité et au système immunitaire était excessive pour un produit cosmétique (Shiseido Ultime, septembre 2014) ;
  • L’allégation « Bye Bye aux démangeaisons » n’était pas une fonction cosmétique (Laboratoire Bioderma, Atoderm huile de douche, Facebook Janvier 2020).

En outre, le message publicitaire, reproduit à plusieurs reprises en caractères gras de grande taille, prête ici à confusion pour le consommateur et en ce sens, ne remplit pas le critère de clarté prévu en préambule des Recommandations « Produits Cosmétiques ». En effet, si l’on peut supposer que le produit cosmétique puisse participer à la protection de la peau contre certains effets secondaires induits par un traitement anti-cancéreux telle qu’une chimiothérapie, par exemple une sécheresse cutanée importante, il ne saurait en revanche protéger la peau du traitement lui-même. Surtout, les termes « traitements anti-cancéreux » englobent en réalité plusieurs types de traitements, avec des objectifs et des zones d’action distincts et surtout des effets secondaires distincts. La chirurgie oncologique par exemple, qui est un traitement anti-cancéreux, n’occasionnera ainsi a priori pas de syndrome main-pied, caractérisé notamment par une sécheresse de la peau des mains et des pieds, au contraire de certaines chimiothérapies. Pour ces raisons, le message publicitaire n’est également pas conforme à l’exigence de véracité du message publicitaire prévu dans les règles déontologiques.

En tout état de cause, l’annonceur ne justifie en aucune façon que chacun de ses produits puisse protéger la peau du patient pour chacun des effets engendrés par chacun des traitements anti-cancéreux.

L’annonceur ajoute par ailleurs une citation du Professeur Brigitte Dréno, Chef du Service de dermato-cancérologie de la Faculté de médecine de Nantes, qui indique que « Des soins cosmétiques journaliers sont essentiels pour protéger la peau des agressions dues aux traitements anticancéreux. Ils garantissent une meilleure qualité de vie lors de la thérapie ». La multiplication des références à l’univers médical, à la maladie du cancer, associées à une citation de médecin crée une confusion certaine chez le consommateur entre, d’une part, le domaine des produits cosmétiques et, d’autre part, celui des médicaments, ce qui est contraire à l’article 1.4 de la Recommandation « Produits Cosmétiques ».

Concernant les textes faisant référence à la fonction « réparatrice » des cosmétiques, pour plusieurs de ses produits destinés aux patients suivant un traitement anti-cancéreux, l’annonceur attribue à ses produits cosmétiques des fonctions qui ne peuvent être celles d’un cosmétique : « Cette crème pour les yeux réduit la sécheresse cutanée et les poches, apaise instantanément, limite les rougeurs, répare la barrière protectrice et hydrate durablement, pour un regard frais et lumineux » (pour le produit cosmétique « Toleriane dermallergo crème contour des yeux peau sensible »), « Crème ultra-réparatrice apaisant visage et corps », « crème réparatrice et apaisante qui s’utilise pour réparer la fonction barrière de la peau et soulage intensément les peaux fragiles » (pour le produit cosmétique « Cicaplast Baume B5+ Crème Ultra-Réparatrice apaisante »), « Crème relipidante et triple réparation » (pour le produit cosmétique « Lipikar Baume AP+M Baume relipidant »), « Crème main réparatrice », « Restaure la barrière cutanée et protège ainsi l’épiderme des agressions » (pour le produit cosmétique « Lipikar Xerand »), « Restaure et préserve la barrière cutanée grâce au Beurre de Karité » (pour le produit cosmétique « Lipikar Syndet AP+ Ecorecharge »), « Restaure et préserve la barrière cutanée grâce au Beurre de Karité » (pour le produit cosmétique
« Lipikar huile lavante AP+ Ecorecharge »).

Or, conformément à la définition d’un produit cosmétique rappelée en préambule de la Recommandation « Produits Cosmétiques », un produit cosmétique ne saurait avoir une action réparatrice, qui est le propre d’un médicament par présentation tel que défini à l’article L. 5111-1 du code de la santé publique.

A titre illustratif, dans son bilan Publicité & Produits cosmétiques de novembre 2021, l’ARPP a considéré que :

  • Un produit cosmétique ne peut avoir une action cicatrisante (Décléor – L’Oréal, Facebook mars 2020), et
  • « Réparer la peau en profondeur » (Laboratoires Filorga, Facebook, Janvier 2020), « Régénérer votre peau en profondeur » (Shiseido, Facebook, Février 2020), « Réparation et la détoxification cellulaire », « Participe activement à la reconstruction d’une peau » (Laboratoire Bioderma, Facebook, janvier 2020), « Reconstruire la barrière cutanée » (Laboratoire Bioderma, Facebook, avril 2020), « Revitalise les tissus en profondeur » (Lierac, facebook, mars 2020), ne sont pas des fonctions cosmétiques.

Lors de la séance, le plaignant a estimé qu’aucune règle ne s’opposait à ce qu’un cabinet d’avocats présente une plainte au Jury, sans avoir à faire état d’un éventuel client. Il a repris en substance son argumentation écrite sur le fond.

La société L’Oréal, détentrice de la marque La Roche-Posay a été informée, par courriel avec avis de réception du 11 mai 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir, en premier lieu et à titre principal, que la plainte a été déposée par le cabinet « Pinsent Masons », qui ne précise pas l’identité de son client. La plainte n’est par ailleurs pas signée. Cette pratique doit être sanctionnée par l’irrecevabilité de la plainte, en application des dispositions de l’article 11.1 3° du règlement intérieur du JDP1 qui déclare irrecevables les plaintes anonymes, puisque ce recours à un cabinet d’avocats en tant que simple « prête-nom » ne permet pas au Jury de connaître la personne (physique ou morale) réellement à l’initiative de cette plainte, ce qui revient à un dépôt de plainte anonyme.

Par ailleurs, ce subterfuge ne permet pas à L’Oréal de s’assurer que la plainte n’a pas été déposée par un concurrent, ce qui doit pourtant être vérifiable au regard des dispositions de l’article 11.2 du règlement intérieur du JDP.

Au-delà de la violation manifeste de ce règlement, ce comportement consistant à utiliser un prête-nom pour formuler une plainte, comme celui consistant à prêter son concours à de telles manœuvres, est contraire à l’éthique la plus élémentaire. Dans ces conditions, la société L’Oréal sollicite que cette plainte soit déclarée purement et simplement irrecevable.

La société L’Oréal fait valoir néanmoins que rien dans les textes déontologiques évoqués par la plainte ne s’oppose à la communication de L’Oréal pour les produits La Roche-Posay.

L’Oréal a employé des termes mesurés et largement compris des consommateurs qui y sont couramment confrontés du fait de leur utilisation par l’ensemble des acteurs du secteur dermo-cosmétique. Quant à la référence que le plaignant fait au règlement européen (CE) n°1223/2009 définissant ce qu’est un produit cosmétique, le JDP ne peut statuer que sur un corps de règles limitativement énumérées par son règlement intérieur, à l’exclusion de telles dispositions réglementaires.

Il sera d’ailleurs précisé que les produits fabriqués et commercialisés par L’Oréal, dont les produits La Roche-Posay, font l’objet de contrôles réguliers de la part des autorités compétentes en charge de l’application de telles dispositions réglementaires, en ce compris la communication qui s’y rapporte, et que ces autorités n’ont jamais remis en cause ni le statut des produits ni les communications afférentes.

En réalité, les griefs du plaignant ne reposent que sur des extrapolations liées à la compréhension supposée des consommateurs qu’il présume particulièrement vulnérables car malades, et font par ailleurs volontairement abstraction de l’ensemble du contenu disponible sur la page du site La Roche-Posay, de nature à permettre une information complète et exhaustive des consommateurs. Ainsi, un examen objectif et raisonnable des pages incriminées permet de comprendre sans équivoque que les produits La Roche-Posay sont des produits dermo-cosmétiques, avec pour seul effet revendiqué de modifier l’état de l’épiderme pour en améliorer l’aspect, ainsi que de le protéger et de le maintenir en bon état, conformément à la définition d’un produit cosmétique, rappelée en préambule de la recommandation Produits Cosmétiques.

Le fait d’indiquer que ces produits cosmétiques sont utilisés, bien souvent en accompagnement de traitements anti-cancers, pour améliorer l’aspect de la peau qui peut être abîmée par de tels traitements, est tout à fait conforme aux règles éthiques et sectorielles (Recommandation « Produits Cosmétiques ») et transversales (Code ICC) précitées, et ce pour l’ensemble des allégations visées par la plainte.

Il en va ainsi des mentions « accompagnement anticancer » ou « je protège ma peau de mon traitement anticancéreux » qui seraient selon la plainte de nature à tromper le consommateur en suggérant que les produits La Roche-Posay bénéficieraient de « propriétés curatives ».

Or, non seulement le plaignant veut rester masqué mais, en outre, il masque la réalité de la communication dont il se plaint. En effet, le consommateur peut lire immédiatement aux cotés de ces mentions critiquées les informations complémentaires pour sa parfaite compréhension du message publicitaire :

  • « ACCOMPAGNEMENT ANTI-CANCER : La Roche-Posay collabore avec des dermatologues, oncologues et radiothérapeutes pour améliorer le confort de la peau des patients sous traitement anti-cancer. Découvrez les produits haute tolérance. »: il s’agit ici d’un accompagnement en cours de traitement, pour améliorer le confort du patient. A aucun moment, il n’est allégué une quelconque propriété curative des produits ;
  • « je protège ma peau de mon traitement anticancéreux » : il s’agit ici clairement d’une protection et non d’un dispositif curatif ;
  •  il en va de même de la mention « coffret oncologie », prétendument trompeuse. Il est ici encore fait abstraction pour les besoins de la plainte du contenu de la page qui détaille clairement quelle est l’offre de produits La Roche-Posay, son contenu et ses propriétés ;
  • « ma prise en charge globale hygiène et soins pour protéger ma peau, ce que vous retrouvez dans votre coffret oncologie » ou encore « l’essentiel pour prendre soin de ma peau pendant mon cancer » : à nouveau il s’agit d’un accompagnement pour protéger la peau, en prendre soin, dans le cadre d’un traitement destiné à lutter contre le cancer.

Les termes employés sont dénués d’ambiguïté et mentionnent un accompagnement, destiné à améliorer le confort du patient en cours de traitement, mais en aucun cas ne font référence à de quelconques fonctions curatives des produits qui seraient susceptibles de guérir la maladie.

Le consommateur concerné par la maladie est d’ailleurs familier de ce type d’offre, à l’instar par exemple de la marque Avène qui, tout comme La Roche-Posay, dédie une rubrique de son site à l’accompagnement des patients atteints de cancer.

Quant aux termes « répare » ou « restaure », les griefs sont tout aussi infondés. Ces termes ne désignent rien d’autre que l’une des fonctions d’un produit cosmétique qui doit être susceptible de modifier l’aspect de la partie du corps avec lequel il est en contact, de la protéger, de la maintenir en bon état, comme rappelé en préambule de la Recommandation « Produits Cosmétiques ».

Cette terminologie est d’ailleurs couramment utilisée pour les produits cosmétiques, en particulier ceux destinés aux peaux sèches/très sèches, catégorie de produits pour laquelle l’action de réparation/restauration de l’état de sécheresse des couches superficielles de l’épiderme est justifiée. En effet, un produit nourrissant et hydratant pour le corps agit sur la réparation ou restauration de la barrière cutanée, et permet ainsi à cette dernière d’être protégée et maintenue dans un état normal. C’est précisément en ce sens que La Roche-Posay utilise ce vocable pour indiquer : « Cette crème pour les yeux réduit la sécheresse cutanée et les poches, apaise instantanément, limite les rougeurs, répare la barrière protectrice et hydrate durablement, pour un regard frais et lumineux », « Crème ultra-réparatrice apaisant visage et corps », « crème réparatrice et apaisante qui s’utilise pour réparer la fonction barrière de la peau et soulage intensément les peaux fragiles ».

L’ensemble de ces allégations sont soutenues par des dossiers solides qui associent tests instrumentaux de référence, études cliniques et auto-évaluation des consommateurs, ce qui n’est pas contesté par le plaignant.

Par ailleurs, les très nombreux exemples sur le marché d’utilisation des termes « répare » ou « restaure », permettent de confirmer que les consommateurs sont familiers de ce terme et le comprennent dans son acception cosmétique, à savoir un produit qui est susceptible de « modifier l’aspect, de protéger et de maintenir la peau en bon état ».

Cela est clairement confirmé par le test qu’a conduit L’Oréal sur la base de la communication incriminée. Il ressort de ce test que les consommateurs, après avoir lu le contenu de la page, estiment à 89 % que les produits proposés par La Roche-Posay sont « des produits dermo-cosmétiques, c’est-à-dire des produits qui protègent, modifient l’aspect, maintiennent ma peau en bon état ».

La société L’Oréal ajoute que le Jury a également eu l’occasion d’être saisi de communications publicitaires alléguant d’une fonction réparatrice, et a considéré la plainte non fondée, au regard de la Recommandation « Produits Cosmétiques » de l’ARPP.

L’ARPP ne tranche pas différemment puisqu’elle a déjà eu l’occasion de délivrer des visas pour des campagnes publicitaires diffusées à la télévision pour des produits cosmétiques et faisant état d’un effet « réparateur » ou « restaurateur » de la barrière cutanée.

Lors de la séance, la société L’Oréal a confirmé qu’elle demandait que la plainte soit déclarée irrecevable dans la mesure où un cabinet d’avocats ne peut introduire une plainte sans révéler l’identité du client pour le compte duquel il agit. Cette exigence de transparence découle du règlement intérieur du Jury, en particulier des points 11 et 15. Elle considère que l’identification devrait permettre à celui qui fait l’objet de la plainte, d’une part, de vérifier l’existence de procédures juridictionnelles en cours, comme le prévoit l’article 11-2, d’autre part, l’organisation éventuelle d’un règlement amiable, sur le fondement de l’article 15 du règlement.

Sur le fond, elle a repris en substance son argumentation écrite. Elle a nié toute confusion entre les traitements médicaux et les produits cosmétiques promus. Aucune Recommandation n’empêche d’alléguer qu’un produit cosmétique comme une crème permet de réparer la peau, en l’hydratant afin de limiter les incidences des traitements anti-cancer. La définition du produit cosmétique admet parfaitement l’allégation « répare », laquelle est utilisée par l’ensemble du marché. Il ne peut donc y avoir aucune confusion dans l’esprit du consommateur. L’Oréal a par ailleurs réalisé un sondage qui montre que plus de 90 % des consommateurs ont conscience que ces crèmes sont des produits cosmétiques et non des médicaments.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur la recevabilité de la plainte

Le Jury constate qu’en l’état de sa rédaction, aucune disposition de son règlement intérieur ne fait obstacle à ce qu’un cabinet d’avocats introduise une plainte devant lui en son nom propre. Si les « plaintes anonymes » sont irrecevables en vertu de l’article 11 du règlement intérieur du Jury, la présente plainte ne l’est pas dès lors qu’elle émane du cabinet Pinsent Masons, dont les représentants sont au surplus identifiés. La circonstance qu’un règlement amiable soit possible devant le Jury en vertu de l’article 15 du règlement intérieur est également dépourvue d’incidence à cet égard.

En outre, si le point 11.2 du règlement intérieur permet au Jury de déclarer une plainte irrecevable lorsqu’elle émane d’une entité concurrente de l’annonceur et qu’il apparaît que celle-ci a, parallèlement, engagé une action contentieuse, notamment devant une juridiction civile, portant sur la même publicité, l’instruction du dossier n’a pas fait ressortir en l’espèce l’existence d’une procédure contentieuse engagée par un concurrent et visant spécifiquement les messages publicitaires critiqués. Si tel avait été le cas, le Jury aurait été conduit à demander au cabinet d’avocats plaignant d’attester qu’il n’agit pas pour le compte d’un client  impliqué dans l’action contentieuse engagée, sauf à encourir le rejet de la plainte pour irrecevabilité.

Par suite, et en dépit des doutes qu’il est possible de nourrir quant à l’éventualité qu’une entité concurrente de l’annonceur soit à l’origine de la démarche, le Jury, à qui il n’appartient en aucun cas de s’immiscer dans un débat portant sur la déontologie de la profession d’avocat, estime que la plainte est recevable.

3.2. Sur la conformité du site internet aux règles déontologiques

Le Jury rappelle que la Recommandation « Produits cosmétiques » de l’ARPP dispose :

  • En son préambule que :

« Un produit cosmétique est défini comme : « Toute substance ou tout mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (épiderme, systèmes pileux et capillaire, ongles, lèvres et organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles », Art. 2 du Règlement CE n° 1223/2009 du Parlement Européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatifs aux produits cosmétiques. / On entend par “allégation” toute revendication, indication ou présentation, utilisées pour la publicité d’un produit. Toute allégation doit être véridique, claire, loyale, objective et ne doit pas être de nature à induire en erreur. (…) Les allégations publicitaires doivent respecter le Règlement (UE) N°655/2013 établissant les critères communs auxquels les allégations relatives aux produits cosmétiques doivent répondre, ainsi que la dernière version du Manual on the scope of application of the Cosmetics Regulation (EC) N°1223/2009 (art.2(1)(a), disponible au lien suivant : http://ec.europa.eu/growth/sectors/cosmetics/products/borderline-products_fr

Ces dispositions visent la communication commerciale qui s’adresse au consommateur quel que soit son mode de diffusion. »

  • En son point 1 – Principes généraux :

« 1.2. Preuves

a/ Toute allégation doit s’appuyer sur des preuves appropriées.

b/ L’allégation doit être en adéquation avec la nature et l’étendue desdites preuves.

c/ Lorsque les propriétés cosmétiques d’un ou de plusieurs ingrédients entrant dans la composition du produit sont mises en avant dans la communication publicitaire, leur efficacité dans le produit fini doit pouvoir être par ailleurs démontrée.

« 1.4 Cautions      

a/ Une recommandation, émanant d’un ou des membre(s) d’une profession médicale, paramédicale ou scientifique, peut s’appliquer à un ingrédient, à un produit ou à un message général relatif à l’hygiène ou la beauté, sous réserve qu’elle repose sur des preuves objectives et vérifiables et qu’elle ne reflète pas seulement l’opinion personnelle du ou des professionnel(s) représenté(s).

b/ Lorsque la recommandation émane d’un professionnel lié à l’entreprise promouvant le produit, ce lien doit être clairement annoncé dans le message publicitaire.

c/ Le professionnel, s’il est nommé, doit avoir une existence physique réelle ; néanmoins l’appel à un comédien pour le représenter est possible.

d/ Ces messages ne doivent pas donner lieu à une confusion pour le consommateur entre un produit cosmétique et un médicament. »

Le Jury rappelle également que, selon les principes généraux de la déontologie publicitaire rappelés par le code « Publicité et marketing » de la Chambre de commerce internationale (dit code ICC) :

  • la publicité doit être véridique et ne peut être trompeuse. Elle ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur (principe de véracité);
  • la publicité doit être conçue de manière à ne pas abuser de la confiance des consommateurs ou à ne pas exploiter le manque d’expérience ou de connaissance des consommateurs (principe de loyauté) ;
  • toute description, assertion ou illustration relative à un fait vérifiable dans une communication commerciale doit pouvoir être étayée. Les revendications, qui affirment ou impliquent qu’un niveau ou un type particulier de preuve existe, doivent présenter au moins le niveau de justification annoncé (principe de justification).

En premier lieu, le Jury relève que les messages publicitaires mis en cause présentent la gamme de produits promus, vendus notamment dans un « Coffret oncologie », comme un « accompagnement anti-cancer », issu d’une collaboration entre l’annonceur, des dermatologues, des oncologues et des radiothérapeutes pour « améliorer le confort de la peau des patients sous traitement anti-cancer ». Le coffret comprend « des soins et des conseils indispensables au confort des patients avant pendant et après traitement anti-cancer ». Une autre page comporte le texte suivant : « Je protège ma peau de mon traitement anticancéreux / Qu’il s’agisse de chimiothérapie, de radiothérapie, d’immunothérapie ou d’hormonothérapie, les traitements anticancéreux peuvent affecter votre peau. Vous avez sûrement déjà abordé toutes les transformations potentielles de votre corps avec votre équipe médicale. Bien que la liste puisse vous impressionner, nous vous assurons que vous ne les subirez pas toutes et que certaines surviendront à un degré moindre / La Roche-Posay comprend l’impact d’un traitement anticancéreux sur votre peau et a mis au point une gamme de produits spécifiques pour nourrir votre peau et améliorer votre confort à l’occasion de votre thérapie (…) ». Des précisions sont apportées sur la « radiodermite ».

En outre, il est fait état du témoignage d’un médecin en ces termes : « Des soins cosmétiques journaliers sont essentiels pour protéger la peau des agressions dues aux traitements anticancéreux. Ils garantissent une meilleure qualité de vie lors de la thérapie ».

En premier lieu, le Jury rappelle que si une publicité en faveur d’un produit cosmétique ne saurait alléguer ou insinuer que ce dernier présenterait des propriétés thérapeutiques, à l’instar d’un médicament, aucune règle déontologique ne fait obstacle à ce qu’une telle publicité évoque une maladie ou un traitement médicamenteux dont certains des symptômes, cutanés ou olfactifs par exemple, peuvent justifier le recours à un produit cosmétique. Il note que le point 1.5 de la Recommandation précitée admet même la « référence à des procédés ou actes médicaux ou chirurgicaux », à condition qu’elle n’induise pas en erreur le consommateur en lui faisant croire implicitement que le produit cosmétique donnera des résultats équivalents ou comparables.

En l’occurrence, le Jury considère que l’ensemble des allégations litigieuses permet de comprendre que les produits cosmétiques promus n’ont en aucun cas pour objet de traiter les cancers – ce que, du reste, aucune des personnes intéressées ne soutient dans cette procédure, ni même les « toxicités cutanées » évoquées dans la plainte, mais seulement d’en limiter certains effets secondaires sur le plan dermatologique en protégeant la peau et en favorisant sa reconstitution. Il en va ainsi qu’on se place, comme le Jury doit le faire, du point de vue d’un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif, ou du point de vue de malades souffrant d’un cancer qui, s’ils peuvent présenter une vulnérabilité particulière, bénéficient aussi d’une information spécifique sur les traitements qu’ils reçoivent et leurs effets sur la peau. En outre, l’appellation « coffret oncologie », qui est davantage évocateur de spécialités pharmaceutiques et d’une prise en charge de nature médicale, correspond au produit commercialisé, de sorte que le Jury n’est pas compétent pour la remettre en cause sur le fondement des règles déontologiques invoquées. Au total, le Jury estime que les messages publicitaires critiqués, pris dans leur ensemble, n’introduisent pas de confusion entre ces produits et des médicaments et, en particulier, ne prétendent pas apporter une solution thérapeutique aux toxicités cutanées résultant des traitements contre le cancer.

Cette confusion ne résulte pas davantage du témoignage du médecin, qui évoque expressément des « soins cosmétiques » et une « meilleure qualité de vie lors de la thérapie ». Cette recommandation n’apparaît pas contraire au point 1.4 de la Recommandation « Produits cosmétiques ».

Le Jury estime en outre que l’allégation selon laquelle les produits faisant partie du « coffret oncologie » seraient « indispensables » présente un caractère hyperbolique, admis en publicité, sans induire en erreur les consommateurs et, notamment, les personnes atteintes d’un cancer, qui sont à même de faire le départ entre le traitement médicamenteux prescrit par un professionnel de santé et donnant lieu à une prise en charge par l’assurance maladie, et des crèmes et baumes commercialisés par une entreprise, présentés comme des cosmétiques, accessibles sans ordonnance et non remboursés.

Il résulte de ce qui précède que les mentions critiquées ne méconnaissent pas les exigences de loyauté et de clarté des messages publicitaires.

En deuxième lieu, si le plaignant se prévaut du principe de véracité, du principe de justification et du point 1.2 de la Recommandation « Produits cosmétiques » sur les preuves, il ne met pas sérieusement en cause l’efficacité des produits promus sur la protection de l’épiderme des personnes souffrant d’effets secondaires dermatologiques liés aux traitements anti-cancéreux.

En troisième et dernier lieu, le plaignant met en cause plusieurs allégations selon lesquelles des produits cosmétiques de l’annonceur auraient des fonctions « réparatrices » (« répare la barrière protectrice », « crème ultra-réparatrice », « triple réparation », « restaure la barrière cutanée »…).

Le Jury constate que les produits cosmétiques sont définis par le règlement 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques, auquel renvoie le préambule de la Recommandation « Produits cosmétiques », comme « toute substance ou tout mélange destiné à être mis en contact avec les parties superficielles du corps humain (épiderme, systèmes pileux et capillaire, ongles, lèvres et organes génitaux externes) ou avec les dents et les muqueuses buccales en vue, exclusivement ou principalement, de les nettoyer, de les parfumer, d’en modifier l’aspect, de les protéger, de les maintenir en bon état ou de corriger les odeurs corporelles ».

Le Jury observe que cette définition, si elle inclut les fonctions de « protection » et de « maintien en bon état » de l’épiderme, n’évoque pas expressément la fonction de « réparation », qui consiste à restaurer l’état normal d’une peau abîmée. Toutefois, de tels produits sont couramment utilisés à cette fin, et non pas seulement à des fins préventives, sans pour autant être assimilables à des médicaments. C’est ce qui explique que les publicités en faveur des produits cosmétiques recourent usuellement au vocable « répare » ou « restaure », sans que les consommateurs puissent, à cet égard, être induits en erreur sur leur fonction, qui est de favoriser le processus de régénération naturelle de la peau, et leurs propriétés, et sur l’absence d’effet thérapeutique.

Il résulte de tout ce qui précède que le Jury est d’avis que la plainte est recevable mais n’est pas fondée.

Avis adopté le 9 juin 2023 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Boissier et Charlot, MM. Depincé, Le Gouvello et Lucas-Boursier.


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