LA ROCHE POSAY – Internet – Plainte partiellement fondée

Avis publié le 7 juin 2022
LA ROCHE POSAY – 834/22
Plainte partiellement fondée

 Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants et le conseil de la société L’Oréal, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 10 mars 2022, d’une plainte d’un particulier afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société L’Oréal, qui exploite la marque La Roche-Posay, pour promouvoir le tube de baume pour le corps « Lipikar ».

La publicité en cause, diffusée sur le site Internet de la marque, montre le tube de crème sur lequel figure une représentation stylisée de la planète et les mots « ECOconscious tube ». Ce visuel est accompagné du texte suivant : « Nouveau – Lipikar Baume… tube éco-responsable… plus respectueux de la planète », « Nouveau : tube éco-responsable à base de carton », « Pour minimiser son impact environnemental, le baume est conditionné dans un tube composé de -45% de plastique qu’un flacon classique… »..

2. Les arguments échangés

Le plaignant indique que ce tube n’est pas recyclable, contrairement aux autres tubes de la marque. Cette information importante est manquante, et devrait être clairement visible pour le consommateur.

En outre, cette publicité comporte plusieurs éléments associés au greenwashing : « Eco Conscious Tube » n’a pas de sens concret, la couleur carton fait penser que le tube est recyclable alors que ce n’est pas le cas et le sigle « Eco Conscious Tube » fait croire à un label alors qu’il est fait maison.

Il ajoute que la description « Eco Conscious Tube » est inscrite sur le tube lui-même ainsi que sur les différentes descriptions et publicités présentes sur internet et en pharmacie.

Une variante « Tube éco-responsable à base de carton » est présente sur le site internet du laboratoire. Or le taux de carton n’est indiqué nulle part.

Plusieurs points des règles de la Recommandation « Développement durable » ne sont donc pas respectés selon le plaignant :

  • point 1.1 : l’aspect « eco-conscious » amène à minimiser l’impact de la non-recyclabilité du produit ; et cette conception de produit incite à rendre du carton non-recyclable ;
  • point 2.1 : ce produit induit en erreur le public par le terme « eco-conscious », qui fait penser à une recyclabilité du produit, par le label « fait-maison » qui fait penser à un label officiel, et par la couleur marron et le terme « à base de carton » qui font penser que le produit est recyclable comme le carton. L’absence d’une image explicite du produit dans la partie « Ce qui ne se recycle pas » sur la page dédiée « Trions en beauté » du site internet du laboratoire induit également le public en erreur ;
  • points 2.3, 4.3, 4.5 et 4.6 : Le site internet indique « Il présente l’une des plus faibles empreintes carbone de tubes cosmétiques » sans source d’étude et de documents à l’appui. De même le terme « à base de carton » suppose que le carton est majoritaire mais n’est pas associé à un taux de présence du carton dans le produit. Des informations chiffrées sont nécessaires ;
  • point 2.4, 7.1 et 7.3: Le produit ne contribue ni au pilier social/sociétal ni au pilier économique. Le terme « éco-conscious » exprime pourtant une promesse globale en matière de développement durable. Ce terme est une formulation globale qui nécessite d’être relativisé par des formulations telles que « contribue à… » ;
  • point 6.1 : Le label « fait-maison » n’est pas décrit sur le produit ni sur la page internet du produit du site du laboratoire ;
  • point 7.4 et 8.2 : Le terme « éco-conscious » traduit indûment une absence d’impact négatif du produit. Or le produit n’est pas recyclable, et le carton intégré sort du cercle de recyclabilité.

Le plaignant demande :

  • que le terme « Eco-conscious / éco-responsable » et le label soient supprimés du tube et de l’ensemble des descriptions et publicités sur ce produit,
  • que le terme « à base de carton » soit supprimé si le taux est inférieur à 50%, et soit documenté,
  • que le terme « l’une des plus faibles empreinte carbone de tubes cosmétiques » soit documenté,
  • que l’indication de non-recyclabilité soit indiqué explicitement sur le produit, sur le site internet, et sur l’ensemble des contenus descriptifs et publicitaires.

La société L’Oréal a été informée, par courriel recommandé avec avis de réception du 5 avril 2022, de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

La société fait valoir tout d’abord que les reproches formulés (sigle et couleur) concernent le conditionnement du produit de La Roche Posay, pour lequel le JDP n’est pas compétent, conformément à l’article 2.1 « Compétence » de son règlement intérieur.

Ce principe est appliqué de manière constante par le JDP qui relève d’office son incompétence dès lors que la plainte concernerait le conditionnement même des produits (à titre d’exemple, avis VULCANET – 539/18 du 23.10.18). En conséquence, le JDP doit, selon la société L’Oréal, se déclarer incompétent pour se prononcer sur le conditionnement du produit Lipikar Baume AP+M de LA ROCHE POSAY.

La Roche Posay relève qu’outre le conditionnement, la plainte fait également mention de publicités sur le lieu de vente (plus précisément, de « panneau en pharmacie »). Or, la plainte est totalement silencieuse sur la PLV qui serait ici contestée, laquelle n’est ni jointe ni décrite, ce qui n’est pas conforme à l’article 11.1 « Recevabilité » du règlement intérieur du JDP.

Sur le caractère infondé de la plainte, la société L’Oréal fait valoir que le « sigle eco-conscious tube », présent en face avant du conditionnement, a une signification concrète puisqu’il désigne une nouvelle génération d’emballage proposée par LA ROCHE POSAY, qui intègre du carton certifié FSC (provenant de forêts gérées durablement).

Cet emballage présente l’une des plus faibles empreintes carbone de tubes cosmétiques et utilise 45% de plastique de moins qu’un tube plastique moyen. Le visuel tronqué communiqué au soutien de la plainte occulte cette partie informative et explicative de la démarche de LA ROCHE POSAY, disponible sur son site internet : https://www.laroche-posay.fr/produits-soins/lipikar-soin-peau-seche/lipikar-baume-ap-m-tube[1]eco-responsable-p27632.aspx.

En outre, à aucun moment La Roche Posay ne vient alléguer que le tube du produit Lipikar Baume AP+M serait recyclable. Aucun grief ne peut lui être adressé sur ce point.

Enfin, rien ne permet d’établir que le sigle contesté « ferait croire à un label ». Il s’agit d’un sigle créé par La Roche Posay pour illustrer les engagements pris par la marque, notamment en termes de réduction de l’utilisation du plastique dans ses emballages. Ce type de sigle marketing est d’ailleurs une pratique courante sur le marché cosmétique. En revanche, avec ce nouvel emballage, La Roche Posay poursuit son chemin vers la réduction de son empreinte environnementale.

Lors de la séance, la société L’Oréal a repris en substance les mêmes arguments. Elle a précisé que la réduction de la proportion de plastique dans les tubes était une priorité pour le groupe, au prix d’importants investissements et surcoûts. Il s’agit d’une démarche éco-responsable, dont l’équivalent en anglais est « eco-conscious ».

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1 ) : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donne et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit : / 1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple : (…) / c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement […] ».
  • au titre de la véracité des actions (point 2) :
    • « 1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ;
    • 2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ;
    • 3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; / Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul. / La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus (…) ;
    • 4 La publicité ne peut exprimer une promesse globale en matière de développement durable si l’engagement de l’annonceur ne porte pas cumulativement sur les trois piliers du développement durable ».
  • au titre de la proportionnalité (point 3) :
    • « 1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. / La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ;
    • 2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »
  • au titre de la « clarté du message » (point 4) :
    • « 3 Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation Mentions et renvois de l’ARPP. (…) /
    • 5 Tout message publicitaire reposant sur une étude scientifique doit en indiquer la source. /
    • 6. Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée».
  • au titre des « signes, labels, logos, symboles, auto-déclarations » : « 6.1 Les signes ou symboles ne peuvent être utilisés que si leur origine est clairement indiquée et s’il n’existe aucun risque de confusion quant à leur signification ».
  • au titre du « vocabulaire » (point 7) :
    • « 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable (…) /
    • 7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”. ».
    • 7.4 Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur. »
  • Au titre de la « présentation visuelle ou sonore » (point 8) :
    • « 1 Les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument écologique et aux éléments justificatifs qui l’appuient
    • 2 Ils ne doivent pas pouvoir être perçus comme une garantie d’innocuité si cette dernière ne peut être justifiée».

Le Jury relève que la publicité mise en cause promeut le baume pour le corps de la marque Lipikar, notamment son conditionnement, présenté comme un tube « éco-responsable », « à base de carton », « plus respectueux de la planète ». Il est allégué que « Pour minimiser son impact environnemental, le baume est conditionné dans un tube composé de -45% de plastique qu’un flacon classique… ».

En premier lieu, le Jury rappelle qu’en vertu du point 2.1 de son règlement intérieur, il n’est pas compétent pour se prononcer sur le conditionnement d’un produit ou ce produit lui-même, mais seulement sur la conformité aux règles déontologiques des publicités qui font l’objet des plaintes dont il est saisi. Il n’en va différemment que lorsque l’une des règles déontologiques qu’il a compétence pour appliquer, en vertu du point 2.2. du même règlement, encadre expressément l’utilisation, en publicité, du conditionnement du produit (comme c’est le cas, par exemple, de la Recommandation « Alcool »).

Par suite, si le tube de baume représenté par la publicité critiquée peut être pris en compte, à titre d’élément de contexte, pour apprécier le respect des exigences déontologiques précédemment rappelées par les textes qui l’accompagnent, il n’appartient pas au Jury de porter une appréciation autonome sur sa simple reproduction dans la publicité. Il s’ensuit que l’ensemble des griefs visant le terme « eco-conscious » et le logo « planète » qui ne figurent que sur le conditionnement du produit, ainsi que l’aspect du tube, ne peuvent être retenus.

En deuxième lieu, l’allégation selon laquelle ce tube est « à base de carton » est complétée par une indication chiffrée du taux de réduction des matières plastiques qui le composent. Il s’en déduit clairement que ce conditionnement n’est pas exclusivement composé de carton. Aucune règle déontologique ne faisait en outre obligation à l’annonceur de préciser, dans la publicité elle-même, la proportion respective de carton et de plastique dans ce conditionnement.

En troisième lieu, en revanche, le Jury constate que le terme « éco-responsable » constitue une formulation globale non relativisée (contrairement à l’allégation « plus respectueux de la planète »), attachée au produit lui-même et non à la démarche de l’entreprise. Sans remettre en cause l’importance des efforts consentis par l’annonceur pour réduire le taux de plastique dans la composition des tubes qu’il commercialise, cette allégation générale n’est pas justifiée dès lors, d’une part, que ce tube n’est ni composé entièrement de matériaux biosourcés, ni recyclable, comme l’a indiqué l’annonceur, et, d’autre part, que sa fabrication et sa distribution comportent nécessairement des conséquences négatives significatives sur l’environnement.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît dans cette dernière mesure le point 7.3 de la Recommandation « Développement durable », et que la plainte n’est pas fondée pour le surplus.

Avis adopté le 6 mai 2022 par M. Lallet, Président, Mmes Lenain et Boissier ainsi que MM. Depincé et Le Gouvello.

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