L’OREAL GROUPE

Lettre d’information

Plainte fondée après révision

Avis publié le 30 janvier 2024
L’OREAL GROUPE – 951/23
Plainte fondée après révision

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société L’Oréal et le représentant de la lettre d’information Time To Sign Off, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence et après en avoir débattu lors de la séance du 6 octobre 2023,
  • l’avis délibéré ayant été adressé au plaignant et à la société L’Oréal Groupe, laquelle a introduit une demande de révision,
  • la procédure de révision prévue à l’article 22 du règlement intérieur du Jury ayant été mise en œuvre,
  • après avoir invité les personnes concernées à faire valoir leurs observations et avoir entendu, lors de la seconde séance tenue par visioconférence le 12 janvier 2023, les conclusions de M. Grangé-Cabane, Réviseur de la déontologie publicitaire, ainsi que les représentants de la société L’Oréal Groupe,
  • et, après en avoir débattu, dans les conditions prévues au même article 22,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 21 juin2023, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de la société L’Oréal Groupe.

La publicité en cause, diffusée par la Newsletter de Time to Sign Off (TTSO), montre un champ de panneaux solaires sur lequel apparaît le texte en incrustation « L’Oréal Groupe – Créer la beauté qui fait avancer le monde ». Le texte en-dessous de l’image est « La beauté qui fait avancer le monde », « Parce que faire avancer le monde c’est contribuer à sa préservation, L’Oréal Groupe s’est notamment engagé dans la réduction de ses émissions carbone ». Ainsi, depuis 2005, au niveau international, L’Oréal Groupe a réduit de 91% les émissions de ses usines et centrales de distribution. Aujourd’hui, 65% de ses sites sont neutres en carbone sur les scopes 1 et 2. L’objectif à venir ? 100% sur tous les sites d’ici à 2025. », « Pour y parvenir, l’Oréal Groupe en France mise sur la sobriété de ses sites et le recours à des énergies renouvelables et locales comme récemment, via plusieurs contrats avec le Groupe EDF ». Ce texte est suivi d’un lien cliquable « Découvrir les engagements de L’Oréal Groupe pour 2030 ».   

2. La procédure

  • La société L’Oréal a été informée, par courriel avec accusé de réception du 25 juillet 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
  • Cette affaire qui devait être initialement examinée lors de la séance du Jury de Déontologie Publicitaire du 8 septembre 2023 a fait l’objet d’un report, à la demande de la société L’Oréal, qui a déclaré, par courriel du 26 juillet 2023, être dans l’impossibilité de produire des observations dans le délai demandé compte tenu de la période de congés estivaux.

3. Les arguments échangés

Le plaignant énonce que cette publicité utilise de manière abusive l’argument de neutralité carbone, contrairement aux recommandations de l’ADEME et à la loi.

La publicité sous-entend que l’utilisation de produits de beauté L’Oréal préserve le monde. C’est, selon le plaignant, pour le mieux impossible à prouver, au pire faux. Rien ne prouve que la beauté fasse avancer le monde, ni ne préserve le monde au sens de L’Oréal. Le seul fait démontrable, si l’on regarde les données historiques est que le monde était mieux préservé avant que L’Oréal n’existe (biodiversité, émissions de CO2, et autres limites naturelles).

Par ailleurs, sur la seule empreinte carbone, L’Oréal a émis plus de CO2 qu’elle n’en a retiré : donc l’entreprise a négativement préservé le monde. Aussi, L’Oréal ne peut pas démontrer que ses contributions globales sont positives. Les destructions du monde par l’utilisation des produits de beauté L’Oréal sont nombreuses : émissions de CO2, tests sur les animaux, pollution de l’eau, rejets de déchets, ingrédients nocifs dans certains produits, etc. D’autre part, il n’est pas démontré que ce soit la beauté qui préserve le monde. D’après la description, ce sont plutôt les actions de sobriété et les énergies renouvelables qui préservent le monde. Mais en aucun cas l’utilisation de produits de beauté de L’Oréal.

La société L’Oréal Groupe fait valoir, à titre liminaire, que la société Time to Sign Off qui a également reçu la plainte devrait être mise hors de cause puisqu’elle n’est pas visée par le plaignant et n’a au demeurant pas le contrôle du contenu de la communication de L’Oréal France.

Loin de démontrer une contrariété aux Recommandations de l’ARPP ou aux principes déontologiques dont le Jury examine le respect, cette plainte s’attache à stigmatiser L’Oréal par des propos diffamatoires et infondés selon lesquels « les destructions du monde par l’utilisation des produits de beauté L’Oréal sont nombreuses : émissions de CO², tests sur les animaux, pollution de l‘eau, rejets de déchets, ingrédients nocifs. Il n’est pas démontré que ce soit la beauté qui préserve le monde ».

La société rappelle que :

  • Sur les tests sur animaux : l’Oréal a été précurseur en la matière et a définitivement cessé toute expérimentation animale dès 1989, soit plus de 14 ans avant qu’une réglementation ne soit adoptée au niveau européen, à la suite d’un lobbying auquel le Groupe avait alors activement participé ;
  • Sur la nocivité alléguée des ingrédients : les produits L’Oréal sont conformes aux réglementations cosmétiques en vigueur et plus particulièrement au Règlement CE n° 1223/2009 relatif aux composants d’un produit cosmétique. Les produits L’Oréal n’intègrent que des composants sûrs, de sorte que la nocivité alléguée n’est aucunement démontrée ;
  • Sur l’allégation « la beauté qui fait avancer le monde » : elle se contente d’exprimer les engagements sociétaux pour lesquels L’Oréal a été précurseur, comme la diversité, l’équité, l’inclusion, la cause des femmes, et les considérations environnementales soutenues par le programme L’Oréal for the future, sur lesquelles L’Oréal continue de progresser, sans bien sûr prétendre à la perfection.

En tant que leader de son marché, les actions prises par L’Oréal dans ces domaines ont un impact, créent un effet d’entraînement, et en ce sens font « avancer le monde ».

Ces engagements de L’Oréal sont précisément décrits sur le site institutionnel de L’Oréal et reconnus par des tiers de confiance comme cela ressort des très nombreux prix et ratings obtenus par L’Oréal.

La société fait valoir également que la communication institutionnelle de L’Oréal a fait l’objet d’un avis favorable de l’ARPP en date du 9 novembre 2022.

La société estime que la communication visée par la plainte est conforme aux règles déontologiques de l’ARPP et notamment à la Recommandation Développement Durable, sur deux points principaux :

  • Sur l’allégation « La beauté qui fait avancer le monde » en lien avec les objectifs de L’Oréal de réduction de ses émissions carbone

Dans le secteur des cosmétiques, le Groupe L’Oréal est précurseur en la matière et a mis en œuvre des démarches de réduction des gaz à effets de serre depuis 2005 au niveau international et ce alors qu’aucune norme contraignante ne l’oblige à le faire.

Ainsi, depuis 2005, L’Oréal a réduit les émissions de dioxyde de carbone (CO²) de ses usines et centres de distribution de 91% en valeur absolue, dépassant son objectif initial de 65 % à horizon 2020, alors que le volume de sa production a augmenté de 45 % au cours de la même période, ce qui est particulièrement significatif.

Il est ainsi notable de souligner que L’Oréal a été reconnu par l’organisation internationale Carbon Disclosure Projet (CDP), comme « Supplier Engagement Leader » pour ses actions prises en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique au sein de sa chaîne d’approvisionnement.

L’Oréal est également récompensé depuis 7 années consécutives par un triple A pour son action environnementale en matière de lutte contre le changement climatique sujet directement visé par la plainte, préservation des forêts et de sécurité de l’eau par le CDP.

C’est l’une des 12 entreprises seulement à avoir obtenu un triple “A” sur près de 15 000 entreprises évaluées et la seule à l’obtenir pour la 7eme année consécutive.

Les engagements environnementaux de L’Oréal sont également partagés avec ses partenaires commerciaux et fournisseurs, de sorte que ses prises de positions font nécessairement évoluer les pratiques du secteur, ce qui se traduit dans l’allégation « la beauté qui fait avancer le monde ».

Le Document d’enregistrement universel du Groupe L’Oréal récapitule ces efforts et ces objectifs pour l’avenir ainsi que les niveaux d’ores et déjà atteint pour 2022, attestant des efforts considérables mis en œuvre.

Dans ces conditions, la signature « la beauté qui fait avancer le monde » est adaptée et proportionnée aux engagements et actions d’un groupe à fort impact comme l’est le Groupe L’Oréal. Elle exprime très bien les efforts considérables entrepris par L’Oréal pour améliorer ses pratiques et réduire l’impact environnemental, sans signifier que ce serait « la beauté qui préserve le monde » comme le prétend la plainte de mauvaise foi.

  • Sur la mention relative à la part des sites de L’Oréal qui sont « neutres en carbone sur les Scopes 1&2 », contrairement à ce que soutient le plaignant, la communication mise en cause ne prétend pas que L’Oréal a atteint la neutralité carbone ou n’a pas émis de CO².

Il est vrai que depuis le 1er janvier 2023, la loi prohibe le fait de se prévaloir d’une neutralité carbone pour un produit ou un service, sauf à pouvoir présenter un rapport de synthèse des émissions de gaz à effet de serre du produit ou service sur l’ensemble de son cycle de vie.

Le Carbon Disclosure Project est une association à but non lucratif qui utilise une méthodologie précise et indépendante pour évaluer les entreprises et leur attribuer des notes allant de « D » à « A » en fonction de l’exhaustivité des données transmises, de l’évaluation et de la gestion des risques environnementaux et de la mise en place effective de bonnes pratiques en matière de leadership environnemental, telle que la fixation d’objectifs pertinents et ambitieux.

Il est ici simplement indiqué que 65 % des sites de production de l’entreprise sont neutres en carbone sur les Scopes 1 et 2. Au passage, on relève que cette allégation se réfère à des sites de production, et non à un produit ou à un service, de sorte que l’interdiction de la mention
« neutre en carbone » prévue depuis le 1er janvier 2023 par l’article L. 229-68 du code de l’environnement ne s’applique pas.

La référence aux notions de scopes 1 & 2 est un standard du secteur issu du GreenHouseGaz Protocol (GHG Protocol), protocole international encadrant les gaz à effet de serre des entreprises depuis la fin des années 1990, comme le rappelle le ministère de l’économie et des finances.

Concrètement, trois scopes sont régulièrement visés pour désigner les émissions suivantes :

  • Le scope 1 concerne toutes les émissions directes de gaz à effet de serre.
  • Le scope 2 comprend les émissions indirectes liées à l’énergie.
  • Le scope 3 vise toutes les autres émissions indirectes de l’entreprise.

Ce référentiel est parfaitement connu et repris régulièrement y compris par l’ADEME et par les entreprises pour expliciter leurs démarches en matière de transition énergétique.

L’explication est par ailleurs immédiatement accessible dans la communication visée par la plainte, en cliquant sur le lien « Découvrir les engagements de L’Oréal Groupe pour 2030 », conformément aux exigences de clarté du message, imposées par l’article 4 de la Recommandation Développement Durable de l’ARPP.

Ainsi, à la fin de l’année 2022, L’Oréal comptait 110 sites neutres en carbone (c’est-à-dire utilisant 100 % d’énergie renouvelable), dont 22 usines, soit 65 % de ses sites de production.

Il faut souligner que la neutralité carbone en Scopes 1 et 2 de ces sites de production a été atteinte par des réductions de consommation, d’une part, et l’usage d’énergies renouvelables, d’autre part, et non par des mécanismes de compensation.

La communication visée par la plainte se contente donc d’indiquer que 65% de ses sites de production sont neutres en carbone sur les Scopes 1 et 2, mais ne prétend pas à une absence totale d’émission de gaz à effet de serre de la part du Groupe.

La communication est ainsi véridique, proportionnée et claire, conformément aux règles édictées par les articles 2 à 4 de la Recommandation Développement Durable de l’ARPP.

L’Oréal ne prétend pas ne pas avoir d’impact sur l’environnement ni ne le minimise. Elle communique sur ses efforts ainsi que les résultats obtenus et n’incite aucunement à des comportements irresponsables, ou de consommation excessive.

Lors de la séance, l’annonceur a précisé qu’il assumait l’entière responsabilité de la publication critiquée, de sorte que le diffuseur TTSO doit être mis hors de cause.

Il défend la proportionnalité de la publicité au regard de ses engagements et de ses réalisations dans le domaine du développement durable. Depuis 2005, L’Oréal a réduit de 91 % les émissions de ses usines et centrales de distribution (entrepôts), alors même que la production a, elle, augmenté de 40 %. Le document d’enregistrement fournit les preuves de cette allégation. Il n’est pas dit que l’entreprise serait parfaite, mais qu’elle a progressé et qu’elle continuera à le faire. En particulier, il n’est pas affirmé que l’Oréal ou ses produits seraient neutres en carbone, mais que certaines de ses installations le sont, sur les seuls scope 1 et 2. A cet égard, elle a précisé qu’aucun mécanisme de compensation carbone n’a été mis en œuvre pour atteindre le résultat affiché et que la neutralité affichée résulte, d’une part, de la réduction d’émissions et de l’approvisionnement par des énergies renouvelables et, d’autre part, par la captation de CO2 par les puits de carbone naturels (océans, forêts…).

4. L’avis provisoire du Jury

Dans son avis délibéré le 6 octobre 2023, le Jury a estimé que la publicité était contraire à l’exigence de véracité qui figure au point 2 de la Recommandation « Développement durable » dès lors que l’annonceur allègue contribuer à la préservation du monde et indique que 65 % des sites de production et centrales de distribution de L’Oréal sont « neutres en carbone sur les scopes 1 et 2 ».

5. Les conclusions du Réviseur de la déontologie publicitaire

Lors de la séance du 12 janvier 2023, le Réviseur de la déontologie publicitaire, saisi par la société L’Oréal Groupe, a prononcé les conclusions suivantes :

« I) Instruction

Le Jury de Déontologie Publicitaire est saisi, le 21 juin 2023, d’une plainte par laquelle un particulier (ci-dessous “le plaignant”) lui demande de se prononcer sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de la société L’Oréal Groupe (ci-dessous “L’Oréal” ou “la société” ou “l’annonceur”).

La publicité en cause, diffusée par la Lettre de Time to Sign Off (TTSO), montre un champ de panneaux solaires sur lequel apparaît en incrustation l’allégation suivante : « L’Oréal Groupe – Créer la beauté qui fait avancer le monde ». Le texte sous l’image est titré : « La beauté qui fait avancer le monde » ; il est ainsi rédigé : « Parce que faire avancer le monde c’est contribuer à sa préservation, L’Oréal Groupe s’est notamment engagé dans la réduction de ses émissions carbone. Ainsi, depuis 2005, au niveau international, L’Oréal Groupe a réduit de 91% les émissions de ses usines et centrales de distribution. Aujourd’hui, 65% de ses sites sont neutres en carbone sur les scopes 1 et 2. L’objectif à venir ? 100% sur tous les sites d’ici à 2025. », « Pour y parvenir, l’Oréal Groupe en France mise sur la sobriété de ses sites et le recours à des énergies renouvelables et locales comme récemment, via plusieurs contrats avec le Groupe EDF ». Ce texte est suivi d’un lien cliquable ainsi présenté : « Découvrir les engagements de L’Oréal Groupe pour 2030 ».  

Par un avis délibéré le 6 octobre 2023, le Jury expose que la publicité en cause méconnaît l’exigence de véracité qui figure au point 2 de la Recommandation Développement durable de l’ARPP.

Par une demande reçue dans les délais, L’Oréal sollicite la Révision de cet avis provisoire, à partir d’une “critique sérieuse et légitime de l’avis, relative à l’application ou à l’interprétation d’une règle déontologique, et portant sur le sens de l’avis (fondé ou non) et/ou sur la nature des griefs retenus ou écartés par le Jury” (article 22.1 du Règlement du JDP).

Cette demande de L’Oréal est communiquée au plaignant, lequel ne présente pas d’observations en réponse.

Le Réviseur estime utile, pour instruire cette Révision, de solliciter, en application de l’article 21.1 du Règlement du Jury, les observations de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) sur ce dossier ; la réponse reçue de l’ARPP est ensuite transmise aux parties prenantes à ce dossier.

Conformément au Règlement intérieur du JDP, le Réviseur se rapproche alors du Président du Jury, sous l’autorité duquel a été adopté l’avis provisoire, et procède avec lui à une analyse contradictoire des faits et arguments sur lesquels le JDP a fondé cet avis.

À partir de ces éléments, le Réviseur demande au JDP de procéder à une seconde délibération sur l’affaire en cause, et de rédiger son avis définitif dans le sens des conclusions ci-dessous. 

II) Discussion

Dans sa demande en Révision, l’annonceur soulève deux questions, partiellement mêlées : une question de principe – sur l’interprétation donnée par l’avis provisoire à la Recommandation Développement durable de l’ARPP – et une question de fond, portant sur le contenu de la publicité L’Oréal qui fait l’objet du débat.

Pour des raisons de clarté, il paraît souhaitable de séparer l’examen de ces deux questions.

A) Question de principe :

La critique sérieuse et légitime de l’avis provisoire invoquée en Révision vise l’interprétation qu’a donnée le Jury à la Recommandation Développement durable précitée.

Plus précisément, L’Oréal juge le contenu de l’avis contraire à cette Recommandation.

L’annonceur rappelle d’abord que l’avis en litige, se référant à “plusieurs avis [précédemment] rendus par le Jury”, pose, de manière générale, qu’une “activité économique, notamment une activité industrielle comme celle de l’annonceur en cause, ne saurait en aucun cas être présentée, en publicité, comme contribuant à « protéger », « préserver », ou « sauvegarder » l’environnement, le « monde » ou la « planète » au motif que l’entreprise qui l’exerce a mis en œuvre des actions d’évitement, d’atténuation ou de compensation permettant de limiter ses propres impacts écologiques ou les inconvénients qui s’y attachent”.

L’avis se poursuit ainsi : “Une telle présentation est nécessairement de nature à induire en erreur le public sur la réalité des activités de l’annonceur et à minimiser les conséquences de la consommation de ses produits ou services sur l’environnement”.

L’avis ajoute que : “Une allégation de cette nature peut en revanche être utilisée par l’auteur d’une communication à caractère publicitaire qui œuvre pour la prévention, la réduction ou la lutte contre les atteintes que des tiers peuvent porter à l’environnement, comme c’est le cas d’une association de défense de l’environnement, par exemple”.

Sur ce point, l’avis conclut ainsi : “En l’occurrence, la publicité en cause renvoie seulement à des actions que le groupe L’Oréal mène pour réduire sa propre empreinte carbone. L’allégation litigieuse, générale et particulièrement valorisante, apparaît d’autant plus excessive que la publicité n’évoque ensuite expressément que la réduction des émissions de dioxyde de carbone, alors que les incidences environnementales de l’activité de L’Oréal Groupe excèdent cette problématique. Seul le site vers lequel renvoie le lien traite d’autres problématiques écologiques (eau, biodiversité…)”.

Contestant les appréciations de l’avis qui précèdent, L’Oréal estime que : “Cette interprétation du Jury ci-dessus reproduite est contraire à la Recommandation Développement Durable de l’ARPP, tant quant à son contenu que quant à son principe lui-même, puisque cette analyse revient purement et simplement à prohiber toute communication environnementale d’une entreprise, destinée à présenter ses actions de nature à réduire son impact environnemental, au seul motif que cette dernière a une activité́ économique et notamment industrielle”.

1) Dans sa mission d’apprécier la conformité à la déontologie en vigueur des publicités qui lui sont soumises, le Jury est naturellement amené à interpréter les dispositions qui sont applicables (parmi celles qui sont énumérées à l’article 2.2 du Règlement du JDP).

Mais ce pouvoir d’interprétation, pour étendu qu’il soit, n’autorise pas le Jury à poser des principes qui seraient contraires aux dispositions qu’il a charge d’appliquer – ce dont L’Oréal, en Révision, fait grief à l’avis provisoire.

Par voie de conséquence, le Réviseur considère que, en dépit de certains vocables stricts figurant dans l’avis provisoire (tels que “en aucun cas” ou “nécessairement”), le Jury n’a pas entendu empêcher par principe un annonceur de faire valoir les actions qu’il mène pour réduire ou compenser son empreinte environnementale ; par cet avis, le JDP considère seulement comme contraire aux exigences de véracité et de proportionnalité le fait qu’un annonceur puisse prétendre ou suggérer que l’ensemble de son  “activité économique” “contribuerait  à “préserver / protéger / sauvegarder l’environnement / le monde / la planète” pour le seul motif qu’il a mis en place des actions “d’évitement, d’atténuation ou de compensation” qui lui permettent “de limiter ses propres impacts écologiques ou les inconvénients qui s’y attachent”.

La revendication publicitaire de telles actions n’est donc pas proscrite en soi par l’avis provisoire ; mais d’une part cette revendication doit demeurer proportionnée à la réalité, d’autre part la réalité de ces actions doit elle-même être justifiée ou précisée. C’est notamment au regard de ces deux exigences (proportionnalité ; véracité) que le Jury se doit d’apprécier la conformité d’une publicité environnementale à la déontologie publicitaire.

Du point de vue du Réviseur, cette lecture est la seule qui puisse être donnée de l’avis provisoire. Mais compte tenu du caractère implicite, voire elliptique, du raisonnement qui sous-tend ce texte, le Réviseur, dans le souci de renforcer le caractère pédagogique qu’on attend des avis du JDP, demande à ce dernier de tirer profit de la seconde délibération de cette affaire pour préciser sa rédaction.

Pour le Réviseur, il est donc souhaitable que l’avis définitif expose que :

  • rien dans la Recommandation Développement durable de l’ARPP, ni a fortiori dans la déontologie publicitaire en vigueur, n’interdit à un annonceur de revendiquer, dans sa publicité, les actions qu’il mène dans le but de limiter ou de compenser son empreinte environnementale ;
  • mais que cette revendication doit notamment respecter, sous le contrôle du Jury, la double exigence de proportionnalité et de véracité posée par la Recommandation.

De tout ce qui précède il résulte que, au cas d’espèce, L’Oréal n’est pas fondée à demander la Révision de l’avis provisoire au motif que le Jury aurait posé une règle générale interdisant à un annonceur de se prévaloir des actions qu’il mène pour limiter ou compenser son empreinte environnementale. L’avis provisoire ne méconnait donc pas, contrairement à ce que soutient la demande de Révision, la Recommandation Développement durable de l’ARPP, mais la précise.

On ajoutera au surplus que le Jury, dans plusieurs de ses avis récents, a été amené à formuler des analyses comparables à celle qu’il applique dans le présent avis provisoire L’Oréal (voir ainsi l’avis RELAY du 4 juillet 2023 ou l’avis CNIEL du 6 octobre 2023).

2) Il s’ensuit que L’Oréal ne peut non plus soutenir que : “Aucun texte ne prévoit un monopole de communication au profit d’acteurs dont la mission est la défense de l’environnement”.

D’une part, ainsi qu’on vient de le voir, l’avis provisoire n’édicte aucune interdiction de principe portant sur la communication environnementale des annonceurs en général ou des entreprises en particulier ; par suite on ne peut lui reprocher d’ériger des “monopoles”.

D’autre part, l’avis provisoire certes pose “qu’une allégation de cette nature [à caractère global ou général] peut en revanche être utilisée par l’auteur d’une communication à caractère publicitaire qui œuvre pour la prévention, la réduction ou la lutte contre les atteintes que des tiers peuvent porter à l’environnement, comme c’est le cas d’une association de défense de l’environnement, par exemple”.

Mais cette faculté ne confère aucun monopole aux associations de défense de l’environnement, puisque celles-ci, dans l’avis contesté, ne sont citées que “par exemple”.

3) De la même manière, ne pourra-t-on retenir, au soutien de la Révision, le fait que l’avis provisoire se heurterait à d’autres dispositions en vigueur qu’invoque l’annonceur, telles :

a) le Guide pratique des allégations environnementales du CNC (Conseil National de la Consommation),

b) les “Contrats climat”, créés par la loi “Climat et résilience”, et qui visent notamment à permettre une communication à “toutes les entreprises, tous secteurs confondus”.

En effet, le Réviseur considère, comme exposé plus haut, que l’interprétation du Jury, dès lors qu’elle n’interdit pas par principe les allégations environnementales, ne contredit nullement les textes mentionnés ci-dessus par L’Oréal.

En outre, et en tout état de cause, ces dispositions invoquées par l’annonceur ne font pas explicitement partie des textes à partir desquels le Jury se prononce exclusivement sur la conformité (ou la non-conformité) des messages publicitaires contestés” (article 2 du Règlement du JDP).

Au final, et à partir des divers éléments qui précèdent, le Réviseur, après “rapprochement” avec le Président du Jury, considère, au bénéfice de la seconde délibération sur cette affaire, que ;

  • l’avis provisoire ne pose aucune règle interdisant par principe à un annonceur de revendiquer dans sa publicité les actions qu’il mène dans le but de limiter ou de compenser les conséquences environnementales de ses propres activités ;
  • toutefois cette revendication doit, sous le contrôle du JDP, respecter notamment les exigences de proportionnalité et de véracité résultant de la Recommandation Développement durable de l’ARPP ;
  • la rédaction de l’avis définitif dans la présente affaire doit être précisée de manière à lever toute ambiguïté sur l’interprétation qui précède.

B) Question de fond :

L’annonceur demande la Révision de l’avis provisoire au motif que cet avis estime que la publicité critiquée :

  • est de nature à induire en erreur le public sur la réalité de l’empreinte carbone de ces sites et de l’annonceur ;
  • méconnaît ainsi l’exigence de véracité qui figure au point 2 de la Recommandation « Développement durable ».

1) L’avis provisoire estime que “l’allégation litigieuse, générale et particulièrement valorisante, apparaît d’autant plus excessive que la publicité n’évoque ensuite expressément que la réduction des émissions de dioxyde de carbone, alors que les incidences environnementales de l’activité de L’Oréal Groupe excèdent cette problématique. Seul le site vers lequel renvoie le lien traite d’autres problématiques écologiques (eau, biodiversité…).

Pour contester en Révision cette appréciation, l’annonceur ne peut se contenter de soutenir que “le support en cause ne permet pas une présentation exhaustive des actions conduites par L’Oréal”, alors même que c’est lui qui a choisi ce support et validé l’allégation en cause.

De même, l’argument soutenu par l’annonceur, selon lequel “ce discours [de L’Oréal] est porté dans une communication institutionnelle, qui ne vise pas à faire la promotion d’un produit ou d’un service, et qui s’adresse aux lecteurs de la newsletter TTSO qui est un public éduqué”, est-il inopérant pour contester l’appréciation de l’avis sur ce point.

En effet, d’une part aucune règle ne prévoit qu’une communication institutionnelle soit moins tenue aux exigences de la déontologie qu’une publicité en faveur d’un produit ou d’un service. D’autre part la “qualité” du public visé, à la supposer établie, est sans influence sur la conformité d’une publicité à la déontologie publicitaire, laquelle résulte du contenu du message.

2) S’agissant de la “neutralité carbone” telle qu’elle est revendiquée par la publicité en débat, l’avis provisoire estime que, en raison notamment de son insuffisance de précisions, cette allégation est “de nature à induire en erreur le public”.

Telle que formulée, la demande en Révision non seulement n’établit pas que cette appréciation soit manifestement erronée, mais encore l’annonceur en reconnaît la pertinence (Page 5 de la demande de Révision : “L’Oréal prend bonne note de l’avis du JDP quant à un éventuel manque de précisions sur le mode de calcul de la neutralité́ carbone. L’Oréal veillera à apporter à l’avenir de plus amples précisions.”).

3) L’Oréal soutient aussi que sa publicité respecte l’exigence de proportionnalité en recourant, dans l’allégation en cause, à la formulation “contribue à…”.

Certes une telle formule fait partie de celles qui sont validées par le point 7.3 de la Recommandation. Mais le recours à une telle expression (parmi d’autres) est suggéré “dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable…)”. En d’autres termes, la formule “contribue à…” est destinée à “relativiser” les formulations trop générales.

A ce stade de l’analyse, il faut reconnaitre que les exigences de proportionnalité et de relativité, pour voisines qu’elles soient, ne sont pas synonymes. Plus précisément, une revendication publicitaire, bien que relativisée par la formule “contribue à…”, peut toutefois demeurer disproportionnée ou susceptible d’induire en erreur le public, en raison de l’écart qui serait constaté entre la réalité des faits et l’allégation de l’annonceur.

Or de ce point de vue, l’avis provisoire ne met pas en cause la généralisation (ou le caractère global) de l’allégation L’Oréal contestée (qu’il estime au contraire n’être “pas critiquable en soi”), mais lui reproche implicitement sa disproportion (Avis du Jury page 7, § 2 : “L’allégation litigieuse, générale et particulièrement valorisante, apparaît d’autant plus excessive que…”) ; or, à ce manquement reproché à la publicité (la disproportion), le seul recours à la formule “contribue à…” ne suffit pas à répondre.

4) Enfin, l’avis précise bien que “la publicité critiquée est de nature à induire en erreur le public sur la réalité de l’empreinte carbone de ces sites et de l’annonceuret non pas, comme le soutient la demande de Révision, pour “l’ensemble de la communication” [litigieuse].

Au final, il résulte des constatations qui précèdent que l’annonceur n’est pas fondé à demander la Révision de l’avis provisoire au motif que ce dernier estime que la publicité L’Oréal en litige méconnaît les règles déontologiques reconnues par le Jury comme applicables à l’affaire en cause.

III) Conclusion

C) Des analyses qui précèdent il résulte que :

  • la demande de Révision de L’Oréal est recevable et à ce titre sera mentionnée dans la rédaction finale de l’Avis du Jury ;
  • la critique sérieuse ou légitime (au sens de l’Article 22.1 du Règlement) invoquée contre l’Avis provisoire ne peut être considérée comme fondée ;
  • la rédaction de l’avis définitif doit être corrigée dans le sens des observations qui précèdent.

Dès lors, et après seconde délibération du Jury, l’Avis provisoire, amendé dans le sens indiqué ci-dessus, et incluant les présentes conclusions du Réviseur de la Déontologie Publicitaire, deviendra définitif et sera publié sur le site du JDP. »

6. Les observations des parties lors de la séance du 12 janvier 2023

Les représentants de la société L’Oréal Groupe ont réitéré les arguments déjà développés par écrit.

Ils ont fait valoir la légitimité de leur demande de révision afin de ne pas être réduit à une forme d’« écosilence » soulignant qu’ils avaient souhaité valoriser leurs efforts réels en matière de sobriété de leurs sites, notamment pour la réduction des gaz à effet de serre.

Ils ont pris acte des conclusions du Réviseur.

7. L’avis définitif du Jury

Le Jury rappelle à titre liminaire qu’il ne lui appartient pas de contrôler la conformité d’une publicité aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur.

En revanche, il s’assure du respect de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, lorsqu’elle est ou peut être regardée comme invoquée. Celle-ci dispose que :

  • au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1 ) : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donne et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit :

1.1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple :

(…)

b/ La publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs (…) /

c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement […]».

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :
    • « 1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ;
    • 2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ;
    • 3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; / Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul. / La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus (…) »
  • au titre de la proportionnalité (point 3) :
    • « 1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. / La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ;
    • 2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »
  • au titre du « vocabulaire » (point 7) :
    • « 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable /
    • 7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”.».

Le Jury relève que la publicité critiquée a pour objet de valoriser les efforts consentis par le groupe L’Oréal en matière de réduction des émissions de CO2. Celle-ci rappelle qu’elle a réduit de 91 % les émissions de ses usines et centrales de distribution depuis 2005, 65 % de ces sites étant neutres en carbone sur les scopes 1 et 2 (émissions directes et émissions indirectes liées à la consommation d’énergie). Elle fait état d’un objectif de 100 % de sites neutres en carbone d’ici à 2025, qu’elle compte atteindre par une réduction de la consommation et le recours aux énergies renouvelables. Le propos est étayé par une page dédiée du site internet à laquelle la publicité renvoie.

En premier lieu, la plainte met en cause le slogan « L’Oréal Groupe – Créer la beauté qui fait avancer le monde » et l’allégation selon laquelle « Parce que faire avancer le monde c’est contribuer à sa préservation ».

Le Jury estime que la formule « Créer la beauté qui fait avancer le monde », par sa généralité et le caractère nécessairement valorisant et réducteur d’un tel slogan, n’est pas critiquable en soi. En la rapprochant de l’allégation en cause, la publicité induit toutefois l’idée que L’Oréal Groupe contribue à la préservation du monde, en particulier grâce aux actions qu’elle mène en matière de réductions et de compensations d’émissions de CO2.

Le Jury rappelle, en réponse à l’argumentation figurant dans la demande de Révision et en écho aux conclusions du Réviseur de la déontologie publicitaire, que la Recommandation « Développement durable » ne fait nullement obstacle à ce qu’un annonceur valorise les actions et programmes qu’il conduit pour limiter son impact environnemental et, le cas échéant, les résultats qu’il a obtenus en la matière. De tels arguments écologiques, qui présentent en outre l’intérêt d’inciter le public à effectuer des choix de consommation plus responsables, sont au contraire parfaitement admissibles en publicité, dans leur principe. Toutefois, lorsqu’il recourt à de telles allégations, l’annonceur doit veiller à respecter les règles déontologiques figurant dans cette Recommandation, qui a précisément pour objet d’en encadrer l’usage. En particulier, l’argument écologique doit satisfaire aux exigences de véracité, de proportionnalité, de clarté et de loyauté, et être retranscrit par un vocabulaire respectant le point 7 de cette Recommandation.

A cet égard, il y a lieu de souligner qu’une activité économique, notamment une activité industrielle comme celle de l’annonceur en cause, occasionne naturellement des nuisances environnementales, telles que celles qui sont liées à la production de l’énergie nécessaire au fonctionnement des installations qu’il utilise, l’usage de la ressource en eau ou les diverses émissions dans l’environnement résultant du processus de fabrication et de distribution. En conséquence, et selon une interprétation constante du Jury (voir par exemple les avis 935/23 du 4 juillet 2023 et 955/23 du 6 octobre 2023), il ne peut en principe être allégué qu’une telle activité, ou l’entreprise qui l’exerce, contribue à « protéger », « préserver », ou « sauvegarder » l’« environnement », le « monde » ou la « planète », au seul motif qu’ont été mises en œuvre des actions d’évitement, d’atténuation ou de compensation environnementale. De telles actions permettent en effet de limiter l’impact environnemental négatif de l’activité économique exercée, mais non de le supprimer ni, a fortiori, d’améliorer l’état de l’environnement ou même d’y concourir. Il ne pourrait en aller différemment que dans le cas particulier où une entité exerce une activité qui a pour objet même une telle amélioration et dont les actions présentent effectivement un bilan positif sur l’environnement (comme, par exemple, une entreprise qui offrirait des solutions permettant à ses clients de réduire leur impact environnemental dans des proportions supérieures à son propre impact, ou une association de défense de l’environnement).

En l’occurrence, L’Oréal Groupe ne peut, sans induire en erreur le public, prétendre contribuer à la préservation du monde eu égard à l’ensemble des conséquences environnementales qui s’attachent à son activité, et ce même si ces conséquences sont atténuées par les actions qu’elle mène dans le cadre de sa politique RSE, en particulier celle, promue par la publicité en cause, de réduction et de compensation de son empreinte carbone. Le consommateur peut en effet penser de bonne foi qu’en consommant davantage de produits commercialisés par la société, il fera un « geste » ou une « bonne action » pour la planète – autrement dit, que l’état de l’environnement sera meilleur que s’il s’était abstenu d’acheter et d’utiliser ces produits, ce qui n’est pas le cas. Ce dernier doit avoir conscience que cette consommation engendre des effets néfastes pour l’environnement, ce qui n’empêche en rien l’annonceur de lui exposer que, grâce aux efforts qu’il entreprend en matière de développement durable, ces effets sont réduits par rapport à une situation de référence explicite ou ressortant implicitement mais nécessairement de la publicité – ce point de comparaison pouvant être, par exemple, le processus de fabrication antérieur de la société, l’impact moyen des sociétés concurrentes ou encore la situation qui résulterait de l’absence de mise en œuvre des actions d’évitement, de réduction et de compensation promue…

Afin de promouvoir de telles actions, l’annonceur peut en revanche faire état, par exemple, de sa démarche plus éco-responsable ou éco-vigilante, ou de l’importance qu’il attache à la maîtrise de son impact environnemental, sous réserve de respecter les exigences de véracité et de proportionnalité.

Le Jury estime donc que, au cas d’espèce, l’allégation litigieuse méconnaît le point 2 de la Recommandation « Développement durable ».

En second lieu, s’agissant de l’allégation selon laquelle 65 % des sites de production et centrales de distribution de L’Oréal sont « neutres en carbone sur les scopes 1 et 2 », l’annonceur a indiqué que les sites en cause entraînaient, fût-ce de façon résiduelle, des émissions de dioxyde de carbone relevant des scopes 1 et/ou 2, et que la neutralité alléguée était atteinte grâce aux puits de carbone naturels, comme les océans, et non par des actions de compensation menées par l’entreprise. Il a toutefois fait état d’une « définition scientifique » de la neutralité carbone correspondant aux « standards du GHG Protocol », qui admettraient une telle allégation alors même que les émissions relevant du scope 1 ne sont pas nulles mais comprennent des émissions réduites liées au « gaz utilisé pour la restauration, au fioul utilisé pour les tests sprinklers, des consommations d’énergie fossile pendant la maintenance d’une installation renouvelable sur site et des fuites de gaz réfrigérant si elles sont inférieures à 130 tCO2 éq/an ». Il a produit plusieurs sources, notamment le rapport 2018 du GIEC, qui définit la neutralité carbone comme la « situation dans laquelle les émissions anthropiques nettes de CO2 sont compensées à l’échelle de la planète par les éliminations anthropiques de CO2 au cours d’une période donnée ».

Le Jury estime que l’allégation « neutre en carbone » appliquée à l’activité d’une entreprise ou au fonctionnement de certains de ces sites est comprise par le consommateur moyen comme signifiant soit que les émissions de cette entreprise ou de ces sites sont nulles (ce qui n’est d’ailleurs envisageable que dans les « scopes » 1 et 2), soit qu’elles sont compensées par la captation de CO2 d’un volume équivalent rendue possible par des actions engagées par l’entreprise elle-même (comme, par exemple, le financement d’actions de reforestation) et non par des mécanismes naturels sur lesquels elle n’exerce pas d’influence et qui ont vocation à compenser l’ensemble des émissions mondiales. A cet égard, la définition de la neutralité carbone avancée par L’Oréal s’entend « à l’échelle de la planète » et non à l’échelle d’une entreprise. Celle qu’elle a retenue dans son rapport RSE, qui neutralise certaines émissions résiduelles, n’est étayée par aucun élément, notamment par les guides interprétatifs du protocole GHG.

Le Jury relève d’ailleurs, à titre de contexte, que la méthodologie prévue par le décret du 13 avril 2022 relatif à la compensation carbone et aux allégations de neutralité carbone dans la publicité, certes distincte de la méthode du « protocole GHG » et qui s’applique aux produits et services, ne prévoit pas davantage une telle neutralisation des émissions résiduelles, mais exige au contraire la présentation d’une annexe « détaillant les modalités de compensation des émissions résiduelles, qui précise notamment la nature et la description des projets de compensation » de l’annonceur. De même, il ressort d’études et de rapports disponibles en ligne, comme le « SBTi Corporate Net-Zero Standard » d’avril 2023, que la neutralisation se définit comme l’ensemble des mesures prises par les entreprises pour éliminer le carbone de l’atmosphère et le stocker de façon permanente pour contrebalancer l’impact des émissions résiduelles.

En outre, la publicité ne comporte aucune mention rectificative, même générique, sur ce point, qui permettrait de comprendre le mode de calcul utilisé par L’Oréal au soutien de l’allégation litigieuse.

La publicité critiquée est donc, sur ce point également, de nature à induire en erreur le public sur la réalité de l’empreinte carbone de ces sites et de l’annonceur. Elle méconnaît ainsi l’exigence de véracité qui figure au point 2 de la Recommandation « Développement durable ». Le Jury note à cet égard que la demande de révision ne conteste pas sérieusement ce point.

Avis adopté le 12 janvier 2023, en présence de M. Grangé-Cabane, Réviseur de la déontologie publicitaire, par Mme Tomé, Présidente, M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Aubert de Vincelles, Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Lucas-Boursier et Thomelin.


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