JULES

PUBLICIS- SAATCHI & SAATCHI

Télévision / Cinéma

Plainte fondée

Avis publié le 31 juillet 2023
JULES – 940/23
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations écrites et ayant été invitées à participer à la séance du Jury,
  • après avoir entendu les représentants des sociétés Jules, Publicis et Saatchi&Saatchi lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 16 mai 2023, d’une plainte émanant de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, en faveur de la société Jules pour promouvoir son offre de vêtements pour hommes.

Le film publicitaire en cause, diffusé en télévision, au cinéma et sur Youtube, montre un groupe d’amis lors d’un repas sur la terrasse d’une maison de campagne et se déclarant leurs sentiments à l’occasion de la remise du cadeau d’anniversaire de l’un d’eux, une veste : « 31 ans mec !… Bon anniversaire mon gars… Je l’ai achetée dans la boutique que tu kiffes… Comme monsieur ne porte que des fringues plus durables… Ca fait plus de 10 piges qu’on se connait, on ne peut pas se dire je t’aime ? ».

Le film se conclut par les textes apparaissant en incrustation à l’écran : « Les hommes changent, leurs vêtements aussi » et « Plus durable, plus responsable ».

La version définitive de la publicité, également critiquée par l’ADEME dans son courrier du 3 juin 2023, comporte une mention explicative, sous forme de texte défilant au bas de l’écran : « Déjà 42 % de notre collection fabriquée avec des matières moins impactantes que leurs équivalents conventionnels (coton recyclé, viscose ecovero). Retrouvez nos engagements sur jules.com.mode-ecoresponsable.html ».

2. La procédure

L’ADEME a sollicité la mise en œuvre de la procédure d’urgence prévue à l’article 18 du règlement intérieur. Celle-ci est de droit, conformément à ces dispositions.

La société Jules, l’agence de communication Saatchi & Saatchi ainsi que le Syndicat National de la Publicité Télévisée et la société Médiavision ont été informés, par courriel avec avis de réception du 22 mai 2023, de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Ces sociétés ont également été informées que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article 18 du règlement intérieur du Jury, lors de la séance du 30 mai 2023 à 11 heures.

L’annonceur a toutefois indiqué, en réponse, que la version mise en cause par l’ADEME correspondait à une maquette et non au film diffusé en télévision, et qu’il a fait le nécessaire pour interrompre toute diffusion de cette version tronquée sur internet.

En conséquence, il a été mis fin à la procédure d’urgence, comme le permet le point 18.2 du règlement intérieur du Jury et un règlement amiable de l’affaire a été proposé à l’établissement public plaignant, qui l’a toutefois refusé.

L’ADEME et les professionnels concernés ont été informés, par courriels du 31 mai 2023 de l’examen de l’affaire dans le cadre de la procédure simplifiée (sans séance) prévue à l’article 13 du règlement intérieur.

A la suite de la demande d’audition de la société Jules, le 9 juin 2023 et comme le permet l’article 13 du règlement intérieur, l’affaire a été inscrite pour examen à la séance du 5 juillet 2023.

3. Les arguments échangés

L’ADEME énonce que la publicité critiquée développe un récit dédié autour des relations humaines et rapport entre les hommes (sans rapport avec les produits de la marque) pour conclure sur des affirmations sur l’offre de vêtements de la marque : « plus durable, plus responsable ».

Elle estime que cette publicité pose le problème d’une communication de marque qui vise à développer une image d’engagement environnemental fort sans proportionnalité et sans preuve. Ainsi, l’affirmation litigieuse ne repose pas sur des preuves concrètes. La mention ajoutée dans la version définitive soulève ainsi plusieurs questions : en quoi les matières citées sont-elles moins impactantes sur un plan environnemental et dans le cadre d’une approche cycle de vie ? en quoi la démarche transversale de Jules permet d’avancer une image responsable sur un plan environnemental ? Sur quelles bases l’ARPP a-t-elle validé l’intérêt et la pertinence environnementale des actions de Jules, précisées sur son site internet ? Comment s’opère l’évaluation des informations vers lesquelles renvoient les bandeaux complémentaires ? Cela renvoie à la recommandation de l’ARPP liée à la proportionnalité ainsi qu’à la véracité. L’ADEME s’interroge sur la possibilité pour le spectateur de distinguer les allégations véridiques et étayées des autres.

Elle estime également que l’adjonction de l’adverbe « plus » n’enlève rien à l’objectif de donner une image écoresponsable de la marque, sans degré d’engagement. A ses yeux, la publicité ne permet pas de comprendre par rapport à quoi la marque serait « plus durable » et « plus responsable ». Cette affirmation manque de précision et le vocabulaire choisi ne permet pas d’expliciter la démarche et la véracité de l’image écoresponsable donnée, ce qui contrevient au point 7 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

L’ADEME ajoute que le bandeau défilant est illisible en raison de sa vitesse de défilement et de la taille de la police utilisée, ainsi que la couleur.

L’ADEME met également en cause le propos : « comme Monsieur ne porte que des fringues plus durables » dans la mesure où on ignore en quoi la veste portée serait plus durable et sans qu’on sache si celle-ci fait réellement partie des produits cités dans le bandeau.

L’ADEME relève aussi que Médiavision qualifie de « significatives » les actions développées par Jules, alors qu’elle ne connaissait pas les compétences en évaluations environnementales de cet acteur.

Enfin, l’ADEME estime que les délais de procédure devant le Jury sont trop long, que l’arrêt de la procédure d’urgence enclenchée est regrettable, de même que l’absence finale d’audition.

La société Saatchi & Saatchi fait valoir que la campagne « Je t’aime mec » explore avec bienveillance les questionnements d’une nouvelle génération d’hommes dont les valeurs évoluent. Ce sont ces hommes-là que Jules habille : ceux qui bougent et se bougent, ceux qui veulent des choses qui durent comme en amitié, ceux qui sont en attente d’une mode qui aille dans le bon sens : plus responsable et plus durable.

Dans cette optique, l’enseigne de prêt-à-porter, née en 2000, a réalisé une première mutation profonde en 2020 avec l’ambition d’être une marque porteuse de sens avec sa signature « Men in progress » (les hommes en mouvement). Elle change ainsi de modèle économique pour redonner de la valeur au produit. Résultat : depuis 2019, elle a produit 2,7 millions de pièces en moins en revoyant sa production au plus près des besoins et ainsi éviter de gâcher. En 2022, grâce à un bon nombre d’engagements concrets, Jules a fait son entrée à la 15ème place mondiale des marques les plus circulaires au classement Circular Fashion Index.

En 2023, pour progresser et chercher à s’améliorer sans cesse, Jules effectue une deuxième mutation en devenant officiellement une « Entreprise à Mission ». Dans ce contexte, tous ces engagements pris par la marque étaient encore méconnus du grand public et notamment des hommes français.

C’est pour cette raison que, dans la campagne de marque, une comparaison est faite entre l’évolution des hommes et celle de la marque soulignée par « Les hommes changent. Leurs vêtements aussi. » dans une première typographie (la typographie secondaire JULES).

S’ensuit une surimpression, « Plus durable, plus responsable » dans une typographie différente (la typographie propriétaire Jules), cette fois-ci identique à celle du bloc marque
« Jules men in progress » qui arrive juste après. Cette surimpression fait en effet référence à l’approche globale de la marque et s’accompagne, dans le film définitif diffusé en télévision, d’un texte déroulant apportant un début d’explications sur les propriétés des produits et un renvoi vers les engagements Jules sur le site internet de la marque : « Déjà 42% de notre collection fabriquée avec des matières moins impactantes que leurs équivalents conventionnels (coton recyclé, viscose ecoveroTM). Retrouvez nos engagements sur jules.com/mode-ecoresponsable.html ».

L’annonceur ajoute que l’ARPP avait notamment indiqué que « les allégations environnementales devront être accompagnées d’un début d’explications sur les propriétés des produits, engagements de l’annonceur ainsi qu’un renvoi vers une rubrique dédiée du site internet de ce dernier, afin de permettre au consommateur d’obtenir davantage d’informations sur ce point (…) ». Le texte déroulant reproduit ci-dessus répond directement à cette observation de l’ARPP.

Jules s’est assurée de bien prendre en compte l’ensemble des observations de l’ARPP dans son projet final et les deux formats du film (45 secs et 30 secs) ont ensuite reçu chacun un avis favorable de l’ARPP. La campagne a été médiatisée et diffusée en TV et au cinéma sur la base de ces deux formats.

En revanche, le lien mentionné dans la plainte pointe vers une version maquette de l’agence sur sa chaîne Youtube. Cette version n’a pas été diffusée par l’annonceur, n’a pas eu de plan média en soutien et a été publiée aux seules fins d’illustration du travail de l’agence. Cette version maquette est une erreur de téléchargement. Elle a été supprimée et remplacée.

Lors de la séance, la société a précisé que la version maquette mise en cause a été retirée des supports de diffusion en quelques heures. Elle indique que la société Jules ne prétend pas être parfaite, mais qu’elle consent d’importants efforts pour limiter son impact environnemental.

Sur l’allégation « plus durable », elle précise que Jules a amélioré la solidité de ses produits, en réalisant des tests qualité poussés, et a sondé les utilisateurs sur les « irritants » qui réduisent la durée de vie du vêtement afin d’y remédier, ce qu’elle a fait pour une gamme dénommée « Les parfaits ». L’allégation « plus durable » joue ainsi sur les deux acceptions : celle de durabilité fonctionnelle et technique et celle de « développement durable », étant précisé que des vêtements plus robustes créent aussi une « durabilité émotionnelle », un attachement affectif du consommateur qui l’incitera à ne s’en séparer qu’en dernier ressort.

La société Médiavision indique, à titre préliminaire, qu’en qualité de régie publicitaire cinéma, elle commercialise les espaces publicitaires de ses clients, les exploitants de cinéma mais n’intervient pas sur la création et la production des créations publicitaires diffusées.

Elle est toutefois vigilante, comme elle s’y est engagée, au respect de la déontologie publicitaire des communications diffusées sur les écrans cinématographiques dont elle a la concession publicitaire.

Cette publicité lui paraît conforme à la Recommandation « Développement Durable » de l’ARPP.

En effet, Jules a réellement entrepris des actions qui sont significatives tant sur la quantité de produits concernés (42% des produits, soit une part non négligeable) que sur le mode de fabrication puisque toute la chaîne de production est prise en compte (de la fabrication avec les fournisseurs, au transport, à la mise en vente en magasin, au recyclage…).

Cela peut pour partie être vérifié de façon objective et fiable, dès la diffusion de la publicité, puisqu’une mention figure en bandeau en bas de l’écran indiquant « Déjà 42% de notre collection fabriquée avec des matières moins impactantes que leurs équivalents conventionnels (coton recyclé, viscose ecovero Tm) ».

En outre, le spectateur est renvoyé sur une page spécifique du site de l’annonceur « Retrouvez nos engagements sur jules.com/mode-ecoresponsable.html » pour avoir toutes les informations complémentaires sur ce sujet. Jules communique sur son site de façon très complète, transparente et précise sur les actions menées et celles restant à entreprendre.

Enfin, le message publicitaire est proportionnel puisque le slogan « Plus durable plus responsable » fait part d’une amélioration dans ce domaine mais ne sous-entend en aucune façon une absence totale d’impact négatif. L’utilisation du terme « plus » relativise l’impact des actions menées.

Lors de la séance, la société Jules a rappelé son engagement dans la démarche RSE, notamment dans le choix des matières.

L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) explique que ce spot a fait l’objet d’une demande de conseil préalable, dès le mois de mars 2023, sur cette publicité au stade du script et du story-board, par l’agence de communication Saatchi&Saatchi, membre de l’ARPP.

La vidéo diffusée sur Youtube n’a pas été soumise à l’ARPP. En revanche et comme toute publicité destinée à être diffusée en télévision, la version télévisée du spot a bien fait l’objet d’une soumission à l’ARPP dans le cadre du dispositif d’avis avant diffusion.

L’ARPP rappelle que, de manière générale, une vigilance particulière est accordée concernant les messages publicitaires comportant des allégations ou visuels en lien avec l’environnement.

L’Autorité veille à ce que ces publicités soient conformes, d’une part, aux textes de droit positif applicables dans ce domaine et, d’autre part, aux règles déontologiques contenues dans la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP et dans le code ICC relatif à la Publicité et aux communications commerciales.

En l’espèce, cette publicité, par l’emploi des qualificatifs « durable » et « responsable » entre dans le champ d’application de ces textes.

Les principes essentiels contenus dans la Recommandation, relatifs à la véracité et la proportionnalité des allégations employées ont ainsi été rappelés, de même que, comme le prévoit la Recommandation en termes de clarté du message, la nécessité d’insérer un début d’explication de ces allégations, assorti d’un renvoi vers une page dédiée du site Internet de l’annonceur.

L’agence Saatchi & Saatchi a pris en compte l’ensemble des observations formulées au stade du projet.

Lors de l’examen du film télévisé définitif, il a été relevé que :

  • Les termes « durable » et « responsable » sont nuancés : « Plus durable, plus responsable ».
  • Ils sont accompagnés d’un texte explicatif précisant : « Déjà 42 % de notre collection fabriquée avec des matières moins impactantes que leurs équivalents conventionnels (coton recyclé, viscose ecovero) ».
  • Ce début d’explication est complété d’un renvoi vers une page dédiée du site de l’annonceur : « Retrouvez nos engagements sur jules.com/mode-ecoresponsable.html »
  • Ces textes sont insérés au bas de l’écran sous forme de mention défilante, dans le respect des exigences de lisibilité prévues par la Recommandation « Mentions et renvois » de l’ARPP.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, l’ARPP a donc considéré que le film publicitaire en cause ne contrevenait pas aux dispositions en vigueur, en particulier à la Recommandation « Développement durable » et l’a validé avant sa diffusion sur les chaînes et services de médias audiovisuels à la demande.

Le Syndicat National de la Publicité Télévisée (SNPTV) fait valoir que les régies de télévision membres du SNPTV ont bien diffusé ce spot, suivant en cela l’avis de l’ARPP.

– La société Publicis, présente lors de la séance, rappelle que Jules est une entreprise à mission. Elle confirme que plus aucune version de la maquette en cause n’est diffusée en ligne. Elle fait part de son étonnement à l’égard de l’ADEME, qui n’a pas retiré sa plainte. Elle comprend en conséquence que la plainte vise la version définitive de la publicité et met en cause le caractère suffisant de la mention explicative. Une telle mention doit être courte et impactante.

Elle réfute les griefs de l’ADEME. La publicité complète n’induit pas le consommateur en erreur. Une partie significative de la collection est fabriquée à l’aide de matières moins impactantes pour l’environnement. Or la question des matières utilisées est le principal poste du bilan carbone de Jules, de sorte que l’action mise en avant est très significative.

– La société Jules, présente lors de la séance, a insisté sur les actions développées par la marque en matière de développement durable. Elle a précisé, à propos de la durabilité, que Jules a décidé de porter la garantie de deux ans (garantie légale) à quatre ans, à compter de la rentrée prochaine.

Elle indique qu’elle met à jour régulièrement le taux des vêtements de la marque composés de matières à moindre impact environnemental. Ce taux, de 42 % lors de la rédaction du script de la publicité, est aujourd’hui de 46 %/

Enfin, l’annonceur précise que la veste offerte en cadeau dans la publicité, qui correspond à la référence 1003394, est composée à 20 % de coton recyclé. Il ajoute qu’il est difficile de mettre plus de 20 à 30 % de coton recyclé dans un produit sans compromettre sa durabilité et sa résistance.

4. L’analyse du Jury

4.1. Sur la procédure suivie

Ainsi qu’il a été rappelé au point 2, la plainte de l’ADEME, introduite le 16 mai 2023, a, dans un premier temps, donné lieu à la mise en œuvre de la procédure d’urgence, le 19 mai suivant. Une séance a été programmée 11 jours plus tard, le 30 mai, soit dans un délai sensiblement inférieur à celui de quinze jours (sans prise en compte des deux jours fériés, conformément au dernier alinéa de l’article 18 du règlement intérieur) dans lequel la présidence du Jury doit organiser une telle séance, une fois qu’elle a décidé de déclencher la procédure d’urgence. Ce délai est apparu nécessaire pour permettre aux professionnels mis en cause de faire valoir leurs arguments et de s’organiser afin de prendre part à la séance, de même que l’ADEME d’ailleurs, et pour permettre la participation la plus large des membres du Jury. En outre, la situation ne relevait pas de l’extrême urgence eu égard à la nature de la publicité en cause, l’ADEME n’ayant d’ailleurs apporté aucun élément tendant à démontrer l’inverse.

Le Jury ayant été informé que la publicité diffusée n’était qu’une maquette non définitive et que sa diffusion avait cessé, il a estimé, comme le permet là encore son règlement intérieur, qu’il n’y avait plus lieu d’examiner l’affaire en urgence. L’ADEME ayant refusé tout règlement amiable, et l’annonceur ayant en outre demandé à être entendu, l’affaire a été inscrite dès la séance du 5 juillet suivant, dans un délai conforme aux pratiques habituelles du Jury.

Si l’ADEME a déploré, dans son courrier du 3 juin 2023, l’absence d’organisation d’une « audition » par le Jury, la séance s’est effectivement tenue par visioconférence et a permis au Jury d’entendre l’annonceur Jules, la société Publicis et l’agence Saatchi & Saatchi. En revanche, l’ADEME n’y a pas pris part. C’est cette absence qui, pour reprendre les termes du même courrier, s’est avérée « regrettable pour la qualité du débat et de la prise de décision par le JDP », les professionnels présents ayant d’ailleurs exprimé leurs regrets à cet égard.

Le Jury précise enfin, en écho aux critiques émises par l’ADEME quant à son fonctionnement, dont il a pris bonne note, et de la volonté qu’elle a exprimé de « vérifier » le bon fonctionnement de la procédure d’urgence, qu’il n’a pas vocation à rendre des comptes ou à se justifier auprès de cet établissement public, dans la mesure où il jouit d’une totale indépendance à l’égard, notamment, des autorités publiques, a fortiori lorsqu’elles ont la qualité de plaignante. C’est en outre au Parlement, et à lui seul, que l’ARPP est tenue d’adresser le bilan de son activité, dont celle du JDP, en vertu de l’article 14 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

4.2. Sur la conformité des publicités critiquées aux règles déontologiques

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1 ) : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donne et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit :
    • 1.1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple :
    • (…)
    • b/ La publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs (…) /
    • c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement […]».
  • au titre de la véracité des actions (point 2) :
    • « 1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ;
    • 2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ;
    • 3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; / Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul. / La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus (…) »
  • au titre de la proportionnalité (point 3) :
    • « 1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. / La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ;
    • 2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »
  • au titre de la « clarté du message » (point 4) :
    • « 1. L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées. (…) » ;
    • « 3. Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation Mentions et renvois de l’ARPP».
  • au titre du « vocabulaire » (point 7) :
    • « 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable /
    • 7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”.».

Le Jury relève que l’ADEME met en cause deux versions différentes d’une publicité de l’annonceur Jules diffusée sur internet, qui vise à promouvoir les vêtements de la marque en alléguant que la mode qu’il commercialise est « plus durable » et « plus responsable ».

Le Jury constate que la première vidéo en cause est une version maquette d’une publicité qui a été diffusée dans une version complétée en télévision, après conseil de l’ARPP, laquelle comporte, en sus, la mention suivante : « Déjà 42 % de notre collection fabriquée avec des matières moins impactantes que leurs équivalents conventionnels (coton recyclé, viscose ecovero). Retrouvez nos engagements sur jules.com.mode-ecoresponsable.html ».

Il ressort des observations écrites et orales des professionnels concernés que l’expression « plus durable » se réfère non seulement à la robustesse des vêtements eux-mêmes, mais aussi à la démarche de Jules en matière de développement durable. Cette intention est servie par l’expression « plus responsable » qui lui est accolée, et qui fait elle aussi référence à une forme de responsabilité environnementale. Elle est confirmée dans la version définitive de la publicité, qui évoque des « matières moins impactantes » que leurs équivalents conventionnels. En conséquence, la Recommandation « Développement durable » est applicable aux deux versions litigieuses.

S’agissant de la version maquette, le Jury constate que la publicité n’indique pas en quoi la mode promue par Jules serait effectivement « plus durable » et « plus responsable ». Le Jury est donc d’avis que le point 4 de la Recommandation « Développement durable », qui peut être regardé comme invoqué par l’ADEME compte tenu de son argumentation, même si elle ne l’évoque pas formellement, n’est pas respecté.

En revanche, qu’il s’agisse de la version maquette ou de la version définitive, la relativisation introduite par l’adverbe « plus » ne permet pas de retenir le grief tiré de la méconnaissance du point 7.3 de la même Recommandation, à supposer qu’il soit réellement soulevé.

Le Jury constate ensuite que la version définitive de la publicité visée explicite la portée de l’allégation « plus durable, plus responsable », par un bandeau défilant dont la lisibilité apparaît suffisante au regard des exigences posées par la Recommandation « Mentions et renvois », à laquelle renvoie le point 4.3. de la Recommandation « Développement durable ».

Il ressort de cette mention explicative qu’une partie très substantielle de la collection de Jules est fabriquée avec des matières dont l’impact environnemental est plus faible que leurs « équivalents conventionnels », cette assertion étant illustrée par la référence au coton recyclé et à la « viscose ecovero ». Ainsi, contrairement à ce qu’indique la plainte, il apparaît très clairement que l’allégation « plus durable, plus responsable » dans la publicité fait référence à l’utilisation importante et en croissante rapide (« Déjà 42 % ») de ces matières par l’annonceur, en comparaison de celle de matières ne présentant pas les mêmes qualités en termes d’incidence écologique. Le pourcentage de 42 % permet d’ailleurs au téléspectateur de comprendre, a contrario, que Jules commercialise aussi des vêtements contenant ces matières dites conventionnelles : le consommateur est ainsi en mesure de porter une appréciation sur l’ampleur des efforts consentis par la marque et d’en tirer les conséquences qu’il souhaite, selon sa sensibilité et son sens de la responsabilité sociale.

A cet égard, le site internet de l’annonceur comporte des précisions sur les matières utilisées, faisant état de ce que le coton entrant dans la fabrication des produits (qui représente 67,8 % des matières utilisées) est issu de l’agriculture biologique (laquelle se caractérise, en principe, par un moindre impact sur l’environnement), de ce que le recours aux matières recyclées permet de réduire fortement les émissions de gaz à effet de serre en comparaison des produits non recyclés (« le coton recyclé émet 91 % de GES en moins que le coton conventionnel ») ou encore de ce que la viscose « Ecovero » provient de « pulpe de bois issu de forêts durablement gérées » et labellisées FSC ou PEFC.

Le Jury observe en outre que la publicité renvoie à une page du site internet de Jules qui explicite plus avant la portée de l’allégation « plus durable, plus responsable », en évoquant notamment la promesse de « 100 % de produits éco-conçus d’ici 2030 », en publiant le bilan carbone de l’entreprise, en informant le consommateur du refus de la société de participer au « Black Friday » ou encore en présentant un partenariat avec un opérateur de collecte, de remise en état et de recyclage des vêtements. La question des matières utilisées apparaît ainsi comme une simple illustration de l’allégation litigieuse, laquelle renvoie plus largement à la démarche RSE de l’annonceur.

La plainte semble mettre en doute la véracité même de l’ensemble de ces justifications. Toutefois, le Jury constate que l’ADEME, qui procède par questionnements successifs, n’apporte elle-même aucun élément de fond de nature à remettre en cause les explications précédemment mentionnées. Si le Jury ne dispose pas lui-même d’une expertise scientifique reconnue, ces assertions, corroborées par de nombreux contenus disponibles en ligne concernant les propriétés du coton recyclé et de la viscose Ecovero, lui apparaissent crédibles et suffisamment justifiées pour éclairer le consommateur, lequel peut en outre se forger sa propre opinion en recourant aux sources d’informations publiques comme les rapports de l’ADEME.

Enfin, eu égard à la proportion des vêtements de Jules utilisant des matières présentant un intérêt du point de vue de l’impact environnemental, tel qu’il est explicité sur le site internet, et, plus largement, à la teneur des actions engagées par l’annonceur, celles-ci apparaissent suffisamment significatives pour être revendiquées, comme l’exige la même Recommandation.

Le Jury considère ainsi que l’allégation litigieuse « plus durable, plus responsable », éclairée par la mention qui l’explicite, n’est pas de nature à induire en erreur le public sur les propriétés environnementales des produits de la marque, et ne présente pas un caractère disproportionné.

Enfin, la réplique « comme Monsieur ne porte que des fringues plus durables », à laquelle fait écho l’allégation finale mise en cause, se réfère aux habitudes de consommation de l’intéressé et présente un caractère général, insusceptible par elle-même d’induire en erreur le public. Il ressort au demeurant des observations de l’annonceur que la veste dont il est question dans la scène est composée à 20 % de coton recyclé.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la version maquette de la publicité en cause méconnaît le point 4.1. de la Recommandation « Développement durable » et que la plainte n’est pas fondée pour le surplus. Il prend note de la suppression très rapide de la maquette critiquée.

Avis adopté le 5 juillet 2023 par M. Lallet, Président, Mmes Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello et Thomelin.


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