Avis publié le 21 février 2022
INGA – 812/22
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 13 du règlement intérieur,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 23 novembre 2021, d’une plainte émanant de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de publicités diffusées sur Facebook par la société Inga pour promouvoir son produit de nettoyage essuie-tout.
Les publications en cause présentent des séquences de nettoyage à l’aide du produit, sur différentes surfaces, accompagnées des textes « Zéro déchet », « L’essuie-tout réutilisable efficace et bon pour la planète », « 3 x plus efficace qu’un torchon classique », « Bien plus efficace et fonctionnel qu’un torchon classique » et d’allégations comme « tu fais du bien à la planète » et « vraiment bon pour la planète ».
2. Les arguments échangés
– L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité indique avoir identifié ces visuels dans le cadre de la veille après-diffusion réalisée sur les médias sociaux. Les publicités ont fait l’objet d’interventions restées sans réponse de la part de l’annonceur.
Cette campagne publicitaire, pour un chiffon réutilisable dit « Zéro déchet », a été active sur Facebook de septembre à novembre 2021.
Elle utilise un certain nombre de revendications relatives à l’environnement qui contreviennent notamment aux dispositions de la Recommandation ARPP « Développement durable », en particulier, les allégations « zéro déchet » et « bon pour la planète ».
Plus précisément, quand bien même l’utilisation de ce chiffon réutilisable contribuerait à réduire l’impact sur l’environnement en ce qu’il permet de ne pas utiliser de produits jetables, l’allégation « l’action la plus importante pour sauver notre planète », globalisante et excessive, contrevient à cette Recommandation, alors que la totalité du cycle de vie du produit doit être prise en compte.
De plus, le comparatif sur l’efficacité de l’essuie-tout n’est pas justifié dans la publicité, ce qui contrevient au principe général de véracité et loyauté ainsi qu’à la Recommandation « Résultats d’étude ou d’enquête » de l’ARPP.
Outre les accroches avec l’emploi des termes « bon pour la planète », qui sont globalisantes et contreviennent également aux dispositions précitées de la Recommandation « Développement durable », une vidéo cliquable est présente dans les deux posts d’octobre 2021. Afin de démontrer l’efficacité absorbante du chiffon, différentes scènes montrent deux personnes s’amusant à étaler de la nourriture (café, miel…) sur une table. Cette mise en scène contrevient à la Recommandation de l’ARPP « Comportements alimentaires », qui dans son point 1.6 dispose que : « La publicité doit éviter de représenter des comportements contraires aux dispositions déontologiques relatives au développement durable, en présentant des scènes incitant au gaspillage alimentaire. On entend par gaspillage alimentaire le fait de jeter, comme déchets, une quantité non négligeable de produits alimentaires, encore consommables. »
Cette notion de gaspillage est aussi présente dans la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dans son point 1. Impacts éco-citoyens.
C’est pourquoi, l’ARPP demande au Jury de déontologie publicitaire de bien vouloir déclarer la plainte fondée et de considérer les publicités visées contraires aux règles déontologiques précitées.
– La société Inga a été informée par courriel avec accusé de réception du 20 décembre 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 13 du règlement intérieur du Jury.
La société Inga fait valoir qu’elle est une marque jeune, qui s’efforce de respecter les règles sans tromper le public. Elle indique avoir pris conscience de la nécessité de revoir sa communication et sa politique RSE, ce qui explique qu’elle ne diffuse plus de publicité depuis le 5 novembre 2021. Elle admet qu’elle aurait dû présenter les aliments utilisés dans l’une des publicités comme périmés, donc non gâchés.
3. L’analyse du Jury
En premier lieu, le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :
- au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1) : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donne et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit :
- La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple : (…) /
c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement […]».
- au titre de la véracité des actions (point 2) :
- « la publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable;
- les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ;
- l’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; »
- au titre de la proportionnalité ( point 3):
- « le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ;
- le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »
- au titre de la « clarté du message » (point 4):
- « l’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées ;
- lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation « Mentions et renvois» de l’ARPP ; ».
Le Jury relève que les publicités litigieuses, en faveur d’un essuie-tout réutilisable, comporte les allégations « zéro déchet », « (vraiment) bon pour la planète » ou encore « tu fais du bien à la planète ». Or d’une part, bien que réutilisable, l’essuie-tout promu se dégrade nécessairement à l’usage et a vocation, à terme, à être jeté dans les ordures ménagères, étant précisé qu’il ne ressort d’aucun élément qu’il serait recyclable. D’autre part, la production, la distribution et l’élimination d’un tel produit ont nécessairement des impacts défavorables sur l’environnement, de sorte qu’il ne saurait être qualifié de « bon pour la planète ». Ces publicités, qui sont de nature à induire en erreur le public quant à la réalité des incidences écologiques des produits promus qu’elles minimisent, sont donc contraires aux règles déontologiques précitées, sans qu’importe la circonstance qu’un arbre serait planté à chaque achat.
Le Jury constate, en deuxième lieu, que les vidéos auxquels renvoient les posts d’octobre 2011 ne représentent pas un repas ni ne mettent en scène des personnes en train de se restaurer, sous réserve de la courte séquence initiale dans laquelle le personnage principal boit un thé. Dès lors que, selon les termes de son préambule, la Recommandation « Comportements alimentaires » invoquée, qui vise à promouvoir la santé et l’hygiène de vie par la prévention des comportements alimentaires déséquilibrés et l’incitation à une activité physique régulière, ne s’applique qu’aux publicités « représentant des comportements alimentaires », et non à toutes les communications dans laquelle sont utilisés des produits alimentaires, celle-ci n’est pas applicable à la publicité critiquée. En revanche, une publicité ne saurait, sans méconnaître le point 1.1. de la Recommandation Développement durable, représenter, comme le font ces vidéos, une scène de gaspillage volontaire de produits alimentaires qui n’apparaissent pas impropres à la consommation, sauf s’il s’agit de dénoncer une telle pratique – ce qui n’est pas le cas ici. Par suite, ces publicités méconnaissent cette dernière règle déontologique.
En troisième et dernier lieu, il résulte d’un principe général repris à l’article 6 du code Publicité et marketing de la Chambre de commerce internationale, dit code ICC, que « toute description, assertion ou illustration relative à un fait vérifiable dans une communication commerciale doit pouvoir être étayée ». Or ni cette publicité, ni les observations de l’annonceur, ne justifient l’allégation selon laquelle l’essuie-tout réutilisable Inga serait trois fois plus efficace qu’un torchon classique. Par suite, les communications commerciales en cause méconnaissent cette règle déontologique voire le principe général de véracité. En revanche, la Recommandation « Résultats d’étude ou d’enquête » de l’ARPP ne peut être utilement invoquée dès lors qu’elle ne s’applique, selon les termes de son Préambule, qu’aux publicités qui utilisent « des résultats d’étude de marché ou d’enquête, visant à mesurer un comportement, une attitude ou une opinion », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la plainte est fondée. Regrettant que l’annonceur n’ait pas donné suite aux sollicitations de l’ARPP, il prend note de son engagement de mettre sa pratique publicitaire en conformité avec les règles déontologiques.
Avis adopté le 14 janvier 2022 par Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Boissier, Charlot et Lenain ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello et Lucas-Boursier.