GUERLAIN

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Plaintes fondées

Avis publié le 8 mars 2024
GUERLAIN – 989 / 24
Plaintes fondées 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société Guerlain,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 3 janvier 2024, de quatre plaintes émanant de particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de la société Guerlain, pour promouvoir son offre de produits cosmétiques de marque Orchidée Impériale Gold Nobile.

La publicité en cause, diffusée sur le site Internet de la marque, utilise le texte « Guerlain crée Orchidée Impériale Gold Nobile et révèle une nouvelle voie de réjuvénation cosmétique pour la peau, issue de ses recherches en biologie quantique appliquée aux cellules cutanées. Après 20 ans de recherche sur les orchidées et le vieillissement, Guerlain a sélectionné parmi 30 000 espèces une orchidée prodige de lumière, l’orchidée Gold Nobile… La réjuvénation visible de la peau est amplifiée sur les signes majeurs de jeunesse et de lumière…» ; « Nouveauté, Orchidée Impériale Gold Nobile, la révolution quantique pour amplifier visiblement la réjuvénation de la peau »…

2. Les arguments échangés

Les plaignants considèrent que l’emploi du terme « quantique », qui relève d’un discours pseudoscientifique autour de la physique quantique, induit en erreur les consommateurs sur le caractère scientifique du produit. Le message est donc contraire au principe de véracité.

En outre, cette utilisation à des fins commerciales détourne la signification réelle du mot « quantique » et dévalorise l’intégrité de concepts scientifiques légitimes ainsi que la réputation d’autres entreprises sérieuses opérant dans des domaines scientifiques légitimes.

De plus, le texte présentant le produit est dépourvu d’explications substantielles, car les petites notes (1) et (2) ne renvoient à aucune clarification supplémentaire. Cette absence d’information détaillée suggère une intention délibérée de maintenir le flou autour de l’utilisation du terme « quantique », compromettant ainsi la transparence attendue dans la communication des caractéristiques réelles du produit.

L’un des plaignants énonce que Guerlain participe ainsi à la désinformation et à la vulgarisation de pratiques médicinales trompeuses basée sur des pseudo-sciences.

Un autre souligne que les mécanismes que la marque prétend maîtriser comme la « lumière cellulaire à l’échelle quantique » n’existent pas dans le monde de la recherche scientifique.

La société Guerlain a été informée, par courriel du 18 janvier 2024, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a développé oralement, le 9 février devant le jury, les observations écrites ci-dessous et apporté des précisions sur les travaux scientifiques qu’elle mène par l‘intermédiaire de Frédéric Bonté, conseiller scientifique de la marque.

La société fait valoir, à titre liminaire, que Guerlain a débuté la commercialisation sur son site lnternet (exclusivement) d’une nouvelle ligne de soins très haut de gamme appelée « Orchidée lmpériale Gold Nobile ». Le jour même, une vidéo a été diffusée sur la chaîne Youtube @ggmilgram, fondée sur des projets de documents internes apparemment obtenus de façon illicite, mettant en cause la crédibilité scientifique des recherches lui permettant d’utiliser le terme « quantique » sur son site lnternet.

Les quatre plaintes ont été déposées le lendemain, 3 janvier 2024. Elles sont ainsi le résultat direct de la polémique provoquée par la vidéo et ne sauraient constituer une analyse sérieuse des travaux réalisés par Guerlain pour aboutir aux produits.

A cet égard, les usages dénoncés dans les plaintes ne reflètent pas la réalité des termes exacts utilisés par Guerlain. Guerlain n’a jamais utilisé les expressions de « physique quantique » (Plainte n°1), ni n’a jamais qualifié les produits eux-mêmes de « quantique » (Plainte n°2), ni même encore allégué que ceux-ci fonctionnent « de manière quantique » (Plainte n°2).

La motivation des plaintes se concentre uniquement sur l’utilisation par Guerlain de certains usages du terme « quantique » sur son site lnternet, contestant les avancées scientifiques utilisées pour l’élaboration des produits. D’après les plaignants, l’utilisation de ce terme ne serait pas justifiée d’un point de vue scientifique et relèverait d’une méthode marketing s’apparentant à du « charlatanisme » visant à tromper les consommateurs. La Plainte n°4 prend d’ailleurs bien le soin de préciser « Je dénonce non pas une absence de résultats, mais une technique marketing ». Le débat devant le Jury ne porte donc que sur I’utilisation de ce terme « quantique » sur le site lnternet de Guerlain dans sa communication initiale.

La communication incriminée a été limitée au site lnternet de Guerlain et a été éphémère car diffusée pendant moins de 48h (entre le 2 et le 4 janvier 2024). ll ne s’agit pas de sa communication actuelle puisque les éléments critiqués ont été modifiés quasi-immédiatement par Guerlain (le 4 janvier 2024). Les quatre plaintes ont été déposées avant ces modifications (le 3 janvier 2024). Le terme « quantique » n’est à présent utilisé, sur le site lnternet de Guerlain, qu’en association avec le terme « biologie », en référence aux recherches de Guerlain en matière de biologie quantique appliquée aux cellules cutanées, comme cela ressort de la rubrique « En savoir p/us sur la technologie Orchidée lmpériale Gold Nobile » du site de Guerlain qui présente ses travaux scientifiques en la matière. 2.

Nonobstant les modifications apportées à sa communication initiale, Guerlain considère que les reproches des plaignants sont infondés. En effet, l’utilisation du terme « quantique » n’a contrevenu ni aux règles déontologiques de l’ARPP ni aux principes issus du Code ICC sur la publicité et les communications commerciales.

Contrairement à ce qui est allégué par les plaignants, l’emploi du terme « quantique » est justifié, ne relève pas du « charlatanisme » et n’est pas susceptible de tromper le public. L’annonceur ajoute que Guerlain est une référence en matière de recherche sur les orchidées : depuis des décennies, le savoir-faire de Guerlain dans ce domaine provient de l’association entre des avancées scientifiques remarquables et des matières premières, rares et naturelles, issues des orchidées. Guerlain a consacré à la recherche dans ce domaine, tant fondamentale que pratique, des ressources humaines et financières significatives, déposé plusieurs brevets, etc. Les produits et les travaux scientifiques sur lesquels ils reposent, s’inscrivent dans cette histoire d’innovation de la Maison Guerlain.

L’utilisation du terme « quantique » repose sur des fondements scientifiques sérieux et concrets : l’usage du terme « quantique » dans la communication, initiale ou actuelle, de Guerlain repose et a toujours reposé sur des fondements scientifiques relevant du domaine de la biologie quantique. L’emploi du terme « quantique » n’est pas rare en ce domaine : les termes anglais « quantum » et « biology » sont cités ensemble plus de 7000 fois et I l‘expression « quantum biology » figure plus de 200 fois dans des articles scientifiques, ce qui démontre qu’il s’agit d’un champ d’investigation scientifique reconnu et sérieux.

Guerlain était et est toujours fondée à revendiquer l’utilisation du terme « quantique » dès lors que les produits sont issus d’avancées scientifiques sérieuses, aux résultats démontrés, dans le domaine de la biologie quantique appliquée au vieillissement des cellules cutanées.

La société Guerlain est transparente sur sa recherche : Guerlain n’a aucune obligation légale ou réglementaire de communiquer publiquement le contenu détaillé de ses travaux de recherche qui, de surcroit, sont protégés par le secret des affaires. Au demeurant, dans le cadre de la présente procédure, Guerlain a fourni au Jury les preuves appropriées de ces travaux. L’annonceur considère qu’en tout état de cause, la technologie qui sous-tend l’élaboration des produits et le résultat des recherches scientifiques de Guerlain en la matière sont détaillés sur son site lnternet qui explique ce que recouvre le domaine de la biologie quantique et présente, clairement et objectivement, le résultat de ses travaux.

La société Guerlain fait valoir également que les expressions critiquées relèvent tout au plus de la publicité hvperbolique : la communication initiale ayant figuré pendant moins de 48h sur son site lnternet n’a jamais eu vocation à abuser du terme « quantique » mais à rendre les résultats de ses travaux accessibles au public. Si Guerlain a admis, et regretté, dans son communiqué sur X du 4 janvier 2024 que cet exercice de simplification a pu aboutir à une communication maladroite, perçue comme exagérée, elle conteste que cette communication éphémère ait pu être prise au sens littéral et tromper les consommateurs. Tout au plus, les expressions comme « révolution quantique » ou « lumière quantique » relevaient-elles du champ de la publicité hyperbolique qui constitue une pratique courante et légitime et qui n’est pas interdite.

Enfin, Guerlain souligne que sa communication éphémère a eu un impact quasi-nul : diffusée entre le 2 et le 4 janvier 2024, uniquement sur le site lnternet de Guerlain, pour des produits visant une catégorie de clientèle très ciblée, la communication critiquée n’a pu toucher qu’un nombre infime de consommateurs. Elle n’a donc pas pu altérer le comportement d’achat de quiconque.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Produits cosmétiques » de l’ARPP dispose :

  • en son préambule, que :

« … On entend par “allégation” toute revendication, indication ou présentation, utilisées pour la publicité d’un produit. Toute allégation doit être véridique, claire, loyale, objective et ne doit pas être de nature à induire en erreur. »

  • en son point 1 – Preuves, que :

« 1.2 a/ Toute allégation doit s’appuyer sur des preuves appropriées. »

Plusieurs messages sur le site Internet de la marque Guerlain ont fait l’objet de plaintes lors de leur diffusion en ce qu’ils vantent un produit dénommé Orchidée Impériale Gold Nobile qui, est-il dit, révèlerait après 20 ans de recherches sur cette orchidée et le vieillissement « une nouvelle voie de réjuvénation cosmétique pour la peau, issue de ses recherches en biologie quantique appliquée aux cellules cutanées (….) La réjuvénation visible de la peau (…) amplifiée sur les signes majeurs de jeunesse et de lumière » ou encore « Nouveauté, Orchidée Impériale Gold Nobile, la révolution quantique pour amplifier visiblement la réjuvénation de la peau »…

Le Jury relève, en premier lieu, que si Guerlain ne fait pas usage du mot quantique pour qualifier les produits eux-mêmes ou leurs fonctions, ses messages utilisent bien le terme de quantique pour l’associer à des recherches biologiques qu’elle mène sur le vieillissement et les orchidées. Ce faisant, elle fait ainsi référence à une science, puisque la mécanique quantique constitue une référence scientifique reconnue et solide qui a produit une véritable « révolution » dès le début du 20ème siècle, à partir de ce qui est communément appelé l’étude de l’infiniment petit.

Or, s’agissant de l’obligation de clarté du message publicitaire rappelée ci-dessus, le jury constate, d’abord, que la mécanique quantique demeure largement inaccessible dans sa signification car structurellement complexe et difficile à comprendre sans de bonnes bases scientifiques, ce qui fait que l’énoncé lui-même du mot quantique renvoie à une notion qui n’est pas facilement lisible et compréhensible par le grand public. Elle conserve ainsi, d’emblée, une part de mystère quand elle n’est pas galvaudée puisque toute étude de l’infiniment petit peut, par simplification scientifique ou extension inappropriée à un domaine des sciences, devenir quantique. D’où certaines mises en garde comme celle d’Alexei Grinbaum physicien et philosophe au Commissariat à l’énergie atomique. « Les spécialistes savent distinguer ce qui est sérieux, mais les profanes tombent spontanément dans le piège où tous les mystères ne font qu’un » (https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/10/10/la-medecine-quantique-defaussestherapies-qui-surfent-sur-les-revolutions-de-la-physique-quantique).

Dans cet univers complexe, on peut noter un effort d’explication de Guerlain, surtout dans les arguments développés devant le jury, pour expliquer que la société travaille, pour faire simple, dans le but d’appliquer la mécanique quantique aux sciences du vivant et, plus particulièrement, à l’étude des cellules de la peau et aux ondes émises par le corps à une échelle microscopique, étant précisé que l’émission d’ondes n’est pas un phénomène quantique en soi, même si la notion de photon mise en exergue par Guerlain a bien pour cadre la théorie quantique.

Cependant, il faut souligner que les messages en cause qui font référence à la biologie quantique et qui renvoient à la mise en ligne d’informations données par la marque, comme les explications apportées au jury, aussi bien par écrit qu’oralement, font référence à des applications scientifiques qui demeurent elles-mêmes largement complexes, peu lisibles, difficilement accessibles aux non-initiés.

Ainsi, si Guerlain ne peut se prévaloir de ce que l’expression accolant les mots biologie et quantique, citée par de nombreux articles scientifiques, au demeurant très hétéroclites, garantirait qu’il s’agit toujours d’applications scientifiques reconnues, en revanche, elle entend se fonder pour démontrer le bien-fondé du sérieux de sa référence à la biologie quantique sur les travaux scientifiques bien réels qu’elle a menés avec les biophysiciens de l’université Palacky en Tchéquie, mais les explications auxquelles elle renvoie, outre le fait qu’il n’existe pas un consensus scientifique, en renforcent encore la complexité de sorte que l’on peine à percevoir dans le message publicitaire et les éléments communiqués au public quelles sont les propriétés, issues de la biologie quantique, spécifiques du produit.

On peut donc en déduire que l’exigence de clarté, telle que rappelée dans la Recommandation précitée, n’est pas suffisamment remplie.

Enfin, s’agissant du critère de loyauté et d’objectivité, si Guerlain fait état de messages qui ont volontairement déformé sa publicité, il n’en demeure pas moins que les messages soumis au jury font état d’un procédé issu de la recherche en biologie quantique qui emprunte « une nouvelle voie de réjuvénation cosmétique pour la peau » ou qui produit une « révolution quantique pour amplifier visiblement la réjuvénation de la peau ». 

Le Jury constate qu’il s’agit ainsi, par l’association même des mots, non seulement d’afficher l’assise scientifique renforcée par la référence au caractère très pointu mais hermétique du monde « quantique », mais encore de présenter un produit fondé sur un processus scientifique permettant au consommateur d’accéder à une « réjuvénation » effective et démontrée de la peau. Ce dernier terme, utilisé notamment en botanique pour qualifier un processus de retour, réel ou apparent, à l’état jeune ou un retour à des caractères juvéniles, est d’autant moins neutre qu’il est associé à la complexité et au mystère auxquels renvoie la biologie quantique dans ce contexte, et qu’il semble, ce faisant, se référer à une forme de magie « révolutionnaire » du produit qui raisonne comme une incitation à l’essayer avec la garantie d’essais scientifiques probants dans un domaine peu accessible au consommateur, dépassant ainsi le caractère hyperbolique habituel de ce type de message.

En conséquence, le Jury est d’avis que cette publicité contrevient à la disposition précitée du préambule de la Recommandation « Produits cosmétiques » de l’ARPP.

Avis adopté le 9 février 2024 par Mme Tomé, Présidente, M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Aubert de Vincelles, Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


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