FILIERE BOVINE - INTERBEV

Radio

Plainte partiellement fondée

Avis publié le 31 juillet 2023
FILIERE BOVINE/INTERBEV – 941/23
Plainte partiellement fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de l’Association Nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes (INTERBEV) et de Radio France, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 1er mai 2023, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, en faveur de l’Association Nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes (INTERBEV), pour promouvoir la filière bovine.

La publicité en cause, diffusée sur France Inter, énonce :

« Les acteurs de la filière bovine s’engagent au quotidien pour vous offrir une viande de qualité et durable. On en parle avec Natacha éleveuse en Vendée :

– Bonjour Natacha,

– Bonjour,

– En quoi votre modèle d’élevage bovin herbagé répond-il aux enjeux climatiques ?

– Les vaches sont des ruminants. Et la rumination produit naturellement du méthane. Ce méthane est compensé à 55% par le stockage du carbone dans le sol des prairies et justement les vaches entretiennent les prairies en les broutant,

– Et puis aussi l’entretien des haies et des prairies, ça préserve la qualité de l’eau, de l’air, des sols aussi hein ?

– Tout à fait et ça maintient la biodiversité. Et il faut que je vous parle aussi du fumier, vous savez ce qui permet de produire de beaux légumes. Ce fumier produit par nos vaches permet d’éviter la production de millions de tonnes d’engrais de synthèse et donc des gaz à effet de serre.

– Donc si j’ai bien compris la filière bovine participe activement à la préservation de notre patrimoine régional.

– C’est bien résumé !

– Alors, c’est parfait merci beaucoup Natacha ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant soutient que cette publicité est manipulatrice et correspond à du « greenwashing » car elle diffuse de fausses informations sur l’impact de la filière bovine sur l’environnement.

Il relève que le public entend à peine le mot « herbagé » et considère qu’en entendant la publicité la première fois, il pense qu’il s’agit de tout type de viande bovine.

Il considère, à propos des gaz à effets de serre, que le message sous-entend que les prairies stockent le carbone grâce aux vaches qui contribueraient à leur entretien. Or, selon lui, l’élevage herbagé ne contribue pas à la création d’espace de stockage carbone, au contraire. Il relève que, même dans l’élevage bovin herbagé, 45% des gaz à effet de serre ne sont pas stockés.

Selon le plaignant, l’expression « préservation de notre patrimoine régional » est comprise comme préservation de l’environnement puisque que c’est ce dont il a été question pendant toute la publicité (avec placement de mots clés : haies, qualité de l’eau, air, sol, biodiversité, etc.).

L’Association Nationale Interprofessionnelle du Bétail et des Viandes (INTERBEV) a été informée, par courriel avec avis de réception du 7 juin 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Son représentant fait valoir au préalable que cette communication a été diffusée dans le cadre de chroniques sonores. Il ne s’agissait pas d’une campagne publicitaire. Ces chroniques s’inscrivent dans les programmes journalistiques et pédagogiques intitulés « On en parle » de la régie Aradio Group. Ces formats longs (1 minute) sont enregistrés sous forme d’interviews diffusées « dans les conditions du direct » sur les plus grandes stations de radio nationales. L’objectif est de répondre de manière pédagogique aux questions que se posent les consommateurs. Dans le cas présent, l’objectif est d’apporter des informations tangibles sur la réalité du modèle d’élevage bovin français.

Il relève que ces chroniques n’ont pas été envoyées à l’ARPP pour validation car il ne s’agit pas, selon lui, de spots publicitaires. En revanche, chaque chronique a été validée par le service juridique des stations concernées par la diffusion.

L’annonceur souligne que l’information compte parmi les missions de l’INTERBEV, que celle-ci est reconnue par les pouvoirs publics français et reflète la volonté des professionnels des secteurs bovin, ovin, équin et caprin de proposer aux consommateurs des produits sains, de qualité et identifiés tout au long de la filière.

Il fait valoir que les 500 000 professionnels de cette filière se sont engagés avec conviction dans une démarche de responsabilité sociétale, le « Pacte sociétal », qui vise à mieux répondre collectivement aux enjeux en matière d’environnement, de protection animale, de juste rémunération des acteurs de la filière et d’attractivité de ses métiers au service d’une alimentation raisonnée et de qualité. Ainsi, en 2021, INTERBEV reçoit à nouveau le label AFNOR « ENGAGÉ RSE CONFIRMÉ » de niveau 3 sur 4 pour sa démarche collective de responsabilité sociétale. Cette dernière est détaillée dans la rubrique « pacte sociétal » du site lnterbev.fr.

Il relève que la communication en cause met en avant le témoignage d’une éleveuse sur la façon dont le modèle d’élevage bovin herbager répond aux enjeux climatiques en s’appuyant sur les sources suivantes :

  • L’élevage bovin compense 30% de ses émissions totales de gaz à effet de serre grâce au stockage de carbone sous prairies longue durée, prairies en rotation et haies, soit 55% de son méthane entérique (source des données sur le stockage de carbone : étude 4 pour 1000, INRAE). Voir aussi le recueil « Elevage bovin et environnement : les chiffres clés » produit par l’institut de l’élevage (IDELE) afin de préciser le lien entre élevage et environnement (page 6).
  • Pour la partie entretien des prairies par les vaches, l’herbe représente 60% de la Surface Agricole Utile des fermes de bovins allaitants et est en progression sur les dernières années (source : données issues du diagnostic environnemental en ferme Cap2ER). Par ailleurs, 89% de l’alimentation des vaches allaitantes est composée d’herbe et fourrages (Observatoire ORIFLAAM, CEREOPA, campagne 2020 — 2021, publication à venir).
  • De plus, les élevages français valorisent chaque année 55 millions de tonnes de matière sèche d’herbe, 58% pâturée directement par les ruminants, 42% récoltée pour stockage sous forme de foin, d’ensilage d’enrubannage (Rapport « Chiffres clés des prairies et des parcours — les atouts et caractéristiques des prairies et parcours en France, au cœur des territoires et au menu des ruminants » de l’IDELE page 17).

L’annonceur estime qu’il y a lieu de considérer tous les atouts environnementaux liés à la durabilité de l’élevage herbivore français tels que le maintien des prairies et des haies qui jouent un rôle fondamental dans la préservation de la biodiversité.

Selon lui, l’élevage herbivore français demeure l’un des plus vertueux au monde et il est l’un des seuls secteurs, avec la forêt et l’agriculture, capable de compenser une partie de ses émissions. Parmi les surfaces agricoles capables de stocker du carbone, les prairies sur lesquelles pâturent les bovins constituent les principaux puits de carbone.

Il apporte, enfin, les précisions chiffrées suivantes : sous 1 hectare de prairie permanente, c’est en moyenne 85 tonnes de carbone qui sont piégées, auxquelles s’ajoute un stockage supplémentaire chaque année. Avec 13 millions d’hectares de prairies permanentes, temporaires et de parcours herbagers en France, l’activité d’élevage de bovins, majoritairement herbagère, compense ainsi en moyenne un tiers de ses émissions de gaz à effet de serre.

Lors de la séance, les représentants de l’annonceur ont rappelé le rôle d’INTERBEV qui regroupe 22 organisations nationales et a mis en place différents audits pour garantir un niveau d’excellence répondant notamment à la norme ISO 26 000 et à un réel engagement RSE.

Ils ont repris l’ensemble de l’argumentation développée par écrit en insistant sur le fait que la capacité de compensation de la filière bovine a bien pour objet de répondre aux enjeux climatiques.

Le choix de cibler les émissions de méthane résulte du constat qu’il s’agit du principal poste d’émission, qui correspond à 51% des émissions de gaz à effet de serre pour les productions bovines de la filière laitière, et 55 % pour la filière viande.

INTERBEV a adressé une documentation détaillée présentant les principales problématiques reprises dans le spot en cause et les sources des données chiffrées. Il est notamment indiqué que, selon la position d’INTERBEV, les services liés à l’élevage sont insuffisamment intégrés dans les préconisations de la Cour de comptes qui, dans son rapport de 2023, centre l’analyse sur un scénario agro-écologique.

Les représentants indiquent que la baisse du cheptel français n’est pas, selon eux, la variable pertinente à l’échelle globale et que cela serait de nature à mettre en danger la souveraineté alimentaire.

Ils confirment que les sources de chiffres mis en avant sont le rapport de l’INRAE de 2019 et, pour le chiffre de « 55% » de compensation du méthane, le document « chiffres clés », lui-même fondé sur une étude de 2013 Contribution de l’élevage bovin aux émissions de GES et au stockage de carbone selon les systèmes de production de Jean-Baptiste Dolle, Philippe Faverdin, Jacques Agabriel, Daniel Sauvant, Katja Klumpp.

Ils considèrent que les messages doivent être appréhendés globalement, celui-ci comme les deux autres messages mettant en scène un autre agriculteur et un boucher.

Radio France, représentant la station de radio France Inter, a également été informée de la plainte, par courriel avec avis de réception du 12 juin 2023.

Elle n’a pas présenté d’observations préalables.

Lors de la séance le représentant de Radio France a précisé que le spot avait fait l’objet de validations selon les procédés habituels et qu’aucune critique n’avait été formulée. Le spot a donc été diffusé pendant quatre semaines entre le 10 avril et le 7 mai sur les radios RTL, Europe1, Nostalgie, Les Indés et France Inter où le plaignant a entendu un des 14 messages diffusés. Il a précisé que, pour la chaîne France Inter, ces chroniques s’inscrivaient bien dans le cadre des écrans publicitaires et il n’y avait pas de risque de confusion avec le contenu éditorial – en revanche, les chroniques n’ont pas été diffusées sur France Info par crainte d’une éventuelle confusion de ce type. Il a précisé que les chaînes de radio n’avaient pas retravaillé le contenu qui avait été validé sans réserve. Le message de soixante secondes correspond à environ 180 mots, il est donc difficile de donner beaucoup d’explications.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur le caractère publicitaire de la communication et la compétence du Jury

Le Jury rappelle que, selon le point 2.1. de son règlement intérieur, il lui appartient de se prononcer sur le respect des règles déontologiques par tout « message publicitaire », commercial ou non commercial, à l’exclusion de la propagande électorale et des documents de nature politique ou syndicale.

Constitue un message publicitaire tout contenu porté à la connaissance du public par une personne publique ou privée ou pour son compte et qui a pour objet principal d’assurer la promotion d’une marque que celle-ci exploite, d’un produit ou d’un service qu’elle propose, de cette personne elle-même, notamment son image de marque auprès du public, ou d’une personne qui lui est liée, ou encore d’une action qu’elle mène ou d’une cause qu’elle défend. Le caractère promotionnel de l’objet de la communication s’apprécie sur la base d’un faisceau d’indices incluant principalement son contenu propre, en particulier le caractère éventuellement valorisant, laudatif, incitatif, emphatique, percutant et/ou ramassé du message, la mise en scène ou la mise en forme et les éléments visuels utilisés, qui peuvent contribuer à conférer à la communication une forme publicitaire, ainsi que les modalités et le contexte de sa diffusion. Le message publicitaire peut présenter un caractère commercial et constituer, le cas échéant, une « communication commerciale » au sens du préambule du code de communications « ICC Publicité et marketing » de la Chambre de commerce internationale, ou ne revêtir aucun caractère commercial.

En revanche, le Jury n’est pas compétent pour examiner les communications relevant du journalisme d’investigation ou d’information en général, ni, en particulier, celles dont l’objet principal est de porter à la connaissance du public des informations objectives, le cas échéant en vue de respecter des obligations légales ou réglementaires de transparence, quand bien même ces informations seraient de nature à valoriser l’image de l’entreprise.

En l’espèce, le Jury constate que la communication en cause est une chronique relevant d’un programme intitulé « On en parle » de la régie Aradio Group d’une durée d’environ une minute qui a été diffusée de manière régulière durant quatre semaines entre le 10 avril et le 7 mai sur les radios RTL, Europe1, France Inter, Nostalgie, Les Indés radios. La chronique se présente sous la forme d’une interview qui annonce clairement provenir des « acteurs de la filière bovine » lesquels « s’engagent au quotidien pour vous offrir une viande de qualité et durable », ces termes ne pouvant que s’interpréter comme une promotion de ce secteur de production de bœuf.

Le texte de l’échange est le suivant : « On en parle avec Natacha éleveuse en Vendée :

– Bonjour Natacha,

– Bonjour,

– En quoi votre modèle d’élevage bovin herbagé répond-il aux enjeux climatiques ?

– Les vaches sont des ruminants. Et la rumination produit naturellement du méthane. Ce méthane est compensé à 55% par le stockage du carbone dans le sol des prairies et justement les vaches entretiennent les prairies en les broutant,

– Et puis aussi l’entretien des haies et des prairies, ça préserve la qualité de l’eau, de l’air, des sols aussi hein ?

– Tout à fait et ça maintient la biodiversité. Et il faut que je vous parle aussi du fumier, vous savez ce qui permet de produire de beaux légumes. Ce fumier produit par nos vaches permet d’éviter la production de millions de tonnes d’engrais de synthèse et donc des gaz à effet de serre.

– Donc si j’ai bien compris la filière bovine participe activement à la préservation de notre patrimoine régional.

– C’est bien résumé !

– Alors, c’est parfait merci beaucoup Natacha ».

Si la communication en cause a bien pour objet la présentation du modèle d’élevage bovin français, elle ne présente aucun caractère politique ou syndical au sens du règlement intérieur du Jury et sa finalité est bien de promouvoir auprès du grand public la filière bovine dans l’intérêt de l’annonceur.

Il en résulte que la communication présente le caractère d’un message publicitaire relevant de du champ de compétence du Jury, ainsi que l’a d’ailleurs relevé Radio France lors de la séance.

3.2. Sur les règles déontologiques applicables

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :
    • « 1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ;
    • 3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; / Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul. / La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus (…) »
  • au titre de la proportionnalité (point 3) :
    • « 3.2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »
  • au titre de la « clarté du message » (point 4) :
    • « 4.2 Si l’argument publicitaire n’est valable que dans un contexte particulier, ce dernier doit être présenté clairement.
    • 4.6. Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée ».
  • au titre du « vocabulaire » (point 7) :
    • « 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable /
    • 7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”.».

Le Jury relève en premier lieu que la publicité cible, dès les premières secondes, l’objet de la communication par la question : « en quoi votre modèle d’élevage bovin herbagé répond-il aux enjeux climatiques ? ». Il n’y a donc pas lieu de reprocher au message global de laisser entendre que les qualités revendiquées s’appliqueraient à tout type de viande bovine, l’emploi du mot « herbagé » ne prêtant pas à confusion.

En deuxième lieu, le Jury considère que l’expression « préservation de notre patrimoine régional » ne contient pas de référence directe à l’environnement. Même s’il a été question d’environnement préalablement et si le mot « régional » peut renvoyer, dans un emploi courant, à la notion de campagne, il n’est pas associé sémantiquement à une défense du développement durable.

En troisième lieu, le Jury relève que plusieurs allégations environnementales sont formulées par les deux protagonistes, qui doivent être analysées successivement :

  • L’allégation « Les vaches sont des ruminants. Et la rumination produit naturellement du méthane. Ce méthane est compensé à 55% par le stockage du carbone dans le sol des prairies et justement les vaches entretiennent les prairies en les broutant» renvoie à l’idée d’une compensation des effets négatifs de l’élevage (la production de méthane) par le stockage de carbone que permettent les prairies.

Pour expliquer ce point, l’annonceur précise que la source de ces informations est « l’Etude 4 pour 1000 » de l’Institut national de recherche pour l’agriculture (INRAE), ainsi que le recueil « Elevage bovin et environnement : les chiffres clés » produit par l’Institut de l’Elevage (IDELE). Il soutient que l’élevage bovin compense 30% de ses émissions totales de gaz à effet de serre grâce au stockage de carbone sous prairies longue durée, prairies en rotation et haies, soit 55% de son méthane entérique.

Or ces explications ne résultent pas de la publicité en elle-même qui ne renvoie à aucune référence sur ce point.

Par ailleurs, la lecture du Rapport de l’INRAE publié le 13 juin 2019, s’il évoque diverses perspectives et simulations liées au stockage de carbone dans le sol, notamment en se référant à l’étude menée en 2017 qui compare l’impact de différents scénarios prospectifs sur les systèmes de production, sur les émissions de GES et sur le stockage de carbone associé à la production de bovins (Mosnier, C.; Duclos, A.; Agabriel, J.; Gac, A., 2017. What prospective scenarios for 2035 will be compatible with reduced impact of French beef and dairy farm on climate change ? Agricultural Systems, 157: 193-201), ne comporte aucune référence permettant d’en déduire que le méthane produit par la rumination est compensé à 55% par le stockage du carbone dans le sol des prairies.

L’autre source citée lors de l’instruction de la plainte, le recueil « Elevage bovin et environnement : les chiffres clés » de l’institut de I’Elevage (IDELE), mentionne en page 4 certaines données liées à l’émission de gaz à effet de serre et indique, notamment, que l’élevage bovin compense « 55 % de son méthane entérique ». Toutefois cette donnée ne peut être déconnectée des circonstances de l’étude dont le texte précise :

  • qu’il s’agit d’une compensation équivalente à 30 % des émissions totales de gaz à effet de serre, grâce au stockage de carbone sous les prairies et haies ;
  • que le méthane, tout en étant le principal poste d’émission de gaz à effet de serre en élevage bovin, représente entre 51% et 55 % de ces émissions selon que ces bovins sont producteurs de lait ou de viande ;
  • que ces données sont issues d’une étude de 2013 (il est confirmé en séance qu’il s’agit de l’étude Contribution de l’élevage bovin aux émissions de GES et au stockage de carbone selon les systèmes de production de Jean-Baptiste Dolle, Philippe Faverdin, Jacques Agabriel, Daniel Sauvant, Katja Klumpp).

Le Jury constate que le spot publicitaire a été diffusé entre le 10 avril et le 7 mai 2023, soit avant la diffusion sur le site de la Cour des comptes (le 22 mai 2023) du rapport « Les soutiens publics aux éleveurs de bovins » cité dans les documents transmis par l’annonceur, mais après la diffusion, le 3 avril 2023, du pré-rapport qui a donné lieu aux observations du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire du 12 mai 2023. Le rapport se fonde lui-même sur d’autres études pour retenir (page 66, point 3.2.1 « Malgré certains effets de réduction des émissions, un solde carbone de l’élevage bovin largement émetteur ») que « Selon le CITEPA80, sur les 445 Mt CO2éq émis par la France en 2018, 64,3 Mt étaient dues à l’élevage, dont 52,5 Mt au seul élevage bovin, qui représente donc à lui seul 11,8 % des émissions de GES en France. C’est l’équivalent des émissions des bâtiments résidentiels dans le pays. Parmi l’ensemble des émissions dues à l’élevage bovin, les émissions de méthane par la fermentation entérique – c’est-à-dire la décomposition des aliments par les micro-organismes dans l’estomac des animaux – représentent 31 Mt CO2éq82. Cette émission est compensée, partiellement, par la fixation du CO2 par les sols des prairies permanentes, qui est plus importante que celle des cultures labourées. Ces effets ont été caractérisés expérimentalement, par exemple dans le cadre des travaux du GIS SOL83 avec son programme Réseau de Mesure de la Qualité des Sols (RMQS). Le stockage dépend de nombreux paramètres (l’âge de la prairie, son passé, ses caractéristiques pédoclimatiques, les pratiques de fauchage ou de pâturage plus ou moins intensif…) ou des surfaces contrefactuelles auxquelles les comparer (forêt, friches, cultures…). Résumer le stockage du carbone des prairies par un seul chiffre, en kg de carbone stocké par hectare et par an ne permet pas de rendre compte de la variété des situations d’une prairie à l’autre. Il est en revanche possible d’estimer un intervalle de confiance de ces chiffres, valable pour la grande majorité des prairies. Selon une synthèse de 2020 pour la Commission Européenne, la transformation d’une culture en prairie permet de stocker entre 200 et 500 kgC/ha/an selon les cas (l’incertitude est de +/- 40 % sur la valeur moyenne), pendant les 20 premières années suivant la transformation. A l’inverse, le retournement d’une prairie permanente en culture déstockerait entre 500 kg et 1,2 tonne de carbone par an et par hectare. Ces valeurs diminuent beaucoup après les 20 premières années. Selon les cas, et en rappelant les émissions de référence d’une vache laitière et d’une vache allaitante par fermentation entérique (3 tonnes et 2 tonnes de carbone (en tCO2éq) par vache), et en prenant un taux moyen de chargement français de 1,3 UGB à l’hectare, le stockage du carbone dans les prairies représenterait donc une proportion comprise entre 6 % et 45 % des émissions entériques de la vache elle-même présente sur cette prairie, selon les situations, avec une valeur moyenne de l’ordre de 25 %. Le scénario Afterres 2050 retient ainsi que le stockage de carbone dans les prairies permet d’effacer entre 15 et 20 % seulement des émissions bovines, en avançant le chiffre de 8,5 Mt CO2éq. par an. La fiche sectorielle bovins du PSN (3.5.1 A) reconnait que « l’élevage bovin (…) compense 30 % de ses émissions grâce au stockage de carbone dans les prairies et les haies » (souligné par le Jury).

Le Jury en déduit que les données chiffrées sont particulièrement complexes à analyser.

Le Jury estime que, si la brièveté des propos de telles chroniques publicitaires ne permet pas de longues explicitations, le choix de cibler des éléments de compensation et de choisir un des postes d’émission de gaz à effet de serre (ici le méthane, qui correspond à environ 51 à 55% de ces émissions globales) ne peut se dispenser d’être explicité, a minima, par le renvoi à un site ou à des références précises permettant la consultation ultérieure par le consommateur de travaux scientifiques reconnus. A défaut d’une telle explication ou renvoi, la publicité en cause n’est pas conforme aux points 4.2 et 4.6 de la Recommandation de l’ARPP précitée.

Le Jury relève en outre que l’argumentation de la chronique en cause, même si elle est entendue conjointement aux deux autres messages diffusés, revient à présenter un schéma dont il résulte que les vaches contribuent au stockage du carbone dans les sols (les vaches entretiennent les prairies, or les prairies stockent du carbone, donc les vaches favorisent le stockage de carbone), ce qui n’est exact qu’à certaines conditions et sous la réserve de ne s’attacher qu’au rapport entre le méthane entérique et le stockage en prairie. Au demeurant, selon les études citées par l’annonceur lui-même, le méthane, tout en étant le principal poste d’émission de gaz à effet de serre en élevage bovin, représente entre 51% et 55 % de ces émissions selon que ces bovins sont producteurs de lait ou de viande (Etude de l’IDELE page 4 point 2).

Le Jury considère que, dans ces circonstances, l’emploi de cette première formulation générale de compensation « à 55 % » du méthane par le stockage du carbone dans le sol, alors même que n’est présentée qu’une partie des conséquences de l’élevage en termes d’émission de gaz à effet de serre, entretient une confusion de nature à induire en erreur le public sans que l’annonceur n’ait justifié ses arguments au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité, en méconnaissance des points 2.3, 4.2 et 7.1 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

  • L’échange suivant est relatif à la biodiversité : « Et puis aussi l’entretien des haies et des prairies, ça préserve la qualité de l’eau, de l’air, des sols aussi hein ? – Tout à fait et ça maintient la biodiversité »

Le Jury estime que le propos sur l’entretien des haies et des prairies qui « préserve la qualité de l’eau, de l’air, des sols » et « maintient la biodiversité » est intégré dans un échange par lequel les deux protagonistes exposent comment le modèle d’élevage bovin herbagé « répond aux enjeux climatiques ». Vue au prisme des enjeux climatiques, une telle formulation générale est spontanément comprise par la majorité du public comme signifiant que les procédés permettant le modèle d’élevage en cause a une action strictement positive sur la qualité de l’eau, de l’air et des sols et n’entraîne pas de nuisance écologique significative ou, au moins, directe. Ainsi, à défaut d’être relativisées, ces allégations sont disproportionnées eu égard à l’impact écologique des élevages bovins herbagés tel qu’il est établi par l’ensemble des études précitées antérieures à la diffusion de la chronique. Elles sont également de nature à induire en erreur le public sur les effets de l’élevage bovin herbagé. La publicité méconnaît donc à ce titre les points 2.1, 2.3, 3.2, 4.6, 7.1 et 7.3 de la Recommandation « Développement durable » précitée.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que, dans les conditions précisées ci-dessus qui excluent les critiques portant d’une part sur le fait que la chronique ne préciserait pas suffisamment son objet relatif au modèle d’élevage bovin herbagé et d’autre part sur l’usage de l’expression « préservation de notre patrimoine régional », la publicité en cause méconnaît les dispositions déontologiques précitées.

Avis adopté le 5 juillet 2023 par Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, faisant fonction de présidente, Mme Boissier, ainsi que MM. Depincé et Lucas-Boursier.


Publicité Filière Bovine – INTERBEV