EDF – Internet – Plainte partiellement fondée

Avis publié le 9 août 2021
EDF – 746/21
Plainte partiellement fondée 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants des associations plaignantes et de la société EDF, par visioconférence
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 8 avril 2021, d’une plainte émanant conjointement des associations Réseau Sortir du nucléaire et Sortir du nucléaire Bugey, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une communication de la société EDF en faveur de la production d’énergie nucléaire.

Cette communication consiste en une page du site internet de l’entreprise intitulée : « L’énergie nucléaire », qui comporte le texte : « Le nucléaire, partenaire incontournable pour une société bas carbone ». Plusieurs qualificatifs sont associés au nucléaire, notamment « Disponibilité : Le nucléaire permet de fournir de l’électricité à tout moment de la journée et de l’année », « Compétitivité : Grâce au nucléaire, le kWh en France est en moyenne 40 % moins cher que chez nos voisins européens », « Respect du climat : l’électricité produite à partir du nucléaire n’émet pas de CO2 », « Sûreté : Les centrales nucléaires françaises sont les installations industrielles les plus contrôlées et protégées » et « Indépendance énergétique : la part prépondérante du nucléaire dans le mix énergétique permet l’indépendance énergétique du pays ».

2. Les arguments échangés

Les associations plaignantes énoncent que Électricité de France (EDF) est le principal producteur et fournisseur d’électricité en France. Le groupe présente ses ambitions notamment de la manière suivante sur son site Internet : « Construire un avenir énergétique neutre en CO2, conciliant préservation de la planète, bien-être et développement, grâce à l’électricité et à des solutions et services innovants, c’est la raison d’être du groupe EDF. Face à l’urgence climatique, nous voulons inventer, partout où nous sommes présents, un nouveau modèle énergétique : moins émetteur de CO2, plus efficace, plus respectueux de l’environnement et des populations. »

Il est donc clair à leurs yeux que le groupe EDF souhaite renvoyer au public l’image d’une entreprise éco-responsable, agissant en faveur de l’environnement par une production électrique qu’elle qualifie, régulièrement dans sa communication, de bas carbone, voire de décarbonée, et donc comme respectueuse du climat, qui est au cœur des préoccupations environnementales actuelles.

Les associations soulignent que la page Internet « Le nucléaire : une énergie nécessaire » est, à l’heure actuelle, toujours affichée sur le site officiel d’EDF. Elle ne se borne pas à présenter objectivement des informations relatives aux activités d’EDF SA. Par la mise en exergue de la mention « Le nucléaire, partenaire incontournable pour une société bas carbone » accompagnée de 5 mots clefs valorisant l’énergie nucléaire, cette page a pour but de mettre en valeur l’action de la société et, le cas échéant, d’influencer le comportement des consommateurs de plus en plus sensibles aux problématiques environnementales. Dès lors, la page Internet contestée revêt un caractère promotionnel. En conséquence, la publication contestée entre dans le champ de compétence du JDP.

Les associations estiment que ces communications méconnaissent les règles de la Recommandation « Développement durable » en ce qui concerne notamment la véracité des actions, la présentation honnête et véridique et la minimisation des conséquences pour l’environnement.

En effet, les formulations « Le nucléaire, partenaire incontournable pour une société bas carbone » et « Respect du climat : L’électricité produite à partir du nucléaire n’émet pas de CO2 » peuvent être interprétées par le grand public comme signifiant que la totalité de l’électricité produite en France à partir du nucléaire n’implique aucune émission de dioxyde de carbone.

Or, il est constant que la production d’énergie, quelle qu’elle soit, implique nécessairement de tels dégagements gazeux. Le contenu en CO2 du nucléaire a d’ailleurs fait l’objet d’une méta-étude, qui débouche sur un chiffre médian de 66g de CO2 par KWh. Compte tenu de la sensibilité de la problématique, le JDP avait d’ailleurs estimé, dans son avis n° 373/15 « EDF Alsace » que « la publicité en faveur de l’énergie nucléaire doit veiller à lever toute ambiguïté quant à ses incidences environnementales. Si elle peut mettre en valeur qu’une centrale nucléaire n’émet pas directement de CO2 ou que, sur la totalité du cycle de production, ces émissions sont inférieures pour l’énergie nucléaire, comparée aux centrales thermiques, en l’état des études disponibles, elle ne saurait suggérer que ces émissions seraient nulles ». Le même constat avait été fait dans l’avis n° 625/20 « ORANO-PRESSE-INTERNET ».

Les associations plaignantes ajoutent que les autres allégations posent également un problème de véracité. En effet, EDF affirme que « Le nucléaire permet de fournir de l’électricité à tout moment de la journée et de l’année ». Or il n’en est rien. En effet, la vague de froid qui a frappé la France début 2021 a mis le réseau électrique sous tension et notamment à cause de la disponibilité, ou plutôt de l’indisponibilité, du parc nucléaire français mais également, à cause du tout électrique qui, à chaque baisse du thermomètre, génère des pics de consommation en mettant régulièrement en difficulté le parc nucléaire français, si bien que la France est obligée de mettre en activité des centrales au gaz ou au charbon ainsi que ses barrages hydro-électriques ou d’importer de l’électricité auprès d’autres pays. Les réacteurs doivent connaître des arrêts pour maintenance assez longs chaque année et le décalage de ce programme d’arrêt, comme cela a été le cas avec la Covid, peut provoquer un très grand nombre d’indisponibilités. Elles soulignent aussi que, si les fluctuations de la production des énergies renouvelables sont prévisibles au regard des données météorologiques, on recense très régulièrement des arrêts fortuits de réacteurs.

L’allégation selon laquelle « Grâce au nucléaire, le kWh en France est en moyenne 40 % moins cher que chez nos voisins européens » pose également un problème de véracité, selon les associations. Au 1er février 2021, le prix de l’électricité a augmenté de 1,93% HT, soit l’équivalent de 1,6% TTC pour les particuliers. Cette augmentation est notamment due à la prolongation de la durée de vie des centrales nucléaires. En outre, dans le rapport du régulateur de l’énergie sur les coûts de production du parc nucléaire existant d’EDF, la CRE évalue ce coût à 48 €/MWh, avec pour cause notamment l’impact du fiasco du chantier de Flamanville 3 et des déchets radioactifs. Cette évaluation a pour but de déterminer les justes
« coûts de production » pour ensuite fixer le juste « prix » dans le cadre des travaux concernant le prix du nucléaire « post-ARENH ». La Cour des comptes a estimé que l’électricité produite par la nouvelle centrale nucléaire de Flamanville (EPR) devrait coûter entre 110 et 120 euros le MWh.

Dans ces conditions, les derniers appels d’offres solaire et éolien montrent l’urgence qu’il y a à investir dans les énergies renouvelables pour la transition énergétique. Les derniers appels d’offres en France assurent un prix d’achat (et non un coût de production) de l’électricité de l’éolien terrestre à 60 euros par mégawattheure et à 57 euros pour le photovoltaïque au sol. Les projections prévoient encore des baisses de prix à l’avenir. Avec la crise sanitaire, le prix de vente de l’électricité sur le marché européen oscille autour de 40 euros le MWh. En outre, un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), publié à la fin de 2020, conclut que, pour la majorité des pays développés, l’énergie solaire est maintenant moins chère et donc plus rentable que celle produite avec du gaz naturel ou du charbon. Le rapport conclut que l’énergie solaire, la plus abordable, coûte maintenant 20 $ par MWh à produire.

Concernant la sûreté, EDF affirme que « Les centrales nucléaires françaises sont les installations industrielles les plus contrôlées et protégées ». Outre que cette information n’est nullement sourcée, se pose également un problème de véracité. En quoi les centrales nucléaires sont-elles les installations industrielles les plus protégées ? En 2019, 1172 évènements ont été déclarés dans les installations nucléaires de base. En janvier 2017, la centrale nucléaire du Tricastin était arrêtée à la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire en raison d’une digue jugée trop fragile.

L’existence de contrôles n’est pas une garantie absolue de sûreté, d’autant plus qu’il arrive régulièrement que les prescriptions et mises en demeure de l’ASN ne soient pas respectées. L’existence de contrôles n’ôte pas le risque potentiel d’accident, reconnu par l’ASN elle-même, et ses impacts seraient considérables.

Concernant l’indépendance énergétique, EDF indique que « La part prépondérante du nucléaire dans le mix énergétique français permet l’indépendance énergétique du pays ». Or, la totalité de l’uranium, qui est à la base du fonctionnement de nos centrales nucléaires, est importée du Canada, du Niger, du Kazakhstan et de l’Australie.

En présentant le nucléaire comme disponible, compétitif, respectueux du climat, sûr et permettant l’indépendance énergétique de la France, EDF pose le nucléaire en partenaire incontournable de la lutte contre le changement climatique. Pourtant, comme l’a démontré une étude du cabinet WISE Paris, ce dernier n’apporte qu’une contribution médiocre à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ; surtout, en raison des importants investissements qu’il requiert, il bloque le développement des vraies solutions, à savoir les économies d’énergie et les énergies renouvelables.

Comme le montre le World Nuclear Industry Status Report, le nucléaire est trop lent et trop cher pour faire face à l’urgence climatique. Pour un euro investi, les réductions d’émissions sont bien plus importantes et plus rapides dans le secteur des économies d’énergies et des énergies renouvelables que dans le nucléaire. L’édition 2019 du rapport montre ainsi que si la Chine avait consacré aux énergies renouvelables ce qu’elle a investi dans le nucléaire, ses émissions auraient déjà baissé de 3 à 6%.

Enfin, les enjeux environnementaux ne sauraient se résumer aux seules émissions de gaz à effet de serre. Il convient de rappeler que le nucléaire génère d’importantes nuisances environnementales, que le GIEC lui-même considère comme des impacts négatifs au regard des Objectifs de Développement Durable (ODD) : mise en circulation de substances radioactives pouvant être détournées à des fins militaires, production de milliers de tonnes de déchets radioactifs chaque année, pollution des mines d’uranium, risque persistant d’accident de type Tchernobyl ou Fukushima, dont les conséquences sanitaires et environnementales seraient dramatiques…

Dans ces conditions, les associations plaignantes estiment que les publicités en cause sont susceptibles d’induire le public en erreur sur les propriétés de l’énergie nucléaire.

S’agissant de la proportionnalité du message, les associations relèvent qu’EDF laisse entendre que le nucléaire n’aurait pas d’impact négatif sur le climat, voire aurait un impact favorable sur celui-ci. Or, il est constant que la production d’énergie, quelle qu’elle soit, implique nécessairement des dégagements de CO2 et de gaz à effet de serre qui ont un impact sur le climat, y compris concernant le nucléaire. En outre, si la production électrique en tant que telle peut être qualifiée de moins émettrice de CO2 que d’autres formes de production d’énergie, on peut s’interroger sur ce qu’il en est concernant l’ensemble de la chaîne nucléaire (de l’extraction du minerai à la gestion des déchets).

De plus, le nucléaire génère d’autres formes de pollution dont il est totalement fait fi dans cette publicité : des pollutions quotidiennes (rejets chimiques et radioactifs, gazeux et liquides, dans l’environnement) ainsi que des milliers de tonnes de déchets radioactifs produits chaque année, en France, dont on ne sait que faire. Et les conséquences sanitaires et environnementales d’un accident nucléaire de type Fukushima ou Tchernobyl seraient dramatiques.

Sur la clarté du message, les nombreuses affirmations présentées par EDF dans sa publicité litigieuse ne sont pour la plupart pas sourcées, ni explicitées. Par exemple, sur « La part prépondérante du nucléaire dans le mix énergétique français permet l’indépendance énergétique du pays », aucune source ne permet d’expliciter l’origine d’une telle affirmation. Il en est de même pour la plupart des affirmations/arguments présentés dans cette publicité. Cette présentation est de nature à induire en erreur le public, comme le Jury l’a relevé dans son avis n° 385/15.

Dans son avis n° 385/15 “EDF”, le JDP observait « que le pourcentage de 98 % est totalement dépourvu d’explication ou de renvoi qui permettrait au public auquel ce slogan s’adresse de comprendre à quoi se réfère cette donnée et ce qu’elle contient. (…) Dans ces conditions, le Jury estime que le slogan en cause peut être de nature à induire le public en erreur sur la réalité des actions mise en œuvre par la société EDF et revendiquées par elle et qu’il n’est pas conforme aux dispositions 1.1 et 3.3 de la Recommandation Développement durable de l’ARPP ».

S’agissant du vocabulaire, les associations considèrent que les qualificatifs associés au nucléaire devraient être relativisés, ce qui n’est pas le cas.

Au total, les plaignantes estiment que ces publicités méconnaissent les exigences de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP en ce qui concerne les impacts éco-citoyens, la véracité et la proportionnalité des actions, la clarté du message et le vocabulaire.

Elles ajoutent que, face à une opinion publique majoritairement hostile à la construction de nouveaux réacteurs, la diffusion de ce message publicitaire apparaît comme une tentative d’améliorer l’acceptabilité sociale du nucléaire afin de limiter les oppositions à ces projets.

La société EDF a été informée, par courriel avec accusé de réception du 5 mai 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Son représentant fait valoir en premier lieu que la plainte ne concerne ni une campagne de publicité, ni une publicité, ni des éléments d’une publicité, ni une communication à titre publicitaire concernant la production et la fourniture d’énergie nucléaire. Elle vise exclusivement des éléments, ou plus exactement des fragments d’éléments, repris sur le site d’EDF et tirés de sa communication institutionnelle. En effet, les fragments d’éléments repris dans la plainte figurent sur le site d’EDF dans les pages exclusivement dédiées à présenter la vision de l’énergéticien sur l’énergie nucléaire. C’est ainsi que ces éléments de communication institutionnelle sont regroupés sous la rubrique : « Energie nucléaire : notre vision ». Cette rubrique, sur le propre site de l’énergéticien, ne constitue ni une publicité, ni un forum, ni une tribune libre, mais bien la vision d’EDF – producteur – concernant l’énergie nucléaire.

La société entend rappeler que, même dans son interprétation la plus large, la publicité s’entend toujours d’une communication destinée à la promotion commerciale d’un produit ou d’un service vis-à-vis d’un public indéterminé de consommateurs. Or en l’espèce il s’agit de l’expression d’un point de vue destiné aux seuls internautes qui décident d’en prendre connaissance.

La plainte du 8 avril 2021 ne constitue donc pas une plainte dirigée contre une communication publicitaire sur le nucléaire, mais dirigée contre le nucléaire. A ce titre, EDF considère qu’elle est irrecevable.

En deuxième lieu, l’annonceur rappelle que les avis du Jury cités par les associations plaignantes ont rejeté la plupart des griefs adressés à ses publicités, en relevant notamment « qu’il n’est pas contesté par les associations plaignantes que la production d’électricité au sein d’une centrale nucléaire n’est pas directement émettrice de CO2 ». Le Jury a encore précisé qu’il ne pouvait reprocher à EDF – producteur d’énergie nucléaire – « de ne pas évoquer d’autres nuisances susceptibles de résulter de telles activités, comme celles qui procèdent de la construction de centrales nucléaires ou du rejet d’effluents ou de déchets » (avis JDP EDF – 373/15). Il a également indiqué qu’« il n’est nulle part fait obligation à l’annonceur de présenter dans chaque publicité l’ensemble de ses activités ou l’ensemble des aspects d’un produit », et que « l’essentiel est de pouvoir justifier de la véracité des arguments que l’on met en avant dans un message déterminé, ou de ne pas donner une image tellement déformée de la réalité qu’elle en devient mensongère » (avis du 16 mars 2011 concernant Areva).

En troisième lieu, à supposer même qu’il puisse s’agir en l’espèce d’une communication publicitaire – ce qui n’est pas le cas selon la société – les différents éléments présentés sur le site permettent de justifier du point de vue d’EDF présenté sous la rubrique « Energie nucléaire : notre vision ».

Il est rappelé d’une part, que l’Agence Internationale de l’Energie vient à nouveau de souligner dans sa feuille de route du mois de mai 2021 que « la production d’énergie nucléaire devra augmenter de 40% d’ici 2030 et au moins doubler d’ici 2050 pour atteindre les objectifs mondiaux de zéro émission nette de gaz à effet de serre. Le monde doit accélérer la construction de nouvelles centrales nucléaires ». De même, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) souligne que « l’augmentation substantielle de l’énergie nucléaire est nécessaire dans les quatre trajectoires illustratives qui limitent le réchauffement climatique à 1,5° C. Ces quatre trajectoires montrent une augmentation de la production nucléaire comprise entre 98 % et 501 % de 2010 à 2050 ».

L’annonceur confirme que les centrales nucléaires comptent parmi les installations les plus surveillées et contrôlées. Outre la Filière Indépendante de Sureté (FIS) mise en place par EDF auprès de chaque CNPE (Centre Nucléaire de Production d’Electricité), ce contrôle est assuré par plusieurs autorités indépendantes dont : l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN) concernant la sureté nucléaire et la radioprotection ; le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) concernant la prévention et la protection des actes de malveillances ; Euratom concernant le contrôle de la matière… Pour mémoire, au seul titre de l’année 2020, les interventions des 320 inspecteurs de l’ASN correspondent à 402 jours d’inspection sur les 19 centrales nucléaires.

Enfin, EDF rappelle que la navigation sur son site permet d’avoir accès à toutes les informations et précisions utiles sur l’énergie nucléaire et sur la vision qu’en propose EDF, qu’il s’agisse de la réduction des émissions de CO2, du mix énergétique et de la production d’une énergie respectueuse du climat, ou de la filière d’excellence que constitue le nucléaire. Par ailleurs ces éléments d’information sont eux-mêmes développés dans deux documents spécifiques accessibles sur les pages web du site concerné dans la rubrique « publications de référence » : l’URD 2020 et l’Essentiel 2021.

3. L’analyse du Jury

3.1 Sur la compétence du Jury

Le Jury rappelle qu’en vertu des articles 2 et 3 de son règlement intérieur, dont le contenu est repris à l’article 2 du règlement intérieur en vigueur depuis le 9 juin 2021, il lui appartient de se prononcer sur le respect des règles déontologiques par tout « message publicitaire », commercial ou non commercial, à l’exclusion des messages de nature politique ou syndicale.

Constitue un message publicitaire tout contenu porté à la connaissance du public par une personne publique ou privée ou pour son compte, et qui vise à assurer la promotion d’une marque que celle-ci exploite, d’un produit ou d’un service qu’elle propose, de cette personne ou d’une personne qui lui est liée, ou encore d’une action qu’elle mène ou d’une cause qu’elle défend. Le caractère promotionnel, qui se distingue du caractère purement informationnel, s’apprécie notamment au regard de la nature de la communication, de l’objet sur lequel elle porte, des termes employés, de la mise en scène ou des visuels utilisés et des incitations que le message comporte explicitement ou qu’il induit.

En l’espèce, le Jury constate que les allégations contestées figurent sur une page du site internet EDF qui ont manifestement pour objet de vanter les mérites de l’énergie nucléaire que produit cette société. Ces communications ne sauraient être regardées comme purement informatives. Elles promeuvent le recours à l’une des solutions commercialisées par l’entreprise. A ce titre, elles constituent à l’évidence des publicités, dont le Jury est compétent pour apprécier la conformité aux règles déontologiques qu’il a pour mission d’appliquer.

3.2. Sur la conformité de la publicité critiquée aux règles déontologiques

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, dans sa version applicable en l’espèce, prévoit que :

  • au titre des impacts éco-citoyens (point 1 ) :

« La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donne et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit : /

1.1. La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, et a fortiori valoriser, des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple : /

a/ La publicité doit bannir toute évocation ou représentation de comportement contraire à la protection de l’environnement et à la préservation des ressources naturelles (gaspillage ou dégradation des ressources naturelles, endommagement de la biodiversité, pollution de l’air, de l’eau ou des sols, changement climatique, etc.), sauf dans le cas où il s’agit de le dénoncer.

b/ La publicité ne saurait inciter directement ou indirectement à des modes de consommation excessifs ou au gaspillage d’énergies et ressources naturelles. Elle ne saurait suggérer ou cautionner des agissements manifestement inconséquents ou irresponsables.

c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement (…) ».

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :

« 2.1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ; / 2.2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ; / 2.3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité (…) »

  • au titre de la proportionnalité ( point 3):

« 3.1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ; / 3.2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion. / 3.3. En particulier : (…) / b/ Le message publicitaire ne saurait suggérer indûment une absence totale d’impact négatif (…) »

  • au titre de la « clarté du message » (point 4) :

« 4.1. l’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées ; (…) / 4.3. Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation « Mentions et renvois » de l’ARPP (…) »

  • au titre du « vocabulaire » (point 7) :

« 7.1. Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable ; (…) / 7.3. Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à” ; / 7.4. Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur. »

Le Jury relève à titre liminaire que, si les associations plaignantes indiquent que la page contestée est accessible depuis une page intitulée : « Produire une énergie respectueuse du climat – Grâce à son mix énergétique, EDF produit une énergie propre et durable », seule la première est mise en cause dans la publicité.

En premier lieu, l’allégation selon laquelle le nucléaire est un « partenaire incontournable pour une société bas carbone » renvoie à l’idée que, sans le nucléaire, les besoins en électricité du pays devraient être couverts par des énergies fortement émettrices de CO2, comme les centrales thermiques. Il ressort de la « stratégie nationale bas carbone » (SNBC) et de la loi de transition énergétique de 2015, modifiée en 2019, que le recours à l’énergie nucléaire est indispensable pour atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050 que s’est fixé le législateur, et qu’il est seulement envisagé de réduire sa part à 50 % à l’horizon 2035, dans le cadre d’une politique volontariste de développement des énergies renouvelables. La SNBC indique ainsi qu’en cas de réduction drastique ou trop rapide de la production d’électricité d’origine nucléaire « la France serait en effet contrainte de construire jusqu’à une vingtaine de nouvelles centrales à gaz dans les sept prochaines années pour assurer la sécurité d’approvisionnement lors des pointes de consommation, conduisant à une augmentation forte et durable de nos émissions de gaz à effet de serre ». Ainsi que l’indique EDF, il ressort en outre du dernier rapport du Groupe d’experts internationaux sur le climat (GIEC) que les quatre trajectoires permettant de maintenir d’ici 2100 l’augmentation de la température globale sous la barre de +1,5 °C, et jusqu’à +2 °C, inclut toutes une augmentation du recours à l’énergie nucléaire. L’allégation contestée n’est donc pas contraire au principe de véracité, en l’état actuel des techniques de production d’énergie disponibles.

Il en va de même de l’allégation selon laquelle « le nucléaire permet de fournir de l’électricité à tout moment de la journée et de l’année ». En effet, le nucléaire représente environ 67 % de la production totale d’électricité en France, de sorte que, sans lui, l’alimentation électrique continue des résidences, bâtiments commerciaux et de services et installations industrielles et commerciales ne pourraient être assurée. Contrairement à ce que soutiennent les associations plaignantes, ce texte ne saurait être interprété comme prétendant qu’à elle seule, l’énergie nucléaire suffirait à l’approvisionnement en électricité. Il est constant en effet que, d’une part, les énergies renouvelables sont indispensables à cette alimentation dont elles représentent une part croissante, d’autre part, lors des pics de consommation, il reste nécessaire de recourir, à titre d’appoint, au parc de centrales thermiques et, enfin, que si la maintenance des centrales nucléaires peut rendre celles-ci temporairement indisponibles, celle-ci s’effectue par rotation, de sorte que la France reste constamment alimentée par de l’électricité d’origine nucléaire.

En troisième lieu, la publicité fait état, au titre de la « Sûreté », de ce que « Les centrales nucléaires françaises sont les installations industrielles les plus contrôlées et protégées ». Il ressort des observations produites par EDF et du document explicatif « Le nucléaire d’EDF en France, c’est quoi ? » auquel renvoie la page critiquée, que le parc nucléaire français fait l’objet de contrôles extrêmement rigoureux, tant internes qu’externes, en particulier de la part de l’Autorité de sûreté nucléaire, à raison de plus de 400 jours de contrôles par an, de manière programmée ou inopinée, de l’Agence internationale de l’énergie atomique et de l’association mondiale des exploitants nucléaires. En outre, la protection de ce parc est assurée par des mesures de sûreté – autour de trois fonctions de sûreté (contrôler la réaction en chaîne, refroidir le combustible et confiner la radioactivité) et de trois barrières de protection (gaine du combustible, circuit primaire et enceinte de confinement) et des mesures de sécurisation externe, notamment contre les intrusions et agressions, dont l’importance répond à la gravité des conséquences d’un incident. Dans ces conditions, et dès lors que les associations plaignantes n’indiquent pas quelles installations industrielles feraient l’objet de mesures de sécurité plus drastiques, le Jury est d’avis que cette allégation n’est pas de nature à induire en erreur le public.

En quatrième lieu, l’allégation « La part prépondérante du nucléaire dans le mix énergétique français permet l’indépendance énergétique du pays » constitue un raccourci approximatif dans la mesure où le taux d’indépendance énergétique de la France, qui correspond au rapport entre la production nationale d’énergies primaires (toutes sources confondues) et la consommation d’énergie primaire pour une année, est loin d’être de 100 %. Toutefois, le Jury constate qu’il est communément admis que la France assure son indépendance énergétique en raison du faible recours aux importations d’électricité, que permet la production d’énergie nucléaire sur son sol, et de la disponibilité sur le long terme de stocks de combustibles, bien que ces derniers soient extraits à l’étranger. Dans la mesure où cette indépendance serait compromise, au moins à court terme, par l’arrêt du recours au nucléaire, le Jury est d’avis que la présentation litigieuse n’est pas contraire au principe de véracité ou de proportionnalité.

Le Jury est d’un avis différent pour les deux dernières allégations mises en cause.

D’une part, la publicité en cause indique, au titre de la « Compétitivité », que « Grâce au nucléaire, le kWh en France est en moyenne 40% moins cher que dans les autres pays européens ». Ni la page litigieuse, ni les documents auxquels elle donne accès, ni les observations présentées par EDF ne permettent de comprendre l’origine de ce chiffre, le périmètre des « pays européens » pris en compte, et la méthodologie de calcul utilisée. Au surplus, le Jury n’est pas parvenu à identifier une source publiquement accessible faisant état d’un tel écart de prix au bénéfice du consommateur français. A titre d’exemple, la publication du ministère de la transition écologique de juin 2021 intitulée « Prix de l’électricité en France et dans l’Union européenne en 2020 » indique que « Le prix en France reste de 13 % inférieur à la moyenne de l’Union européenne, mais cet écart, qui était de 32 % en 2008, se réduit à nouveau ». Eu égard aux éléments dont il dispose, le Jury ne peut considérer l’allégation litigieuse comme justifiée.

D’autre part, l’allégation « Respect du climat : L’électricité produite à partir du nucléaire n’émet pas de CO2 » laisse entendre au consommateur que la production d’énergie nucléaire n’impliquerait aucune émission de dioxyde de carbone, y compris en tenant compte de l’ensemble du cycle de vie. Or comme l’a relevé le Jury dans son avis 373/15, il ne peut être prétendu que la totalité de l’électricité produite par les centrales nucléaires n’implique aucune émission de ce gaz. Il ressort ainsi du document « Le nucléaire d’EDF en France, c’est quoi ? » auquel renvoie la page du site internet en cause que le nucléaire produirait en émissions directes environ 12 g de CO2 / kWh, soit autant que les énergies renouvelables, « hors analyse du cycle de vie des moyens de production et des combustibles fossiles ». La formule litigieuse est donc de nature à induire en erreur le public sur la réalité des émissions de CO2 liées à l’énergie nucléaire.

Le Jury observe enfin que la page litigieuse ne prétend pas que le nucléaire constituerait une énergie « propre ». Dès l’instant qu’aucune règle déontologique ne faisait obligation à EDF d’évoquer d’elle-même les incidences environnementales négatives de l’énergie nucléaire, en particulier les contraintes liées à la gestion des déchets radioactifs, les griefs des associations plaignantes reprochant à l’annonceur d’avoir occulté cette réalité ne peuvent être accueillis.

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que cette campagne publicitaire méconnaît partiellement les dispositions précitées de la Recommandation « Développement durable ».

Avis adopté le 2 juillet 2021 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.

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