EASYJET – Affichage – Plaintes fondées – Révision rejetée

Avis publié le 29 mars 2022
EASYJET – 818/22
Plaintes fondées
Demande de révision rejetée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société EasyJet, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • l’avis délibéré ayant été adressé aux plaignants particuliers ainsi qu’à la société EasyJet, laquelle a introduit une demande de révision rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 15 et 22 décembre 2021, de deux plaintes émanant de particuliers, dont l’une regroupant plusieurs particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, diffusée en presse, en faveur de la société EasyJet, pour promouvoir son offre de flotte aérienne.

La publicité en cause montre un homme en costume et une femme en tenue de pilote d’avion, se tenant debout sur un tarmac d’aéroport. A l’arrière-plan, un avion de la compagnie EasyJet est stationné.

Le texte accompagnant cette image est « Notre ambition : des vols zéro émission de CO2, d’ici 2050 », « Pour atteindre cet objectif, nous collaborons avec Airbus et Wright Electric au développement d’avions dont les vols permettront zéro émission de CO2. Nous nous engageons à vous accueillir à bord de ces avions zéro émission dès que ces technologies innovantes nous le permettront ».

Au bas de l’image, une mention renvoie à la consultation du site de l’annonceur pour plus d’informations.

2. Les arguments échangés

L’un des plaignants considère qu’un certain nombre de données scientifiques viennent contredire les promesses faites dans la publicité et s’interroge sur l’existence de vols zéro émission d’ici 2050.

Selon lui, la création de tels avions reste hautement improbable, pour des raisons de physique de base et de ressources énergétiques et le CO2 émis par les avions ne représente que la moitié environ de la contribution de l’aviation au réchauffement planétaire (cf. référentiel ISAE-SUPAERO Aviation et climat – septembre 2021).

Il relève que le scénario actuellement envisageable techniquement considère des aéronefs à batteries pouvant emporter un maximum de 100 passagers sur 1 000 kilomètres d’ici 2030 et qu’un kilo de kérosène brûlé produit 3,83 kg de CO2. En France métropolitaine, où la situation est pourtant très favorable en comparaison avec d’autres pays, son équivalent énergétique d’origine électrique (12,8 kWh) représente encore 0,77 kg de CO2 émis, soit 19%. L’empreinte carbone d’un avion à batterie représenterait donc, au mieux, 19 % de celle d’un avion actuel, et non pas 0 %.

L’hydrogène produit actuellement provient à 95 % de composés carbonés d’origine fossile, procédé donc ici évidemment disqualifié. La production d’hydrogène vert demande de l’électricité, pour l’électrolyse, la liquéfaction et le transport, de sorte que 1 kWh d’hydrogène demande 1,8 kWh électriques. Ce facteur alourdira d’autant le bilan carbone d’une propulsion basée sur la combustion d’hydrogène, qui in fine est une consommation électrique.

Le trafic aérien en France émet 22 millions de tonnes de CO2 par an. L’ensemble des forêts françaises (170 000 km2) fixe un total estimé à 51 millions de tonnes par an. Compenser l’intégralité des émissions actuelles de l’aviation demanderait donc d’augmenter a minima de 44% la surface actuelle de nos forêts, soit l’équivalent de 13 de nos 96 départements de métropole.

Au-delà de cette réalité physique, la compensation est fortement décriée par de nombreux scientifiques.

En attendant et même après 2050, le souhait sous-jacent d’une publicité étant d’augmenter la vente de billets, les avions dégageant énormément de CO2 continueront de voler aux couleurs d’EasyJet même s’ils promettent qu’une partie de leurs avions seront plus propres.

Le second plaignant auquel sont associés plusieurs cosignataires particuliers, scientifiques et universitaires de deux campus, énonce que cette publicité est manifestement mensongère et contribue à obscurcir le débat sur les scénarios soutenables du transport aérien.

En effet, la création de tels avions reste hautement improbable, pour des raisons de physique de base et de ressources énergétiques.

La société EasyJet avait organisé une campagne publicitaire dans Le Monde avec des contenus en texte différents, tout en recyclant le même visuel photographique renvoyant au même site internet. Une première plainte a été déposée le 1er novembre par l’association internationale Stay Grounded et attaque l’affirmation de vols à émissions compensées.

Dans un Airbus A380 qui décolle rempli à plein, le kérosène représente 44 % du poids total.

Les plaignants s’interrogent sur la possibilité de remplacer le kérosène par des batteries. Ils relèvent que les meilleures batteries électriques du moment offrent une densité énergétique plus de dix fois inférieure à celle du kérosène et que le poids en batteries qu’il faudrait embarquer, de nos jours, pour remplacer le kérosène dépasse donc largement le poids d’un avion gros porteur électrique et le cloue donc au sol. Le scénario actuellement envisageable techniquement considère des aéronefs à batteries pouvant emporter un maximum de 100 passagers sur 1000 km d’ici 2030. Et il faudrait encore que l’électricité consommée par des avions à propulsion électrique provienne d’une source neutre en carbone. Un kg de kérosène brûlé produit 3,83 kg de CO2. En France métropolitaine, où la situation est pourtant très favorable en comparaison avec d’autres pays, son équivalent énergétique d’origine électrique (12,8 kWh), représente encore 0,77 kg CO2 émis, soit 19%. L’empreinte carbone d’un avion à batterie représenterait donc, au mieux, 19% de celle d’un avion actuel, et non pas 0%. L’avion gros porteur à batteries, challenge technologique majeur, sera donc bien loin d’être neutre en carbone.

Concernant l’utilisation de l’hydrogène comme carburant, les plaignants relèvent que l’hydrogène vert, comme l’électricité, est un vecteur énergétique et non une source d’énergie. Sa production demande de l’électricité, 1 kWh d’hydrogène demandant a minima 1,8 kWh électriques. Pour situer les ordres de grandeur énergétiques, les aéroports commerciaux distribuent actuellement un total de plus de 33000 tonnes de kérosène par heure. En supposant le rendement énergétique de l’hydrogène dans un réacteur d’avion égal à celui du kérosène, l’alimentation de la flotte aérienne mondiale actuelle nécessiterait une bande de panneaux photovoltaïques d’une douzaine de km de large traversant le Sahara d’est en ouest. L’alimentation nucléaire nécessiterait plusieurs centaines de réacteurs EPR, dont six ou sept pour alimenter le seul aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle.

Les plaignants contestent donc la probabilité d’une construction de tant d’infrastructures pour le seul secteur du transport aérien.

Concernant les biocarburants, les plaignants signalent que l’humanité brûle, pour faire voler ses avions, 290 millions de tonnes de kérosène par an. Dans le même temps, elle produit 44 millions TEP de bioethanol, et 19 millions TEP de biodiesel. Cette production ne représente pas le dixième des carburants fossiles utilisés au sol. Alimenter la flotte aérienne par agrocarburants est donc parfaitement chimérique, d’autant que la production de ces agrocarburants est très loin d’être neutre en carbone.

Concernant une éventuelle compensation carbone, les plaignants estiment que la publicité est sibylline : planter de nouvelles forêts cache le plus souvent un dispositif de contournement des efforts intrinsèquement nécessaires de décarbonation, dispositif variable au cours du temps, sans fiabilité sur la durée (incendies, etc..) et extrêmement préoccupant sur l’usage mondial des sols. Le trafic aérien en France envoie en l’air 22 millions de tonnes de CO2 par an. L’ensemble des forêts françaises (170 000 km2) fixe un total estimé à 51 millions de tonnes par an. Compenser l’intégralité des émissions actuelles de l’aviation demanderait donc d’augmenter a minima de 44% la surface actuelle de nos forêts, soit l’équivalent de 13 de nos 96 départements de métropole. Ils s’interrogent à nouveau sur cette probabilité.

Enfin, les plaignants relèvent que le lien sur la page de publicité a renvoyé à des contenus différents :  le 3 novembre, il montrait le recyclage des bouteilles plastiques consommées à bord en uniformes d’équipage, le 10 décembre, la vidéo était précédée d’un discours sur la compensation carbone et la reforestation tropicale. A plusieurs reprises, la mention « Erreur 404 » s’affichait.

Ils rappellent que, selon le GIEC, la trajectoire qui permet de contenir le réchauffement climatique à 1.5°C nécessite de viser la neutralité carbone (émissions nettes 0) d’ici 2050, ce qui implique de diviser par 2 nos émissions tous les 10 ans. Or ce genre de publicité conforte selon eux le lecteur dans l’idée qu’il est possible d’attendre 2050 que la technologie et les entreprises vertueuses nous tirent d’affaire, sans qu’il soit nécessaire de changer de comportement.

La société EasyJet a été informée, par courriel avec accusé de réception du 15 janvier 2022, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 13 du règlement intérieur du Jury. Toutefois, conformément à ces dispositions, la société a sollicité dans le délai imparti la tenue d’une séance. Il a été fait droit à cette demande.

La société EasyJet considère que la publication est en conformité avec les Recommandations de l’ARPP et en particulier la Recommandation « Développement Durable », en ce compris notamment les principes de véracité, clarté et proportionnalité : les vols avec zéro émission de CO2 sont bien envisageables : le contenu de la publication est exact et clair.

Les plaignants font reposer leur argumentaire principalement sur des citations partielles du référentiel ISAE-SUPAERO Aviation et climat – septembre 2021. Ils emploient des termes généraux tels que « l’empreinte carbone d’un avion », « le CO2 émis par les avions » et « des vols zéro émission » sans préciser de quelles émissions il s’agit, et affirment que « la création de tels avions reste hautement improbable ».

Or, la publication énonce avec clarté et véracité les objectifs poursuivis par EasyJet. Il y est clairement énoncé qu’EasyJet a pour ambition d’atteindre un objectif de zéro émission de dioxyde de carbone (CO2) en vol. La définition du « vol » retenue par le jury de déontologie dans son avis 735/21 « union des aéroports français » est l’utilisation même de l’avion (décollage, vol, atterrissage et déplacements au sol), résultant principalement de la combustion du kérosène, à l’exclusion des émissions inhérentes au cycle de vie de l’avion, de sa fabrication à son élimination ou son recyclage.

La publication est très claire sur le fait qu’elle traite d’un objectif de vols qui ne produiront pas d’émission de dioxyde de carbone (CO2). La formulation claire et non ambigüe est affirmée à deux reprises, dans une taille suffisante, normalement espacée, et dans une police permettant une lecture aisée. Le développement d’avions zéro émissions de CO2 d’ici à 2050 est un objectif qui est reconnu comme atteignable par le secteur de l’aviation, et qui est salué par l’OACI.

De plus, le rapport cité par les plaignants (le référentiel ISAE-SUPAERO Aviation et climat – septembre 2021) confirme que cet objectif d’avions émettant zéro émission de CO2 en vol est atteignable en 2050.

Il est indiqué au chapitre 6, partie 6.1, pages 91-92 de ce document que : « L’intérêt climatique d’un avion tout-électrique est que l’avion n’a aucune émission pendant le vol : puisqu’aucun kérosène n’est brûlé, les émissions de CO2, de NOx, de vapeur d’eau et de particules fines sont totalement supprimées, ne causant ainsi aucun impact climatique pendant le vol […] Eviation prévoit de mettre en service en 2022 un avion tout électrique, Alice, qui transportera 9 passagers sur 1000 km […] et que « des ingénieurs de la NASA concluent quant à eux qu’un « grand avion transsonique » tout électrique ne pourra pas entrer en service avant 2045 ».

S’agissant des avions à hydrogène, il est indiqué en partie 6.2 pages 95-96 du document que « Dans le cas d’une pile à combustible, qu’il faut aussi produire, cette dernière ne génère que de l’eau et son impact climatique dépend des conditions dans lesquelles elle est rejetée. Le cas de l’hydrogène utilisé dans une turbine à gaz est différent. La combustion de l’hydrogène continue à générer des NOx ainsi que de l’eau mais les autres émissions (CO2, SOx, suie) sont supprimées […] Ils étudient aussi des scénarios de transition vers une flotte d’avions à hydrogène avec des mises en service progressives d’avions à hydrogène à partir de 2015–2020, et aboutissent à la conclusion d’une réduction de l’impact climatique à horizon 2050 entre 15 et 50 % dans un contexte de hausse du trafic. En regard de cette hypothèse sur la date de mise en service, il est intéressant de noter qu’Airbus dans son plan ZEROe et Clean Sky dans son dernier rapport prévoient des mises en service entre 2030 et 2040 ».

Les plaintes elles-mêmes mentionnent que d’ici 2030 il sera techniquement envisageable pour des avions à batteries de transporter 100 passagers sur 1000 kilomètres. Airbus affiche une volonté de développer des avions permettant des vols commerciaux zéro émission d’ici 2035.

Il résulte donc, du rapport cité par les plaignants et des éléments mentionnés ci-dessus, que la publication est conforme au principe de véracité et de clarté de la Recommandation de l’ARRP.

La publication énonce de façon juste et proportionnée les actions entreprises par easyJet.

Il est clairement énoncé que l’utilisation d’avions ne produisant aucune émission de CO2 en vol, qui est l’objectif d’EasyJet, est subordonnée à leur existence, puisqu’EasyJet indique en caractères lisibles « dès que ces technologies innovantes nous le permettront ». Le terme «ambition», utilisé en majuscule, gras, police lisible et espacement suffisant, est défini par le Larousse en ligne comme « le désir ardent de parvenir à (faire) quelque chose » et le terme « objectif » est défini comme le « but, cible, que quelque chose doit atteindre ».

De plus, EasyJet fait une référence directe aux partenariats qu’elle a noués avec Wright Electric et avec Airbus en vue d’atteindre cet objectif. EasyJet a en particulier signé un protocole d’accord avec Airbus concernant la recherche sur les avions électriques, hybrides-électriques et à hydrogène. L’objectif de ce partenariat est d’étudier les possibilités et les contraintes opérationnelles et en termes d’infrastructures, liées aux nouvelles technologies de propulsion. Le partenariat avec Wright Electric vise à soutenir le développement d’une technologie de propulsion électrique qui pourrait être alimentée par des batteries ou de l’hydrogène, notamment en fournissant un point de vue opérationnel sur la façon dont ces futurs avions seraient utilisés dans le cadre du modèle économique et du réseau de destinations easyJet.

EasyJet a également participé au Airbus Summit en septembre 2021, qui avait pour thème l’aéronautique plus responsable et abordait le sujet de la décarbonisation.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la publication ne prête pas à confusion et présente clairement et de manière proportionnée le fait que les avions permettant des vols avec zéro émission de CO2 sont un concept en cours de développement : EasyJet n’affirme donc pas que de tels avions existent d’ores et déjà, mais que la société a l’ambition de proposer de tels vols, dès que les technologies développées notamment avec ses partenaires le permettront, d’ici 2050.

Par ailleurs en présentant un objectif d’ici 2050, la publication ne minimise par les conséquences de la consommation des voyages en avion en 2022.

Quant aux allégations des plaignants concernant la compensation carbone, elles sont sans rapport avec la publication, qui n’y fait aucunement référence.

Il résulte donc tant du vocabulaire employé et de la véracité des actions entreprises que de la clarté et proportionnalité du message, qu’EasyJet se conforme aux recommandations de l’ARPP et en particulier à la recommandation « Développement Durable ».

Lors de la séance, la société Easyjet a confirmé ces éléments et insisté sur le fait que la publicité critiquée n’évoquait que l’utilisation de l’avion (décollage, vol et atterrissage) et se référait à l’absence d’émission de CO2 au cours de cette phase.

Le Groupe Le Monde a également été informé, par courriel avec accusé de réception du 15 janvier 2022, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Le Groupe Le Monde et M Publicité ont indiqué que la publicité en cause contrevenait à la réglementation applicable et regretté d’avoir manqué de vigilance. Des actions de sensibilisation sur la Recommandation de l’ARPP « Développement durable » ont été programmées auprès des équipes de la régie.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1) : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social à un moment donné et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. »
  • au titre de la véracité des actions (point 2) :
    • « 1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ;
    • 3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; (…) » 
  • au titre de la proportionnalité (point 3):
    • « 1. Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments transmissibles. / La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit ;
    • 2. Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion; »
  • au titre de la « clarté du message » (point 4):
    • « 1. L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées ;
    • (…) 4.3. lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation « Mentions et renvois» de l’ARPP ; »
  • au titre du « vocabulaire » (point 7) : « 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable».

Le Jury rappelle à titre liminaire que la Recommandation « Développement durable » n’a pas pour objet d’interdire aux entreprises, notamment celles du transport aérien, de valoriser les actions qu’elles mènent en matière environnementale. Elle fixe en revanche un cadre déontologique que ces dernières doivent respecter afin de ne pas dégrader la confiance que le consommateur peut porter tant à l’activité commerciale qu’à sa promotion publicitaire et de ne pas induire ce dernier en erreur, en altérant abusivement les comportements d’achat ou en affectant la loyauté de la concurrence entre opérateurs. A cet égard, en raison de l’impact environnemental du transport aérien et de la très forte sensibilité du corps social à cette question, qu’il appartient au Jury de prendre en compte conformément au point 1 de la Recommandation, les compagnies aériennes doivent faire preuve d’une particulière vigilance dans la formulation des allégations écologiques figurant dans des publicités qu’elles diffusent.

Le Jury relève que la publicité en cause fait la promotion de la compagnie EasyJet et, plus particulièrement, de son programme de limitation des émissions carbone par une présentation prospective de l’ambition de l’entreprise : « des vols zéro émission de CO2 d’ici 2050 ».

L’encart publicitaire diffusé par voie de presse présente une photographie en pleine page d’une femme et un homme en tenue de pilote devant un avion de la compagnie. Sous le slogan imprimé sur fond de ciel « Notre ambition : des vols zéro émission de CO2 d’ici 2050 », apparaît le texte suivant : « Pour atteindre cet objectif, nous collaborons avec Airbus et Wright Electric au développement d’avions dont les vols permettront zéro émission de CO2. Nous nous engageons à vous accueillir à bord de ces avions zéro émission dès que ces technologies innovantes nous le permettront ».

Le Jury considère que, s’il est clairement énoncé que la réalisation de vols « zéro émission » n’est qu’un objectif futur pour la société, à un horizon éloigné, la présentation générale des allégations soulève une double difficulté.

D’une part, le Jury constate que la notion de « vol », telle qu’elle apparaît dans la première partie du texte n’est pas explicitée, sinon par la phrase suivante évoquant des « avions zéro émission » accueillant le public. Or à défaut de précision sémantique, l’allégation « vol zéro émission » et, plus encore, « avion zéro émission », renvoie, pour le consommateur, à l’idée qu’il pourra prendre l’avion sans que son comportement n’entraîne aucune production de CO2, tant s’agissant de l’utilisation même de l’avion (décollage, vol, atterrissage et déplacements au sol), que du cycle de vie de celui-ci, de sa fabrication à son élimination ou son recyclage. De telles allégations ne correspondent pas à la réalité ni même, selon ses propres déclarations, aux objectifs de la société lesquels ne visent que l’utilisation d’avions ne produisant aucune émission « en vol » (y compris le décollage et l’atterrissage) et non sur la totalité de son cycle de vie. Le Jury note que le format de la publicité n’empêchait pas d’apporter cette précision afin de lever toute ambiguïté.

D’autre part, les messages publicitaires par lesquels une entreprise affiche une ambition quant à la performance de ses produits ou services en matière de développement durable à un horizon de temps éloigné doivent respecter les exigences déontologiques applicables. D’une part, afin de respecter les exigences de véracité, de proportionnalité et de loyauté, l’objectif annoncé doit reposer sur des éléments solides, objectifs et vérifiables attestant de la crédibilité de la trajectoire qu’il implique. A défaut d’un tel encadrement, toute entreprise pourrait en effet librement afficher des ambitions environnementales flatteuses à long terme, quand bien même ne reposeraient-elles sur aucune réalité, en en recueillant les bénéfices à court terme sur le plan marketing. D’autre part, le point 4.2 de la Recommandation « Développement durable », qui prévoit que, « si l’argument publicitaire n’est valable que dans un contexte particulier, ce dernier doit être présenté clairement », implique que, dans la mesure où cela serait nécessaire et pertinent, la publicité présente clairement les conditions particulières qui devraient être réunies pour que l’objectif puisse être atteint, ou procède à un renvoi à un support les exposant.

En l’espèce, le Jury constate que la société étaye l’ambition qu’elle affiche par un partenariat qu’elle a conclu avec Airbus et Wright Electric, dont elle n’a pu fournir la consistance, couverte par le secret des affaires. La publicité renvoie en outre à la page de son site internet intitulée « Voyageons mieux », essentiellement consacrée aux mesures déjà effectives de réduction d’émissions et au programme de compensation carbone, mais qui comporte un encart cliquable « L’avenir du voyage » renvoyant à une autre page sur laquelle est fournie une description sommaire et hypothétique de « l’avion du futur », ainsi qu’un nouveau renvoi aux sites web d’Airbus et de Wright Electric. Or le Jury relève que le référentiel ISAE-SUPAERO Aviation et climat publié en septembre 2021, auquel se réfèrent tant la société que les plaignants, met en évidence de nombreuses hypothèques qui pèsent sur la capacité du secteur aérien à diminuer rapidement et fortement ses émissions de CO2, limites affectant aussi bien les ressources énergétiques que la vitesse de déploiement des solutions technologiques (cf. synthèse de l’étude, page 14).

S’il n’entend nullement remettre en cause les efforts que consent la société pour parvenir aux objectifs qu’elle s’est fixés ni, évidemment, l’ambition elle-même, le Jury estime que, eu égard à l’horizon de temps très éloigné auquel se réfère la publicité et aux fortes incertitudes qui pèsent sur la possibilité de mettre en service, à cette échéance, des avions n’émettant en vol aucune émission de gaz à effet de serre, l’exigence de clarté du message figurant au point 4.2. exigeait qu’il comportât un renvoi direct à un contenu clair permettant au public d’apprécier le contexte particulier qui serait nécessaire pour que l’objectif fixé soit atteint.

Le Jury est donc d’avis que la publicité critiquée méconnaît dans cette mesure les règles déontologiques précitées.

Avis adopté le 4 février 2022 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Boissier, Charlot et Lenain ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.

Pour visualiser les publicités EasyJet, cliquez ici.

La société EasyJet, à laquelle l’avis du JDP a été communiqué le 23 février 2022, a adressé, le 9 mars suivant, une demande de révision sur le fondement de l’article 22 du Règlement intérieur du Jury. Celle-ci a été rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis, laquelle a été communiquée aux parties le 25 mars 2022.

DECISION DU REVISEUR DE LA DEONTOLOGIE PUBLICITAIRE

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 15 et 22 décembre 2021, de deux plaintes émanant de particuliers, dont l’une regroupant plusieurs plaignants, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, diffusée par voie de presse, en faveur de la société EasyJet, pour promouvoir son offre de flotte aérienne.

Le JDP, par un avis délibéré le 4 février 2022, a estimé que la publicité critiquée méconnaît les règles déontologiques contenues dans la Recommandation Développement durable de l’ARPP.

Par un recours, introduit dans les délais requis, l’annonceur EasyJet demande la Révision de cet avis, à l’encontre duquel il soulève une critique sérieuse et légitime, relative à l’application ou à l’interprétation d’une règle déontologique, et portant sur le sens de l’avis ou sur la nature des griefs retenus ou écartés par le Jury.

Conformément au Règlement du JDP, le Réviseur de la déontologie publicitaire s’est rapproché du Président de la séance du Jury qui a délibéré l’avis en cause et il a procédé avec lui à une analyse contradictoire des faits et arguments sur lesquels le JDP a fondé son avis.

Le Réviseur, après analyse approfondie de l’ensemble des éléments du dossier, est dès lors en mesure d’apporter les réponses suivantes au recours en Révision ainsi qu’aux moyens et griefs qui sont invoqués à l’appui de ce recours.

Le Jury, dans l’avis contesté, considère que, s’il est clairement énoncé par la publicité en cause que la réalisation de vols « zéro émission » n’est qu’un objectif futur pour la société, à un horizon éloigné, la présentation générale des allégations soulève une double difficulté. Il s’agit des deux points successivement contestés par l’annonceur en Révision.

A) En premier lieu, “le Jury constate que la notion de « vol », telle qu’elle apparaît dans la première partie du texte n’est pas explicitée, sinon par la phrase suivante évoquant des « avions zéro émission » accueillant le public. Or à défaut de précision sémantique, l’allégation « vol zéro émission » et, plus encore, « avion zéro émission », renvoie, pour le consommateur, à l’idée qu’il pourra prendre l’avion sans que son comportement n’entraîne aucune production de CO2, tant s’agissant de l’utilisation même de l’avion (décollage, vol, atterrissage et déplacements au sol), que du cycle de vie de celui-ci, de sa fabrication à son élimination ou son recyclage.”

Le Jury en déduit que “de telles allégations ne correspondent pas à la réalité ni même, selon ses propres déclarations, aux objectifs de la société lesquels ne visent que l’utilisation d’avions ne produisant aucune émission « en vol » (y compris le décollage et l’atterrissage) et non sur la totalité de son cycle de vie”, ajoutant enfin que “le format de la publicité n’empêchait pas d’apporter cette précision afin de lever toute ambiguïté”.

1) Le débat que soulève l’annonceur peut être ainsi résumé : en quel sens faut-il entendre, pour un trajet aérien, le vocable “vol”, lequel en français peut avoir deux significations (au moins).

Pour le Jury – comme on l’a vu – un “vol zéro émission” implique de prendre en compte, non seulement les émissions de CO 2 résultant de l’utilisation de l’avion (décollage, trajet, atterrissage et déplacements au sol), mais encore l’ensemble du cycle de vie de l’aéronef, de sa fabrication à son élimination ou à son recyclage (c’est l’interprétation large du mot “vol”).

Pour EasyJet, le “vol” d’un avion ne vise au contraire que sa seule utilisation (interprétation étroite de “vol”).

Il faut reconnaître que, littéralement parlant, l’une ou l’autre interprétation peut être soutenue, du moins quand on s’en tient au seul mot “vol”. Par voie de conséquence, l’un ou l’autre sens ne peut finalement résulter que du contexte dans lequel ce terme “vol” est utilisé.

De ce point de vue, l’avis contesté remarque d’abord “que la notion de « vol », telle qu’elle apparaît dans la première partie du texte n’est pas explicitée”. C’est pourquoi, recherchant aussitôt, et à juste titre, une explication tirée du contexte, le Jury s’appuie sur la phrase immédiatement suivante dans la publicité, celle qui mentionne des « avions zéro émission » pouvant (un jour futur) accueillir les clients d’EasyJet.

Et là, l’hésitation disparaît, levant toute ambiguïté :  la qualité “zéro émission” d’un avion ne peut en effet s’apprécier qu’en tenant compte de la totalité de son cycle de vie, “du berceau au tombeau”.

Face à cette acception large, l’annonceur ne conteste pas (et même revendique) que son allégation – au surplus promise “d’ici 2050” – ne s’appliquera au mieux qu’aux seules phases durant lesquelles ses avions voleront (“vol” stricto sensu). Il en résulte que cette formulation, par son ambiguïté sur le sens du mot “vol”, méconnait les exigences de véracité et de clarté posées par la Recommandation Développement durable de l’ARPP.

2) Par ailleurs, le fait que certains extraits de presse ou les travaux de l’ADEME (produits ou cités par l’annonceur) excluent “de manière expresse la construction des véhicules et des infrastructures” est sans influence sur la solution à donner au présent litige, dès lors que ni les articles de presse ni les travaux scientifiques n’ont vocation à être soumis au respect de la déontologie publicitaire (hormis le cas où ils seraient utilisés dans une publicité).

3) Enfin, si, comme le soutient l’annonceur, le JDP, dans un avis précédent (735/21 “Union des aéroports de Paris”), a considéré que l’allégation “avion vert” pour désigner un futur avion à hydrogène n’enfreignait pas la déontologie, c’est après avoir explicitement constaté que cette mention faisait référence au seul “transport aérien” (expression mentionnée ainsi à deux reprises dans le message publicitaire en cause dans ce dossier) : là encore c’est le contexte de la publicité qui a guidé le raisonnement du Jury et l’a conduit, dans les circonstances de l’espèce, à admettre la conformité de la mention “avion vert” à la déontologie en vigueur.

Au total, dans son avis EasyJet contesté, le JDP n’a pas procédé à des appréciations, à des interprétations ou à des constatations manifestement erronées quand il a analysé aussi bien la publicité en cause (ses allégations et leur contexte) que la déontologie publicitaire applicable à ce litige.

B) En second lieu, une fois tranchée cette question du sens du mot “vol”, se pose la question de la crédibilité de la promesse principale formulée par EasyJet dans sa publicité : « Notre ambition : des vols zéro émission de CO2 d’ici 2050 ».

Le Jury ne conteste pas le principe d’un message publicitaire exprimant une ambition forte ou lointaine (ou les deux à la fois). Mais il rappelle que, dans ces cas, la déontologie publicitaire comporte des exigences destinées notamment à protéger les consommateurs et à garantir l’équité de la concurrence.

A ce titre, plus la promesse est ambitieuse d’une part, plus éloigné ou incertain est son terme de réalisation d’autre part, alors plus la publicité qui s’en prévaut doit – sauf à induire en erreur le consommateur – reposer sur des “éléments solides, objectifs et vérifiables au moment de la publicité” (Point 2.3. de la Recommandation Développement durable de l’ARPP).

En effet ces obligations, comme le rappelle l’avis contesté, ont pour objet fondamental d’éviter de “dégrader la confiance que le consommateur peut porter tant à l’activité commerciale qu’à sa promotion publicitaire et de ne pas induire ce dernier en erreur, en altérant abusivement les comportements d’achat ou en affectant la loyauté de la concurrence entre opérateurs.”

Car, comme le souligne l’avis en litige, “à défaut d’un tel encadrement, toute entreprise pourrait en effet librement afficher des ambitions environnementales flatteuses à long terme, quand bien [même] ne reposeraient-elles sur aucune réalité, en en recueillant les bénéfices à court terme sur le plan marketing.”

1) Au regard de ces exigences, le message publicitaire principal d’EasyJet ne comporte aucune précision expliquant ou justifiant solidement la promesse alléguée.

Certes, en bas du visuel, une mention littérale renvoie – en très petits caractères, par rapport à ceux utilisés dans le message publicitaire proprement dit – à une page du site Internet de l’annonceur intitulée “Voyageons mieux”.

Mais comme l’analyse avec précision l’avis contesté, cette page, pour l’essentiel, est “consacrée aux mesures déjà effectives de réduction d’émissions et au programme de compensation carbone” mis en œuvre par EasyJet.

2) De la même manière, le Jury a bien pris en compte “le référentiel ISAE-SUPAERO Aviation et climat” publié en septembre 2021, auquel se réfèrent tant la société EasyJet que les plaignants. Le JDP a analysé ce document de manière nuancée, pour mettre en balance les promesses relatives à cet “avion du futur” et les “hypothèques” qui pèsent sur cette ambition.

Dans son recours en Révision, l’annonceur ne démontre pas que, dans les analyses auxquelles il a ainsi procédé, le Jury aurait dénaturé le contenu de ces divers documents, ou qu’il en aurait tiré des conclusions grossièrement erronées.

3) Enfin, l’annonceur n’est pas fondé à soutenir que le Jury aurait “fait une confusion entre la disponibilité des avions n’émettant aucun CO2 en vol et leur potentielle utilisation par EasyJet avec la possibilité pour l’entièreté du secteur aérien d’utiliser d’ici 2050 des avions n’émettant aucune émission de CO2.”

Bien au contraire, l’avis contesté fait à plusieurs reprises référence aux allégations ou documents fournis par l’annonceur et propres à sa situation ou à ses ambitions ; en outre, l’avis précise notamment que le Jury “n’entend nullement remettre en cause les efforts que consent la société pour parvenir aux objectifs qu’elle s’est fixés ni, évidemment, l’ambition elle-même” – ce qui suffit à réfuter le grief selon lequel l’avis n’aurait pas distingué EasyJet de “l’entièreté du secteur aérien”.

C) Des analyses qui précèdent il résulte que :

  • la demande de Révision de la société EasyJet est recevable et à ce titre sera mentionnée dans la rédaction finale de l’Avis du Jury ;
  • aucune critique sérieuse ou légitime (au sens de l’Article 22.1 du Règlement du JDP) invoquée contre l’Avis en litige ne peut être considérée comme fondée.

Par suite, il n’y a pas lieu de procéder à une seconde délibération de l’affaire en cause.

Il n’y a pas lieu non plus de réformer l’Avis contesté, sauf :

  • pour y mentionner la demande de Révision comme indiqué ci-dessus,
  • pour y adjoindre en annexe la présente réponse.

Dès lors et pour conclure, l’Avis en cause ainsi complété (pour mentionner le recours en Révision et la présente réponse) deviendra définitif et il sera publié – accompagné de la présente décision, laquelle constitue la réponse du Réviseur de la Déontologie Publicitaire à la demande d’EasyJet.

Alain GRANGE-CABANE

Réviseur de la déontologie Publicitaire