EARTHWAKE – Internet – Plainte non fondée

Avis publié le 10 novembre 2022
EARTHWAKE – 874/22
Plainte non fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 22 juillet 2022, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de l’association Earthwake, pour promouvoir sa technologie de revalorisation énergétique des déchets plastiques.

La publicité en cause, diffusée sur le site Internet de l’association, énonce « … Être un laboratoire et un incubateur d’innovations low-tech, accessibles à tous, au service de la valorisation des déchets dans le monde … ».

Les allégations également mises en cause concernent la Chrysalis : « basée sur la pyrolyse, une combustion sans oxygène bien connue, […] la première machine permettant de recycler les déchets plastiques en carburant, dans un format réduit, mobile, et pour un prix abordable. » Pour 100% de plastique récupéré, ils indiquent que la machine est capable de produire « 65% de diesel [d’origine fossile], 15% d’essence [d’origine fossile], 15% de gaz [d’origine fossile] et 5% de charbon [d’origine fossile]. » ainsi que « Après plusieurs années de R&D, la Chrysalis est aujourd’hui opérationnelle et sert un modèle d’économie circulaire performant ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant énonce que l’ADEME définit les low-tech comme « une démarche innovante et inventive de conception et d’évolution de produits, de services, de procédés ou de systèmes qui vise à maximiser leur utilité sociale, et dont l’impact environnemental n’excède pas les limites locales et planétaires. La démarche low-tech implique un questionnement du besoin visant à ne garder que l’essentiel, la réduction de la complexité technologique, l’entretien de ce qui existe plutôt que son remplacement. La démarche low-tech permet également au plus grand nombre d’accéder aux réponses qu’elle produit et d’en maîtriser leurs contenus. »

L’ADEME classe les low-tech comme sous-catégorie de l’économie circulaire.

Selon lui, la communication de Earthwake est trompeuse tant sur le plan de l’économie circulaire que des low-tech.

Premièrement, continuer à favoriser entre autres, le dérèglement du cycle du carbone via la combustion d’essence, de diesel, de gaz et de charbon d’origine plastique pétrosourcé (donc fossile) n’est absolument pas de l’économie circulaire à l’échelle de temps humaine.

Deuxièmement, contrairement à leurs propos, il n’y a en réalité aucune réduction des émissions de gaz à effet de serre au global, mais bien une augmentation de ces dernières. En effet, l’histoire de l’énergie montre clairement qu’aucune source d’énergie n’en remplace une autre, elles s’empilent (voir le mix énergétique mondial actuel et les travaux de Jean-Baptiste Fressoz : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00956441/document). Ici, l’utilisation de l’essence et du diesel plastique ne viennent donc pas remplacer l’utilisation des carburants traditionnels, tel qu’on veut nous le faire croire, elles viennent malheureusement s’y ajouter.

Troisièmement, ce projet ne respecte pas les principes de la démarche low-tech évoqués dans la définition de l’ADEME, puisque la Chrysalis a un impact environnemental qui excède largement les limites locales et planétaires telles qu’entendues par le Stockholm Resilience Centre (https://www.stockholmresilience.org/research/planetary-boundaries/the-nine-planetary-boundaries.html).

Le plaignant rappelle enfin que le monde se trouve dans une urgence climatique telle que tout prolongement du système basé sur la combustion des énergies fossiles devrait être banni.

Earthwake n’a pas présenté d’observations.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, prévoit que :

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :

« 2.1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ; / 2.2. Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ; / 2.3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité (…) »

  • au titre de la proportionnalité du message (point 3) :

« 3.1 Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissibles. (…) /

3.2 Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion. (…) ».

  • au titre de la clarté du message (point 4) :

« 4.1. L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées ; (…) / 4.3. Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation « Mentions et renvois » de l’ARPP (…) »

  • au titre du vocabulaire (point 7) :

« 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable.

7.2 Lorsque les termes et expressions utilisés font l’objet d’une définition fixée par une norme, ils doivent être employés dans un sens qui correspond à cette définition.

7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”.

7.4 Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur.

7.5 Le vocabulaire technique, scientifique, ou juridique, peut être utilisé s’il est approprié et compréhensible pour les personnes auxquelles s’adresse le message publicitaire.

 Le Jury relève que la dénomination Earthwake correspond à deux entités : Earthwake Entreprise, qui assure le développement industriel et commercial de solutions de revalorisation énergétique des déchets plastiques, dont la première est la « Chrysalis » ; et Earthwake association, qui entend promouvoir la lutte contre les déchets plastiques et leurs conséquences néfastes sur le plan environnemental, sanitaire et social, dans le monde.

La publicité en cause a pour objet de présenter et valoriser les actions des entités Earthwake, qualifiées de « laboratoire et (…) incubateur d’innovations low-tech », et en particulier, de la Chrysalis, dont la conception est présentée comme « volontairement Low-tech ». Cette solution, basée sur la pyrolyse, consiste à transformer les déchets plastiques en carburant, à raison, en moyenne, de 65 % de diesel, de 15 % d’essence, de 15 % de gaz et de 5 % de charbon. Le site internet allègue ainsi que la Chrysalis « sert un modèle d’économie circulaire performant ».

S’agissant de l’utilisation du terme low-tech en publicité

Le Jury constate qu’il n’existe ni définition officielle de l’expression « low-tech » (qui se traduit littéralement par « basse technologie »), laquelle n’appartient pas au « vocabulaire technique, scientifique, ou juridique » mentionné au point 7.5 de la Recommandation « Développement durable », ni de norme encadrant le recours à cette notion au sens du point 7.2. Dans son rapport de mars 2022 « Démarches « Low-tech » – Etat des lieux et perspectives », l’ADEME indique ainsi que « le concept de low-tech est mouvant et en construction », que « les définitions existantes sont diverses et parfois floues » et que « Bien que plusieurs acteurs aient déjà proposé des éléments de définition, il n’en existe actuellement pas qui soit unanimement partagée ». La définition proposée par l’ADEME dans ce document (« L’approche low-tech, parfois appelée innovation frugale, est une démarche innovante et inventive de conception et d’évolution de produits, de services, de procédés ou de systèmes qui vise à maximiser leur utilité sociale, et dont l’impact environnemental n’excède pas les limites locales et planétaires ») n’a fait l’objet d’aucune forme d’homologation ou de reconnaissance officielle, et constitue seulement une contribution à la réflexion sur ce concept.

Il ressort toutefois de ce document et de sources publiquement disponibles que la qualification de « low-tech » est en général attachée à des démarches qui répondent à trois critères : l’utilité, la durabilité et l’accessibilité. Chacun de ces critères comporte des exigences qui peuvent ne pas toutes être remplies :

  • l’utilité consiste à satisfaire un besoin social avéré et d’une certaine importance, en excluant le superflu et les « gadgets » ;
  • la durabilité suppose une certaine robustesse, une réparabilité aisée, soit par le détenteur lui-même, soit par des services aisément accessibles, la recyclabilité du produit et la sobriété énergétique ;
  • l’accessibilité passe par la recherche de la simplicité ou, à tout le moins, de la complexité technique la plus limitée possible pour satisfaire le besoin, la recherche d’une certaine autonomie de l’utilisateur dans la fabrication, l’utilisation et/ou la maintenance du produit (qui fait écho au critère de durabilité), ainsi qu’un coût aussi abordable que possible.

Peuvent y être associées, selon les points de vue, des considérations tenant à la recherche du compromis entre efficacité et convivialité, au questionnement sur l’intérêt même d’une technologie et sur la notion d’innovation, à la « frugalité », ou encore à l’utilisation de ressources locales et à l’abondance de celles-ci. Si la démarche low-tech entend s’inscrire dans l’effort collectif de limitation de l’impact environnemental des produits et services et se déployer en tenant compte des contraintes de ressources et des conséquences écologiques de la production et de la consommation de biens, et si, en conséquence, une telle allégation constitue en principe un argument écologique au sens de la Recommandation « Développement durable », elle n’équivaut pas, dans l’esprit du public, à l’idée que le produit ou le service qui en relève serait respectueux de l’environnement, dépourvu d’incidence environnementale ni même écologiquement viable sur le long terme.

En présence d’une notion particulièrement nébuleuse et en construction, dont la définition est, en elle-même, un objet de débat, le Jury considère qu’un annonceur peut, dans une communication publicitaire, recourir à l’allégation « low-tech » pour désigner sa démarche à une double condition :

  • d’une part, conformément aux règles de clarté du message (point 4.1 en particulier), la publicité doit indiquer en quoi les activités, les produits ou les services promus présentent la qualité ainsi revendiquée : il peut s’agir d’une définition du concept ou de précisions sur le sens que l’annonceur entend lui conférer dans le contexte de sa publicité, qui peuvent figurer dans celle-ci ou dans un contenu tiers auquel elle renvoie de façon claire, dans le respect des exigences de la Recommandation « Mentions et renvois» de l’ARPP ;
  • d’autre part, afin de ne pas induire en erreur le public et de respecter le principe de véracité, ces éléments d’information et les éléments de justification « sérieux, objectifs et vérifiables» que l’annonceur est tenu de fournir en vertu du point 2.3. de la Recommandation, doivent présenter un lien suffisant avec les critères mentionnés précédemment, en particulier avec le critère central d’accessibilité et, à ce titre, l’exigence de simplicité au regard de l’état de l’art et des pratiques. Le Jury considère en effet que, même si, selon la même étude de l’ADEME, les acteurs de cette démarche répugnent à opposer « low-tech » et « high-tech », le consommateur moyen est naturellement porté à penser, à tout le moins en l’absence de précisions contraires dans la publicité, que l’activité, le produit ou le service auquel l’allégation « low-tech » est attachée se distingue, par la simplicité de sa conception et la minimisation du recours à des procédés techniques de pointe, en particulier dans le domaine du numérique, d’autres activités, produits ou services répondant à un besoin analogue mais relevant, en raison de leur sophistication, de la haute technologie. En outre, ne peut être considérée comme présentant un lien suffisant avec les critères usuellement admis du « low-tech » une publicité qui se borne à promouvoir des produits et services permettant de réaliser des économies d’énergie ou d’autres ressources.

S’agissant de la publicité critiquée

En l’espèce, le Jury estime que l’utilisation de cette notion pour décrire la démarche d’Earthwake doit être considérée comme un argument écologique justifiant l’application de la Recommandation « Développement durable ».

Le Jury estime, d’une part, que l’annonceur explicite suffisamment le sens qu’il entend conférer à cette notion sur son site internet. S’il n’en donne pas de définition précise, il ressort de son économie générale qu’il désigne essentiellement une technologie simple, fondée sur la réutilisation des matériaux, et permettant de réduire les coûts, afin de déployer des projets économiquement viables et accessibles au plus grand nombre.

D’autre part, il n’est pas contesté que cette conception présente un lien suffisant avec les critères d’utilité, de durabilité des biens (qui ne se confond pas avec le développement « durable ») et d’accessibilité.

Enfin, ni cette notion, ni aucune allégation figurant sur le site internet ne prétend que le procédé utilisé ou, plus globalement, l’activité d’Earthwake serait dépourvue d’incidence environnementale ou éco-responsable, alors qu’il est clairement indiqué que les déchets plastiques sont transformés en carburants dont la combustion est, à l’évidence, source de pollution. Cette combustion n’est d’ailleurs pas imputable, sinon marginalement, à Earthwake elle-même. La démarche vise ainsi à la fois à promouvoir la récupération de ces déchets et le nettoyage des sites affectés et à les exploiter pour la production de carburants en lieu et place de l’utilisation de pétrole nouvellement extrait.

Pour la même raison, la référence à l’économie circulaire n’apparaît pas source de confusion pour le public dès lors qu’elle vise clairement, dans le contexte de l’activité d’Earthwake, à désigner la re-transformation des plastiques dans les matières pétrolières qui ont servi à leur fabrication.

En conséquence de ce qui précède, le Jury, qui regrette l’absence d’observations écrites et orales de la part de l’annonceur, est d’avis que la publicité en cause ne méconnaît pas les points précités de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Avis adopté le 7 octobre 2022 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain et Boissier, ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


Publicité Earth Wake