DEPARTEMENT DU LOIRET – Affichage – Plainte partiellement fondée

Avis publié le 16 juin 2021
DEPARTEMENT DU LOIRET – 738/21
Plainte partiellement fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le plaignant et les représentants du département du Loiret, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 20 mars 2021, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire du département du Loiret pour promouvoir la construction d’une déviation de la route départementale 921 entre Jargeau et Saint-Denis-de-l’Hôtel.

La campagne en cause, composée de deux visuels diffusés en affichage sur la route départementale 960 entre Mardié et Bou, représente :

  • pour le premier panneau, le dessin d’une voiture composée de feuilles vertes, roulant sur une étendue d’herbe, accompagnée du texte : « Le département favorise la mobilité durable » ;
  • pour la deuxième affiche, la photographie d’une grenouille, accompagnée du texte : « Le département protège les déplacements des batraciens ».

Ces deux affiches comportent les signatures « Déviation de Jargeau, Naturellement » et « Mieux desservir le Loiret en harmonie avec la nature ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant considère que ces panneaux, dont le slogan est « Déviation de Jargeau, Naturellement », prétendent valoriser une « mobilité durable », en recourant au visuel d’une voiture constituée de feuilles, et la protection des grenouilles, alors qu’il s’agit d’une déviation routière qui nécessite la destruction de plusieurs hectares de forêt, la construction d’un pont sur la Loire dans une zone « Natura 2000 » classée au patrimoine mondial de l’Unesco, qui va générer le passage de milliers de poids lourds et inciter à l’implantation de nouvelles plateformes logistiques sur des terres majoritairement agricoles. La protection des batraciens a consisté, concrètement, à poser tardivement une barrière plastique de 20 cm de haut, souvent tombée au sol.

Il s’agit donc d’une publicité mensongère qui vise, sous couvert d’humour, à masquer la réalité des conséquences de ce projet sur l’environnement derrière des arguments environnementaux mineurs, à discréditer l’action des défenseurs de l’environnement et à mépriser le citoyen. Selon le plaignant, elle méconnaît la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Le département du Loiret a été informé, par courriel avec accusé de réception du 7 avril 2021, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Il considère que la plainte comporte des allégations fallacieuses émanant certainement d’opposants récurrents et hostiles au projet.

Il fait valoir que les publicités en cause ont été mises en place le 30 janvier 2020, soit il y a plus d’un an, ainsi qu’en atteste le courrier électronique de la société CMP enseignes prévoyant le jour de pose, ainsi que des photographies prises par les services départementaux  et datées du 3 février 2020, laissant apercevoir, en arrière-plan, le fait que le giratoire édifié sur la RD 960 à hauteur de la commune de Mardie n’était pas encore réalisé. Ce dernier a été mis en service le 23 mars 2021. Il ajoute que la publicité n’a fait l’objet d’aucune diffusion ultérieure. Dans ces conditions, la plainte, présentée bien plus de deux mois après la cessation de l’affichage, est irrecevable.

Sur le fond, le département conteste que ces affichages puissent induire en erreur le public et méconnaître le point 2.1 de la Recommandation « Développement durable ».

La première partie du message fait expressément référence au projet de déviation routière en cours, opération parfaitement connue des habitants des communes concernées et des riverains, et dont les conséquences sont aisément concevables pour le public. La seconde partie du message vise à rassurer ce même public sur l’impact environnemental de ce projet et à l’informer des axes de préservation de l’environnement appréhendés dans sa conception et dans sa réalisation.

En ce qui concerne la mobilité durable, le message se borne à alléguer que le projet la « favorise ». Les trois piliers du développement durable énoncés dans le préambule de la Recommandation et applicables à la mobilité sont néanmoins concernés et pris en compte dans le cadre de cette infrastructure nouvelle dont la réalisation est adaptée aux besoins et aux attentes du territoire et de ses habitants. La santé publique des habitants des milieux urbains, notamment des centres villes impactés actuellement par un fort trafic poids-lourds sera nettement améliorée par un désengorgement du trafic et une réduction corrélative des émissions de CO2 particulièrement nuisibles dans ces espaces. En outre, une place plus grande sera permise pour les transports durables et moins consommateurs en énergie fossile, via un projet de réouverture aux passagers de la voie ferrée Orléans-Chateauneuf, une facilitation d’accès à la halte ferroviaire de Saint-Denis-de-l’Hôtel ou encore la création d’une aire de covoiturage pour les trajets vers la métropole orléanaise. Le département a précisé en séance que l’opération incluait plusieurs projets destinés à faciliter la « mobilité douce ».

En ce qui concerne la protection des déplacements des batraciens, le département a pris plusieurs mesures, dites de réduction et de compensation, destinées à limiter les impacts sur les espèces, ce dont rend compte le panneau. Il s’agit notamment d’une part, en phase de travaux, de recourir à un isolement de la zone de chantier vis-à-vis des amphibiens (et de toute la petite faune en général) par la mise en place de barrières à amphibiens temporaires et d’autre part, en phase d’exploitation, de la création de passages à amphibiens dit « crapauducs » consistant en des petits tunnels implantés sous la route pour sécuriser leurs déplacements, ou encore de la création de nouvelles mares, lieux d’habitat et d’alimentation pour ces espèces. L’ensemble de ces mesures est décrit dans l’arrêté préfectoral du 5 septembre 2018 portant dérogation à l’interdiction de destruction, perturbation intentionnelle, capture d’espèces animales protégées et destruction, altération, dégradation d leurs aires de repos ou sites de reproduction.

Le département estime ainsi que, conformément à la Recommandation « Développement durable », les actions du Département sont suffisamment significatives pour pouvoir être revendiquées et la collectivité peut justifier les éléments avancés et sa démarche « au moyen d’éléments objectifs, fiables, véridiques et vérifiables », qui figurent sur le site internet du département et le site dédié à cette opération de déviation.

3. L’analyse du Jury

3.1. Sur la recevabilité de la plainte

Le département du Loiret indique que les panneaux litigieux ont été apposés le 30 janvier 2020, de sorte que le délai dans lequel la plainte aurait dû être déposée expirait le 30 mars 2020.

Il résulte toutefois de l’article 3 du règlement intérieur du Jury que le délai de deux mois dans lequel les plaintes doivent être présentées au Jury à peine d’irrecevabilité court à compter de la cessation de la diffusion d’une publicité, et non à compter du début de celle-ci.

Or il ressort des éléments fournis au Jury lors de la séance que ces panneaux étaient toujours en place à la date d’introduction de la plainte, et qu’ils n’ont d’ailleurs pas encore été déposés. Par conséquent, la présente plainte est recevable.

3.2. Sur la conformité des affichages aux règles déontologiques

Le Jury rappelle à titre liminaire qu’il ne lui appartient en aucun cas de se prononcer sur l’utilité publique ou l’opportunité de l’opération dont il est fait la promotion. Sa compétence se limite à déterminer si les deux panneaux litigieux sont conformes aux règles déontologiques invoquées, par un avis qui est dépourvu de tout caractère juridictionnel ou contraignant.

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • en son point 2 (Véracité des actions) que : « 1 La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable. / 2.2 Les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées. / 2.3 L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments objectifs, fiables, véridiques et vérifiables au moment de la publicité.
  • en son point 3 (Proportionnalité des messages) que : « 3.1 Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissibles. / La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit. / 3.2 Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion. ».
  • en son point 7 (Vocabulaire) que : « 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable. » ;
  • et en son point 8 (Présentation visuelle ou sonore) que : « 8.1 Les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument écologique et aux éléments justificatifs qui l’appuient. ».

Le Jury relève que les affichages mis en cause font la promotion d’une opération d’aménagement consistant à réaliser une déviation entre les communes de Jargeau et Saint-Denis-de-l’Hôtel, dans le Loiret. Il ressort du site internet dédié à cette opération, auquel le département se réfère, que celle-ci a principalement pour objectif de supprimer la circulation des poids lourds et de réduire le trafic des véhicules légers sur le pont de Jargeau et dans les centres villes traversés, permettant un gain de temps et une amélioration du confort de conduite pour les automobilistes, une sécurisation de la circulation, notamment « douce », dans le centre de ces agglomérations, une réduction des nuisances, en particulier sonores, pour les riverains, une amélioration de la qualité de l’air dans ces centres et un renforcement des activités économiques existantes, notamment dans le domaine du tourisme.

Le Jury constate que la campagne publicitaire critiquée valorise exclusivement l’impact environnemental du projet et la prise en compte des préoccupations d’environnement par ses concepteurs. Le propos est mis en valeur par le slogan : « Déviation de Jargeau, Naturellement ». S’il est fait état, en bas d’affichage, d’une meilleure desserte du Loiret, l’accent est mis sur « l’harmonie avec la nature ».

La première affiche indique que le département « favorise la mobilité durable » à travers cette opération. Le propos est appuyé par une voiture stylisée, composé de feuillages, et se déplaçant sur une voie elle-même végétale, à l’instar d’un gazon.

Le Jury constate que la notion de mobilité durable, parfois qualifiée d’écomobilité, ne fait pas l’objet d’une définition réglementaire. Elle renvoie toutefois, dans l’esprit du public, à la promotion des modes de locomotion les plus respectueux de l’environnement, en particulier en ce qui concerne l’émission de gaz à effet de serre en phase de roulage, notamment le vélo, ainsi qu’à des pratiques de minimisation et d’optimisation des déplacements, comme l’utilisation de transports en commun et le covoiturage.

Si l’opération de déviation de Jargeau vise notamment à permettre le développement de modes de transport « doux » dans les centres villes où le trafic sera réduit, en particulier celui des poids lourds, et si le projet inclut diverses actions tendant à promouvoir l’utilisation du vélo, le visuel ne fait aucune référence à ces modes de transport, mais représente une automobile, dont la motorisation reste indéterminée. Or la déviation elle-même ne préjuge en rien de la motorisation des véhicules qui l’emprunteront, ou qui continueront de circuler sur les voies actuelles, le cas échéant. En outre, la représentation de la route sous la forme d’un gazon apparaît disproportionnée alors que la déviation consistera à réaliser une route en bitume et des ouvrages principalement constitués de béton et de métal. Les mesures de compensation évoquées par le département et détaillées sur le site internet dédié à l’opération ne portent pas en elles-mêmes sur la mobilité mais sur la reconstitution d’espaces naturels et agricoles.

Par suite, le Jury considère que cette première affiche méconnaît l’exigence de proportionnalité résultant du point 3 de la Recommandation, ainsi que son point 8.

La seconde affiche allègue, à propos de la même opération, que « le département protège les déplacements des batraciens ». Le Jury considère que, eu égard aux objectifs poursuivis par le projet et aux effets qui s’y attachent nécessairement, ainsi qu’à la référence faite à une meilleure desserte du Loiret, le public ne peut être induit en erreur sur le fait qu’il n’est pas prétendu, ce faisant, que la déviation aurait pour objet ou pour effet d’améliorer le cadre de vie des batraciens, mais seulement que le département a veillé, dans la conception d’un projet ayant un impact sur ces espèces, à ne pas compromettre leur circulation dans et aux abords de leurs espaces de vie. Le Jury prend note à cet égard que des mesures de protection ont été mises en œuvre au cours du chantier, et que le projet prévoit la réalisation de « crapauducs » permettant de ne pas entraver les déplacements des batraciens. En conséquence, le Jury estime que le message n’est pas contraire aux règles déontologiques précitées.

Dans ces conditions, le Jury considère que la première affiche méconnaît les dispositions de la Recommandation « Développement durable » précitées et que la plainte n’est pas fondée pour le surplus.

Avis adopté le 7 mai 2021 par M Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Charlot et Lenain, MM. Depincé, Leers, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.

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