DADDY – Business – Affichage – Plaintes partiellement fondées

Avis publié le 4 janvier 2021
DADDY – 695/20
Plaintes partiellement fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les sociétés Cristalco et Business, ainsi que l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre le 22 octobre et le 3 novembre 2020, de plusieurs plaintes émanant de particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de deux affiches publicitaires de la société Cristalco pour promouvoir son produit Daddy sucre.

La première publicité représente une femme qui tient un sachet de sucre Daddy devant son visage, entre lesquels ressortent les branches d’un plan de betterave. Cette image est accompagnée des textes : « Daddy vous rappelle que le sucre est une plante », « Daddy, bien sucre ! » et d’un drapeau tricolore.

La seconde publicité représente des plants de betterave sucrière en terre dont quatre figurent au premier plan. En-dessous, sur un bandeau blanc, quatre paquets de sucre Daddy sont représentés, masquant la racine de chaque betterave et donnant ainsi l’illusion que les feuilles sortent de chaque paquet. Ce visuel est accompagné des textes : « Au commencement, Daddy est végétal. » et « Daddy, bien sucre », et d’un petit drapeau tricolore.

2. Les arguments échangés

Les plaignants reprochent à cette publicité d’induire l’idée que manger du sucre revient à manger un végétal et promeut ainsi un intérêt nutritionnel du sucre raffiné de betterave, à tort.
Elle induit donc en erreur les consommateurs quant à l’impact réel du sucre sur la santé et l’environnement. Si le sucre provient bien de la betterave ou de la canne à sucre, sa fabrication suppose plusieurs opérations de transformations (chauffage, décantation, filtration…), en sus des autres étapes du cycle de vie du produit (culture, emballage, transport, fin de vie…), qui ont un impact négatif sur l’environnement. On n’a donc pas affaire à une plante mais à un produit dérivé, le saccharose, au même titre qu’une huile végétale est issue de fruits ou de graines.

L’un des plaignants ajoute que ce visuel contrevient à deux points de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP relatifs au Vocabulaire (point 7) et à la Présentation visuelle (point 8). S’il affirme ne pas remettre en cause les efforts de la marque pour réduire ses impacts environnementaux et sociaux depuis de nombreuses années (notamment le packaging souple en papier kraft), cette campagne lui apparaît trompeuse car le sucre provient « d’une plante », mais il n’est pas « végétal » pour autant. Il souligne que cette campagne intervient quelques semaines après la décision de réintroduire les néonicotinoïdes pour la culture des betteraves sucrières.

La société Cristalco et l’agence de communication Business ont été informées, par courriel avec accusé de réception du 3 novembre 2020, des plaintes dont copies leur ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

L’agence Business indique que les deux affiches de cette campagne publicitaire ont été soumises pour avis à l’ARPP, dont les demandes de modification ont été scrupuleusement suivies. L’ARPP a précisé que « L’annonceur doit pouvoir justifier que ses produits sont bien 100% d’origine naturelle, et ce pour tous les produits qu’il commercialise, afin de ne pas présenter de caractère trompeur. Si tel est bien le cas, les accroches proposées sont envisageables. ».

C’est dans ces conditions que les deux affiches ont été diffusées avec les messages sanitaires requis par la réglementation.

L’agence considère que le Jury ne saurait considérer que les annonces seraient contraires aux règles déontologiques en vigueur dès lors qu’elles ont été formellement validées par l’ARPP.

A titre subsidiaire, elle précise qu’un consommateur moyennement attentif ne peut être induit en erreur en pensant que le sucre serait une plante et que, par exemple, il suffirait de planter un morceau de sucre pour que celui-ci germe et produise une plante. Du reste, aucun des rédacteurs des plaintes, objets de la saisine, n’indique avoir été induit en erreur. Cette publicité ne comporte aucun message « subliminal ».

La société d’affichage JC Decaux n’a pas présenté d’observations.

L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) indique avoir été interrogée initialement par l’agence de communication Business. Dans le cadre de sa mission d’accompagnement des professionnels sur leurs projets de publicité, plusieurs projets de la campagne pour le sucre DADDY lui ont été soumis.

Compte tenu de l’axe de communication choisi, les services de l’ARPP ont alerté leur adhérent sur le fait que ceux-ci entraient dans le champ d’application de la Recommandation « Développement durable » et, comme pour tout projet de publicité en lien avec l’environnement, une attention toute particulière a été apportée à la formulation des allégations et aux images utilisées.

Avant tout, l’ARPP rappelle qu’il est tout à fait admis, en publicité, de citer ou de représenter l’élément unique de la composition d’un produit, dès lors que cette indication n’est pas trompeuse mais factuelle. Bien qu’il y ait un processus de transformation, rien n’interdit la représentation des matières premières, notamment dans le domaine alimentaire (fèves de cacao pour des produits finis avec ajouts de sucres et huiles, pommes de terre pour des plats préparés et transformés, etc.).

En l’espèce, il a été confirmé que l’annonceur disposait bien des éléments de preuve permettant de justifier des processus de fabrication décrits sur son site, de l’absence de traitement pour « blanchir » le sucre ou d’ajouts d’autres éléments dans sa composition.

Sur les textes « Au commencement, Daddy était végétal » et « Daddy vous rappelle que le sucre est une plante », l’ARPP a rappelé la nécessité de pouvoir justifier le caractère naturel revendiqué, afin de ne pas présenter de caractère trompeur pour le consommateur.

Sur les visuels, la règle visant à interdire toute assimilation directe à un élément naturel (végétal en l’espèce) de produits ou services ayant un impact sur l’environnement au regard de la totalité du cycle de vie (production, transport, déchets, etc.) a été prise en compte. Dès lors, représenter un sachet qui sort de la terre ou une plante qui semble pousser directement du paquet n’aurait pu être accepté.

Dès lors, les deux visuels ont été considérés comme respectant les principes de la Recommandation.

L’ARPP considère que ces visuels ne contreviennent pas davantage aux règles contenues dans les points « 7 – Vocabulaire » et « 8 – Présentation visuelle ».

En outre, l’insertion du message sanitaire « manger/bouger » a été effectuée dans les conditions de présentation prévues par l’arrêté du 27 février 2007.

3. L’analyse du Jury

3.1 Sur le rôle du Jury

Le Jury rappelle qu’en vertu de l’article 2 de son règlement intérieur, il a reçu de l’ARPP la mission de se prononcer en toute indépendance sur le respect des principes déontologiques dans les messages publicitaires diffusés. Il est ainsi tenu de répondre aux plaintes qui lui sont adressées, dès lors qu’elles relèvent de son champ de compétence, que la publicité ait ou non fait l’objet d’un avis favorable des services de l’ARPP.

Si le rôle de conseil préalable de l’ARPP constitue une pierre angulaire du dispositif d’autorégulation professionnelle que les annonceurs et les agences ont tout intérêt à utiliser, et s’il appartient au Jury de tenir le plus grand compte de la position adoptée par l’ARPP dans le cadre d’un examen de la publicité préalablement à sa diffusion comme des observations qu’elle présente devant lui à l’occasion d’une plainte visant une telle publicité, l’indépendance du Jury, qui constitue également un élément fondateur de ce même dispositif, implique qu’il ne soit pas ni ne s’estime lié par la position exprimée par l’Autorité et qu’il se prononce sur le bien-fondé de la plainte dont il est saisi au vu de sa propre interprétation des règles déontologiques et d’une appréciation autonome.

Par suite, l’agence de communication Business ne peut soutenir que le Jury devrait rejeter les plaintes dès l’instant qu’elles portent sur des publicités validées par l’ARPP.

3.2 Sur les règles applicables

Le Jury rappelle, d’une part, qu’en vertu de l’article 1er du code ICC Publicité et Marketing de la chambre de commerce internationale (édition 2018) : « toute communication doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle (…) ». L’article 5 du même code prévoit que : « La communication commerciale doit être véridique et ne peut être trompeuse / La communication commerciale ne doit contenir aucune affirmation, aucune assertion ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions, d’ambiguïtés ou d’exagérations, à induire en erreur le consommateur, notamment, mais pas exclusivement, en ce qui concerne : / des caractéristiques du produit qui sont essentielles, ou en d’autres termes, de nature à influencer le choix du consommateur, telles que la nature, la composition (…) ».

Le Jury rappelle, d’autre part, qu’il résulte du Préambule de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP que celle-ci s’applique à toute publicité utilisant une présentation d’éléments non compatibles avec les objectifs du développement durable, même sans y faire référence, un argument faisant référence au développement durable, un argument écologique, en renvoyant ou non au concept du développement durable, ou encore un argument social, sociétal ou économique présenté comme lié au développement durable. Le développement durable comporte trois piliers, dont le pilier « social/sociétal » qui recouvre, notamment, la « santé publique ».

Le Jury considère que, dès l’instant où le premier visuel compare le produit promu à une plante, en représentant la partie feuillue du végétal dont il est issu, et que le second visuel souligne l’origine végétale du sucre, avec une représentation de plants de betterave sucrière, elle utilise un argument faisant référence au développement durable ou, à tout le moins, un argument écologique, et entre ainsi dans le champ d’application de cette Recommandation, ainsi que l’ARPP l’indique dans ses observations, qui ne sont pas contestées par les sociétés concernées.

Aux termes du point 2 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, relatif à la véracité des actions : « 2.1. La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable / (…) ».

Selon le point 3.1. de la même Recommandation : « Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissibles. / La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit. ».

Le point 4 de la même Recommandation, relatif à la clarté du message, prévoit que : « 4.1. L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées. (…) ».

Le point 7 de cette Recommandation, relatif au vocabulaire, dispose que : « 7.1. Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable. / (…) 7.4. Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur. ».

Enfin, il résulte des points 8.1. et 8.3 de la même Recommandation que « les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument écologique et aux éléments justificatifs qui l’appuient » et que « sans exclure leur utilisation, l’emploi d’éléments naturels ou évoquant la nature ne doit pas induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur ».

3.3 Sur le bien-fondé des plaintes

S’agissant de la première publicité, le Jury relève que le texte « Daddy vous rappelle que le sucre est une plante » assimile purement et simplement le sucre à une plante. Cette dernière est représentée dans sa partie feuillue, le paquet de sucre remplaçant la racine comestible de la betterave. Ce paquet est placé devant le visage d’une personne.

Si ce raccourci de présentation vise à rappeler que le sucre dont il est fait la promotion est extrait de la betterave sucrière, et si cet argument, ajouté au drapeau tricolore, peut être lu comme une référence à l’agriculture française que le consommateur est invité à encourager en achetant le produit, il laisse aussi entendre que le sucre serait, en lui-même, un végétal ou, à tout le moins, que sa consommation équivaudrait, sur le plan nutritionnel, à celle de la betterave dont il est issu et à laquelle il se substitue visuellement. Bien que le paquet représenté soit fermé, la publicité fait clairement référence à la consommation de sucre elle-même, par l’utilisation d’un modèle auquel le consommateur peut s’identifier et qui, abstraction faite du paquet, semble porter la betterave elle-même à hauteur de sa bouche.

Le caractère factuellement erroné ou, à tout le moins exagéré, du texte, renforcé par la présentation générale du visuel, est de nature à induire en erreur le consommateur sur les caractéristiques essentielles du produit et à l’inciter à consommer du sucre avec la conviction que son origine végétale en garantit le caractère sain et propice à une bonne santé, caractéristique communément attachée aux plantes, aux fruits et aux légumes. L’assimilation à laquelle procède la publicité est d’autant plus critiquable que la consommation excessive de sucre constitue un enjeu majeur de santé publique et qu’il appartient aux responsables des publicités de veiller, au titre de leur responsabilité sociale et sociétale, qui fait partie du développement durable, à ne pas minimiser ou relativiser les incidences sanitaires de la consommation de leurs produits. Dans ces conditions, le Jury est d’avis que cette publicité méconnaît les dispositions précitées du code ICC et les points 2, 3, 4 et 7 de la Recommandation « Développement durable ».

S’agissant en revanche de la seconde affiche, le Jury considère que le texte « Au commencement, Daddy est végétal » insiste cette fois sur l’origine végétale du sucre promu, sans reprendre l’assertion factuellement inexacte selon laquelle le sucre lui-même serait une plante. La représentation de plans de betterave en terre est une référence claire à la culture de cette racine et à l’agriculture française à laquelle le drapeau tricolore fait écho. Si ce visuel donne l’illusion optique que les feuilles de betterave jaillissent des paquets de sucre, ces derniers ne sont pas plantés dans la terre mais sont incrustés sur un bandeau blanc clairement distinct de la photographie elle-même. Cette publicité se limite ainsi à rappeler et valoriser le fait que le sucre, s’il est un produit transformé, est extrait de la betterave sucrière cultivée en France et ne constitue pas un produit de synthèse. Le Jury estime en conséquence que cette affiche n’est pas susceptible d’induire en erreur le consommateur quant aux caractéristiques du produit et qu’elle ne méconnaît aucune des règles déontologiques précitées. Dans ces conditions, les plaintes visant ce second visuel doivent être rejetées.

Avis adopté le 4 décembre 2020 par M. Lallet, Président, Mme Lenain et MM. Depincé, Lacan et Leers.

Pour visualiser la publicité Daddy, cliquez ici.