CENTRAKOR – Publipostage – Plainte fondée

Avis publié le 29 décembre 2022.
CENTRAKOR – 888/22
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 12 octobre 2022, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société Centrakor, pour promouvoir ses produits à l’occasion de la fête d’Halloween.

La publicité en cause, diffusée par publipostage, montre différents déguisements et accessoires sur le thème d’Halloween. Au centre d’une page, une femme porte une robe longue et un turban dans les cheveux. Elle tient une boule de cristal dans la main droite. Son maquillage prononcé, dans des tons sombres, est augmenté d’un faux œil apposé au centre de son front.

Le texte accompagnant cette image est « 24€99 Le déguisement Gitane – Taille S, M et L. Robe, coiffe. Vendu sans la boule de cristal ».

Parmi les autres articles présentés sur la page, figurent, une poupée « maléfique animée », un « crâne ouija », des « cartes vaudou », des « bijoux de visage adhésifs vampire ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant relève que cette publicité représente sur une même page différents produits destinés à la fête d’Halloween. Parmi de multiples accessoires aux thèmes macabres (dans l’esprit de la fête), Centrakor présente un « déguisement de gitane » (sic) : une femme vêtue d’un costume inspiré librement des vêtements traditionnels du peuple rrom, mais portant un maquillage volontairement hideux et effrayant, et une boule de cristal (l’annonceur nous informe aimablement que la boule de cristal n’est pas fournie…).

Il considère que cette publicité est totalement inappropriée : l’intitulé « Déguisement de gitane » (sans majuscule) est un choix de mots raciste et stigmatisant. Il sous-entend que l’appartenance au peuple rrom est un « accessoire d’Halloween », piétinant allègrement la culture et les traditions d’un peuple.

Plus grave encore selon le plaignant, Centrakor souille la mémoire de l’une des minorités ethniques les plus persécutée et invisibilisée d’Europe et du monde. Centrakor utilise sans scrupule les stéréotypes qui ont alimenté la haine et le massacre d’une partie de ses ancêtres ici en Europe.

Il déplore l’amalgame sur cette page entre « vampires », « vaudou » et « Gitane » sur cette publicité qui accumule les clichés dévastateurs.

Le plaignant souligne que cela renvoie aux camps de la mort de la période nazie où périrent hommes, femmes et enfants rroms (c’est à dire « gitans »), sous le seul motif de leur appartenance ethnique et qui furent déportés à Auschwitz, à Jasenovac, utilisés pour les expériences médicales, stérilisés de force…

Selon le plaignant, d’une manière générale, le terme « déguisement » ne devrait jamais être associé à une ethnie. On ne se déguise pas plus en “Gitane” qu’en Indien ou en Zoulou et la démarche de Centrakor, en ce qu’elle permet de perpétuer l’ignorance et le mépris, lui paraît honteuse. Cette publicité porte donc atteinte à la dignité.

Le plaignant ajoute qu’en regardant l’image dans son ensemble, on peut noter qu’autour du « déguisement de Gitane » se trouvent des accessoires hétéroclites allant du « masque de mort » aux « gouttes de sang factices ». Le tabou de la « mort » et du « corps mort » est d’une grande importance dans la culture du le peuple rrom dans son ensemble et cela inclut sa représentation. Jamais un Tsigane « traditionnel » ne s’associerait à cette imagerie de cadavres ou de revenants. Les morts de la famille sont chéris, respectés. Le deuil est une chose très sérieuse.

Il relève que si la fête d’Halloween est associée à la tradition de se déguiser, depuis quelques temps la nature offensante de certains des déguisements qui caricaturent des minorités opprimées (notamment les Américains natifs, ou “Amérindiens”) est décriée aux Etats-Unis.

Il s’interroge sur le choix de l’intitulé « gitane » plutôt que  « magicienne » ou « diseuse de bonne aventure » et constate que le nom est impropre, d’ailleurs, puisque les « Gitans » sont ainsi désignés dans les régions d’Espagne et du Sud de la France (Arles, Catalogne…), tandis qu’ailleurs, ils sont Manouches, Sinté, Kalderash, Lautari, Boyash…Mais avant tout, ils sont des êtres humains, et c’est ce statut que piétine selon lui cette publicité.

De plus, le plaignant déclare n’avoir rien contre les représentations “vieillottes” de Tsiganes “fictifs” dans la littérature ou la culture populaire, la divination ayant toujours fait partie des occupations traditionnelles des Rroms et surtout des Romnia, c’est-à-dire les femmes, au même titre que les métiers de forgeron, rémouleur, vannier, musiciens ambulant…Ces métiers sont avant tout liés au nomadisme. Mais le mode de vie nomade n’est plus celui de tous les Rroms, loin de là, et ces occupations traditionnelles ne concernent absolument pas l’ensemble des gens ayant des racines tsiganes.

La société Centrakor a été informée, par courriel avec avis de réception du 28 octobre 2022, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

La représentante de la société reconnaît le caractère inapproprié de cet intitulé et présente ses excuses aux personnes qui ont été blessées par cette dénomination.

La société fait valoir que ses équipes ont repris la désignation du produit telle qu’indiqué par le fournisseur. Elle assure mettre tout en œuvre pour sensibiliser ses équipes à ces problématiques afin d’éviter que cette situation ne se reproduise. A cet effet, elle prévoit de passer en revue l’intégralité de sa gamme déguisement.

Enfin, la publicité n’est plus en circulation aujourd’hui et l’intitulé du déguisement en cause a été modifié.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. (…)

1.3 D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine ».

(…)

3.2 Toute allusion, même humoristique, à une quelconque idée péjorative ou d’infériorité liée à l’appartenance à une ethnie ou à une religion doit être bannie.

3.3 L’expression de stéréotypes évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe ethnique ou religieux doit être maniée avec la plus grande délicatesse ».

Le Jury relève que la publicité en cause présente sur un catalogue de publipostage un déguisement porté par une femme portant une robe longue assortie d’un foulard accroché à la taille et un turban dans les cheveux. Elle tient une boule de cristal dans la main droite. Son maquillage prononcé, dans des tons sombres, est augmenté d’un faux œil apposé au centre de son front. Le texte accompagnant cette image est « 24€99 Le déguisement Gitane – Taille S, M et L. Robe, coiffe. Vendu sans la boule de cristal ».

Le Jury rappelle qu’il n’est pas compétent pour se prononcer sur un produit ou sur sa dénomination, mais seulement sur la conformité d’une publicité aux règles déontologiques. Il ne lui appartient donc pas de remettre en cause l’appellation « Déguisement gitane » qui correspond au nom que l’annonceur a cru devoir donner au produit qu’il commercialise. A ce titre, il n’a pas à prendre position sur la pertinence ou l’acceptabilité de désigner un produit par la référence à une origine ethnique, à une conviction religieuse, politique ou philosophique, ou à un groupe social.

En revanche, le Jury est compétent pour apprécier si la publicité elle-même méconnaît les règles reproduites ci-dessus.

Il observe que, selon le dictionnaire Larousse, le nom de Gitan est issu de l’espagnol gitano, altération de Egiptano, Égyptien, et qualifie un groupe de Tsiganes, les Kalé, principalement représenté en Espagne, en Afrique du Nord et dans le sud de la France.

Le Jury constate que la mise en scène critiquée tend à assimiler la « gitane » à une voyante ou à une diseuse de bonne aventure. Les autres articles présentés sur la même page sont tous en lien avec une communication avec les esprits, empreinte de sorcellerie et d’occultisme maléfique : une poupée « maléfique animée », un « crâne ouija », des « cartes vaudou », des « bijoux de visage adhésifs vampire »… Cette publicité associe ainsi l’appartenance à la communauté gitane à l’image d’un personnage qui prétend communiquer avec les esprits et qui est mis sur le même plan que des poupées maléfiques ou des cartes vaudou. Elle réduit ainsi les personnes appartenant à ce groupe à des caractéristiques ésotériques et effrayantes, de sorte que l’utilisation de ce nom propage une image des personnes du groupe concerné qui est dégradante et porte atteinte à leur dignité. Elle véhicule en outre une idée péjorative liée à l’appartenance à une ethnie, au sens de la Recommandation précitée.

En conséquence de ce qui précède, et tout en prenant acte des engagements de l’annonceur qui a reconnu une erreur dans le contrôle de cette campagne publicitaire, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions précitées de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.

Avis adopté le 2 décembre 2022 par M Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Lenain, Boissier et Charlot, MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.


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