BREWDOG – Affichage – Plainte fondée – Demande de révision rejetée

Avis publié le 23 novembre 2021
BREWDOG – 760/21
Plainte fondée
Demande de révision rejetée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,
  • l’avis délibéré ayant été adressé au plaignant et à la société Brewdog, laquelle a introduit une demande de révision rejetée par le Réviseur de la déontologie publicitaire,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 29 avril 2021, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une publicité diffusée par affichage, par la société Brewdog, pour promouvoir son offre de bières dénommée Punk Ipa.

L’affiche publicitaire en cause montre, sur la droite, une bouteille de bière Punk Ipa et sur la gauche, le liquide de la boisson visible dans une forme représentant un écusson.

Le texte accompagnant cette image est accompagnée des textes « United we stand for better  beer » et « Brasserie à bilan carbone négatif ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant considère que l’allégation « Brasserie à bilan carbone négatif » est difficilement vérifiable pour la plupart des consommateurs français, puisque la page web de renvoi, indiquée dans les mentions n’est disponible qu’en anglais.

En outre, le contenu anglophone de cette page web est très imprécis, voire trompeur.

Sous la version anglaise de l’allégation, on peut lire l’explication suivante : “THIS MEANS WE TAKE TWICE AS MUCH CARBON OUT OF THE AIR AS WE EMIT”. Ce qui laisse entendre que la brasserie “capture deux fois plus de carbone dans l’air qu’elle n’en émet“. Comment cela est-ce possible ? Grâce à “[sa] forêt de 3767 hectares“, nous dit l’entreprise. Cette information étant très imprécise, il faut encore se plonger dans les deux rapports détaillant la méthode de calcul de leur bilan carbone et le mécanisme de compensation allégué, et qui ne sont encore disponibles qu’en anglais…

Dans le dernier rapport en date, on y apprend que Brewdog a effectivement acheté des terres en Ecosse, où le groupe prévoit de planter des arbres et de restaurer des tourbières, qui pourraient stocker entre 800 000 et 1 millions de tonnes de CO2 sur 100 ans. (“We will be planting millions of native trees to create a bio-diverse broadleaf woodland and ecosystem. Overall, the Lost Forest has the potential to sequester between 0.8 – 1 million tonnes of carbon over 100 years.”).

En moyenne, cela représenterait entre 80 000 et 100 000 tonnes de CO2 absorbées par an. Or, Brewdog émet aujourd’hui 75 000 tonnes de CO2 par an, et ses émissions semblent en hausse (+6% par rapport à 2019), donc la capacité de stockage de cet écosystème à venir est insuffisante pour compenser doublement les émissions du groupe.

Quoiqu’il en soit, ce projet n’a pas encore démarré, et, pour l’instant, la société a tout simplement acheté des crédits de compensation carbone. (« To double remove all our carbon until we start planting our lost forest and restoring our peatlands, we will work with partners. All of the partners and projects have the highest standard of accreditation and have been additionally vetted by the team at small world consulting for their wider environmental and human benefits. »)

Le plaignant rappelle que ce mécanisme de compensation peut aussi être utilisé par une compagnie pétrolière, qui, si elle achète suffisamment de crédits carbone, peut prétendre à un bilan carbone neutre, voire négatif. Or ce genre d’argument publicitaire est trompeur, car il fait croire au consommateur que l’activité de l’entreprise n’a aucun impact environnemental et est même bonne pour la planète.

Cette stratégie basique de verdissement est d’ailleurs illustrée par le slogan “BUY ONE GET ONE TREE”, dont l’équivalent français serait « Une bière achetée, un arbre planté ».

Cette publicité ne semble donc pas respecter la Recommandation de l’ARPP en matière de développement durable, notamment ses points 2.1, 2.3, 3.3, 4.3, 4.4, 7.1, 7.4, 7.5, 9.1 et 9.3.

La société Brewdog a été informée, par courriel avec accusé de réception du 2 juin 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

Elle n’a pas présenté d’observations.

La société d’affichage Clear Channel France a également été informée, par courriel avec accusé de réception du 2 juin 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle précise qu’est en cause une campagne de communication temporaire affichée sur le réseau à compter du 28 avril 2021 pour une durée de sept jours. Elle visait la promotion d’une bière en utilisant un argument lié au développement durable.

Rien dans cette affiche ne permet de conclure à l’interprétation selon laquelle la Recommandation « Développement Durable » de l’ARPP serait violée contrairement à ce qui est avancé dans la plainte. Tout d’abord, la mention explicative rattachée à l’allégation
« Brasserie à bilan carbone négatif » apparaît de façon lisible et visible dans des conditions normales de lecture, conformément à la Recommandation Mentions et renvois de l’ARPP.

La mention explicative renvoie également vers le site internet de l’annonceur que le consommateur peut consulter facilement en cliquant si nécessaire soit sur « Traduire cette page » situé, de manière visible, à côté du lien vers le site internet, soit sur le bouton « Français » de la fenêtre surgissante (ou « pop-up window ») du site. La parfaite information du consommateur est alors assurée.

De même, est respectée la Recommandation « Développement Durable » en ce qu’elle rappelle que le développement durable est le fait « d’assurer le progrès économique et social sans mettre en péril l’équilibre naturel de la planète, actuel et à venir », ce qui induit de présenter avec précision les actions significatives de l’annonceur ou les propriétés de ses produits en matière de développement durable.

C’est précisément ce que l’annonceur s’est attaché à décrire dans ses rapports de 2019-2020 et de 2021 consultables sur le site internet susmentionné. Ces rapports ont été corédigés avec le Professeur Mike Berners-Lee, chercheur reconnu et membre de l’Institute for Social Futures de l’Université de Lancaster, spécialiste des impacts du changement climatique. On peut également prendre connaissance du plan d’investissement de BrewDog et de ses initiatives pour éliminer le carbone de l’atmosphère et contribuer à la lutte contre le changement climatique.

Parmi ces initiatives détaillées dans ses rapports figurent notamment :

  • L’obtention de la certification « B Corporations » pour les entreprises répondant à des normes strictes de performance sociale et environnementale, de transparence et de responsabilité ;
  • L’implantation de sa propre forêt dans les Highlands écossaises et la restauration de 550 acres de tourbières ;
  • La mise en place de mesures spécifiques et concrètes au sein de sa brasserie : son alimentation en énergie renouvelable (2,4 MegaWatts) grâce à la connexion de trois turbines de 800 kW, l’utilisation de l’électricité issue des éoliennes locales, l’accélération de l’électrification de sa flotte des véhicules, la capture du CO2 produit pendant la fermentation pour carbonater les bières, le remplacement de 20% de l’orge par du pain frais et l’utilisation des fruits excédentaires invendus dans la bière, la transformation de l’orge maltée issue de la fabrication de la bière en biométhane en remplacement des énergies fossiles pour le brassage, la transformation de l’épeautre usagé en produits canins et de la bière gaspillée en une autre boisson alcoolique, l’obtention du permis de construire d’une usine biologique transformant les eaux usées de la brasserie en eaux propres, en engrais organique et en biométhane réutilisable.

Les éléments publiés par Brewdog lui permettent de justifier d’un « bilan carbone négatif » depuis août 2020, ce qu’il a annoncé publiquement – faisant de lui la première entreprise internationale de bière au monde à obtenir ce statut selon la presse.

L’entreprise « réduit son empreinte carbone pour avoir un effet net d’élimination du CO2 dans l’atmosphère au lieu d’en ajouter » pour atteindre une réduction de « ses émissions de CO2 SCOPE 1 et 2 par Hectolitre de bière de 34% par rapport à 2019 » grâce à la mise en place de ce plan de réduction de son impact carbone, tel qu’expliqué dans ses rapports.

L’ensemble de ces éléments concrets et factuels montrent que non seulement le message publicitaire n’est pas de nature à induire le public en erreur sur la réalité ou encore sur la nature et la portée des actions de l’annonceur, mais qu’il est de surcroît proportionné aux engagements réels pris et aux nombreuses actions menées par ce dernier en matière de développement durable.

Clear Channel relève enfin que, contrairement aux assertions du plaignant, l’avantage procuré par ces éléments n’est pas attribué directement à ce produit ou cette activité.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP prévoit que :

«3. PROPORTIONNALITÉ DES MESSAGES

3.1 Le message publicitaire doit exprimer avec justesse l’action de l’annonceur ou les propriétés de ses produits, en adéquation avec les éléments justificatifs transmissibles.

La réalité de ces actions ou propriétés peut s’apprécier au regard des différents piliers du développement durable, des différents types d’impacts possibles et des différentes étapes de la vie du produit.

3.2 Le message publicitaire doit être proportionné à l’ampleur des actions menées par l’annonceur en matière de développement durable ainsi qu’aux propriétés du produit dont il fait la promotion.

3.3 En particulier :

a/ L’argument publicitaire ne doit pas porter sur plus de piliers du développement durable, plus d’étapes du cycle de vie ou plus d’impacts qu’il ne peut être justifié.

b/ Le message publicitaire ne saurait suggérer indûment une absence totale d’impact négatif.

c/ La présentation d’action(s), de produit(s) à un stade expérimental ou de projet (prototype, R&D, investissement…) doit clairement les présenter comme tels et ne pas en exagérer la portée.

4. CLARTÉ DU MESSAGE

4.1 L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées.

4.2 Si l’argument publicitaire n’est valable que dans un contexte particulier, ce dernier doit être présenté clairement.

4.3 Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation Mentions et renvois de l’ARPP.

4.4 Dans les cas où cette explicitation est trop longue pour pouvoir être insérée dans la publicité, l’information essentielle doit y figurer, accompagnée d’un renvoi à tout moyen de communication permettant au public de prendre connaissance des autres informations.

7. VOCABULAIRE

7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable.

7.2 Lorsque les termes et expressions utilisés font l’objet d’une définition fixée par une norme, ils doivent être employés dans un sens qui correspond à cette définition.

7.3 Dans le cas où il serait impossible de justifier des formulations globales (ex. : écologique, vert, éthique, responsable, préserver, équitable, durable, …), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que “contribue à”.

7.4 Les termes, expressions ou préfixes utilisés ne doivent pas traduire indûment une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur.

7.5 Le vocabulaire technique, scientifique, ou juridique, peut être utilisé s’il est approprié et compréhensible pour les personnes auxquelles s’adresse le message publicitaire.

9. DISPOSITIFS COMPLEXES

Certains dispositifs reconnus peuvent reposer sur des démonstrations très techniques ou sur des montages complexes dans lesquels le bénéfice en matière de développement durable est indirect (ex. dispositifs dits “électricité verte”, “compensation carbone”, “Investissement Socialement Responsable”, etc.).

Lorsque la publicité fait référence à ce type de dispositif :

9.1 Elle doit veiller à ne pas induire le public en erreur sur la portée réelle du mécanisme.

9.2 Si elle utilise des raccourcis simplificateurs à visée pédagogique, elle doit apporter au public les explications nécessaires, aux conditions définies par l’article 4.4 de ce texte.

9.3 L’avantage procuré par les dispositifs de nature à compenser indirectement l’impact négatif d’un produit ou d’une activité ne doit pas être attribué directement au produit ou à l’activité.

Le Jury relève que la publicité critiquée allègue que l’annonceur Brewdog serait une « Brasserie à bilan carbone négatif ».

Le Jury constate que Brewdog a consenti d’importants investissements pour réduire les émissions de gaz à effet de serre résultant de son activité de production de bière et pour mener des actions visant à absorber du CO2 par des puits de carbone (plantation d’arbres, restauration de tourbières…). Cette politique a d’ailleurs fait l’objet d’une communication active dans les médias, tendant à accréditer l’idée qu’elle est la première entreprise internationale de bière au monde à obtenir le statut de brasserie à bilan carbone négatif.

Il ressort toutefois des éléments fournis par la plainte, de la réponse de la société Clear Channel et des informations figurant sur le site internet de l’annonceur – qui n’a lui-même présenté aucune observation – que l’entreprise ne parviendra par elle-même à neutraliser – et même sur-compenser – ses émissions de CO2 qu’à condition, d’une part, que les plantations envisagées ou en cours soient entièrement réalisées, et, d’autre part, que les émissions de CO2 de l’entreprise n’augmentent pas en parallèle dans des proportions qui aboutiraient à un solde positif. L’atteinte de cet objectif reste, à ce stade, hypothétique, et ne saurait être présentée comme certaine. Dans l’immédiat, il apparaît que l’entreprise se borne à acquérir des crédits carbone dans des proportions supérieures à ses émissions.

Le Jury estime que le raccourci simplificateur « Brasserie à bilan carbone négatif », sans le moindre début d’explication dans la publicité elle-même et, en particulier, sans précision selon laquelle la neutralité carbone est, dans un premier temps, atteinte voire dépassée par l’achat de crédits par l’entreprise, et avec au surplus un renvoi sur un site internet en anglais, sans traduction en français, méconnaît les dispositions combinées des points 9.2 et 4.4. de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, qui exigent que l’information essentielle sur le mécanisme de compensation carbone utilisé figure dans la publicité elle-même, en sus d’un renvoi à un autre moyen de communication permettant au public de prendre connaissance des autres informations pertinentes, comme un lien vers un site internet.

Le Jury relève d’ailleurs que le rapport « sustainability » de 2021 auquel fait référence l’afficheur et qui est en ligne sur le site internet de Brewdog, permet difficilement d’éclairer le consommateur, à le supposer anglophone. D’une part, l’accent est mis constamment sur la réalisation des puits de carbone, alors que la démarche n’a été que récemment lancée et ne semble pas encore produire d’impacts significatifs. D’autre part, il n’est fait état explicitement de l’achat de crédits carbone que de façon assez discrète. Or l’entreprise allègue dans le même document que « depuis le 22 août 2020, nous supprimons deux fois plus de carbone dans l’air que nous n’en émettons chaque année », ce qui, en écho aux développements principaux du document, laisse entendre qu’elle y parviendrait par ses propres moyens, ce qui n’est pas le cas. Enfin, et de manière surabondante, le Jury n’est pas parvenu à comprendre comment l’entreprise peut alléguer qu’elle capte deux fois plus de dioxyde de carbone qu’elle n’en émet alors que, selon ce rapport, les émissions annuelles sont estimées à 74.652 TCO2e et l’impact des actions de suppression à 59.622 TCO2e.

La présentation elliptique du mécanisme par la publicité litigieuse peut laisser entendre à tort au consommateur moyen, qui n’est pas familier des mécanismes de compensation carbone, que la consommation de bière Brewdog permettrait par elle-même de réduire les émissions de CO2. Le Jury observe à cet égard que dans le même rapport « sustainability » de 2021, il est prétendu que « à chaque fois que quelqu’un achète une bière Brewdog, le monde reçoit moins de carbone », ce qui revient à attribuer directement à la consommation de cette bière l’avantage procuré par les dispositifs de nature à compenser indirectement son impact négatif. Tel est d’ailleurs le sens d’autres messages publicitaires du même annonceur mentionnés dans la plainte (« Every multipack of Brewdog plants one tree » – « un multipack acheté, un arbre planté » – et « Buy one, get one tree » – « une bière achetée, un arbre offert »).

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que cette publicité méconnaît le point 9 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Avis adopté le 2 juillet 2021 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Depincé, Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.

Alexandre LALLET

Président du JDP

La société Brewdog, à laquelle l’avis du JDP a été communiqué le 15 juillet 2021, a adressé, le 30 juillet suivant, une demande de révision sur le fondement de l’article 22 du Règlement intérieur du Jury. Celle-ci a été rejetée par une décision du Réviseur de la déontologie publicitaire communiquée aux parties le 4 octobre 2021.

Pour visualiser la publicité Brewdog, cliquez ici.