BOUYGUES – BETC – Télévision – Plainte non fondée

Avis publié le 9 novembre 2020
BOUYGUES – 684/20
Plainte non fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le plaignant, les représentants de l’agence de communication BETC et le représentant de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 27 juillet 2020, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’un film publicitaire télévisé, en faveur de la société Bouygues, pour promouvoir sa nouvelle box internet.

La publicité en cause montre un jeune garçon qui s’empare d’une tablette sur le bureau de sa mère occupée à participer à une visioconférence. Il utilise ensuite la tablette pour se filmer ou filmer ses proches au cours de diverses activités de la journée (déguisements, musique, cuisine, jeux d’extérieur…). Ses parents le trouvent finalement endormi sur le canapé du salon. La mère récupère la tablette et s’adresse à un homme plus âgé dont le visage apparaît sur l’écran, en lui demandant « Papa, vous avez passé une bonne journée ? ». Le grand-père de l’enfant répond : « Plutôt calme ».

Le texte accompagnant cette mise en scène est : « Nouvelle Bbox Fibre avec Wi-Fi 6 – Design vertical, Wi-fi optimal » ainsi que la signature « On est fait pour être ensemble ».

2. Les arguments échangés

Le plaignant, qui fait état de sa qualité de pédiatre, s’étonne de voir diffuser une publicité dans laquelle un enfant de six à huit ans subtilise une tablette sous le regard bienveillant de sa mère puis s’en sert toute la journée, même en extérieur, avant de s’endormir avec elle.

Il rappelle que toutes les sociétés savantes et autorités de santé mettent en garde contre l’usage des écrans chez les enfants, qui plus est sans la surveillance des parents. Une telle publicité complique le travail de pédagogie des professionnels de la pédiatrie.

La société Bouygues a été informée, par courriel avec accusé de réception du 9 septembre 2020, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Son agence de communication fait tout d’abord valoir que l’axe de communication de Bouygues Télécom depuis plusieurs années est de placer la technologie au service de l’humain, et non l’inverse. En conséquence, les publicités de cet annonceur prennent soin de ne pas cautionner un usage excessif ou dangereux des nouvelles technologies.

Tel est le cas de la publicité en cause, dans laquelle la tablette se présente comme un outil de communication, tout à fait accessoire à l’histoire, jusqu’au moment où l’on comprend qu’elle a permis au petit-fils de onze ans, et même presque douze – et non six ou huit ans – de maintenir le lien avec son grand-père, lequel assure en même temps la surveillance de l’enfant, avec l’accord de sa mère qui est pleinement consciente de la situation, ainsi que l’assentiment de son père qui l’observe lorsqu’il est dans le jardin.

En outre, la tablette n’est pas utilisée pour consommer des contenus de manière passive et inactive, qui est au cœur des reproches faits aux écrans par les différents organismes de santé, mais dans le cadre d’un appel en visioconférence. L’enfant n’est pas simplement en situation d’exposition à l’écran. Bien que la tablette soit présente en fond, il se livre à des activités physiques, manuelles et intellectuelles (lecture, jeu de rôle, pratique d’un instrument, jeux aquatiques) qui ne le laissent pas passif devant l’écran et sont même totalement indépendantes de la présence de la tablette qui fait uniquement partie du décor. Preuve, d’ailleurs, de l’exercice physique suffisant de l’enfant, il s’endort, fatigué de toutes ces activités.

Les recommandations du CSA tendant à limiter l’exposition des enfants aux écrans portent uniquement sur la consommation de contenus (visionnage de vidéos et images, navigation sur internet, utilisation des réseaux sociaux…) et non sur les applications d’appels en visio. L’Organisation mondiale de la santé insiste davantage, pour l’enfant de plus de 10 ans, sur l’importance d’une activité physique, intellectuelle et sociale, ainsi que d’un temps de sommeil suffisant, que sur la limitation du temps d’exposition à un écran (voir son communiqué du 24 avril 2019).

L’utilisation de la tablette demeure donc saine : non seulement elle n’impacte ni l’activité physique, ni le sommeil, ni les activités sociales ou scolaires de l’enfant, mais elle permet en plus d’entretenir le lien primordial entre un petit-fils et son grand-père.

Dans ces conditions, l’agence considère que ce film ne contrevient à aucun des points de la Recommandation « Enfant » de l’ARPP. Il a été produit dans la volonté de respecter la déontologie publicitaire et a fait l’objet de plusieurs conseils à différentes étapes de la création et l’ensemble des remarques, notamment celles portant sur les aspects sécuritaires dans les différentes scènes de jeux, ont été prises en compte dans les versions finalisées du film.

L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) indique avoir été interrogée, dans le cadre de sa mission de délivrance de conseils, par son adhérent, l’agence de communication Betc concernant le projet de film télévisé, et l’avoir validé sans réserve.

Les observations formulées, prises en compte par les responsables de la publicité, n’ont pas porté sur le respect de la Recommandation « Enfant », auquel l’ARPP est particulièrement vigilante, mais sur le respect des règles déontologiques concernant la sécurité et les comportements alimentaires. Du point de vue de l’ARPP, ce spot ne comporte aucune mise en situation susceptible de porter préjudice à un enfant et à son développement.

En effet, celui-ci est mis en scène dans un environnement familial, s’emparant de la tablette posée sur le bureau de sa mère avec son assentiment, pour communiquer à distance avec son grand-père, les deux adultes ayant réalisé une surveillance continue tout au long de la journée. L’enfant est actif puisqu’on le voit pratiquer différentes activités de jeu, de musique… et même créatif (cuisine, déguisements…), ces activités apparaissant visiblement à sa portée et sans danger.

De plus, en cette période de crise sanitaire, il est apparu positif de montrer des membres d’une famille qui souhaitent garder le lien avec ses anciens sans risquer de les contaminer.

Enfin, il s’agit de saynètes ponctuelles et successives qui ne permettent pas de déduire que l’usage est continu tout au long de la journée.

L’ARPP rappelle que, si la réglementation interdit la publicité promouvant l’utilisation d’un téléphone portable par des enfants de moins de 14 ans (article L. 5231-3 du code de la santé publique), cette interdiction ne s’étend pas à l’utilisation d’une tablette. Par ailleurs, l’ARPP n’a connaissance d’aucun avertissement officiel des autorités scientifiques ou publiques sur l’utilisation d’une tablette par un enfant de cet âge ou nu adolescent.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Enfant » de l’ARPP, qui s’applique à toute publicité mettant en scène des enfants, exige, en son point 2, que de telles publicités soient conçues « avec un juste sens de la responsabilité sociale » et, à ce titre, ne légitiment pas de comportements « qui seraient contraires aux principes (…) d’hygiène de vie ».

En outre, l’article 17 du code ICC Publicité et marketing de la Chambre de commerce internationale (édition 2018), qui est au nombre des règles déontologiques au respect desquelles le Jury doit veiller, prévoit que : « sauf justification pour des motifs éducatifs ou sociaux, la communication commerciale ne doit comporter aucune représentation, ni aucune description de pratiques potentiellement dangereuses ou de situations où la santé et la sécurité ne sont pas respectées, selon les définitions des normes nationales [et] locales » et son article 18.3 dispose que les enfants et adolescents ne peuvent être représentés « dans des situations dangereuses ou dans une participation à un acte dommageable pour eux-mêmes ou pour un tiers, ni être encouragés à participer à une activité ou à adopter un comportement potentiellement dangereux ou inapproprié considérant les capacités physiques et mentales de la population cible ».

Le Jury constate à titre liminaire que les études scientifiques ne concluent pas à la nocivité de principe de l’usage de la tablette tactile par un enfant d’une dizaine d’années. L’avis du Haut conseil de la santé publique relatif aux effets de l’exposition des enfants et des jeunes aux écrans du 12 décembre 2019 fait ainsi état de l’absence de preuve scientifique d’un effet de cette exposition sur la vision et l’audition et de la relative indétermination des effets sur les fonctions cognitives, langagières et la santé mentale.

Ce même avis fait en revanche mention de risques potentiels dont l’occurrence et la gravité sont étroitement liés aux modalités d’utilisation des écrans, tenant en particulier à la durée et à la fréquence d’exposition, au(x) moment(s) de la journée auxquels elle intervient, à l’interactivité des usages et à la nature des contenus consommés ainsi qu’à l’accompagnement ou non par un adulte. Il y a lieu également de tenir compte du contexte social et de l’environnement familial dans lesquels l’enfant évolue. L’avis formule à cet égard plusieurs recommandations telles que : « aucun écran ne doit être allumé et/ou utilisé 1h avant l’endormissement, afin de faciliter l’endormissement et d’améliorer la qualité du sommeil » ou « Trouver un équilibre entre autorisation et interdiction d’utilisation des écrans : Les parents et les encadrants doivent, grâce à l’objectif et la durée d’utilisation de l’écran, limiter le temps d’utilisation des écrans et le circonscrire à des moments définis (entre les repas, fin d’après-midi) ».

Le Jury relève que le film publicitaire en cause met en scène un enfant d’une dizaine d’années allongé sur son lit, plongé dans ses pensées. Il décide subitement de se lever, fait irruption dans le bureau où sa mère participe à une réunion ou un entretien par visioconférence sur son ordinateur, et s’empare brusquement de la tablette tactile posée à côté d’elle. La mère, prise de court, fait un geste dans sa direction qui peut s’analyser comme une forme d’acquiescement. S’ensuivent plusieurs séquences montrant l’enfant réalisant diverses activités devant la tablette (lecture d’un livre, déguisement en fantôme, en robot ou en pirate, utilisation de la batterie d’un frère, irruption dans la chambre de sa sœur en train de danser, confection de potions magiques dans la cuisine, saynète avec des dinosaures en plastique, « ventraglisse » avec une bouée et du matériel de plongée …). Le spot montre ensuite l’enfant endormi sur le canapé, et la mère qui récupère l’équipement dans sa main. Elle s’adresse alors, via la tablette, à une personne manifestement connectée à une application de visioconférence, en lui demandant : « Papa, vous avez passé une bonne journée ? ». Le grand-père de l’enfant lui répond placidement : « Plutôt calme ».

Contrairement aux observations présentées par la société Bouygues et par l’ARPP, le Jury considère que le film publicitaire litigieux fait apparaître une utilisation largement autonome de la tablette par l’enfant et l’absence de contrôle réel par les parents, qui semblent un peu dépassés par les initiatives qu’il prend. Si le grand-père avec lequel il est en contact permanent est susceptible, dans une certaine mesure, d’assurer un contrôle à distance de son usage, la publicité, qui ne le représente qu’à la toute fin du spot, ne le fait pas apparaître clairement et lui assigne un rôle plutôt passif, voire détaché. De même, le film donne à penser que l’enfant a utilisé cet équipement pendant une grande partie de la journée, sinon la totalité, ce qui ressort de la multiplicité des activités représentées, de l’assoupissement de l’enfant exténué à l’issue de celle-ci, tablette à la main, et, surtout, de la question posée par la mère au grand-père : « vous avez passé une bonne journée ? ».

Toutefois, le Jury relève que l’enfant n’utilise pas la tablette pour consommer passivement des contenus, mais seulement pour interagir à distance avec son grand-père, alors que les autorités sanitaires recommandent d’éviter les contacts physiques pendant la pandémie de covid-19. Il n’a pas constamment les yeux rivés sur l’écran, mais se sert essentiellement sinon exclusivement de l’équipement comme d’une caméra pour se mettre en scène devant son grand-père, afin que ce dernier découvre la palette des activités ludiques et physiques auxquelles il s’adonne chez lui, en intérieur et en extérieur. L’enfant se montre très actif et particulièrement inventif. Enfin, cette publicité ne donne pas à penser qu’il s’agirait d’une journée type de l’enfant, qui utiliserait ainsi régulièrement la tablette dans ces conditions ; il semble au contraire que lui est venue subitement l’idée originale, ce jour-là, de se l’approprier et de l’accaparer pour contacter son grand-père et partager avec lui une journée exceptionnellement animée et remplie.

Dans ces conditions, si le Jury comprend tout à fait que le plaignant, qui exerce la profession de pédiatre et s’emploie dans ce cadre à promouvoir un usage raisonnable et responsable des écrans, ait été choqué par cette publicité, il estime que, dans les circonstances de l’espèce, elle ne légitime pas des comportements contraires aux principes d’hygiène de vie, au sens de la Recommandation « Enfant », ni ne représente de pratiques mettant en péril la santé de l’enfant, pas plus qu’elle ne l’encourage, lui ou ses parents, à adopter un comportement potentiellement dangereux ou inapproprié.

Le Jury invite toutefois la société Bouygues à faire preuve de la plus grande vigilance, en particulier au regard des recommandations des autorités sanitaires, lorsqu’elle représente des enfants en situation d’utilisation de matériel informatique et d’écrans, et, en amont, à s’interroger sérieusement sur l’opportunité d’une telle représentation dans ses communications commerciales, en particulier pour promouvoir des services connexes, comme c’est le cas de la publicité litigieuse, qui vise seulement à mettre en valeur la portée du signal wifi de la nouvelle box qu’elle commercialise. Il précise à cet égard que la circonstance que l’article L. 5231-3 du code de la santé publique mentionnée par l’ARPP ne prohibe que la publicité promouvant l’utilisation d’un téléphone portable par un enfant de moins de quatorze ans ne saurait être interprété, a contrario, comme permettant de diffuser librement, sans limite déontologique, des publicités encourageant l’utilisation d’une tablette par des enfants de cette tranche d’âge – alors surtout que cette disposition, issue d’une loi du 12 juillet 2010, a été adoptée à une époque où l’utilisation des tablettes tactiles restait relativement marginale et ne constituait donc pas encore un véritable enjeu de santé publique.

Le Jury observe enfin que cette publicité prend clairement le parti de survaloriser l’initiative et l’autonomie de l’enfant au détriment du rôle de contrôle, de surveillance et d’accompagnement pédagogique des parents dans l’utilisation d’un tel équipement. En attestent le fait que l’enfant s’empare de la tablette sans autorisation préalable, l’ambiguïté du geste de la mère dont l’acquiescement semble largement résigné et contraint par l’activité à laquelle elle se livre, le regard ébahi du père, manifestement dépassé par les évènements lors de l’activité de « ventraglisse », ou encore le fait que la mère ne demande pas à son fils de lui restituer la tablette ni ne la récupère d’autorité, mais se borne à la reprendre dans sa main alors qu’il dort.

Le Jury déplore ce choix de mise en scène, qui n’apparaît d’ailleurs nullement nécessaire au message publicitaire, et souligne le risque d’une mauvaise compréhension de ce message par le public. Il constate toutefois que, si la plainte regrette l’absence de surveillance des parents, présentée comme un facteur aggravant du risque sanitaire lié à l’utilisation prolongée d’une tablette par un jeune enfant, elle ne met pas en cause la conformité de cette publicité avec le point 2.3. de la Recommandation « Enfant », selon lequel « La publicité ne doit pas dévaloriser l’autorité, la responsabilité ou le jugement des parents et des éducateurs ». Il prend note en outre des déclarations de la société Bouygues selon lesquelles cette publicité n’aurait pas suscité de réactions négatives à cet égard. Il estime que ce n’est qu’en considération du caractère manifestement exceptionnel, confinant à l’irréalisme, de la journée que passe l’enfant dans ce spot publicitaire et des conditions très particulières dans lesquels il se sert de cet équipement informatique, qu’on peut admettre que cette publicité n’a pas pour effet de dévaloriser l’autorité et la responsabilité des parents au sens de la Recommandation « Enfant ».

Au bénéfice de ces observations, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne méconnaît pas les dispositions précitées.

Avis adopté le 2 octobre 2020 par M. Lallet, Président, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Charlot, Drecq et Lenain, ainsi que MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.

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