BILLIV

Internet

Plainte fondée

Avis publié le 31 janvier 2024
BILLIV – 985/24
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plaintes,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le représentant de l’association plaignante Two Sides France, d’une part, et la représentante de la société Billiv, d’autre part, lors d’une séance tenue sous la forme d’une visioconférence,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 8 décembre 2023, d’une plainte émanant de l’association Two Sides France, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur de la société Billiv, pour promouvoir son offre de ticket de caisse dématérialisé.

La publicité en cause, diffusée sur le site Internet de la société, utilise les textes :

  • « Le ticket de caisse dématérialisé éco-responsable qui développe votre chiffre d’affaires », – « Le ticket de caisse dématérialisé tout-en-un »,
  • « Optimisation de l’impact : Face aux tickets de caisse en papier, nous avons optimisé la solution billiv pour avoir un impact positif sur l’environnement et sur la santé des consommateurs. »,
  • « Adaptation à la Loi Anti-Gaspillage : En 2023, il sera interdit d’imprimer systématiquement les tickets de caisse, coupons promotionnels, etc. »,
  • « Nos engagements : Chez billiv, l’impact repose sur deux piliers : la protection de l’environnement et la protection des données personnelles des utilisateurs »,
  • « Chaque année en France, 30 milliards de tickets de caisse sont imprimés, ce qui représente 1,5 milliards de litres d’eau et 2,5 millions d’arbres. »,
  • « Écologie : Le ticket billiv est la meilleure alternative au ticket en papier et au ticket par e-mail. Tous nos choix techniques reposent sur notre volonté de minimiser notre impact »,
  • « Le 1er ticket de caisse dématérialisé et éco-responsable par QR code conforme à la Loi AGEC Économisez du papier avec une solution de tickets de caisse digitaux et adaptez-vous à la Loi AGEC. »,
  • « Le e-ticket conforme à la loi AGEC en 1 scan / La Loi Anti-Gaspillage Économie Circulaire (AGEC) entre en vigueur en 2023. / Elle interdit l’impression systématique des tickets de caisse et des tickets de carte bancaire. / billiv permet de s’y adapter grâce aux tickets de caisse dématérialisés par QR code. »,
  • « ticket de caisse éthique et éco-responsable ».

L’association relève également un tableau présentant un « faible impact sur l’environnement » pour le service Billiv comparé au papier ou à un autre service numérique.

2. Les arguments échangés

L’association plaignante énonce que la loi promulguée le 10 février 2020, dite loi AGEC, prévoit à son article 49 que l’impression et la distribution systématique de tickets de caisse est interdite, sauf demande contraire du client. En conséquence, un décret d’application a été publié le 14 décembre 2022. Cette mesure est ainsi entrée en vigueur le 1er août 2023 après plusieurs reports successifs. Depuis la promulgation de la loi, plusieurs start-ups ont initié des campagnes de publicité faisant la promotion des tickets électroniques comme alternative écologique à l’usage du papier.

Parmi celles-ci, Billiv communique via son site internet sur le service qu’elle propose au moyen d’allégations environnementales, la dimension écologique étant un des principaux arguments mis en avant et constituant de ce fait une caractéristique essentielle du service proposé par la société.

Selon l’association, les communications publicitaires réalisées sur le site internet de l’entreprise, dont la visée est clairement et uniquement d’assurer la promotion commerciale du service proposé par Billiv, ne respectent pas la législation en matière de communication environnementale, et ne respectent pas la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

En effet, la loi AGEC prévoit, dans son principe, qu’un ticket ne soit imprimé que si le consommateur en exprime le besoin. Cette loi ne prévoit nullement qu’un commerçant doive avoir recours au ticket numérique en remplacement du papier. On ne voit ainsi pas en quoi délivrer un ticket électronique plutôt qu’un ticket papier serait « conforme à la loi AGEC », à plus forte raison si le consommateur n’en a pas fait la demande. L’allégation selon laquelle Billiv proposerait un « e-ticket conforme à la loi AGEC » ou permettant de « s’adapter à la loi AGEC » ne semble donc pas respecter le principe de véracité. Cette allégation n’est pas non plus loyale, en ce que Billiv fait référence à une loi dont la finalité est la protection de l’environnement, pour faire la promotion d’un service numérique qui ne rentre pas dans le champ de cette loi.

En outre, en mettant en avant de manière répétée l’offre d’un service « dématérialisé », Billiv a recours à un a-priori positif pour l’environnement qui ne repose sur aucune réalité. En effet, le service proposé par Billiv nécessite un matériel électronique chez le commerçant, sollicite le smartphone du client, des réseaux et de l’énergie pour fonctionner. Bien que cette idée de dématérialisation, laissant penser qu’une communication alternative au papier ne nécessiterait pas de ressources naturelles, soit couramment utilisée dans la vie quotidienne, une entreprise proposant un service numérique ne peut y avoir recours dans sa communication publicitaire sauf à laisser croire sans le justifier que ce service aurait moins d’impact écologique que le support papier, voire n’en aurait aucun.

En revendiquant à plusieurs reprises un service « éco-responsable », sans autre précision ni nuance, Billiv à recours à une allégation globalisante, interdite par la loi AGEC – loi à laquelle Billiv fait référence dans sa communication et ne saurait donc ignorer.

En revendiquant « avoir un impact positif sur l’environnement et sur la santé des consommateurs », Billiv non seulement suggère qu’elle n’aurait pas d’impact négatif, mais encore qu’elle aurait un impact positif sur l’environnement, ce qui ne peut qu’induire le public en erreur sur la réalité des propriétés du service proposé par Billiv, puisque l’utilisation d’un service numérique aura nécessairement un impact sur l’environnement par les ressources naturelles qu’il mobilise pour fonctionner.

En mettant en avant les ressources naturelles (notamment l’eau et les arbres) utilisées en France pour la production de tickets de caisse papier, Billiv ne fournit aucune source à l’appui des chiffres avancés et revendique un impact positif infondé sur l’environnement en prétendant éviter l’utilisation d’arbres, quand les statistiques professionnelles (COPACEL en France, CEPI en Europe) indiquent que la production de papier en France repose essentiellement sur le recyclage ou l’utilisation de sous-produits de la filière bois (coupes d’éclaircies, usage de sous-produits de scieries), avec pour conséquence que l’économie de papier grâce à l’usage du service proposé par Billiv sera sans effet sur les arbres (ce point ayant déjà fait l’objet de délibérations précédentes par le Jury). Elle établit de facto une comparaison environnementale incomplète en mentionnant des impacts environnementaux du papier sans fournir d’informations sur les impacts environnementaux de son service, qui permettraient de justifier du bénéfice environnemental allégué.

Par le tableau comparatif présenté sur son site, Billiv ne fournit aucune information permettant de comprendre la base sur laquelle la comparaison environnementale favorable à son service est réalisée.

Cette communication promotionnelle contrevient à différentes règles édictées dans la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, notamment en ce que :

  • Billiv ne présente pas les impacts de ses produits. L’entreprise minimise ainsi les conséquences de la consommation de ses produits susceptibles d’affecter l’environnement en suggérant de fait qu’ils n’en auraient pas, voire qu’ils auraient un impact positif, et en tout cas moins que l’utilisation de l’alternative papier, sans justifier ce propos. [§1.1.c] et [§3.3.b]
  • En ne présentant pas les impacts environnementaux du produit vendu par Billiv, et en revendiquant une conformité à une loi à visée environnementale qui ne concerne pas son service, cette publicité induit le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ainsi que sur les propriétés de ses produits en matière environnementale. [§2.1]
  • Le message publicitaire n’exprime pas avec justesse les propriétés des produits de l’annonceur, dans la mesure où cette publicité ne présente que des éléments critiques d’un moyen de communication concurrent et n’évoque à aucun moment les impacts environnementaux de ses propres produits, voire revendique qu’ils auraient un impact positif sur l’environnement. [§3.1]
  • Les sources à l’appui des impacts écologiques allégués pour le papier ne sont pas mentionnées. Elles ne sont donc ni claires ni lisibles. [§4.3] et [§4.5]
  • Billiv réalise une comparaison entre différentes alternatives papier ou numériques sans en indiquer la base. [§4.6]
  • Les termes et expressions utilisées laissent entendre indûment par défaut et par comparaison au papier une absence d’impact négatif du produit ou de l’activité de l’annonceur, voire revendiquent un impact positif. [§7.4]

La société Billiv a été informée, par courriel avec accusé de réception du 14 décembre 2023, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

La société fait valoir que, au sujet de la la loi AGEC, l’impact de Billiv est cité être positif sur le site car il permet aux vendeurs et aux consommateurs de choisir une alternative à se saisir d’un papier recouvert de bisphénol aux conséquences néfastes pour la santé, et pour l’environnement, en ce qu’un ticket billiv empêche la propagation d’un ticket papier non-recyclable et dangereux pour l’environnement.

La solution technique Billiv est optimisée pour réduire son impact au maximum, à l’inverse du mail. Un ticket Billiv est 70 fois plus léger qu’un PDF envoyé par email (moyenne basse à 35 Ko prise en compte pour le poids du PDF).

Les serveurs de l’entreprise sont dans le data center de Google à Saint-Ghislain en Belgique. Il a été le premier centre de données Google à fonctionner sans aucune réfrigération. À la place, il utilise un système avancé de refroidissement par évaporation qui puise les eaux grises dans un canal industriel à proximité. Cela permet de maintenir les ordinateurs à leur efficacité maximale et de réduire la consommation d’énergie globale. Ce centre a un PUE (Power Usage Effectiveness) de 1.09, sachant qu’en moyenne les datacenter ont un PUE de 1,57 ce qui signifie que pour 1 Watt consommé par l’informatique, il en faut 1,57 Watt à l’entrée du datacenter. Il utilise donc 30% d’énergie en moins que la moyenne, à l’inverse des serveurs utilisés pour les emails. Enfin, il est alimenté à 80% en énergies décarbonées.

L’annonceur ajoute que le gouvernement a d’ailleurs reconnu les tickets dématérialisés comme une alternative valable aux tickets papiers dans une communication. L’impact de Billiv se trouve aussi dans son respect des données personnelles des consommateurs. En effet, à l’inverse de l’email, la solution Billiv ne requiert aucun partage de données des consommateurs. C’est ce que recommande la CNIL. Les associations de consommateurs comme UFC Que Choisir ont fortement protesté contre les tickets par email pour préserver la vie privée. Billiv est donc la meilleure alternative pour la protection des données personnelles, ce qui est inclus dans l’aspect responsable de la marque.

Enfin, contrairement à ce qui est dit dans la plainte, l’impact indirect du ticket Billiv est effectivement faible car comme indiqué sur le site, le ticket Billiv s’adapte entièrement au matériel de caisse déjà présent chez les commerçants, requiert l’usage de téléphones que les clients possèdent, et l’ajout de Billiv à une caisse requiert simplement l’installation d’un QR sur support bois ou papier près du terminal de paiement. Il s’agit donc d’une impression sur un papier simple, qui peut éviter l’impression de nombreux tickets sur un papier thermique dont la composition est, encore une fois, néfaste pour la santé humaine comme pour l’environnement.

Concernant le support mis en cause, à savoir, le site vitrine de Billiv, l’annonceur précise qu’en raison de son ancienneté, ce site ne représente pas parfaitement les engagements actuels de Billiv ni ses pratiques de communications. En tant que jeune startup aux ressources limitées, elle a préféré prioriser ses efforts sur les actions positives plutôt que sur la communication sur le site.

Le site ne parle pas de tous les engagements éco-responsables du produit Billiv. Ainsi, il est proposé aux utilisateurs d’activer une bonne action depuis l’interface du ticket en collaboration avec All Colibri et Captain Cause. Par exemple, chez Day by Day Dijon, 50 repas ont été offerts aux plus démunis en 1 mois via l’association Le Chaînon Manquant, et chez We are Paris, Billiv a permis de retirer 14 kg de plastique de l’océan au Sri Lanka.

En refonte depuis plusieurs mois, certaines des planches graphiques de la nouvelle version du site pourront d’ailleurs être présentées au Jury lors de l’audition afin de prouver que ce travail est bel et bien en cours.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre des « impacts éco-citoyens » (point 1 ) : « La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant notamment compte de la sensibilité du corps social a un moment donne et du contexte de diffusion de la publicité. Sans qu’il soit fait référence au concept de développement durable ou à l’une de ses composantes, une publicité doit éviter de véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable. Dans cet esprit :

1.1 La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple :

(…)

c/ La publicité doit éviter, dans son discours, de minimiser les conséquences de la consommation de certains produits ou services susceptibles d’affecter l’environnement […]».

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :
    • 3. L’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité ; / Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul. / La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus (…) »
  • au titre de la « clarté du message » (point 4) :
    • « 4.3Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation Mentions et renvois de l’ARPP. (…)
    • 5. Tout message publicitaire reposant sur une étude scientifique doit en indiquer la source.
  • au titre du « vocabulaire » (point 7) :
    • « 7.1 Les termes et expressions utilisés ne doivent pas induire le public en erreur sur la nature et la portée des propriétés du produit ou des actions de l’annonceur en matière de développement durable /

Le Jury relève, d’abord, qu’en application du point 4.3 de la Recommandation « Développement Durable » précité, l’objectif de clarté est insuffisamment respecté.

La présentation sur le site internet de BILLIV évoque un service permettant la production d’un ticket numérique par QR code « conforme à la loi AGEC en un scan », sans référence au fait, comme l’a indiqué la représentante de l’entreprise lors de son audition par le jury, que le site s’adresse exclusivement aux commerçants utilisateurs.

Or, si loi du 10 février 2020 dite Loi AGEC prohibe l’impression et la distribution des tickets de caisse, sauf demande contraire de l’acheteur, elle est, en revanche, muette quant au recours au ticket numérique sous quelque forme que ce soit. Dès lors, et malgré les explications utiles apportées par BILLIV au jury lors de sa séance du 12 janvier 2023 sur son objectif qui est de s’adresser, non pas au consommateur classique, mais exclusivement à des commerçants dans le but de faciliter la gestion de leur caisse, l’allégation souffre d’un manque de clarté dans la mesure où elle crée une ambiguïté puisqu’on peut en déduire qu’il s’agit d’une modalité alternative expressément prévue par la loi. Pour la même raison, lorsque le site internet propose une version atténuée qui ne fait pas référence à la notion de « conformité » à la loi mais indique que son application permet de s’y « adapter », le message est encore insuffisamment explicite.

Par ailleurs, l’affirmation, en forme de slogan, selon laquelle BILLIV permet de générer « le ticket de caisse dématérialisé eco-responsable » ou encore « éthique », même si elle est aussi accompagnée, dans un autre extrait du site internet, d’un message qui relativise le propos puisqu’il explique que la technologie utilisée a pour objectif de « minimiser son impact sur l’environnement » en ce qu’elle évite la production de tickets- papier et l’envoi d’e-mail, reste, malgré tout, une formulation trop globalisante.

En outre, alors que l’entreprise ne donne aucune information précise dans la communication internet sur son propre impact qui ne peut être nul, comme elle le reconnait d’ailleurs elle-même dans ses arguments, elle met en avant « un impact positif sur l’environnement et sur la santé des consommateurs », suggérant ainsi, non seulement que son activité n’aurait aucun impact négatif, mais encore qu’elle serait positive sur l’environnement et la santé, sans s’en expliquer.

Même si les explications données au Jury par l’entreprise quant à ses efforts pour limiter son impact sur l’environnement sont dignes d’intérêt, il relève néanmoins que le site internet n’en fait pas lui-même état.

Enfin, ses critiques chiffrées relatives à la production de tickets de caisse papier en France qui représenteraient 1,5 millions d’arbres et 15 milliards de litres d’eau ne sont accompagnées d’aucune citation de source et, s’agissant des arbres, sont de nature à laisser croire qu’ils sont abattus dans ce but, sans la nuance que le papier peut être produit grâce à la récupération de chutes de bois de scieries ou avec des arbres abattus au titre de l’entretien nécessaire à la bonne gestion de la forêt.

On peut donc en conclure que ces messages parce qu’ils tendent à minimiser son propre impact et qu’ils sont incomplets ou trop lapidaires avec quelques formules globalisantes sont susceptibles d’induire en erreur le public et méconnaissent ainsi les points 1.1 c, 2.3, 4.5 et 7.1 de la Recommandation précitée.

Avis adopté le 12 janvier 2024 par Mme Tomé, Présidente, M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Aubert de Vincelles, Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Lucas-Boursier et Thomelin.


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