Décision publiée le 18.03.2009
Plaintes fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– après avoir entendu successivement l’un des plaignants, les représentants de l’ARPP et de la régie publicitaire cinéma ;
– et après en avoir délibéré, hors la présence de l’ARPP et des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi par plusieurs plaintes de particuliers les 12, 16, 23, 24 et 27 janvier 2009, portant sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire diffusée dans la presse, au cinéma et sur Internet par une chaîne de télévision musicale.
Cette publicité présente, pour sa diffusion presse, un homme à la mimique menaçante, empoignant un autre par les cheveux, lequel grimace de douleur, accompagné du texte « Vous n’avez pas fini de vous battre pour la télécommande« .
Les images des films publicitaires diffusés au cinéma et sur Internet montrent, au ralenti, des scènes de lutte entre différents personnages, sur la mélodie de la valse dite du beau Danube bleu accompagnées du texte « Vous n’avez pas fini de vous battre pour la télécommande« .
2.Procédure
Les plaintes ont été communiquées le 12 février 2009 à l’annonceur qui a été informé par lettre recommandée du 12 février 2009, reçue le 13 février 2009, de la date de la séance.
3.Les arguments des parties :
Les plaignants considèrent que cette campagne est de nature à choquer, notamment les enfants, qu’elle constitue une incitation à reproduire des comportements nocifs, qu’elle banalise et fait l’apologie de la violence, notamment auprès des jeunes, qui plus est, pour un motif futile.
L’ARPP indique qu’elle avait été consultée pour un film identique destiné à la diffusion télévisuelle, qu’elle avait alors délivré un avis de modifications à la suite duquel le film n’a pas été diffusé à la télévision. Elle précise qu’elle n’a pas été consultée pour les médias presse, cinéma et Internet, mais que cette campagne a fait l’objet d’une intervention après diffusion, par courrier du 12 janvier 2009 et par entretien du 20 janvier 2009, entre le directeur général de l’ARPP et le représentant de l’annonceur, par lesquels il a été signifié qu’une telle évocation de la violence est de nature à heurter les publics sensibles et constitue, à ce titre, un manquement aux principes déontologiques selon lesquels la publicité doit éviter toute scène de violence, ne pas inciter à la violence et ne pas choquer le public.
L’annonceur explique que le ton de cette campagne se voulait avant tout humoristique, relevant même du registre du burlesque par son caractère particulièrement scénarisé et esthétisé. Il précise que la mise sur fond blanc des personnages, ainsi sortis de leur environnement, permet d’appuyer le caractère irréel de la situation et de ce qu’il y aurait de dérisoire à se battre véritablement pour une télécommande.
Il met l’accent sur le fait que le message « Vous n’avez pas fini de vous battre pour la télécommande » avait pour objectif de détourner une expression couramment utilisée dans les foyers, ce qui renforçait le ton humoristique du visuel. L’objectif premier était de tourner en dérision une situation jugée quotidienne, le message publicitaire représentant ainsi le fantasme d’un affrontement pour la télécommande et symbolisant le caractère irrésistible du service rendu par l’annonceur.
L’annonceur affirme n’avoir voulu, en aucune manière, inciter le public à une quelconque violence, ni en faire l’apologie, mais seulement détourner de façon humoristique le message publicitaire sur la diversité des programmes de l’annonceur disponibles sur le réseau de l’opérateur de télévision et les divergences de goût des occupants d’un même foyer.
Il indique avoir pris soin de demander aux régies publicitaires cinéma de ne pas diffuser le spot avant les films destinés au jeune public. Concernant le média Internet, il indique avoir fait en sorte que la campagne ne soit diffusée que sur des sites dédiés aux 18-34 ans.
La régie publicitaire cinéma expose avoir fait parvenir aux exploitants de salles de cinéma une circulaire d’alerte visant à éviter la projection de spots auprès des jeunes publics, certaines scènes étant susceptibles de les choquer.
L’autre régie publicitaire cinéma indique, par courrier, n’avoir reçu aucune plainte par l’intermédiaire de ses exploitants.
3.Les motifs de la décision du Jury
Il résulte des dispositions déontologiques et notamment,
d’une part, de la Recommandation Image de la personne humaine, que :
- La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique.
- La publicité ne doit, en aucun cas, par ses messages, ses déclarations ou sa présentation, banaliser la violence ;
et d’autre part, de la Recommandation Enfant, que :
- La communication de marketing ne doit comporter aucune déclaration ou aucun traitement visuel qui risquerait de causer aux enfants ou aux adolescents un dommage sur le plan mental, moral ou physique (article 18 du code CCI).
- La publicité doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale
- La publicité ne doit pas présenter favorablement des actes antisociaux ou délictueux, ni inciter les enfants à commettre de tels actes.
- Elle ne doit pas légitimer des comportements qui seraient contraires aux principes de citoyenneté, aux règles du savoir-vivre, d’hygiène de vie, de protection de l’environnement ou de respect des autres. La publicité doit éviter toute scène de violence ou de maltraitance, directe ou suggérée, que celle-ci soit morale ou physique.
- Elle ne doit en aucun cas, par ses messages ou sa présentation, banaliser la violence ou la maltraitance, ni donner l’impression que ces comportements sont acceptables.
- Elle ne doit pas inciter les enfants à reproduire des comportements agressifs ou violents.
Le Jury relève que les images de lutte montrées par la publicité critiquée sont particulièrement expressives. L’« esthétisme » avec lequel elles sont mises en scène ainsi que la musique qui les accompagne ne sont pas de nature à en atténuer le caractère violent qu’accentue, au contraire, le ralenti. Si cette mise en scène, peut probablement être perçue comme humoristique par certains, elle ne peut cependant, à titre principal, que concourir à associer le texte au premier degré de compréhension du verbe « se battre », c’est-à-dire lutter physiquement. S’adressant, en dépit des précautions qu’indique avoir prises l’annonceur, à un public jeune et encore influençable, elle est susceptible, par la banalisation de la violence qu’elle exprime, de constituer un message de permissivité, voire d’incitation à celle-ci.
Le Jury considère donc que cette publicité n’est pas conforme aux dispositions déontologiques en vigueur notamment en ce qu’elle banalise la violence et peut être de nature à y inciter.
4.La décision du Jury
– Les plaintes sont fondées.
– La décision du Jury sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur, aux régies publicitaires cinéma ; elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.
Délibéré le vendredi 6 Mars 2009 par Mme Michel-Amsellem, vice-présidente, suppléant la présidente empêchée, Mmes Drecq et Moggio, et Ms Benhaïm, Carlo, Lacan, Leers et Raffin