Avis JDP n°214/12 – SITE DE RENCONTRES – Plaintes non fondées

Décision publiée le 26.09.2012
 Plaintes non fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de la société d’affichage et de l’annonceur;

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 9 et 10 juillet 2012, de plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce, sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une campagne publicitaire en faveur de la société A pour son site Internet de rencontres.

En affichage, le visuel en cause montre, en gros plan, le visage d’un homme portant des lunettes et souriant. Cet homme est doté d’une longue chevelure et d’une moustache rousses.

Cette image est surmontée du logo de l’annonceur (une femme stylisée poussant un chariot de supermarché dans lequel tombe un homme) et le nom du site internet adopteunmec.com.

Deux phrases composent l’accroche, la première face au visage indique : « Cette semaine, série spéciale carottes », la seconde, figure sous la photo et énonce : « Cette semaine, série spéciale carottes – adoptez un roux ! Pour voir la vie en orange ».

2.Les arguments des parties

Les plaignants considèrent que cette campagne est insultante et dégradante vis-à-vis des hommes et porte atteinte à leur dignité. Ils ajoutent que ces publicités sont choquantes vis-à-vis des personnes rousses.  Il s’agit clairement d’une campagne discriminatoire puisqu’elle touche aux attributs physiques des personnes, en l’occurrence, la couleur de cheveux, discrimination qui peut être perçue comme aussi forte que celle qui viserait la couleur de peau, les croyances religieuses ou l’orientation sexuelle.

La société A fait valoir que, dans le cadre d’une présentation humoristique et décalée, le site adopteunmec.com propose à ses utilisateurs, une inversion du processus de séduction où les femmes peuvent choisir les hommes avec qui elles souhaiteraient engager éventuellement une discussion afin d’envisager une rencontre.

Depuis sa création, le site internet de rencontres a donc pris le parti de présenter les hommes comme des produits classés selon leurs spécificités, laissant les femmes faire leur choix. Ce concept est particulièrement mis en exergue par le logo de la marque semi figurative qui présente une femme poussant un caddie dans lequel tombe un homme.

Misant sur l’originalité de son concept, le site adopteunmec.com a aussitôt fait l’unanimité auprès des 18-35 ans auprès desquels il est rapidement devenu un leader des sites de rencontres.

Il s’agit également d’un concept mettant en valeur les hommes (les abonnés) : en effet, comme dans la majorité des sites de rencontre, les hommes sont invités à se présenter en précisant des éléments de leur personnalité, des caractéristiques physiques, voire leurs préférences sexuelles. Cette présentation est faite au libre choix de l’internaute. Elle permet au site adopteunmec.com de mettre en valeur l’originalité de ses abonnés auprès des utilisatrices, avec humour mais toujours avec respect.

Sur la campagne publicitaire critiquée, l’annonceur précise qu’elle s’intègre dans plusieurs autres dont le ton est décalé et humoristique, l’objectif étant de rassurer les futurs abonnés quant à la promotion de leurs particularités, tout en incitant les utilisatrices à venir les découvrir. C’est ainsi qu’une première campagne télévisuelle a été largement diffusée (notamment sur LCI) dans laquelle une présentatrice parodiant Bloomberg TV évoquait les cours de la bourse où « les Doux sont en hausse, les Imberbes ont fait l’objet d’une OPA engagée par les barbus ».

Puis, plus récemment, de nouveaux spots ont été très largement diffusés (différentes chaînes privées…) parodiant des publicités pour des cosmétiques et mettant en valeur de manière humoristique les traits de séduction de ces différents garçons (un barbu, une personne de petite taille, un roux, un métis, un tatoué…).

L’annonceur souligne que ces spots ont été validés préalablement par l’ARPP et que la campagne d’affichage sur les roux reprend les principaux éléments du spot validé.

La campagne d’affichage « Adoptez un roux, voyez la vie en orange » avait pour but de montrer que le site de rencontres permet à ses utilisatrices de trouver des hommes rares, originaux et séduisants. L’accent a donc été mis sur la sélection d’une photographie valorisante tout en choisissant un modèle original par son look, donnant envie à d’éventuelles utilisatrices de le découvrir. Selon l’annonceur, cet objectif a bien été atteint car, selon un sondage effectué sur un réseau social le 15 juillet dernier, les internautes estiment que Lucienne (personnage récurrent des derniers spots publicitaires) devrait finalement sortir avec le roux plutôt qu’avec les autres concurrents.

De même, de nombreux internautes se sont manifestés auprès de l’annonceur afin d’obtenir un exemplaire de l’affiche publicitaire, manifestant leur adhésion à ce concept publicitaire décalé. La majorité des internautes sollicitant l’affiche étaient roux ; les autres souhaitaient en offrir une à leur ami roux ou féliciter le site pour son audace.

Quant au slogan « Adoptez un roux, voyez la vie en orange », il fut choisi afin de véhiculer une image positive : ce dernier renvoie naturellement à l’expression « voir la vie en rose »; de plus, le verbe « adopter » incite quant à lui à prendre soin des roux (c’est d’ailleurs ce message qui a été retenu dans le cadre de la parodie diffusée sur le site web « série spéciale carottes, cultivez-les avec soin ».).

Enfin, l’annonceur fait valoir qu’il n’aurait eu aucun intérêt à diffuser une image du roux avilissante ou « rabaissante », l’objectif étant d’attirer des utilisatrices dont le nombre permet de garantir l’attractivité du site et de nouveaux abonnés rassurés par l’image que le site internet donnera d’eux en leur qualité de « futurs produits », le site de rencontres n’hésitant pas à faire ressortir leur originalité sans se conformer aux seuls stéréotypes physiques qui sont mis en valeur par ses concurrents.

Dans le même esprit, le site de rencontres diffuse régulièrement, sur sa page d’accueil, des annonces promotionnelles factices parodiant avec humour les grandes surfaces et l’esprit de consommation (lesquelles n’ont pas été diffusées par affichage comme le prétend le plaignant). Les dernières parodies concernaient les moustachus (« semaine internationale de la moustache, un moustachu mis au panier, un barbu offert »), les barbus (« offre spéciale ours, délicatement doux »), les frisés (« liquidation totale de tous nos frisés »), les roux (« série spéciale carottes, cultivez-les avec soin »).

En réponse aux critiques formulées dans les plaintes, l’annonceur fait valoir que :

Aucun élément dégradant n’a été utilisé dans l’affiche publicitaire. Le modèle est souriant et avenant.

La mention « spéciale carottes » n’est pas dévalorisante ni même humiliante car elle fait uniquement référence à la couleur de la chevelure (issue de la littérature française elle est entrée dans les usages et est utilisée par les grands noms de la coiffure). A ce titre, la campagne TV validée par l’ARPP reprend de nombreux éléments liés à la carotte et donnant une image positive (« ayez votre dose de bonne humeur ») ou humoristique (« cheveux enrichis en béta-carotène ») des personnes rousses.

La référence à la carotte ne contrevient pas aux dispositions de la Recommandation de l’ARPP concernant les stéréotypes.

Aucun attribut physique ou son utilisation ne saurait à lui seul caractériser une discrimination, une publicité pouvant parfaitement être ciblée en fonction des caractéristiques physiques de ses destinataires (âge, poids, sexe.. ou couleur de cheveux notamment pour une teinture ou un shampoing)

Si la définition de la discrimination nécessite l’individualisation de caractéristiques physiques (parfaitement identifiées en l’espèce avec la couleur de cheveux), elle exige aussi un traitement différent injustifié portant atteinte aux droits ou à la dignité des personnes visées (ce qui n’est aucunement démontré en l’espèce avec cette campagne qui tend à valoriser les roux auprès des jeunes femmes célibataires).

Quant aux publicités diffusées sur le site de rencontres, l’annonceur émet des réserves concernant la compétence du Jury de Déontologie publicitaire sur la parodie diffusée sur la page d’accueil du site. En effet, selon lui, ces parodies de publicités vantent, non pas les qualités du site web où se trouve déjà le consommateur qui en prend connaissance, mais les qualités des « produits » inscrits sur le site. A ce titre, il estime qu’il ne saurait s’agir de publicités au sens juridique du terme. Il ne s’agit pas de messages destinés à promouvoir le site (car les internautes sont déjà présents sur le site) mais plutôt de parodies de publicités destinées à décorer et habiller le site en lui donnant l’apparence d’un magasin.

Dans tous les cas, il s’agit là encore de faire un usage humoristique de l’originalité des personnes présentées.

Il ajoute que la validité du logo relève de l’INPI et non de la compétence du JDP.

En conclusion, l’annonceur rappelle qu’il a toujours été sensible au respect de l’image de la personne humaine et relève que la campagne publicitaire en cause, dans son ensemble, n’a pas heurté la sensibilité des roux (qui y sont majoritairement favorables) et a même contribué à renforcer leur popularité.

La société d’affichage fait valoir que le site adopteunmec.com catégorise depuis quelques mois, sur le thème humoristique, la gent masculine (métis, tatoué, barbu…) en en faisant ressortir les côtés « positifs » selon les codes détournés de la publicité pour produits cosmétiques.

D’ailleurs, sur la déclinaison télévisuelle de la publicité relative aux hommes roux, l’image de ces personnes est associée à « voir la vie en orange », « chevelure brillante », « qui donne bonne mine », ce qui ne constitue rien de discriminatoire.

Ce visuel est à mettre en perspective avec les autres accroches de ce site pour lequel le tatoué a des « pigments aux couleurs vibrantes » et le barbu, des « poils enrichis à la kératine ».

Selon l’afficheur, le visuel incriminé ne porte en aucun cas atteinte à la dignité ou à la décence des roux, il ne s’en moque pas, pas plus qu’il ne les présente dans une mise en scène dégradante ou ne joue sur des stéréotypes les concernant.

Elle fait enfin observer que le respect de la Recommandation Image de la personne humaine n’interdit cependant pas le recours à l’humour.

L’autre société d’affichage fait valoir que les plaintes formulées ne semblent pas concerner le visuel affiché dans les couloirs du métro parisien du 13 au 19 février 2012 ainsi qu’à Rennes du 7 au 13 mars 2012.

Le visuel affiché par Métrobus représentait en blanc sur fond noir une silhouette stylisée de femme poussant un charriot à l’intérieur duquel un homme stylisé semble tomber dans la direction d’une flèche dessinée sous lui.

Elle fait valoir que ce visuel suggérant une marchandisation était néanmoins suggérée de manière neutre et déshumanisée par un dessin stylisé en noir et blanc proche d’un croquis correspondant de surcroît au logo du site.

Elle a interrogé l’ARPP qui a émis un avis favorable  sous réserve de l’ajout de l’identification de l’annonceur, ce qui a été respecté.

3.Les motifs de la décision du Jury

 Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP dispose :

Dans son préambule que : «La publicité ne doit cautionner aucune forme de discrimination, y compris celle fondée sur la race, l’origine nationale, la religion, le sexe ou l’âge, ni porter en aucune façon atteinte à la dignité humaine”. Art 4 du code de la C.C.I.

Au point 1-3 que « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, (…) etc., attentatoires à la dignité humaine ».

Au point 2-1 que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet » ;

Au point 2-3 que « L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation. »

 Au point 2-4 que «  La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance ou de racisme. »

Le Jury relève que l’objet du site de rencontres exploité par l’annonceur repose sur l’idée de permettre aux femmes de choisir la personne qu’elles souhaitent rencontrer et que ce site se différencie des autres en mettant en avant les particularités et différences des hommes, candidats à ces rencontres plutôt que leur conformité à un certain modèle physique et social.

La promotion ainsi faite du site invitant à rencontrer des hommes roux n’est donc en rien dévalorisante pour les personnes ayant cette couleur de cheveux, mais plutôt valorisante de ce caractère physique.

S’agissant de l’affiche, le Jury observe que l’homme qui y est présenté est souriant, qu’il apparaît dynamique et épanoui, les particularités des lunettes et des longs cheveux d’un roux intense qu’il porte semblent parfaitement assumées et utilisées comme un avantage plutôt qu’un fardeau.

Les slogans « série spéciale carottes » et « adoptez un roux pour voir la vie en orange » qui accompagnent cette photo se lisent en lien avec l’impression chaleureuse qui émane du personnage et ne peuvent être considérées comme discriminants, critiques ou dévalorisants puisqu’ils promeuvent la couleur rousse. La référence à la carotte n’apparaît en l’occurrence pas dévalorisante dans la mesure où elle est énoncée sans stigmatisation, ni dévalorisation des personnes.

En ce qui concerne le logo de l’entreprise qui représente de manière stylisée une femme poussant un chariot de supermarché dans lequel tombe un homme, le Jury précise qu’il ne saurait en apprécier la validité en tant que marque.

Néanmoins, dès lors que ce logo figure sur une publicité, le Jury estime qu’il peut apprécier sa conformité aux principes déontologiques dont il a pour mission de contrôler le respect.

Cette représentation qui traduit l’objectif poursuivi par le site de permettre aux femmes de choisir qui elles souhaitent rencontrer, inverse les codes de notre société où les femmes sont encore, trop souvent, représentées comme des objets, notamment en publicité.

Ce caractère déshumanisé et humoristique lié à la présentation très stylisée du concept conduit à considérer que le logo de la société est admissible au regard des dispositions de la Recommandation sur l’image de la personne humaine et notamment son article 2-1

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont rejetées ;

– La publicité de la société A ne contrevient pas au préambule ni aux points 1.3 et 2.1, 2.3 et 2.4 de la Recommandation Image de la Personne Humaine ;

– La décision sera communiquée aux plaignants et à l’annonceur.

Délibéré le 7 septembre 2012, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mmes Drecq, Moggio, MM Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.