ALBIOMA – Internet – Plainte partiellement fondée – Demande de révision rejetée

Avis publié le 28 janvier 2022
ALBIOMA – 792/21
Plainte partiellement fondée
Demande de révision rejetée

 Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu le plaignant ainsi que les représentants de la société Albioma,
  • après en avoir débattu,
  • l’avis délibéré ayant été adressé à la société Albioma ainsi qu’au plaignant, lequel a introduit une demande de révision rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie ci-dessous, annexée au présent avis,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 12 octobre 2021, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, diffusée sur les réseaux sociaux et le site Internet de la société Albioma, pour promouvoir sa centrale électrique de Bois-Rouge située sur l’île de la Réunion.

La publication Linkedin mise en cause utilise le texte « La conversion de la centrale de Bois-Rouge au 100 % biomasse va renforcer la transition énergétique de l’île de la Réunion…. Un pas de plus pour développer une économie circulaire et durable ». Il est en outre renvoyé à un lien vers un article publié sur le site internet d’Albioma indiquant : « La conversion de la centrale de Bois-Rouge permettra une réduction de 84 % de ses émissions de gaz à effet de serre », par rapport au fonctionnement actuel de la centrale à charbon.

2. Les arguments échangés

Le plaignant considère que cette publicité affirme une réduction de 84 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) sans apporter aucune justification valable. Il s’agit donc d’une publicité mensongère caractéristique de la pratique du « Greenwashing ».

Il ajoute que la méthodologie de calcul et les hypothèses sous-jacentes ayant conduit à l’obtention de cette réduction de 84 % des émissions de GES ne sont à aucun moment détaillées, que ce soit dans l’article ou via un renvoi vers une autre page présentant les calculs.

Le calcul des émissions de gaz à effet de serre occasionnées par la combustion de biomasse selon une analyse en cycle de vie est un sujet complexe comme le montre un rapport récent publié par le Joint Research Center de la Commission européenne ou encore par les études menées par les autorités britanniques sur des sujets similaires.

L’un des enjeux scientifiques pour l’analyse en cycle de vie de la combustion de biomasse pour la production d’électricité est l’identification des scénarios de cultures vis-à-vis d’un scénario de référence. De telles informations, pourtant essentielles pour faire un calcul d’émissions de GES pour la combustion de biomasse pour de la production d’électricité, n’apparaissent pas dans l’article d’Albioma.

Le plaignant, qui a produit une série de documents en réponse aux observations de l’annonceur, estime qu’en conséquence, cette publicité méconnaît la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP, notamment son point 2.3.

En séance, il a précisé que le message critiqué était en décalage avec les connaissances scientifiques disponibles, que la directive RED II dont la méthodologie a été utilisée est un document politique, et non scientifique, et qu’il est daté, que le rapport sur lequel le chiffre de 84 % repose n’est pas accessible au public ni mentionné dans la publicité, et qu’en tout état de cause, la synthèse produite par Albioma ne comporte pas d’informations suffisamment précises pour vérifier la rectitude des calculs.

La société Albioma a été informée, par courriel avec accusé de réception du 3 novembre 2021, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

La société a transmis au Jury, un extrait du document d’enregistrement universel 2020, par ailleurs disponible sur le site de l’entreprise et enregistré auprès de l’AMF (Autorité des marchés financiers), indiquant :

« La stratégie de remplacement du charbon par la biomasse a également été analysée sur le plan carbone. Des études comparant l’utilisation du charbon à des granulés de bois importés ont confirmé que l’approvisionnement en biomasse depuis l’étranger contribue à réduire significativement le bilan carbone des installations dont la conversion est prévue.

L’abandon du charbon sur les sites d’Albioma Bois-Rouge et d’Albioma Le Gol permettra de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’environ 1 310 000 tonnes de CO2 par an, soit une baisse de 84 % des émissions par rapport au fonctionnement actuel de la centrale, ceci en incluant l’empreinte carbone de l’ensemble de la chaîne de valeur et notamment du transport des granulés de bois depuis les États-Unis jusqu’à La Réunion.

Contrairement à la combustion du charbon qui déstocke du CO2 enfoui pendant des millions d’années, la combustion du bois émet du CO2 qui a été et sera recapté par les arbres en croissance. Comme cette capture se fait à la vitesse de la croissance des arbres, l’absence de dette carbone ne peut être garantie qu’à la condition que les émissions de CO2 provenant de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (UTCATF) soient compensées par des absorptions équivalentes de CO2 présent dans l’atmosphère. »

Ce document reproduit un graphique qui fait apparaître que le recours aux granulés de bois permettrait de passer de 381 g équ. CO2/MJélect à seulement 59, ces dernières émissions étant imputables, à raison de 55 %, à la phase de transformation du bois en granulés, pour 26 %, au transport maritime (depuis les Etats-Unis), pour 9 %, au transport terrestre, pour 9 % encore, à la culture et à la collecte du bois et, enfin, pour 2 %, à la combustion des granulés.

Le document renvoie en outre, s’agissant du chiffre de 84 %, à un rapport d’évaluation carbone réalisé par Deloitte, daté de juillet 2018, « en accord avec les principes édictés par la directive RED II », dont une synthèse a été fournie au Jury et transmise au plaignant.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP dispose :

  • au titre de la véracité des actions (point 2) :

« 2.1. la publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable ;

2.2. les actions des annonceurs et les propriétés de leurs produits dans ce domaine doivent être significatives pour pouvoir être revendiquées ;

2.3. l’annonceur doit être en mesure de justifier les arguments ayant trait au développement durable au moyen d’éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité. / Pour tout message reposant sur une allégation scientifique, l’annonceur doit être en mesure de présenter l’origine des résultats annoncés et la méthodologie ayant servi de base de calcul. / La publicité ne peut recourir à des démonstrations ou à des conclusions scientifiques qui ne seraient pas conformes à des travaux scientifiques reconnus ».

  • au titre de la « clarté du message » (point 4):

« 4.1. L’annonceur doit indiquer dans la publicité en quoi ses activités ou ses produits présentent les qualités revendiquées ; (…)

4.2 Si l’argument publicitaire n’est valable que dans un contexte particulier, ce dernier doit être présenté clairement ;

4.3. Lorsqu’une explicitation est nécessaire, celle-ci doit être claire, lisible ou audible et, donc, répondre aux exigences de la Recommandation « Mentions et renvois » de l’ARPP ;

4.4 Dans les cas où cette explicitation est trop longue pour pouvoir être insérée dans la publicité, l’information essentielle doit y figurer, accompagnée d’un renvoi à tout moyen de communication permettant au public de prendre connaissance des autres informations.

4.5 Tout message publicitaire reposant sur une étude scientifique doit en indiquer la source.

4.6. Tout argument de réduction d’impact ou d’augmentation d’efficacité doit être précis et s’accompagner de précisions chiffrées, en indiquant la base de comparaison utilisée. »

Le Jury relève que la plainte met en cause des publications internet de la société Albioma selon lesquelles la conversion de la centrale à charbon de Bois-Rouge, à la Réunion, permettra une réduction de 84 % de ses émissions de gaz à effet de serre.

Il ressort du site internet de la société que celle-ci a annoncé, en décembre 2020, l’abandon total du charbon sur ce site de production d’électricité, au profit d’une conversion intégrale à la biomasse à compter du second semestre 2023.

Selon le document d’enregistrement universel 2020 qu’elle a déposé auprès de l’Autorité des marchés financiers, cette conversion permettra de réduire de 84 % les émissions de gaz à effet de serre, au regard de la situation actuelle, « en incluant l’empreinte carbone de l’ensemble de la chaîne de valeur ». Il est par ailleurs renvoyé dans ce document à un rapport du cabinet Deloitte, daté de juillet 2018, dont est issu le chiffre de 84 %, calculé conformément aux principes résultant de la directive dite RED II (directive 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables). Afin de justifier cette allégation, la société Albioma a produit la synthèse de ce rapport. Il en ressort que :

  • en premier lieu, l’analyse comparée a porté sur l’intégralité du cycle de production d’électricité par biomasse (culture et collecte, transport terrestre sur le site de production, transformation en granulés, transport maritime, transport terrestre à La Réunion et combustion de la biomasse) et par une centrale à charbon (extraction minière, transformation, transports terrestre et maritime, combustion) ;
  • en deuxième lieu, afin de ne pas sous-estimer l’impact du recours à la biomasse, l’étude repose sur l’hypothèse défavorable d’une importation des granulés depuis les États-Unis, alors qu’il existe, en sus de la biomasse locale, des sources d’approvisionnement plus proches, impliquant de moindres émissions de CO2 pour le transport maritime- poste qui représente environ un quart des émissions liées à l’utilisation de la biomasse ;
  • en troisième lieu, les données utilisées émanent de sources publiques (Joint Research Centre de la Commission européenne, base BIOGRACE…) ou d’organismes de contrôle ;
  • en quatrième et dernier lieu, les hypothèses de calcul sont clairement indiquées.

Il ressort en outre des échanges intervenus lors de la séance que l’absence de comptabilisation des émissions « en sortie de cheminée » pour la biomasse, comme le prévoit la directive RED II, s’explique par le fait que ces émissions sont déjà comptabilisées lors de l’abattage des arbres destinés à cette combustion (« secteur UTCATF »).

Lors de la séance, le plaignant n’a pas remis en cause la conformité de la méthodologie utilisée à la directive RED II, mais a critiqué ce texte, qui ne lui paraît pas conforme aux dernières connaissances scientifiques disponibles et aux travaux qui mettent en doute les vertus du recours à la biomasse pour la production d’énergie.

Dans ces conditions, et alors même que subsistent des débats scientifiques et des incertitudes sur l’impact du recours à la biomasse en termes d’émissions de gaz à effet de serre, qu’il ne lui appartient pas de trancher, le Jury considère que le chiffre de 84 % qui figure dans les publications litigieuses repose sur des éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité, et que l’annonceur fournit l’origine des résultats et la méthodologie ayant servi de base de calcul. Par suite, cette publicité ne méconnaît pas le point 2 de la Recommandation « Développement durable ».

En revanche, le Jury constate qu’aucune de ces publications, notamment l’article auquel le post LinkedIn renvoie, ne fait état de ce rapport émanant du cabinet Deloitte dont est issu le chiffre de 84 %, ni même d’un renvoi au document d’enregistrement universel qui s’y réfère lui-même. La source de l’allégation critiquée n’est ainsi pas précisée, directement ou indirectement, par la publicité mise en cause, alors que les débats qui entourent le recours à la biomasse appellent une certaine transparence dans les hypothèses et paramètres pris en compte.  Par conséquent, le Jury considère que l’exigence de clarté du message n’est pas respectée.

Il résulte de ce qui précède que cette publicité méconnaît seulement le point 4 de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Avis adopté le 10 décembre 2021 par M. Lallet, Président, Mme Boissier et MM. Depincé, Le Gouvello et Lucas-Boursier.

Pour visualiser la publicité Lavoir Albioma, cliquez ici.

Le plaignant, auquel l’avis du JDP a été communiqué le 15 décembre 2021, a adressé, le 16 décembre suivant, une demande de révision sur le fondement de l’article 22 du Règlement intérieur du Jury. Celle-ci a été rejetée par la décision du Réviseur de la déontologie publicitaire ci-dessous, annexée au présent avis, laquelle a été communiquée aux parties le 20 janvier 2022.

DECISION DU REVISEUR DE LA DEONTOLOGIE PUBLICITAIRE

1) Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 12 octobre 2021, de la plainte d’un particulier (vous-même), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, diffusée par la société Albioma, sur son site Internet et sur des réseaux sociaux, pour promouvoir sa centrale électrique de Bois-Rouge, dans l’île de la Réunion.

La publication LinkedIn mise en cause utilise le texte « La conversion de la centrale de Bois-Rouge au 100 % biomasse va renforcer la transition énergétique de l’île de la Réunion…. Un pas de plus pour développer une économie circulaire et durable ». Il est en outre renvoyé à un lien vers un article publié sur le site internet d’Albioma indiquant : « La conversion de la centrale de Bois-Rouge permettra une réduction de 84 % de ses émissions de gaz à effet de serre », par rapport au fonctionnement actuel de la centrale à charbon.

2) Dans sa plainte initiale, le plaignant considère que cette publicité affirme une réduction de 84 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) sans aucune forme de justification valable. Il s’agirait donc d’une publicité mensongère ou relevant de la pratique du « Greenwashing » (éco-blanchiment ou verdissement mensonger).

3) Analysant la publicité litigieuse au regard de la Recommandation Développement durable de l’ARPP, le JDP :

  • a d’abord estimé que le message contesté ne méconnait pas le point 2 de cette Recommandation, portant sur la véracité des actions revendiquées par l’annonceur ;
  • a en revanche estimé que l’exigence de clarté posée par le point 4 de la Recommandation était méconnue par la publicité en cause.

4) Par sa demande en Révision, introduite dans les délais, le plaignant initial soutient que c’est à tort que le JDP n’a pas retenu de manquement au point 2 de la Recommandation ; par suite l’avis contesté doit être regardé comme faisant l’objet d’une critique sérieuse et légitime, relative à l’application ou à l’interprétation d’une règle déontologique.

5) Tout en précisant, à juste titre, que la question soulevée (savoir la mesure de la réduction des émissions de gaz à effet de serre) fait l’objet de “débats scientifiques” ou d’“incertitudes” qu’il “n’appartient pas [au Jury] de trancher”, le JDP a cependant procédé à une analyse approfondie des publicités contestées et des documents produits par l’annonceur lors de l’examen de la plainte initiale.

Le Jury en a conclu, après avoir pris en compte, de manière détaillée, les divers éléments exposés par les parties ou échangés entre elles (y compris lors de la séance contradictoire entre le Jury, le plaignant et l’annonceur) “que le chiffre de 84 % qui figure dans les publications litigieuses repose sur des éléments sérieux, objectifs et vérifiables au moment de la publicité, et que l’annonceur fournit l’origine des résultats et la méthodologie ayant servi de base de calcul” – affirmation contestée en Révision.

6) Les arguments au soutien de la demande en Révision sont les suivants.

a) l’avis du Jury mentionne un “rapport du Cabinet Deloitte, daté de juillet 2018”, sur lequel s’appuie Albioma dans le Document d’Enregistrement Universel 2020 qu’elle a déposé auprès de l’AMF ; au soutien de ses allégations, Albioma a produit la “synthèse” de ce rapport, comme il est mentionné dans l’avis contesté.

Si le demandeur regrette que n’ait pas été versé au dossier ce rapport exhaustif, il ne soutient pas explicitement – et aucun élément ne donne à penser – que le rapport serait différent de la synthèse qui est analysée.

b) le demandeur conteste plus spécialement l’affirmation du Jury selon laquelle, “en quatrième et dernier lieu, les hypothèses de calcul sont clairement indiquées”.

Plus précisément, il regrette que d’autres hypothèses de calcul n’aient pas été utilisées par l’annonceur, mais il n’allègue pas – et encore moins il n’établit – que d’autres méthodes auraient conduit à des chiffres différents du pourcentage de 84 % qui fait l’objet principal du débat.

Il n’est au surplus pas démontré que la méthode retenue, conforme à la Directive RED II, serait viciée ni que l’emploi d’une méthode alternative se serait imposé afin de respecter l’exigence de véracité.

Dans ces conditions, il résulte des éléments produits devant le Réviseur que la présente demande de Révision – faute d’établir que le JDP aurait, dans son avis contesté, procédé à des appréciations, à des interprétations ou à des constatations manifestement erronées quand il a analysé aussi bien la publicité Albioma en cause que la déontologie publicitaire applicable à ce litige – ne peut être accueillie.

7) Des analyses qui précèdent il résulte que :

  • la demande de Révision visée ci-dessus est recevable et à ce titre sera mentionnée dans la rédaction finale de l’Avis du Jury ;
  • l’Avis contesté n’est entaché d’aucune critique sérieuse et légitime (au sens de l’article 22.1 du Règlement).

Par suite, il n’y a pas lieu de procéder à une seconde délibération de l’affaire en cause.

Il n’y a pas lieu non plus de réformer l’Avis contesté, sauf :

  • pour y mentionner la demande de Révision comme indiqué ci-dessus,
  • pour y adjoindre en annexe la présente réponse.

Dès lors et pour conclure, l’Avis en cause ainsi modifié (pour mentionner la demande de Révision et la présente réponse) deviendra définitif et il sera publié – accompagné de la présente décision, laquelle constitue la réponse du Réviseur de la Déontologie Publicitaire à la demande de Révision.

Alain GRANGE-CABANE
Maître des Requêtes au Conseil d’État (H.)
Réviseur de la Déontologie Publicitaire