LA DEMANDE DE RÉVISION DOIT ETRE SOLIDEMENT ARGUMENTÉE

Alain Grangé-Cabane, Maître des Requêtes au Conseil d’État, occupe la fonction de Réviseur de la Déontologie Publicitaire depuis la création de cette instance en octobre 2015.

(Extrait du rapport d’activité 2018 de l'ARPP)

L'actualité du JDP

En octobre 2017, le Règlement intérieur du Jury de Déontologie Publicitaire a été perfectionné dans le but de raccourcir les délais (entre la plainte et l’adoption de l’Avis définitif), permettant notamment au Réviseur de demander au JDP d’apporter des modifications de simple forme ou de pure rédaction sans avoir besoin de procéder au réexamen complet du litige. Que s’est-il passé en 2018 sur le front de la Révision ? Alain Grangé-Cabane répond en rappelant la mission du Réviseur et sa façon de l’exercer.

Cinq avis du JDP ont fait l’objet d’une demande de révision en 2018 ; comment ces demandes se sont-elles réparties en termes de motifs ? 

Alain Grangé-Cabane : En 2018, 80 % de ces dossiers ont concerné des sujets « dans l’air du temps », qu’il s’agisse, dans deux cas, de l’Image et du respect de la personne (plus particulièrement de la femme) ou, dans deux autres cas, du Développement durable. La cinquième demande de révision s’appuyait sur les grands principes de loyauté et de véracité de la publicité définis par le Code de la Chambre de Commerce Internationale (ICC).

N’est-il pas rare de voir invoquer les grands principes du Code ? 

Alain Grangé-Cabane : En effet, peu de plaintes et de révisions s’appuient sur ces dispositions et ce, pour une raison simple : ces grands principes sont déclinés et détaillés dans des règles déontologiques sectorielles ou spécifiques plus précises, si bien que, le plus souvent, les plaignants préfèrent se rapporter à la Recommandation ARPP concernée plutôt qu’aux règles générales du Code.

Comment ont été traitées ces cinq demandes de révision ? 

Alain Grangé-Cabane : Une sur cinq m’a conduit à demander au Jury de procéder à une deuxième délibération ; pour les quatre autres, j’ai traité
l’affaire directement, cette faculté étant ouverte au Réviseur depuis la modification du Règlement de 2017. Cette réforme du Règlement va dans le sens poursuivi depuis l’origine du Jury : nous permettre de nous prononcer dans les délais les plus brefs. En effet, la publicité est un art vivant, qui entend agir ou faire réagir « à chaud » ; il ne faut donc pas que les appréciations du Jury, éventuellement corrigées par celles du Réviseur, interviennent trop longtemps « après la bataille ».

Il faut aussi empêcher qu’une partie mal intentionnée veuille se servir d’artifices de procédure (Jury + Réviseur) pour se borner purement et simplement à « gagner du temps ». C’est pourquoi, désormais, le Réviseur a le pouvoir de demander au Jury, sans recourir à une seconde délibération, de procéder à de simples corrections de forme ou précisions de rédaction – d’où un réel gain de temps ; c’est ce que j’ai fait dans deux cas sur cinq. Dans un troisième cas, j’ai écarté la demande de révision car elle n’apportait aucun élément nouveau par rapport à ce qui avait été débattu devant le Jury. Dans un quatrième cas, j’ai estimé que la demande de Révision ne contenait aucune critique sérieuse ni légitime du projet d’Avis du Jury. Dans le cinquième cas, après seconde
délibération, le Jury a confirmé son Avis initial, bien que sur l’un des trois visuels en cause, nous n’ayons pas partagé la même appréciation.

Enfin je précise que pour des raisons évidentes de transparence, la totalité des décisions prises par le Réviseur (ou de ses observations) sont disponibles sur le site du JDP, chacune étant jointe à l’Avis définitif rendu par le Jury dans l’affaire en cause (ou figurant dans le corps de l’Avis en cas de seconde délibération).

On peut donc dire que dans quatre cas sur cinq le Jury a suivi la demande du Réviseur !

Alain Grangé-Cabane : On peut tout aussi bien dire que dans quatre cas sur cinq le Réviseur a validé la position du JDP ; cela confirme en tout cas que le Jury et moi travaillons dans une parfaite harmonie et en parfaite complémentarité, tout en demeurant strictement indépendants, l’un par rapport à l’autre. C’est somme toute logique, puisque nous avons la même mission (affirmer le caractère responsable de la publicité), partageons le même objectif (distinguer, dans la production publicitaire, le bon grain de l’ivraie) et appliquons les mêmes règles : les Recommandations de l’ARPP. Nous sommes donc amenés à collaborer de manière harmonieusement obligatoire.

À la limite, on pourrait se demander : à quoi cela sert-il d’avoir deux institutions ? 

Alain Grangé-Cabane : Bonne question en effet ! Si le Conseil d’Administration de l’ARPP a jugé essentiel d’offrir une possibilité de recours à toutes les parties devant le Jury, c’est que les Avis du JDP peuvent mettre en cause telle ou telle personne, telle ou telle campagne publicitaire. De plus, la règle dite « du procès équitable » est désormais devenue une obligation du droit européen : toute autorité qui a le pouvoir de « sanctionner » se doit de proposer un recours contre sa propre décision. Quand par exemple on se prépare à dire à un annonceur qu’il a enfreint une certaine règle (ce qui peut rejaillir sur son image ou sa réputation) ou bien quand on se prépare à rejeter la requête d’un plaignant, il est normal d’offrir le droit à un second regard, et ce, dans le respect des trois objectifs poursuivis lors de la création du Réviseur de la Déontologie Publicitaire.

Justement, quels sont-ils ? 

Alain Grangé-Cabane : Le Réviseur a pour mission d’offrir aux parties impliquées dans un litige publicitaire soumis au JDP une voie de recours contre les Avis de ce Jury – mais sans emboliser le système, c’est-à-dire sans que ce recours ralentisse ou alourdisse les procédures devant le JDP et, bien entendu, sans affaiblir en rien l’autorité du Jury. C’est pourquoi, des règles de sagesse ont été adoptées dans le Règlement intérieur du JDP, puis lors de son perfectionnement en octobre 2017, s’agissant des conditions assez strictes permettant de saisir le Réviseur.

 Rappelez-nous quelles sont ces conditions ? 

Alain Grangé-Cabane : La demande de révision doit être solidement argumentée. Elle n’est recevable que fondée sur l’un au moins des trois motifs suivants :

  • un élément nouveau non soumis au Jury lors de sa délibération initiale ;
  • une procédure enfreignant le Règlement du JDP ;
  • une critique sérieuse et légitime de l’Avis initial du Jury.

D’autre part, qu’en est-il de cet enjeu de rapidité que vous avez mentionné précédemment ? 

Alain Grangé-Cabane : Dans les quatre révisions que j’ai traitées seul, je me réjouis de constater qu’il ne s’est pas écoulé plus de 1 à 8 jours entre le moment où j’ai été saisi et celui où j’ai répondu à la demande de Révision. Je me donne à moi-même le défi de respecter au maximum l’esprit voulu pour cette voie de recours qu’est la Révision : qu’elle n’alourdisse ni surtout ne ralentisse la procédure devant le JDP – ce qui est crucial dans la publicité, domaine où il importe de se prononcer de manière rapide et souple.

Comment interpréter le fait que les demandes de révision restent contenues en nombre ; après trois ans de plein fonctionnement cette procédure tient-elle ses objectifs ? 

Alain Grangé-Cabane : Ce n’est pas le nombre de recours au Réviseur qui permet d’apprécier l’intérêt de l’institution. Vouloir résumer ainsi l’efficacité du système reviendrait à vouloir apprécier la qualité d’une politique de sécurité routière en se basant sur le nombre de procès-verbaux établis par les gendarmes ! Malgré le nombre relativement faible de Révisions, les questions posées sont souvent d’un grand intérêt pour l’approfondissement du fond de l’autodiscipline publicitaire. Mais surtout, il faut bien voir que si les demandes de Révision sont rares dans la pratique, c’est que les Avis du Jury sont précis, clairs, concis et pédagogiques ; ils parviennent ainsi à parfaitement éclairer la communauté publicitaire, mais aussi l’opinion publique dans son ensemble.

Enfin, voyons bien, pour juger de l’efficacité du dispositif, que depuis la création du Jury, il y a 10 ans, renforcé il y a 4 ans par le Réviseur, il n’y a pratiquement pas eu de litiges majeurs qui ont terni le monde de la publicité. La création publicitaire française est de ce point de vue devenue l’une des plus remarquables au monde.

Cela tient à ce que Jury et Réviseur ont une fonction beaucoup plus préventive que répressive – c’est pourquoi le système est aujourd’hui totalement entré dans les mœurs publicitaires. La collection des 538 Avis rendus par le JDP depuis l’origine (après intervention éventuelle du Réviseur) constitue une base fondamentale de doctrine qui guide les décideurs chez l’annonceur et les publicitaires en agence pour décider jusqu’où ils peuvent ne pas aller trop loin…

 

Paris, le 1er juillet 2019