Avis JDP n°299/14 – BOISSONS ALCOOLIQUES – Plainte fondée

Décision publiée le 02.04.2014
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu le représentant de l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie et le conseil de la société annonceur,

– et, après en avoir délibéré hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 16 décembre 2013, d’une plainte de l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, diffusée notamment en presse, en affichage mobile (camions publicitaires) et sur internet, en faveur d’une marque de bière.

La publicité en cause montre au premier plan une bouteille de bière et l’étiquette qu’elle comporte, et, en arrière plan, un verre en train d’être rempli par le biais d’une pompe à bière. Sous ces images sont juxtaposés l’ensemble des conditionnements de la bière.

Le visuel comporte les textes suivants : « de l’amitié à partager », « partagez l’esprit de Noël » ainsi que le message sanitaire : « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. A consommer avec modération ».

2.Les arguments des parties

L’association plaignante, qui précise que sa plainte porte uniquement sur l’accroche « de l’amitié à partager », fait valoir que cette mention méconnaît les articles L. 3323-2 et
L. 3323-4 du code de la santé publique et les points 1/4, 1/5, 3/1 et 3/4 de la Recommandation « Alcool » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP).

D’une part, cette mention ne figure pas parmi celles qui sont limitativement autorisées par ces textes. D’autre part, elle associe la consommation de bière à la convivialité et à la réussite sociale et sentimentale, et présente donc un caractère incitatif. La bière se présente comme le facteur à l’origine de l’alchimie permettant à deux êtres de créer un lien d’amitié et d’attachement mutuel et d’affection. La jurisprudence proscrit systématiquement une telle association d’idées.

La société annonceur indique qu’elle est une petite entreprise qui produit de la bière selon une méthode traditionnelle. Elle précise que la publicité litigieuse n’a pas eu une diffusion massive.

Elle souligne à cet égard qu’il n’est pas démontré par le plaignant que le camion transportant les produits constitue un support publicitaire, de sorte que la compétence du Jury de déontologie publicitaire pour connaître de la plainte sur ce point n’est pas établie.

Sur la conformité de la publicité à la loi et à la Recommandation « Alcool », la société fait valoir que, si la publicité pour les boissons alcoolisées est encadrée, elle n’a jamais été prohibée de façon générale et absolue. Le législateur a seulement entendu prohiber les messages de nature à inciter le consommateur à abuser de l’alcool. Par suite, lorsqu’une publicité ne comporte aucune incitation à une consommation excessive d’alcool, elle n’est pas incriminée.

Tel est le cas en l’espèce. En effet, le slogan « de l’amitié à partager » n’évoque nullement un quelconque bénéfice pour le consommateur d’une consommation excessive d’alcool ni même la possibilité de faire des rencontres dans un cadre convivial, mais seulement que la bière peut être partagée sous différents conditionnements.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle à titre liminaire qu’en vertu de l’article 3 de son règlement intérieur, il est compétent pour connaître de la conformité des publicités aux règles déontologiques édictées par l’ARPP « quel que soit le support de diffusion de la publicité ». Par suite, contrairement à ce qu’indique l’annonceur, le Jury est aussi compétent pour connaître de la plainte de l’ANPAA en tant qu’elle est dirigée contre une publicité reproduite sur des camions circulant sur les voies publiques.

Selon les points 1/5 et 1/6 de la Recommandation « Alcool » de l’ARPP : «  1/4 Aucune communication commerciale ne doit présenter la consommation de boissons alcoolisées comme une aide pour surmonter des problèmes individuels ou collectifs ni illustrer ou mentionner des succès obtenus grâce à la consommation de boissons alcoolisées. / 1/5 – Aucune communication commerciale ne doit vouloir démontrer que la consommation de boissons alcoolisées contribue à la réussite sentimentale, sportive, sexuelle, constitue un signe de maturité, un attribut de la virilité, ou est indispensable à la réussite sociale ».

En vertu du point 3/1 de la même Recommandation : « Le contenu des publicités doit se limiter à des informations ou des mentions autorisées par la réglementation, en particulier l’article L.3323-4 du code de la santé publique ». Il ressort de cet article L. 3323-4 que les seules mentions autorisées sont l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires, du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit, ainsi que des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine telles que définies à l’article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.

Le point 3/4 de cette Recommandation dispose enfin que « Les annonceurs se conforment strictement à la réglementation en vigueur en ce qui concerne les supports autorisés à la publicité ». Le 5° de l’article L. 3323-2 du code de la santé publique prévoit à ce titre que la publicité est autorisée par « inscription sur les véhicules utilisés pour les opérations normales de livraison des boissons, dès lors que cette inscription ne comporte que la désignation des produits ainsi que le nom et l’adresse du fabricant, des agents ou dépositaires, à l’exclusion de toute autre indication ».

Le Jury constate que l’expression « de l’amitié à partager », seule mise en cause par la plainte, ne relève d’aucune des mentions limitativement énumérées au point 3/1 de la Recommandation « Alcool » ni, a fortiori, au 5° de l’article L. 3323-2, auquel renvoie le point 3/4 de cette Recommandation s’agissant des publicités figurant sur des véhicules de livraison. Par suite, la publicité litigieuse méconnaît, dans cette mesure, cette Recommandation.

Le Jury considère en revanche que la seule mention « de l’amitié à partager » ne suffit pas à regarder la consommation de la boisson alcoolisée promue comme un facteur de réussite sentimentale, ni comme « indispensable à la réussite sociale ». Elle n’illustre ni ne mentionne davantage des « succès obtenus » grâce à sa consommation. Elle n’est donc pas contraire aux points 1/4 et 1/5 de la Recommandation « Alcool ».

Le Jury prend note de l’intention de l’annonceur de cesser la diffusion de cette publicité sous sa forme actuelle.

4.La décision du Jury

– La plainte est fondée ;

– La publicité en cause méconnaît les points 3/1 et 3/4 de la Recommandation « Alcool » de l’ARPP ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à assurer le non renouvellement de la diffusion de cette publicité ;

– La décision sera communiquée au plaignant et à l’annonceur ;

– Elle sera publiée sur le site internet du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le 14 mars 2014, par M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, et MM. Benhaïm et Depincé.