Avis JDP n°338/14 – FOURNISSEUR D’ÉNERGIE – Plainte fondée

Avis publié le 29 septembre 2014

Plainte fondée                               

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part à la séance,

– après avoir entendu les représentantes de la société annonceur,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1.Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 17 et 23 juillet 2014, de deux plaintes d’un même particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une vidéo publicitaire diffusée sur Internet par une société fournisseur d’énergie, pour son service de déménagement.

Ce spot met en scène une jeune femme blonde expliquant son incapacité à assurer le déménagement de son logement et mettant en avant qu’elle est « une fille ». Elle est présentée dans son appartement dont plusieurs accessoires du décor sont de couleur rose et apparait dans le cadre de diverses situations illustrant ses propos sur ses centres d’intérêts comme, par exemple, « (…) J’adore faires des tutos de maquillage (…) changer quatre fois de paires de chaussures dans la même journée » ou encore « je déteste le calcul mental(…) être en contact avec des outils» et conclut « je suis une fille quoi ! ». Découvrant le service, après avoir essuyé plusieurs refus des amis auxquels elle demande de lui rendre service, elle est ensuite montrée se faisant les ongles pendant que les déménageurs auxquels elle a fait appel s’activent autour d’elle.

2.Les arguments échangés

Le plaignant considère que cette vidéo véhicule des clichés insultants pour les femmes, aggravés par la conclusion : « je suis une fille, quoi », qui rend totalement explicite le caractère généralisateur et donc sexiste du propos.

La société annonceur fait valoir que cette publicité doit être classée dans le registre de l’humour parodique, s’inscrivant dans un courant constant d’humoristes et s’inspirant notamment de l’esprit de « la minute Blonde » diffusée, plusieurs saisons durant, sur une chaîne de télévision payante.

Le ton humoristique choisi utilise à la fois la caricature par le biais d’une exagération manifeste et de la parodie, sans pour autant atteindre à la dignité humaine ou réduire la femme à une fonction d’objet.

L’annonceur explique avoir souhaité faire référence de manière parodique à des films à succès et avoir fait appel à l’actrice Amélie Etasse appartenant à un courant d’actrices ainsi que d’humoristes qui utilisent le ressort de l’autodérision  et de la blonde célibataire et qui a déjà joué le même personnage dans d’autres publicités.

Selon l’annonceur, l’exagération manifeste de traits caricaturaux parfois prêtés aux femmes, comme d’ailleurs aux hommes qui sont également caricaturés dans le spot, permet d’exclure toute image dégradante et dévalorisante de la femme.

Lors de la séance, les représentantes de l’annonceur ont indiqué que celle-ci a reçu, par les réseaux sociaux, plusieurs critiques formulant les mêmes reproches que les plaintes adressées au Jury, et a décidé très rapidement de retirer le film, ce qui a pris un certain retard en raison des vacances d’été, mais qui est effectif au jour de la séance, ce que le Jury a pu vérifier.

3.L’analyse du Jury

La Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP dispose, notamment, dans l’article 2 relatif aux « Stéréotypes sexuels, sociaux et raciaux » que :

« La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».

 « La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation. »

Le Jury relève que le film en cause met en scène de façon humoristique un stéréotype de femme-enfant futile, incapable de se concentrer et de faire face aux contraintes de la vie. Cette présentation est de surcroît généralisée à l’ensemble des femmes par la conclusion de la présentation que la jeune femme fait d’elle-même en déclarant « Enfin, je suis une fille ».

Ainsi que le soutient l’annonceur, il renvoie par allusions visuelles à des références de films à succès et exploite le courant d’humoristes féminines actuelles jouant sur la caricature et une supposée autodérision.

Par ailleurs, la fin du spot inverse la situation décrite précédemment et montre la jeune femme comme étant tout à fait maîtresse de la situation et ayant même retourné à son avantage l’incapacité dont elle se plaignait puisqu’elle demeure totalement inactive pendant que les déménageurs accomplissent leur travail.

Il est évident que le personnage est une caricature qui doit conduire à mettre le propos à distance. De plus, la fin du film suggère que la jeune femme surjoue, avec une intelligence certaine, de prétendues incapacités pour s’épargner de prendre en charge une tâche qui lui déplaît. Cependant, il n’en demeure pas moins que sous couvert d’humour, ce film véhicule, au premier degré d’analyse, des stéréotypes qui représentent la femme comme étant futile, malhabile et incapable d’assumer des responsabilités, c’est-à-dire comme étant en position d’infériorité dans la société, ce que le Jury considère comme contraire aux principes énoncés dans la Recommandation précitée.

Dans ces conditions, le Jury de déontologie publicitaire est d’avis que la publicité en cause ne respecte pas les dispositions des articles 2/1 et 2/3 de la Recommandation « Image de la personne humaine» de l’ARPP.

Il prend, par ailleurs, acte du retrait de ces publicités.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 12 septembre 2014 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Carlo, Lacan et Leers.