Avis JDP n°153/11 – SERVICES DE TÉLÉVISION – Plainte partiellement fondée

Décision publiée le 23.11.2011
Plainte partiellement fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

 – après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’annonceur, de l’agence de communication et de l’ARPP,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence de l’ARPP et des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 18, 19 et 28 septembre 2011, de quatre plaintes de particuliers afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire d’affichage, en faveur d’une série télévisée « Borgia ».

La campagne est composée de quatre affiches présentant des personnages de la série sur fond de vitraux, les yeux levés vers le ciel, ces images étant accompagnées du texte « BORGIA n’ayez pas foi en eux ».

Sur la première des affiches, une femme dont le buste est à moitié dénudé, presse la tête d’un homme agenouillé à ses pieds contre le bas de son ventre.

La deuxième montre un homme tenant entre ses mains sanglantes une faux dont la lame est elle aussi couverte de sang.

Sur la troisième, un homme en tenue d’évêque, bras écartés se tient entre, d’un côté, le jeune homme de l’affiche précédente, qui cette fois, tient un couteau ensanglanté et, de l’autre, la femme de la première affiche, toujours le buste dénudé.

Enfin, la quatrième affiche montre cet homme en tenue d’évêque, qui se tient debout, à ses pieds sont éparpillés des symboles de richesses (plats, vases, calices et chaînes en or), autour de lui semblent tomber des pièces d’or.

Tous ces personnages sont montrés dans un halo, la tête entourée d’une auréole.

2.Les arguments des parties

Les plaignants, qui sont des particuliers, considèrent que ces affiches sont blasphématoires, en ce qu’elles reprennent des symboles ou personnages de la religion catholique.

Ils font valoir  qu’elles créent un amalgame entre l’époque actuelle et celle évoquée dans la série.

Certains plaignants relèvent particulièrement l’image du couple qu’ils dénoncent comme choquante, notamment pour des enfants, car elle évoque clairement un acte sexuel.

La société de télévision regrette que sa campagne ait pu être mal perçue par certaines personnes mais conteste les amalgames ou autres comparaisons entre la religion catholique et la communication publicitaire réalisée autour de la série « Borgia ».

Elle précise que le slogan de la série « N’ayez pas foi en eux » ne vise ni la religion catholique, ni l’Eglise, mais la famille des Borgia, objet unique de la série diffusée sur la chaîne depuis le 10 octobre 2011. L’énoncé de cette mise en garde n’est orienté que vers la famille Borgia, dont l’histoire a démontré qu’elle n’était pas digne de confiance, et non vers l’Eglise ou la religion catholique. Ainsi, loin de valoriser ou d’encourager les pratiques de cette famille, la série, et, par voie de conséquence, la campagne d’affichage, dénoncent au contraire l’utilisation par les Borgia des principes religieux à des fins immorales et d’enrichissement personnel.

Elle fait observer que les affiches critiquées reprennent exactement les personnages de la série et reflètent leur personnalité telle qu’elle est évoquée dans les épisodes, la violence pour le jeune homme, l’immoralité de la jeune femme et l’appétit de puissance et de richesse pour le troisième. Elle précise que son objectif n’a pas été de caricaturer les icônes religieuses, ni de représenter par une parodie de personnes incarnant la religion catholique.

Enfin, l’annonceur récuse l’utilisation des termes « porno soft » ou « pornographie » pour décrire la campagne d’affichage, dès lors que celle-ci n’est que le reflet de la série télévisée, laquelle ne peut être qualifiée comme telle.

L’agence expose que son client a réalisé une série télévisée mettant en scène la famille Borgia et racontant le profond malaise qu’elle a suscité dans l’Eglise catholique à l’aube de la Renaissance. La série a été réalisée en se fondant sur des faits historiques. La famille Borgia représentait la corruption, la violence, la décadence, le manque total de scrupules.

Elle conteste que la publicité portant sur cette série ait pu procéder de l’intention de stigmatiser la religion catholique ou offenser ses pratiquants, ce qui semble avoir été compris par le public compte tenu du peu de plaintes dont la campagne a fait l’objet. La chaîne et elle-même n’en ayant reçu aucune.

L’agence ajoute que sa campagne accorde une place prédominante au nom Borgia qui est situé au centre de chacun des visuels, accompagné de la signature « N’ayez pas foi en eux » qui ne peut renvoyer qu’à cette famille et permet d’éviter une quelconque confusion entre elle et la religion catholique.

L’agence explique avoir utilisé le traité du vitrail, procédé narratif, qui rappelle l’univers de l’Eglise à cette époque et permet d’accentuer le décalage entre l’Eglise actuelle et l’époque des Borgia.

Par ailleurs, la signature publicitaire « N’ayez pas foi en eux » se veut apparaître comme une alerte sur la dualité des trois personnages : Rodrigue, Lucrèce et César, des personnages monstrueux qui semblaient au-delà de tout soupçon.

L’agence fait valoir que, contrairement à ce que soutient l’une des plaintes, le visuel représentant Lucrèce, ne parodie nullement une image de la Vierge. Il s’agit d’une représentation de l’actrice principale de la série, rousse, vêtue de vert et qui par son apparence même ne peut donc symboliser la Vierge, traditionnellement représentée vêtue de bleu et de blanc ou de bleu et de rouge.

Selon elle, le visuel ne peut être qualifié de pornographique mais plutôt d’érotique, pour décrire la personnalité de Lucrèce. Toutefois, l’attitude équivoque des personnages ne peut être interprétée comme telle par le jeune public qui ne peut décoder la posture érotique, seul un public averti étant susceptible de donner une seconde lecture à ce visuel.

Enfin, l’agence explique que cette campagne n’avait pas pour objectif de choquer les convictions religieuses ni d’être injurieuse à l’égard de la communauté catholique. Elle ne se voulait qu’être le reflet de la série, décodable par le public compte tenu du dispositif global mis en place par Canal + depuis quelques mois, pour annoncer le lancement de la série dans les médias.

Lors de la séance, l’annonceur et l’agence ont précisé que la tête des personnages était entourée d’une auréole pour montrer leur duplicité, une apparence de sainteté, cachant leur véritable nature, violente, perverse, corrompue.

L’ARPP indique avoir été interrogée dans le cadre de la procédure de conseil avant diffusion par l’agence et qu’elle a échangé à de nombreuses reprises avec son adhérent sur cette campagne. Par lettre du 8 juillet 2011, l’ARPP avait déconseillé la diffusion du visuel montrant l’homme agenouillé, de dos, devant la femme dénudée, en précisant que « la position, associée à la tenue de la femme, évoquent une situation d’acte sexuel » et conseillé d’atténuer la présence de sang sur le visuel du personnage tenant la faux.

En revanche, les autres projets d’affiches on été considérés par l’ARPP comme conformes aux dispositions déontologiques et juridiques en vigueur.

L’ARPP a également travaillé avec l’agence sur des propositions de signatures et validé ainsi le texte « N’ayez pas foi en eux ».

3.Les motifs de la décision du Jury

 Les principes généraux contenus dans la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP disposent que :

1.1 « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et sa décence »

2.3 « L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation ».

2.4 « La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance ou de racisme. »

 D’autre part, la Recommandation « Races, Religions, Ethnies» dispose que :

 « 1-La publicité doit éviter avec le plus grand soin de faire appel, même indirectement, au sectarisme ou au racisme. 

2- Toute allusion, même humoristique, à une quelconque idée péjorative ou d’infériorité liée à l’appartenance à une ethnie ou à une religion doit être bannie.

3-L’expression de stéréotypes évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe ethnique ou religieux doit être maniée avec la plus grande délicatesse.

4- En ce qui concerne la religion proprement dite, il convient de proscrire toute utilisation du rituel ou des textes qui serait de nature à ridiculiser ou à choquer ses adeptes. »

Le Jury relève que les images de la campagne portent sur la promotion d’une fiction télévisée consacrée essentiellement à l’histoire de trois membres de la famille Borgia, Rodrigue, le père, César son fils et Lucrèce sa fille, qui, à l’époque de la Renaissance se sont distingués par leurs comportements corrompus, par le pouvoir et l’argent pour le premier, la violence pour le deuxième et la luxure pour la troisième.

Cette campagne diffusée par voie d’affichage, ne peut être perçue par le public qu’en lien avec son objet annoncé par son slogan.

Le père, Rodrigue, ayant été évêque, il n’apparaît ni anormal, ni incongru qu’il apparaisse vêtu du costume porté à l’époque par les évêques et il ne peut être interprété comme une critique ou une moquerie implicite de la religion catholique qu’il soit ainsi montré sur les affiches. Les richesses l’entourant sont des symboles renvoyant au personnage historique et ne peuvent non plus être vues comme une stigmatisation de la religion.

Il en est de même concernant le fils dont la personnalité particulièrement violente est montrée par le sang apparaissant sur la faux, les mains et le sol, pour une des affiches, le poignard sur l’autre.

S’agissant de la représentation de Lucrèce Borgia, ses cheveux roux défaits, son buste dénudé, la couleur verte de sa robe empêchent qu’elle puisse être confondue avec la Vierge, le plus souvent représentée pudiquement, portant un voile et dans des couleurs de blanc et de bleu, voire de rouge.

Le décor de vitrail devant lequel apparaissent ces personnages, ainsi que l’auréole surmontant leur tête, donnent  certes une connotation religieuse aux affiches, qui concorde avec l’histoire de la famille des Borgia fortement mêlée à celle de la religion de l’époque et dont sont issus deux papes. Cependant, le reste de la présentation montre l’autre face des membres de cette famille historiquement connue pour avoir méconnu  les valeurs du catholicisme et s’être montrée particulièrement indigne de celles-ci.

Ainsi que l’a précisé l’agence de communication, ce décor et cette impression religieuse de la tête des personnages, montrent dans leur incohérence avec les autres éléments de l’image (les richesses, le sang et la sexualité) la duplicité des membres de la famille et leur hypocrisie, ce qui est l’un des objets de la série promue par ces affiches. Cette ambivalence de l’image apparaît, de plus, la parfaite illustration du slogan « N’ayez pas foi en eux ».

Les affiches en cause ne comportent donc pas de violation des dispositions relatives au respect des religions et des croyants rappelées ci-dessus.

S’il est regrettable que certaines personnes aient pu en être affectées, elles demeurent admissibles au regard de ce que le public, dans sa grande majorité, est en mesure de comprendre et d’analyser en croisant de telles images.

En revanche, l’affiche représentant Lucrèce Borgia à moitié dénudée, un homme agenouillé à ses pieds, tandis qu’elle lui appuie la tête au niveau de son pubis, présente une image clairement érotique pour le public, quelque soit son âge, ce caractère ayant d’ailleurs été revendiqué par l’agence.

Cette image explicite porte atteinte à la décence et, présentée aux yeux de tous par voie d’affichage, est susceptible de choquer une partie du public, notamment les enfants.

Elle constitue donc une violation des dispositions de l’article 1/1, précitées, de la Recommandation Image de la personne humaine.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont partiellement fondées en ce que l’affiche représentant Lucrèce Borgia ne respecte pas les dispositions de l’article 1/1 de la recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre les mesures nécessaires afin que cette affiche ne soit pas rediffusée en l’état ;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants et aux sociétés annonceur, agence et afficheur;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 4 novembre 2011 par Mme Michel-Amsellem, Vice-présidente, en remplacement de la Présidente empêchée, Mmes  Drecq et Moggio, MM, Lacan et Raffin.