Avis JDP n°350/14 – BOISSONS ALCOOLIQUES – Plaintes partiellement fondées

Avis publié le 24 décembre 2014
Plaintes partiellement fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant les dossiers de plaintes,

– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations et à prendre part à la séance,

– après avoir entendu les représentants de l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA) et de la société annonceur,

– et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1.Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 11 juin 2014 de trois plaintes de l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire pour une marque de bière, diffusée sur la page Facebook de la marque.

Cette campagne se compose de trois visuels publicitaires qui font chacun l’objet d’une plainte :

Le premier visuel montre un verre de bière devant deux rectangles imbriqués, blancs sur fond vert, accompagnés du texte « ... on ne peut pas nier, sa couleur se rapproche de l’or » ;

 Le deuxième visuel montre onze verres de bière alignés derrière une ligne blanche tracée sur une pelouse, sur un fond montrant, en surplomb, un grand projecteur allumé, accompagné du texte : « X  est bien présent sur le terrain français »

Le troisième visuel montre une tireuse à bière, aux couleurs de la marque, à côté d’un verre de bière, sur un fond de pelouse dans lequel apparaissent deux grands projecteurs allumés, accompagnés du texte : « une légère pression à savourer sur le terrain du SoccerPlayer ».

2.Les arguments échangés

L’association plaignante énonce que ces publicités ne respectent pas les règles déontologiques contenues dans la Recommandation « Alcool » de l’ARPP et notamment le point 1/6 qui précise : « aucune communication commerciale ne doit associer la consommation de boissons alcoolisées à des situations de chance, d’exploit, d’audace ou d’exercice d’un sport. ».

Elle indique que le premier visuel comporte une référence explicite à un panier de basketball : les rectangles tracés par des lignes blanches sur fond vert se détachant d’un fond noir représentent la figuration stylisée aux couleurs de la marque d’un panneau de basket conforme au règlement de la Fédération internationale de Basketball. Le verre de bière, dont le graphiste a pris soin de ne garder que la partie haute, complète le visuel en représentant, de manière figurative, le panier lui-même. Cette référence est d’autant plus transparente que ce visuel a été diffusé le 11 septembre 2014, alors que l’équipe de France de basketball vient de défaire l’Espagne, tenante du titre, lui permettant d’accéder aux demi-finales de la coupe du monde. Le slogan : « on ne peut pas nier, sa couleur se rapproche de l’or » est lui-même une allusion à l’éventualité que l’équipe de France remporte la finale de la coupe du monde, c’est-à-dire la médaille d’or.

Selon l’ANPAA, le deuxième visuel contient quant à lui une référence explicite au football : d’une part, la pelouse, la ligne blanche et le projecteur constituent une mise en scène évoquant clairement un stade ; d’autre part, les verres de bières sont au nombre de 11, comme le nombre de joueurs composant une équipe de football, et sont alignés de la même façon que les joueurs lors des hymnes nationaux. Le slogan : « X est bien présent sur le terrain français » achève d’expliciter le parallèle. De surcroît, cette publicité a été diffusée le 4 septembre 2014, soit le jour d’un match amical médiatisé opposant la France et l’Espagne, dans le cadre de la préparation de l’équipe de France pour l’Euro 2016 qui aura lieu en France.

Concernant le troisième visuel, l’ANPAA fait valoir des arguments analogues : la pelouse, les projecteurs et la mention du « terrain du Soccerplayer » sont des références directes et sans ambiguïté au football. La diffusion de la publicité le 11 octobre 2014, jour d’un match de football amical opposant la France et le Portugal, renforce ce parallèle.

L’ANPAA ajoute qu’en tout état de cause, les indications tant visuelles qu’écrites de ces trois publicités ne peuvent être admises au regard de ce qui est autorisé par la Recommandation « Alcool » en son point 3/1 « Indications et références autorisées », puisqu’elles sont, notamment, sans rapport avec les caractéristiques du produit ou son mode de consommation. Le lien que l’annonceur tente de faire avec les mentions autorisées est totalement artificiel.

Selon l’ANPAA, il apparaît manifeste que les publicités critiquées opèrent un coup médiatique opportun jouant sur l’actualité sportive immédiate. Ils ne font pas partie des éléments utilisés antérieurement ou postérieurement dans les campagnes de la marque. Ils s’avèrent « éphémères » et s’insèrent dans une démarche publicitaire s’étalant sur une période plus ample, visant à établir un lien avec des évènements sportifs, en particulier durant le Mondial de football 2014.

Par ailleurs, différentes publicités reposant sur le même principe ont été diffusées dans un journal sportif durant le Mondial de football 2014. Au surplus, la marque commercialisait jusqu’à peu sa bière dans des emballages présentant des joueurs de football évoluant dans le cadre de la Premier League, le championnat anglais. Ces packs invitaient de surcroît à participer à un jeu avec obligation d’achat pour gagner des places et assister à un match de la Premier League, dont la marque est le sponsor officiel. L’ANPAA a d’ailleurs obtenu auprès du juge des référés le retrait de la vente de ces conditionnements (ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 21 octobre 2014).

Selon l’ANPAA, l’ensemble de ces éléments est l’illustration parfaite d’une stratégie
d’« ambush marketing », anglicisme désignant l’ensemble des techniques de marketing utilisées par une marque ou une entreprise pour se rendre visible lors d’un événement et pouvoir y associer son image, mais sans devoir verser l’argent nécessaire à ses organisateurs pour en devenir partenaire officiel. La marque ne pourra pas nier qu’elle met tout en œuvre pour que son image soit associée avec celle du sport et des compétitions sportives.

L’ANPAA ajoute enfin que les mentions sanitaires ne sont pas suffisamment lisibles.

La société annonceur a été informée par courrier recommandé avec avis de réception du 4 novembre 2014 de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir que les trois visuels publicitaires en cause ont été diffusés sur la page Facebook de la marque. Ils n’ont donc été vus que par des internautes qui se connectaient volontairement à cette page dans la volonté de recevoir des informations sur la bière. Elle rappelle que la communication sur un tel support est licite en vertu du 9° de l’article L. 3323-2 du code de la santé publique, dès lors que Facebook n’est pas au nombre des services de communication en ligne « principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés et fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code du sport ».

La société conteste le raisonnement de l’ANPAA fondé sur le contexte de diffusion des publicités. Toute campagne de publicité, quelle qu’elle soit, a vocation à être diffusée pour tenir compte de son temps et des périodes de diffusion. La Recommandation « Alcool » n’interdit nullement de faire la promotion des bières de Noël lors des fêtes de fin d’année, ou des vins rosés en période estivale.

S’agissant du respect de la Recommandation « Alcool », la société insiste sur le fait que le Jury n’a pas à tenir compte d’éléments étrangers au débat déontologique, notamment des instances contentieuses en cours et, en particulier, de l’ordonnance du 21 octobre dernier qui est frappée d’appel. Elle ajoute que la Recommandation doit être lue à la lumière de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui garantit la liberté d’expression.

En l’espèce, il est exact que l’ANPAA peut avoir une analyse sémiologique l’amenant à considérer que ces trois visuels ne sont pas conformes à la recommandation « Alcool » de l’ARPP parce qu’elle ne les accueille pas « avec faveur » ou peut-être parce qu’ils heurtent sa sensibilité, en voyant dans toute campagne en faveur de boissons alcooliques une volonté d’amener les consommateurs, au demeurant majeurs et responsables, vers une consommation abusive d’alcool.

Or à aucun moment ces visuels n’incitent les internautes à abuser de la consommation de bière ou à recourir à ce breuvage pour faire du sport ou gagner une compétition. Plus largement, ils ne se rapportent pas à l’exercice d’un sport. Aucun sportif ou supporter n’apparaît. En outre, aucun des éléments graphiques et rédactionnels n’excède les mentions autorisées par la Recommandation, qui reprend en substance les dispositions de l’article
L. 3323-4 du code de la santé publique. En effet, le premier visuel se rapporte à la représentation du mode de consommation et à la dénomination du produit et l’accroche : « on ne peut pas nier, sa couleur se rapproche de l’or » constitue une référence objective à la couleur de la boisson. Dans le deuxième visuel, la représentation des verres se rapportent au mode de consommation, dans un contexte qui exclut tout sportif et toute représentation d’un ballon de football. Quant à l’accroche, « … est bien présent sur le terrain français », cette dernière est objectivée par le renvoi qui indique : « en vente dans toute la France ». L’expression « terrain » n’est pas synonyme de terrain de sport (foot, course…) mais plutôt du terrain commercial, celui sur lequel les opérateurs d’un marché opèrent. Le troisième visuel se rapporte au mode de consommation : tireuse pour bière à la pression et verre. Quant à l’accroche, « une légère pression à savourer sur le terrain du Soccer Player », elle se rapporte également au mode de consommation et au nom et à l’adresse d’un dépositaire, le bar de sports « Soccerplayer ». Aucun consommateur n’est représenté.

En conclusion, l’annonceur indique que la seule circonstance que des éléments puissent évoquer le sport ne saurait traduire une méconnaissance du point 1/6 de la Recommandation « Alcool ».

3.L’analyse du Jury

Le Jury observe à titre liminaire que, selon le point 3/4.2 de la Recommandation « Alcool » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) : « les communications commerciales sur les services de communication en ligne respectent l’ensemble des recommandations ci-dessus (chapitres 1 à 3) ». Ces règles déontologiques s’appliquent donc aux publicités en faveur des boissons alcoolisées diffusées sur un site internet ou un réseau social comme Facebook.

Le Jury rappelle en premier lieu que le point 1/6 de cette Recommandation dispose que « Aucune communication commerciale ne doit associer la consommation de boissons alcoolisées à des situations de chance, d’exploit, d’audace ou d’exercice d’un sport. ».

Dès lors que les restrictions à la liberté d’expression des professionnels de la publicité doivent s’interpréter de manière stricte, le Jury estime que l’association d’une publicité à « l’exercice d’un sport », expression accolée à celles de « chance », d’« exploit » et d’« audace », suppose que celle-ci comporte une référence suffisamment explicite à la pratique effective d’un sport, notamment par la reproduction de ses participants, le cas échéant sous une forme stylisée ou par anthropomorphisme, ou d’une situation de jeu. La seule allusion à un sport, à un équipement sportif ou à un contexte sportif ne constitue pas une association à « l’exercice » d’un sport. Pour l’application de cette règle déontologique, il importe peu, en revanche, que la publicité présente ou non la boisson alcoolisée comme un facteur de réussite sportive, cette question relevant du point 1/5 de la même Recommandation.

En l’occurrence, le Jury constate que deux des trois visuels comportent des références explicites au football ou, à tout le moins, à des sports pratiqués dans des stades (pelouse, lignes blanches et projecteurs), par ailleurs renforcées par les slogans mentionnant le « terrain » et, s’agissant de la troisième publicité, le « Soccerplayer » (ce qui signifie littéralement : « joueur de football »). Pour autant, ils ne peuvent être regardés comme associant la consommation de boissons alcoolisées à « l’exercice » d’un sport. En particulier, si l’alignement des verres de bière dans le deuxième visuel peut évoquer celui des joueurs avant le début du match, la reproduction de ces verres est conforme à la réalité et dépourvue de référence à des attributs humains. S’agissant du premier visuel, le Jury considère que l’évocation d’un panneau de basketball que met en avant l’ANPAA n’est pas suffisamment explicite pour fonder une association avec un sport et, en tout état de cause, avec sa pratique.

Dans ces conditions, le Jury est d’avis que le point 1/6 de la Recommandation « Alcool » n’a pas été méconnu.

Le Jury rappelle en deuxième lieu que le point 3/1 de la même Recommandation prévoit que « Le contenu des publicités doit se limiter à des informations ou des mentions autorisées par la réglementation, en particulier l’article L. 3323-4 du Code de la Santé Publique (…) », à savoir : l’indication, le degré volumique d’alcool, l’origine, la dénomination, la composition du produit, le nom et l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires, le mode d’élaboration, les modalités de vente, le mode de consommation du produit, des références aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine et indications géographiques, ainsi que des références à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.

S’agissant du premier visuel, le Jury estime, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, qu’il ne représente pas de manière suffisamment explicite le panneau de basketball évoqué par l’ANPAA pour qu’on puisse y voir une « indication » ou une « référence » qui devrait être confrontée à la liste des mentions limitativement autorisées. En outre, la mention « sa couleur se rapproche de l’or », rapprochée de la représentation du verre de bière rempli, se réfère directement à la couleur du produit et est donc autorisée par la Recommandation.

S’agissant des deux autres visuels, le Jury constate qu’ils représentent clairement l’intérieur d’un stade et, en particulier, un terrain de football (ou, le cas échéant, de rugby). Il observe tout d’abord que, selon l’article L. 3335-4 du code de la santé publique, la vente et la distribution des boissons alcoolisées sont en principe interdites dans les stades. Si cette interdiction est assortie de dérogations, la consommation de ces boissons ne saurait en tout état de cause intervenir sur la pelouse elle-même. De surcroît, dans les enceintes sportives où leur vente est autorisée, ces boissons ne sont, en général, pas distribuées dans des verres mais dans des gobelets de plastique, pour des raisons de sécurité. Dans ces conditions, le Jury estime que les éléments représentés ne peuvent se rapporter au « mode de consommation » mentionné par la Recommandation, d’autant que celle-ci précise à ce titre que « la publicité peut mettre en évidence les conditions optimales de dégustation ou de service du produit, les associations culinaires possibles ou souhaitables ».

En ce qui concerne la troisième publicité, le Jury observe que, selon le point 3/1.6 de la Recommandation, l’indication du nom et de l’adresse des agents et des dépositaires vise « l’ensemble des intervenants dans la filière commerciale et logistique ». Or le nom « Soccerplayer » qui y est mentionné renvoie à un débit de boissons dont le site internet est accessible en cliquant sur le lien hypertexte, et qui propose notamment de la bière de la marque. Dans ces conditions, le Jury considère que cette règle déontologique est respectée.

Enfin, selon le point 3/3 de la même Recommandation, dans les publicités diffusées par voie de supports écrits, le message de caractère sanitaire doit être clairement lisible et visible, ce qui suppose notamment d’être imprimés en corps gras et d’une couleur tranchant sur le fond du message.

Le Jury estime qu’en l’espèce, la mention sanitaire est suffisamment lisible sur le troisième visuel. S’agissant des deux premiers visuels, les éléments produits par l’ANPAA ne permettent pas au Jury de constater que le message sanitaire serait en toutes circonstances masqué par un bandeau, alors que la présence de ce dernier peut dépendre des paramètres d’affichage choisis par l’internaute. Dans ces conditions, le point 3/3 de la Recommandation n’apparaît pas méconnu.

Il résulte de tout ce qui précède que les plaintes de l’ANPAA contre les deux derniers visuels sont fondées au regard du point 3/1 de la Recommandation « Alcool » de l’ARPP, mais qu’il y a lieu de rejeter sa première plainte et le surplus de son argumentation dans les deux autres.

Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.

Avis adopté le vendredi 12 décembre 2014 par M. Lallet, Vice-Président, Mme Moggio et MM. Carlo et Lacan.