Avis publié le 4 novembre 2024
YSL EDITIONS – 1030/24
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- et après en avoir débattu,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 31 juillet 2024, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, en faveur de la société Yves Saint Laurent, pour promouvoir le livre « ZOE », de sa collection SL Editions.
La vidéo publicitaire en cause, diffusée sur le compte Instagram de la marque, montre l’actrice, chanteuse et réalisatrice Zoë Kravitz auquel le livre est dédié, dans différents décors (villa contemporaine, piscine, quais de la Seine…), tantôt seule, tantôt accompagnée d’un chien ou d’un personnage masculin.
Elle porte des tenues de la marque : robe échancrées, maillots de bains, lingerie dévoilant sa nudité et talons aiguilles tout en prenant diverses poses.
2. Les arguments échangés
– La plaignante énonce que cette publicité met en avant une femme avec un regard voyeuriste et dégradant. Ses parties intimes sont filmées d’une façon qui ne montre pas son consentement. Son attitude passive et lascive peut suggérer qu’elle n’est pas dans son état naturel (déchirement du vêtement, zoom vers son entrejambe, marcher à quatre pattes à côté d’un animal…).
La plaignante explique se sentir dégradée en tant que femme en voyant cette publicité. Une telle représentation peut, selon elle, être dangereuse et amener à la culture du viol pour les hommes.
– La société Yves Saint-Laurent a été informée, par courriel avec accusé de réception du 9 août 2024, de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle n’a pas présenté d’observations.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose :
- en son point 1 (Dignité, Décence) que :
- « 1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.
- 1.3 D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine. »
- en son point 2, (Stéréotypes), que :
-
- « 2.1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.
- 2.2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.
- 2.3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme. »
Le Jury relève que la vidéo visée par la plainte correspond à un film d’une durée d’environ trois minutes, intitulé : « Saint Laurent – Zoë by Purienne » d’une durée d’environ trois minutes diffusées sur son compte Instagram pour assurer la promotion d’un livre de photographies édité par la maison de couture.
Le film met en scène, principalement, Zoé Krawitz modèle photographiée par Henrik Purienne dans le livre et présentée comme égérie du styliste et directeur artistique Anthony Vaccarello.
Alors qu’apparait le nom de la marque (« SAINT-LAURENT ») en incrustation en grandes lettres capitales, on voit la jeune femme déambuler sur des chaussures à talon, habillée de sous-vêtements ou d’un maillot de bains, à proximité d’une piscine. La caméra s’attarde notamment, sur sa bouche ou ses fesses, habillées d’un string et filmées en gros plan alors qu’elle paraît abandonnée, allongée sur le ventre, sur un matelas, au bord de l’eau, à côté de son chien.
Dans la scène suivante, elle est filmée de dos, les fesses appuyées contre une vitre, habillée en tout et pour tout, d’un collant qu’elle déchire dans un geste filmé en gros plan.
Le film se poursuit sur les quais de Seine où, très courtement vêtue, on l’aperçoit notamment prenant appui contre un mur, dans une tentative pour rajuster une jupe ou une robe très courte dans un plan très resserré faisant apparaître son entrejambe.
Dans la scène suivante, elle est allongée sur une table de salle à manger, les jambes littéralement en l’air, faisant remonter sa robe sur son string, un doigt dans la bouche et son autre main placée entre ses jambes.
Le plan suivant nous la présente en sous-vêtements, mais toujours perchée sur des escarpins, appuyée sur le capot d’une voiture à proximité de laquelle elle décide de prendre une douche, la caméra s’attardant un instant sur ses seins qu’on aperçoit en transparence.
Nous la retrouverons plus tard dans le film, à Paris, probablement sous le pont Bir Hakeim, toujours munie de ses escarpins, en collant et entourant de ses jambes un pilier du pont.
Le film l’accompagne ensuite à la plage dans diverses tenues : la caméra zoome notamment sur un moment où la jeune femme relève sa robe de plage pour laisser entrevoir ses fesses totalement nues, avant de la filmer à nouveau, allongée sur le dos, totalement abandonnée et offerte, en maillot de bains.
De la même façon, le film, dans sa dernière partie, nous la donnera à voir assise sur une chaise, manifestement dans la rue, en plein soleil, vêtue de sous-vêtements transparents, jambes écartées, la caméra offrant un plan très serré de ses seins puis dans une station-service dans laquelle elle se sert de glaçons en se penchant en avant, toujours vêtue de collants et d’escarpins avec un gros plan sur ses fesses, suivie de divers plans où nous pouvons l’apercevoir en train de fumer, cette fois habillée mais d’un haut assez transparent, laissant à nouveau entrevoir ses seins.
Le film s’achève avec un plan de la jeune femme, habillée d’un maillot de bain et déambulant dans les rues, buvant à la paille une cannette et s’arrêtant devant une vitrine avec des mannequins portant des sous-vêtements (le nom de la marque apparaît à nouveau à l’écran).
Le Jury rappelle d’abord, d’une part, que si le film accompagne la sortie de l’ouvrage de photographies édité par les éditions Yves Saint-Laurent, il n’en assure la promotion que très indirectement, essentiellement en filmant son inspiratrice principale, dans une esthétique que l’on imagine empruntée au photographe : le livre lui-même n’apparaît, ni n’est mentionné à aucun moment.
Ensuite, ce film publicitaire, sous couvert de valoriser une image stylisée du corps de la femme et une forme de « récit artistique », met en scène, en réalité, le mannequin, de façon très répétée et appuyée, dans des poses suggestives, voire lascives, en l’hypersexualisant par le biais de plans cadrés très serrés sur ses fesses, ses seins et son entrejambe, et ce, y compris dans un contexte qui se prête pourtant assez peu à de telles poses (espace public, station-service, quai de Seine, etc…).
Ce film publicitaire qui pourrait heurter la sensibilité d’un public non averti, en ce qu’il présente, de façon récurrente, la féminité en la limitant au corps de la femme représenté exclusivement autour du désir et du fantasme masculin, offerte ainsi au regard du spectateur, le tout pour promouvoir, avant tout, la marque et ses produits, porte un message dégradant et réducteur de l’image de la femme.
En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que cette publicité méconnaît les dispositions déontologiques précitées.
Avis adopté le 4 octobre 2024 par Mme Tomé, Présidente, M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Aubert de Vincelles, Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin