Avis publié le 5 août 2024
CARIBBEAN CONNECTION – 1013/24
Plaintes fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 13 du règlement intérieur,
rend l’avis suivant :
1. Les plaintes
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 16 mai 2024, d’une plainte émanant de l’association Culture Egalité ainsi que les 13 et 15 mai, de deux plaintes de particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, en faveur de la société Perfect Event, pour promouvoir le concert de Caribbean Connection, le 21 mai à Saint-Esprit en Martinique.
La publicité en cause, diffusée sur Internet, montre un visage de femme dessiné de profil et dont seules les lèvres sont colorées en rouge. Elle tient un bâton de canne à sucre qu’elle suce en fermant les yeux.
Le texte accompagnant cette image est : « Viens sucer la canne », ainsi que diverses informations relatives au concert.
2. Les arguments échangés
– Les plaignants particuliers énoncent que cette publicité, qui illustre une fellation, est dégradante pour l’image de la femme.
L’association Culture Egalité ajoute que l’image – tronquée – de la femme est utilisée comme argument publicitaire et sert d’argument de vente. Le slogan « Viens sucer la canne » et son illustration ne se justifient
- ni par le lieu : malgré la figuration alibi de cannes sur le visuel, l’Habitation La Nau où se passe l’événement n’en produit pas,
- ni par les usages : on ne consomme pas de canne en soirée en Martinique,
- ni par la valeur patrimoniale : la canne étant une monoculture d’exportation cultivée sous régime servile, il n’existe pas une tradition de fête de la canne en Martinique,
- et, surtout pas par la matérialité de l’acte auquel le public est invité : on ne consomme pas la canne en la suçant, mais en la mâchant pour en extraire le jus !
Tout ceci amène à penser que la canne qui sera offerte à la consommation dans cette soirée est bien particulière et que ce slogan fait clairement allusion à des pratiques sexuelles.
Cette instrumentalisation de son image réduit la femme au rôle à la fois d’appât sexuel et d’instrument du plaisir masculin – en fait, on pourrait même dire qu’elle en devient une espèce d’appendice puisque sa représentation est réduite aux organes essentiels dans la pratique sexuelle délibérément évoquée par l’image et le slogan.
Il s’ensuit une détérioration de l’image de toutes les femmes, une détérioration des rapports entre hommes et femmes et enfin une détérioration du climat social, tout simplement.
Bref, ce type d’annonce tend à instaurer et consolider en Martinique une culture du viol et la guerre des sexes.
– La société Perfect Event a été informée, par courriel avec avis de réception du 31 mai 2024, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle n’a pas présenté d’observations.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose :
- en son point 1 (Dignité, Décence) que :
- « 1.1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.
- 1.3 D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine. »
- en son point 2, (Stéréotypes), que :
-
- « 2.1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.
- 2.2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.
- 2.3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme. »
Le Jury relève que la publicité en cause est destinée à promouvoir le concert de Caribbean Connection, le 21 mai 2024 à Saint-Esprit en Martinique. Elle montre le dessin d’un profil de visage de femme dessiné en noir sauf la bouche qui apparait en rouge vermillon, laquelle femme tient, enfoncé dans cette même bouche rouge, une sorte de bâton dessiné lui aussi en noir qu’elle semble manger ou sucer, yeux mi-clos, le texte accompagnant le dessin étant, lui, sans ambiguïté sur l’action de la bouche puisque, utilisant le tutoiement et l’impératif, il lance en forme d’incitation le message suivant : « viens sucer la canne »
Le Jury considère que la publicité en cause, est volontairement provocatrice, par le symbole phallique et l’utilisation des mots comme par le dessin qui met en scène une femme qui semble extatique, les yeux presque fermés suggérant qu’elle est concentrée sur le plaisir procuré, ce qui ajoute encore une touche supplémentaire au double sens à caractère sexuel manifestement recherché par le message. Il est ainsi clairement dégradant, sexiste, réducteur, utilisant l’image sexualisée d’une femme de manière détournée et provocatrice.
En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que cette publicité méconnaît les dispositions déontologiques précitées.
Avis adopté le 12 juillet 2024 par Mme Tomé, Présidente, M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin