Avis publié le 4 novembre 2024
BIEN’ICI – 1033/24
Plaintes fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- après avoir entendu les représentants de la société Bien’Ici ainsi que le Directeur Général de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) et le Délégué Général du Syndicat National de la Publicité Télévisée (SNPTV),
- et après en avoir débattu,
rend l’avis suivant :
1. Les plaintes
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre le 5 et le 17 septembre, d’une cinquantaine de plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une publicité de la société Bien’Ici, pour promouvoir son offre d’annonces immobilières en ligne.
Le film publicitaire en cause, diffusé en télévision, montre une jeune femme frappant à la porte d’une maison située au milieu des bois. A l’intérieur, un homme, dont on n’aperçoit pas le visage, est en train d’aiguiser une hache. La femme entre dans le salon et, constatant que le sol est entièrement recouvert d’une bâche plastifiée, elle lui demande : « Ah, tu vas faire de la peinture ? ». L’homme referme la porte, tenant la hache derrière son dos.
Le texte apparaissant en incrustation à l’écran, à la fin du film, indique « Maison en forêt. Aucun voisin à moins de 5km ».
2. Les arguments échangés
– Les plaignants énoncent que cette publicité est choquante car elle incite à la violence envers les femmes, voire banalise les féminicides.
Certains plaignants ajoutent que le message véhicule une représentation sexiste de la femme.
– La société Bien’Ici et son agence de communication Steve, ont été informées, par courriel avec accusé de réception du 12 septembre 2024, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
La société Bien’Ici fait valoir que son agence de communication a échangé pendant près de cinq mois avec l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité sur ce projet de publicité. Celui-ci a été amendé à de nombreuses reprises pour tenir compte de l’avis de l’ARPP qui a donné son avis favorable.
L’intention de ce projet était de parodier l’atmosphère et le décor des films d’horreur hollywoodiens, un genre cinématographique connu pour ses aspects exagérés.
Il n’a jamais été question d’attenter au respect de la personne et encore moins à celle des femmes.
L’annonceur prend acte que cette publicité ait pu choquer certaines personnes et a donc décidé de mettre un terme à sa diffusion à réception de la notification des plaintes par le Jury.
– Le Syndicat National de la Publicité Télévisée (SNPTV), a également été informé de la plainte, par courriel avec accusé de réception du 12 septembre 2024.
Son représentant fait valoir, lors de la séance, que les services de télévision ont pris en compte l’Avis favorable délivré par l’ARPP.
– L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) explique que, comme toute publicité destinée à être diffusée en télévision, ce spot d’une campagne comportant trois autres messages a été soumis à l’ARPP pour avis avant diffusion.
Au préalable, l’ARPP a eu plusieurs échanges avec l’agence de communication Steve, membre de l’ARPP, sur le projet de film, à plusieurs étapes de la création et ce, dès le mois d’avril 2024.
Le principe du film est apparu envisageable, s’agissant d’un ressort publicitaire déjà employé à plusieurs reprises dans différentes campagnes. En effet, de manière générale, le recours aux codes des films d’épouvante (atmosphère de suspense, décors sombres et angoissants, personnages effrayants et apeurés, etc.) peut être accepté de longue date. Mais la publicité doit dans tous les cas prendre en compte les principes élémentaires applicables à tout message, à savoir ne pas choquer le public et s’inscrire dans le respect de l’image de la personne.
En l’espèce, les conseils ont donc particulièrement insisté sur les précautions à prendre en vue de la réalisation du film.
Il a donc été rappelé la nécessité de ne pas illustrer un sentiment de peur de nature à choquer le public comme le prévoit le Code ICC sur la publicité et les communications commerciales ou une situation de violence telle qu’interdite par la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.
Pour cela, l’ARPP a conseillé d’adopter un ton clairement décalé et de bien mettre en évidence la lecture au 2ème degré, en apportant une chute positive ou une fin humoristique de la situation.
Il a été également souligné que la réalisation d’un tel projet jouant sur une double lecture de l’intention créative initiale, devait nécessairement au final rassurer le téléspectateur en levant toute ambiguïté sur le sort de la jeune femme, afin de dédramatiser le scénario.
Par exemple, l’ARPP a particulièrement émis des réserves sur la présence de la hache dans les mains de l’homme. En effet, dans le contexte du script précisant : « petit sourire en coin et referme la porte (…) il tient toujours sa hache dans le dos », « … Aucun voisin à moins de 5 km »…, l’homme semble à l’évidence tenir une arme plutôt qu’un outil destiné à couper du bois.
L’agence ayant assuré avoir pris acte de l’ensemble de ces éléments de retravail, le spot a ensuite été soumis une fois réalisé, pour validation. Si celui-ci est apparu globalement acceptable à l’ARPP, l’absence d’une révélation positive suffisamment explicitement a conduit à alerter de nouveau l’agence sur le risque élevé de réactions de la part d’une partie du public.
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :
- « 1 La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes.(……)
- 3 La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique.(……°)
- 4 La publicité ne doit en aucun cas, par ses messages, ses déclarations ou sa présentation, banaliser la violence».
En outre, le Code ICC « Publicité et Marketing » dispose :
- Article 4 – Responsabilité sociale
« (……..). La communication commerciale, sauf raison justifiable, doit proscrire toute exploitation des sentiments de peur, de malchance ou de souffrance. La communication commerciale ne doit pas sembler cautionner ou encourager des comportements violents, illicites ou antisociaux. »
Le Jury relève d’abord que si l’intention du message est de parodier l’atmosphère et le décor des films d’horreur, le récit et le son tels qu’ils apparaissent à l’image laissent peu de place à l’humour, même noir.
De toute évidence, le propos intentionnel de la séquence est de présenter la jeune femme comme un personnage dont l’ingénuité confine à la stupidité puisqu’elle apparait vêtue d’un short de ville et de chaussures vernies à brides et petits talons, tenue parfaitement décalée pour se rendre au milieu d’une forêt dans la maison isolée d’un homme mutique et inquiétant auquel elle pose une question, avec un ton tout aussi décalé, sur de possibles travaux de peinture quand elle s’avance, en toute naïveté, sur une bâche plastique recouvrant curieusement tout le sol.
Le spectateur sait, quand la porte se referme, que la chute de l’histoire s’annonce comme inexorable pour cette candeur coupable qui la transforme en proie se jetant dans le traquenard du même homme dissimulant la hache qu’il a manifestement aiguisée au début de la séquence.
Aucune distance n’apparait vraiment dans cette narration même si elle emprunte aux codes de l’ingénue « nunuche » des films d’horreur, facilement repérable comme un archétype de victime pour un spectateur averti.
En revanche, le spectateur moyen, en tout cas celui qui n’a jamais choisi de faire la démarche de se faire peur en allant voir un film d’horreur, n’est pas nécessairement connaisseur de ce cinéma de genre pour en décrypter tous les codes, la touche parodique de référence ou l’humour sous-jacent de second degré.
Au contraire, et même s’ils sont volontairement « chargés », le scénario et la manière de filmer, en mettant en scène une jeune-femme victime prise au piège d’un sadique, sont susceptibles d’engendrer un sentiment d’effroi et de peur du fait même de l’atmosphère anxiogène qu’ils créent autour d’un crime potentiel lequel fait écho, au surplus, à certains faits divers réels d’agression survenus lors de la recherche d’appartement par des jeunes femmes.
Enfin, ce récit, dont la fin sacrifie de manière implacable son héroïne sans tête à la hache du tueur, laisse ainsi latente une forme de dénigrement de cette jeune femme qui apparait, de manière gênante et dévalorisée, comme une proie féminine et facile, punie, au fond, du fait même de sa propre légèreté.
Au total, ce qui prédomine dans ce film publicitaire, c’est une histoire courte à la tonalité angoissante, porteuse d’une violence sous-jacente qui s’exerce contre un type de jeune femme naïve et vulnérable et que ne parviennent pas à dissiper l’humour et le second degré insuffisamment présents ou, en tout cas, insuffisamment perceptibles du grand public.
En conséquence, le Jury considère que la campagne en cause contrevient aux dispositions précitées plus haut.
Enfin, le Jury prend acte qu’au vu des réactions négatives à cette publicité et ce, dès ses premières diffusions, la société en cause a pris elle-même l’initiative de retirer ce film de son plan média.
Avis adopté le 4 octobre 2024 par Mme Tomé, Présidente, M. Aparisi, Vice-Président, Mmes Aubert de Vincelles, Boissier, Charlot et Lenain, ainsi que MM. Le Gouvello, Lucas-Boursier et Thomelin.