JDP

Avis JDP n°75/10 – PRET-A-PORTER – CHAUSSURES – Plaintes rejetées

Décision publiée le 22.11.2010
Plaintes rejetées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’agence de communication, auteur de la campagne, et du Cabinet d’avocat-conseil tant de cette société que de la société commercialisant les chaussures.

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi les 10, 11 et 27 septembre 2010, de trois plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne de publicité diffusée en affichage en faveur de la marque de chaussures.

Les plaintes portent sur deux des quatre affiches de la campagne : l’une présente une femme un genou à terre, chaussée d’escarpins et brandissant un sac à main dans sa main gauche,  son corps et son visage sont masqués par une banderole sur laquelle est inscrite phrase suivante : « L’assistant a couché avec le photographe, le mannequin avec le directeur de casting, le créatif avec la cliente. Tout ça pour des escarpins à 39,90€ .», puis en caractères plus petits : « Il faudrait-être fou pour dépenser plus » ; l’autre montre une femme debout en équilibre sur un pied, en tenue à imprimé léopard, et chaussée de bottines,  son corps et son visage sont de la même façon, recouverts par une banderole dont les termes sont : « Le photographe a demandé une fortune. Le mannequin est sous anti-dépresseurs. Le styliste fait semblant d’être gay. Tout ça pour des boots à 49.90€. », suivis de la  même formule « Il faudrait-être fou pour dépenser plus ».

2.Les arguments des parties

– Les plaignants, qui sont des particuliers, considèrent que le discours véhiculé par cette publicité porte atteinte à la dignité de la personne humaine en ce que la première affiche suggère un lien entre acte sexuel et possession d’un objet, ce qui constitue une incitation à la prostitution.

L’un des plaignants ajoute que la première affiche revient à légitimer toute forme de pression sexuelle dans le cadre du travail. La seconde affiche établit, selon lui, un contraste entre des personnes décisionnaires gagnant très bien leur vie et d’autres qui la perdent à vouloir la gagner. Il ajoute qu’elle ridiculise et tourne en dérision la communauté homosexuelle ou l’ensemble des personnes en souffrance physique.

– L’annonceur précise que la publicité critiquée avait pour but d’être accrocheuse, humoristique et surtout de « mettre en avant ses valeurs et rappeler son identité avec le grain de folie qui caractérise la marque de chaussures depuis des années ».

– L’agence de communication et l’avocat représentant les deux sociétés font valoir que cette campagne s’inscrit dans l’esprit de la marque développée depuis les années 90 et qui se veut  engagée dans la défense de l’image de la femme, avec un ton humoristique et impertinent. Ils font observer que les visuels ne présentent aucun corps de femme dans une position dégradante ou avilissante et ne mettent pas en scène des pratiques sexuelles susceptibles de choquer le public et en particulier les jeunes. Ils précisent que les slogans mis en cause, constituent des critiques, sur un ton humoristique, de pratiques du milieu de la mode et que le raccourci consistant à interpréter le message comme validant l’acceptation de relations sexuelles pour obtenir des chaussures est totalement erroné.

L’intention est, par le sarcasme à l’égard des mondes de la mode et de la publicité, de dénoncer le stéréotype de la femme objet.

Cette affiche a, d’ailleurs, été primée par un grand prix de communication.

– La société d’affichage A, qui a affiché cette campagne sur son réseau, fait valoir que la lecture de ces messages doit être faite au second degré. Eram a en effet toujours tenu un discours particulièrement féministe. Déjà en 2001, la marque s’en était prise à l’image dégradante de la femme véhiculée par les marques de mode avec le slogan : « aucun corps de femme n’a été exploité dans cette publicité ».

Dans cette nouvelle campagne, Eram réaffirme les codes de sa communication, à savoir l’ironie sociale et le détournement des clichés publicitaires.

Elle explique que les textes fustigent de façon très frontale les excès du milieu de la mode et qu’en cachant le visage et surtout le corps du modèle habituellement portés aux nues par les marques de mode, la marque de chaussures invite à revenir à la réalité par la valorisation du seul prix raisonnable d’un produit.

– L’autre société d’affichage, la société B, explique que ces visuels ont échappé à la vigilance de son équipe commerciale et n’ont pas été soumis à la validation de la direction juridique. Elle considère toutefois que cette campagne n’est pas contraire aux recommandations de l’ARPP.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la Personne Humaine » de l’ARPP dispose que toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine est exclue, que « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet » et que « l’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social (…) doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation ».

A titre liminaire, le Jury précise que le fait qu’une publicité s’inscrive dans une lignée historique de publicités d’un certain type ou dénonçant, de façon récurrente, une question ou un problème de société ciblés, ne saurait  justifier  l’exonération d’une nouvelle version qui ne respecterait pas, pour sa part, les principes déontologiques énoncés par les Recommandations de l’ARPP et, par son intermédiaire, par les professions de la publicité.

Le Jury relève que les plaintes mettent en cause les textes des messages et non leurs visuels qui ne comportent aucune représentation dégradante ou avilissante du corps humain ou de la femme et ne mettent pas en scène des images susceptibles de choquer le public.

Sur les  affiches

Le Jury observe tout d’abord que les plaintes démontrent que, s’agissant de la première affiche, le texte a été compris différemment par les plaignants comme décrivant l’acceptation de relations sexuelles par des personnes, soit pour obtenir des chaussures, soit pour travailler sur la publicité en cause.

Au regard de la lecture du texte et des explications données, il apparaît que le sens du message se trouve dans la seconde interprétation et non dans la première. Mais il convient de reconnaître que le message manque de clarté.

Le Jury relève que les textes des deux affiches procèdent par des énumérations systématiques, excessives et volontairement provocantes. Il s’agit de décrire sur le mode ironique et hyperbolique dans un cas, des comportements que l’on prétend, à tort ou à raison, être ceux des milieux de la mode et de la publicité et  dans l’autre, des situations d’inégalités et de difficultés possiblement vécues par des personnes exerçant leur profession dans ces milieux. Dans l’un et l’autre cas, la virulence de ces descriptions est en total décalage tant avec la futilité de l’image que l’on devine sous les banderoles qu’avec la faible valeur du produit représenté souligné par le slogan traditionnel de la marque – il est vrai, représenté en caractères beaucoup plus petits.

Ainsi présentés, ces messages constituent non la mise en avant de comportements dégradants ou avilissants pour la personne humaine, voire leur validation, ou la légitimation de situations professionnelles conduisant à des souffrances pour les personnes mais plutôt la dénonciation  de tels comportements et un appel à la réflexion des milieux concernés.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que s’il est regrettable que les messages en cause soient formulés de façon à engendrer des contresens de la part de ceux auxquels ils sont destinés, ils ne contreviennent pas aux termes de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont rejetées;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants et à l’annonceur, à l’agence de communication, ainsi qu’aux sociétés d’affichage ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 5 novembre 2010 par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Michel-Amsellem, vice-présidente, Mmes Drecq et Moggio, et Ms Benhaïm, Lacan, Leers et Raffin.

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