JDP

Avis JDP n°61/10 – OPTIQUE – Plainte fondée

Décision publiée le 19.07.2010
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– et après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi par deux plaintes, dont une de l’Association Familles Rurales, en date du 4 mai 2010 et l’autre d’un particulier en date du 12 mai 2010, portant sur la non conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, diffusée par voie de presse et d’affichage, par une marque d’optique.

Cette publicité diffusée notamment dans le numéro de mai 2010 d’un magazine, présente une personnalité du monde sportif, en l’occurrence Sébastien LOEB, se tenant debout à l’angle d’un toit, les pieds posés sur la bordure du toit et face au vide.

Cette image est accompagnée de l’accroche publicitaire « Dépassez les bornes » et du texte « les gens le disent complètement fou mais Sébastien n’en a que faire. On ne devient pas le meilleur pilote de rallye de l’histoire sans repousser continuellement ses limites… »

Les plaintes ont été communiquées aux diffuseurs et à l’annonceur par lettres recommandées des 7 et 17 mai 2010, les invitant à faire valoir leurs observations et les avertissant de la date de la séance du Jury.

2.Les arguments des parties

– L’Association plaignante considère que cette publicité valorise sans motif un comportement dangereux, le texte accentuant l’incitation à la prise de risque qui est mise en scène.

Le plaignant particulier considère que cette publicité contrevient aux recommandations de l’ARPP selon lesquelles « la publicité ne doit comporter aucune présentation visuelle (…) ou de situation où la sécurité et la santé ne sont pas respectées” et « Présenter les produits de telle sorte que le mode d’utilisation offrant le maximum de sécurité soit souligné« . Il ajoute que, compte-tenu de la cible, de la nature du produit (lunettes de soleil vantées par une star de l’automobile à destination d’un public jeune aimant les sensations), une attention particulière doit être portée à la sécurité.

– L’annonceur, fait part de ses regrets concernant la diffusion de cette publicité et indique que, soucieuse du respect des Codes de déontologie publicitaire, elle a fait retravailler le visuel pour y supprimer toute ambiguïté.

Elle communique la position de l’agence de communication, appartenant à un grand groupe, concernant cette publicité. L’agence fait valoir que la marque d’optique teste rigoureusement ses lunettes afin d’assurer la résistance de ses produits dans des conditions extrêmes d’utilisation. A ce titre, elle dépasse largement les normes standards de l’industrie en termes de protection, ce qui a permis à celle-ci d’affirmer son image de marque et de se différencier par rapport à ses concurrents. Cette exigence de qualité propre à la marque est illustrée dans sa communication par des sportifs extrêmes comme Sébastien LOEB qui sont amenés à accomplir des exploits exceptionnels. Cela les rapproche donc des lunettes qu’ils portent en termes de conception, performance et protection. L’agence a souhaité exprimer cette similitude par l’image et les textes utilisés dans la campagne incriminée.

Cependant, afin d’exclure tout malentendu, le visuel a été modifié et recentré sur le visage et les lunettes de Sébastien LOEB.

– Le diffuseur précise que le magazine qui a diffusé la publicité est un magazine masculin s’adressant à un lectorat majeur. Lancé en 2008, ce magazine a su s’imposer grâce notamment à un ton décalé et humoristique et dont la devise est « le magazine qui parle aux hommes sur un autre ton ».

Il estime que son lectorat est donc tout à fait capable de discerner le second degré et ne peut en ce sens être incité à copier le comportement représenté sur la photographie.

Par ailleurs, il s’étonne que l’Association Familles Rurales interprète la couleur rouge de la capuche de Sébastien LOEB comme une volonté de transformer le pilote en super-héros alors qu’il s’agissait seulement de rappeler la couleur du logo figurant sur les branches de lunettes.

L’éditeur du magazine précise enfin que, compte tenu de la date à laquelle il a été informé de la plainte, il n’a pas pu faire le nécessaire pour retirer l’insertion de cette publicité, déjà prévue dans le numéro de juin car celui-ci était bouclé.

– La société d’affichage explique que l’objet de cette campagne est d’associer l’image et la notoriété du champion Sébastien LOEB au produit et à la marque d’optique. Ce sportif excelle dans une discipline très exigeante ne laissant aucune place au hasard ou à une prise de risque irréfléchie, tout particulièrement en matière de sécurité.

Cette discipline est symbolisée dans le visuel par la couleur rouge portée par le pilote, laquelle n’a pas vocation à le transformer en super héros comme indiqué dans l’une des plaintes mais à symboliser l’écurie de course dont il défend les couleurs dans le championnat du monde des rallyes.

L’afficheur ajoute qu’un tel champion ne prend aucun risque sans l’avoir précisément apprécié et calculé, y compris à l’occasion de cette publicité. On ne peut donc suggérer que le pilote a été photographié sur le toit sans protection.

La société d’affichage indique de plus que l’objet de cette publicité n’est pas de s’identifier à Sébastien LOEB et d’inciter à « faire comme lui » mais de mettre en exergue le degré d’exigence qu’implique son métier et de relever que la marque d’optique est animée par cette même exigence dans la conception et la réalisation de ses produits.

De façon plus prosaïque, la société d’affichage fait remarquer que tout le monde n’est pas Sébastien LOEB et ne peut accomplir les mêmes exploits; en revanche, le public peut partager avec lui le souci de la perfection et pourquoi pas une volonté de dépassement de soi illustrée par le slogan « dépassez les bornes ».

L’afficheur fait valoir que conformément à la Recommandation Sécurité de l’ARPP et à l’article 13 du Code de la CCI, cette campagne ne vise pas particulièrement les adolescents et encore moins les enfants et ne recèle pas d’équivoque, l’identification du personnage central étant rendue aisée par la présence de son nom en haut à gauche du visuel.

Enfin, plus largement, le public visé – les jeunes adultes sportifs – est tout à fait réceptif à un message décalé porté par un personnage public en adéquation avec les valeurs du sport : l’exigence de la performance et la recherche du dépassement.

Avancer que cette campagne pourrait induire un comportement pouvant attenter à la sécurité des personnes reviendrait donc à dénier au public toute capacité de discernement et à prétendre le protéger de pulsions ou comportements quasi-suicidaires.

3.Les motifs de la décision du Jury

Il résulte des dispositions déontologiques et, notamment celles contenues dans  l’article 13 du Code consolidé sur les pratiques de publicité de la CCI et reprises dans la Recommandation «Sécurité» de l’ARPP que “Sauf justification d’ordre éducatif ou social, la publicité ne doit comporter aucune présentation visuelle ni aucune description des pratiques dangereuses ou de situation où la sécurité et la santé ne sont pas respectées”.

Le Jury considère que la publicité critiquée, qui utilise une image présentant un personnage se tenant sans protection en équilibre en bordure d’un toit, banalise la prise de risque et peut susciter, à ce titre, des comportements mimétiques de la part d’une partie du public quel qu’il soit. Elle ne comporte aucun élément de distanciation qui permettrait de considérer qu’elle constitue une scène dangereuse à ne pas reproduire ; au contraire, le recours à une personnalité connue favorise le mimétisme et présente un risque accru de comportement dangereux.

De plus, le texte se présente comme une invite et donc une incitation à s’identifier au personnage et à l’imiter.

En conséquence, Le Jury considère que cette campagne n’est pas conforme aux dispositions de la Recommandation déontologique « Sécurité ».

Il prend acte des modifications apportées par l’agence au visuel à la suite de la communication des plaintes. Ces modifications, toutefois, n’ont pu intervenir à temps pour être insérées dans les supports diffusés au mois de juin.

4.La décision du Jury

–  La plainte est fondée.

– La publicité de l’annonceur réalisée par l’agence de communication, diffusée par le magazine  et par la société d’affichage, méconnaît la Recommandation « Sécurité » de l’ARPP.

– La décision du Jury sera communiquée au plaignant, à l’annonceur, à l’agence et aux diffuseurs ; elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 2 juillet 2010 par Mme Hagelsteen, présidente, Mme Michel-Amsellem, Vice-présidente, Mmes Drecq et Moggio,  Ms Benhaïm, Carlo, Lacan, Leers et Raffin.

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