JDP

Avis JDP n° 492/18 – JEUX D’ARGENT – Plainte fondée

Avis publié le 05 février 2018
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 9 et 14 novembre 2017, de deux plaintes émanant de particuliers, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en radio, en faveur d’un jeu de hazard.

Le spot publicitaire en cause énonce :

« Cette semaine, Tirages Exceptionnels X.

Ce vendredi 10 novembre2017, 5 joueurs en France vont gagner 1 million d’euros chacun, alors, imaginez :

Homme : Ah bah moi je passe le permis bateau.

Femme : Dans une cuisine toute équipée.

Homme : De 490 chevaux avec toit ouvrant, jantes alus.

Homme : Et terrain de tennis en terre battue.

Homme : De quatre étages.

Femme :En marbre.

Offre valable en République Française et Monaco.

Jouer avec excès comporte des risques. Appelez le 0974751313. Appel non surtaxé. »

2. Les arguments échangés

– Les plaignants considèrent que cette publicité véhicule des stéréotypes sexistes, l’homme exerçant des activités à l’extérieur de la maison, des loisirs, alors que la femme est cantonnée à l’intérieur, de surcroît à la cuisine.

– La société annonceur fait valoir que ce spot radio pour l’opération promotionnelle « la semaine des millionnaires » a été construit à la façon du jeu de mot dit « cadavre exquis », qui est un jeu inventé par les surréalistes dans lequel une phrase grammaticalement correcte est formée, avec des mots courants, mais qui devient incompréhensible. Ainsi, chaque millionnaire de la semaine va poursuivre le rêve d’un autre en faisant intervenir son imagination la plus délirante. Le résultat est une succession de bouts de phrases qui génèrent un rêve global totalement surréaliste, ce qui crée de l’humour.

Il s’agit donc selon lui d’un spot totalement décalé, qui doit être pris comme un tout et non découpé phrase par phrase. Ainsi, le terme « marbre » n’est pas à rattacher à la cuisine mais au mot précédent, à savoir un « terrain de tennis ».

Au regard de la Recommandation de I’ARPP concernant la dignité de la personne humaine et plus particulièrement sur les stéréotypes, le rêve incriminé par les plaignants, à savoir qu’une femme rêve d’une cuisine, ne réduit pas la femme au rang d’objet, ni ne la rend inférieure. L’annonceur considère que cette publicité décalée a été mal perçue par les plaignants au regard de l’actualité du moment.

Ses représentants indiquent en outre, lors de l’audience, qu’il n’y a eu aucune intention sexiste ni aucune volonté de répartir les rêves d’utilisation du gain en fonction du sexe des personnes, et que dans d’autres campagnes publicitaires, la mère de famille conduit un cabriolet ou devient DJ.

– La société de radiodiffusion exerçant une mission de service public, fait valoir qu’elle est très soucieuse de la conformité à son cahier des missions et des charges des messages publicitaires diffusés sur ses antennes. Pour cette raison, elle a mis en place un comité d’agrément de la publicité qui lui permet d’exercer un contrôle des campagnes publicitaires, soumises par les différents annonceurs, qui sont diffusées sur ses antennes.

La campagne visée a ainsi fait l’objet d’une étude et d’un contrôle, par le comité d’agrément de la publicité de la société, avant sa diffusion à l’antenne. Toutefois, contrairement au texte joint à l’envoi de la plainte, le genre des locuteurs n’était pas mentionné sur celui soumis par l’annonceur à la radio. Dès lors, celle-ci n’a à aucun moment eu connaissance du caractère stéréotypé qui est véhiculé par cette campagne, avant sa diffusion à l’antenne. Il est certain que s’il avait été fait mention du genre des locuteurs, son comité d’agrément de la publicité aurait pu relever les clichés préconçus visant à attacher la pratique du sport à l’homme et la commande d’une cuisine à la femme, et ne l’aurait pas validée en l’état.

Par ailleurs, il faut noter que cette large campagne publicitaire lancée par la Française Des Jeux est diffusée sur l’ensemble des principaux médias radiophoniques français.

– La société de radio privée fait valoir que, comme précisé dans la retranscription des deux spots radio de 30 secondes livrés en l’état par l’agence de création, les termes utilisés représentent une femme et un homme, dont les rêves à réaliser s’entrecroisent dans la partie accroche. Ceux-ci ont été diffusés conjointement et à part égale durant la période de communication. A l’écoute du spot, on constate que les deux voix sont volontairement exagérées, sur le ton de l’humour. Il en est de même pour l’homme avec voiture de sport avec « Jante alu ». En conséquence, la société n’a pas considéré la création artistique contraire à la déontologie, et plus particulièrement à la Recommandation « Image et respect de la personne » et en a accepté la diffusion.

Le groupe œuvre quotidiennement au respect de la charte afin de permettre la diffusion publicitaire la plus juste et la plus honnête possible. La protection de la dignité humaine, entre autres vigilances, a toujours fait partie de la déontologie du Groupe.

– Les autres sociétés éditrices des radios concernées soulignent que les deux plaintes transmises par l’ARPP au sujet de la publicité visée en référence font mention de la radio France Inter et nullement de leurs services.

Sur le fond, en leur qualité de simples supports publicitaires, elles ne sont pas en mesure d’évaluer le contenu de l’ensemble des messages publicitaires diffusés sur leurs antennes au regard de principes de déontologie publicitaire de l’ARPP utilisant des notions particulièrement larges et parfois délicates à apprécier in concreto, telles que celle du « sexisme », visiblement reproché à cette publicité.

En effet, elles considèrent que le contenu de la publicité en cause n’apparaît pas, de prime abord et de manière flagrante, comme pouvant porter atteinte aux dispositions de la Recommandation « Image et respect de la personne » de 1’ARPP au regard du ton qui semble avant tout humoristique, associé aux dialogues de la publicité (association de plusieurs extraits de dialogues qui, ensemble, rendent les phrases incongrues).

– L’agence publicitaire expose, par le biais de sa représentante lors de l’audience, que cette publicité joue sur l’imaginaire, avec une déclinaison télévisuelle montrant, tantôt un jeune homme soucieux d’offrir, sur le mode de l’accumulation, des cadeaux à ses proches, tantôt d’heureux gagnants se transformant en super-héros, et privilégiant les situations farfelues ou absurdes. Pour la version radio, le choix a été de conserver cet esprit en utilisant la technique du « cadavre exquis », et en s’appuyant sur les toutes premières utilisations que les gagnants au loto font effectivement de leurs gains, consistant généralement à refaire leur maison et surtout la cuisine, ainsi qu’à acquérir une nouvelle voiture – sans que la répartition des rôles homme/femme ait été un sujet. Il est ajouté que ce spot a été supprimé des propositions de l’agence.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

2-2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

Le Jury relève que la publicité en cause présente la réaction de joueurs qui seraient gagnants à la suite de leur participation au jeu. Quatre répliques d’hommes et deux de femmes se succèdent, énonçant tour à tour ce que chacun ferait du gain d’un million d’euros. L’articulation des phrases entre elles donne l’impression que chaque intervenant poursuit la proposition grammaticale commencée par son prédécesseur, ce qui correspond à la construction d’un “cadavre exquis”. Or, le projet féminin correspond à l’acquisition, d’une “cuisine toute équipée” mais qui serait “en marbre”, tandis que les projets masculins consistent à obtenir un permis bateau, acquérir un véhicule sportif de forte puissance, un terrain de tennis et, sans doute, un immeuble de quatre étages.

Les textes ainsi prononcés véhiculent l’idée que les hommes sont destinés à des activités sportives en extérieur, le cas échéant diplômantes (permis bateau), tandis que les femmes sont cantonnées à l’espace clos d’une cuisine.

Cette présentation des femmes qui ne s’intéresseraient qu’aux “cuisines” et au “marbre” est dégradante pour l’image des femmes et de leurs compétences, dès lors que rien ne permet de valoriser cet intérêt en l’espèce. Ce support publicitaire réduit donc les femmes à un stéréotype sexiste.

L’absence d’intention de l’agence dans son analyse et de l’annonceur dans son choix, dont ils ont chacun témoigné devant le Jury, n’a pas d’incidence sur l’effet produit par cette publicité.

En conséquence, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions de la Recommandation précitée.

Avis adopté le 12 janvier 2018 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Drecq, MM. Benhaïm, Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.

Quitter la version mobile