JDP

Avis JDP n°46/10 – ALIMENTATION BOISSONS – Plainte partiellement fondée

Décision publiée le 17.02.2010
Plainte partiellement fondée 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu successivement la plaignante, les représentants de la société commercialisant la boisson, de l’agence de communication, du syndicat représentant les chaînes de télévision, et de l’ARPP, présents à la séance ;

– et après en avoir délibéré, hors la présence de l’ARPP et des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 15 décembre 2009, d’une plainte émanant d’un particulier, portant sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’un film publicitaire télévisé et d’un film publicitaire diffusé sur le site Internet de l’annonceur, en faveur de la boisson rafraichissante.

Le film télévisé met en scène, dans un cirque, un homme en habit de Monsieur Loyal dompté par une panthère noire, humanisée et sexy qui, en maniant son fouet, lui demande de danser et de s’appliquer. L’homme s’exécute timidement. Le film est signé : « Boisson x naturellement méchante ».

Le spot diffusé sur le site Internet de l’annonceur met en scène les mêmes personnages dans la même situation, mais l’homme est habillé en costume de ville ; la femme panthère lui demande de se déshabiller ; l’homme, apeuré et tremblant, s’exécute et termine entièrement nu.

2.Les arguments des parties 

– La plaignante considère que ces messages présentent un caractère érotique et sadomasochiste choquant s’agissant d’une publicité pour une boisson. La femme est rabaissée au rang d’objet purement sexuel. Ces messages lui apparaissent immoraux et avilissants pour la personne humaine.

– La société commercialisant la boisson, indique de manière liminaire que, depuis le lancement de la gamme boisson rafraichissante rouge, la communication développée autour de cette marque s’est toujours appuyée sur le côté « méchant » des produits  de la gamme en référence à leur couleur rouge sang, tout en jouant sur le caractère décalé et humoristique des scènes de films d’horreur détournées.

En utilisant la signature « Naturellement Méchante », la nouvelle communication développée pour la marque s’inscrit dans la continuité de cet historique. En effet, elle reprend ses caractéristiques et ses codes, à savoir notamment la mise en scène de situations décalées, le ton humoristique et ironique auquel s’est ajoutée la touche de « méchanceté » spécifique à cette boisson.

La société estime qu’il n’est pas possible de mettre le film télévisé et le film Internet sur le même plan et qu’un certain nombre de distinctions sont à faire entre les deux créations pour pouvoir les analyser au regard de la Recommandation « Image de la personne humaine ».

Elle fait valoir l’argumentation suivante différenciée selon chaque support.

S’agissant du film télévisé :

Celui-ci reprend le ton décalé et humoristique de la plateforme de communication globale de la marque, en mettant en scène, dans la cage aux fauves d’un cirque vide, une situation cocasse et surréaliste d’inversion des rôles entre le dompteur et l’animal qu’il est censé dresser.

L’esprit du film n’est en aucun cas de vouloir porter atteinte à l’image de la personne humaine, ou de mettre en scène une personne dans une situation humiliante ou dégradante, mais de jouer sur l’ironie de la situation du dompteur qui se fait dompter par son propre fauve, en l’occurrence une panthère adepte de la consommation de cette boisson rafraichissante sans alcool et dont le caractère « méchant » se réveille et se libère.

Enfin, l’annonceur précise que ce film a été soumis à l’appréciation de l’ARPP par son agence de communication, conformément aux règles d’usage en la matière, et qu’il a été validé par l’Autorité.

Dans l’hypothèse où le Jury de Déontologie Publicitaire déclarerait ce film contraire à une recommandation de l’ARPP, il viendrait créer une situation d’insécurité juridique grave, qui n’est pas souhaitable.

S’agissant du Film viral:

Ce film viral, destiné à une diffusion sur Internet, constitue un axe complémentaire incontournable de médiatisation de la campagne. Il met en scène, dans une version longue, une situation plus décalée et frappante que le film TV.

Le caractère « naturellement méchant » de la panthère a été exagéré sur le mode des films viraux habituellement diffusés sur Internet auprès d’un public ciblé particulièrement friand de ce type de création et habitué à les prendre au second degré. Ce film a été développé avec l’intention d’une part, de montrer la revanche d’un animal sauvage « naturellement méchant » sur l’homme qui venait le dompter dans sa cage, et d’autre part, de prolonger auprès du public le suspense de la revanche ironique de la panthère.

Il n’a en aucun cas été produit avec la volonté de choquer et/ou de heurter la sensibilité du public.

Néanmoins, conscient de leur responsabilité en tant qu’annonceur,  la société informe le Jury de son intention de ne plus diffuser ce film viral.

– Le syndicat représentant les chaînes de télévision indique que les régies ont suivi les avis favorables de l’ARPP sur ce film qui s’inscrit dans une saga publicitaire rénovée, initiée en 2007. Il relève que le contenu de la plainte porte sur des images  de la version inédite annoncée à la fin du film, disponible sur le site Internet de l’annonceur, et donc jamais diffusées en télévision.

– L’ARPP précise qu’elle n’a été consultée que sur le seul spot télévisuel avant sa diffusion par l’agence. Elle indique que, par écrit, puis lors d’entretiens, elle avait soulevé différents points et rappelé notamment que la publicité « ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, de choquer ou même provoquer le public en propageant une image de l’homme portant atteinte à la dignité et à la décence. Toute représentation dégradante ou humiliante du dompteur, explicite ou implicite doit être exclue (..) »

Le film finalisé a fait l’objet d’un avis favorable en décembre 2009.

L’ARPP n’a pas été interrogée concernant le film diffusé sur Internet.

3.Les motifs de la décision du Jury

L’annonceur et l’agence ont fait valoir, en premier lieu, que les publicités en cause n’ont fait l’objet que d’une plainte, ce qui ne peut être considéré comme représentatif.

A cet égard, le Jury rappelle que, l’article 11 de son règlement intérieur prévoit qu’il « (…) peut être saisi d’une plainte par toute personne physique ou morale », ce qui implique qu’il importe peu que la plainte soit unique.

En second lieu, il résulte des règles déontologiques, notamment de la Recommandation Image de la personne humaine  à l’article1.1 que « La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. »

L’article 1.3 dispose que : « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de son etc…attentatoires à la dignité humaine. »

L’article 3.3 enfin prévoit que: « La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique.

La notion de violence recouvre au minimum l’ensemble des actes illégaux, illicites et répréhensibles visés par la législation en vigueur. La violence directe se traduit par la représentation de l’acte de violence proprement dit ; la violence suggérée s’entend par une ambiance, un contexte voire par le résultat de l’acte de violence ; la violence morale comprend notamment les comportements de domination, le harcèlement (moral et sexuel) ».

En ce qui concerne le film télévisé, le Jury relève qu’il joue sur le mécanisme de l’inversion entre la position du dompteur et celle de l’animal dompté sans comporter de caractère dégradant et humiliant pour l’image de la personne humaine .Le Jury considère donc qu’il respecte les dispositions précitées.

S’agissant du film viral, le Jury approuve la position développée par l’ARPP lors de la séance et selon laquelle ce média doit, en matière publicitaire, être soumis aux mêmes règles déontologiques que les autres.

En l’espèce, il relève que si ce film traite du même thème que celui présenté par le film télévisé, l’exploitation qui en est faite conduit à une représentation humiliante et dégradante de la personne humaine et  recourt à des mécanismes de peur et de violence qui vont  au-delà de ce qui est acceptable par le public.

Ce film ne respecte donc pas les recommandations précitées. Il est dès lors d’autant plus regrettable que la dernière image du film télévisé renvoie au film Internet.

Le Jury  prend acte des déclarations de la société commercialisant la boisson selon lesquelles elle ne diffusera plus ce film viral.

4.La décision du Jury

–  La plainte est rejetée en ce qu’elle concerne le film télévisé ;

– La plainte est fondée en ce qu’elle concerne le film viral Internet qui méconnaît les règles 1.1, 1.3 et 3.3  de la Recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP ;

– Le Jury prend acte de la décision de la société  de ne plus diffuser ce film ;

– La décision du Jury sera communiquée à la plaignante, à la société commercialisant la boisson, à l’agence de communication et au syndicat représentant les chaînes de télévision ; elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le vendredi 5 février 2010 par Mme Hagelsteen, Présidente, Mme Michel-Amsellem, vice-présidente, Mme Moggio et Ms Benhaïm, Lacan, Leers et Raffin.

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