Avis publié le 20 septembre 2016
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
- Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
- les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
- et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,
rend l’avis suivant :
1. La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 6 juin 2016, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en affichage, par une salle de sport.
Cette publicité présente le dessin d’une femme de forte corpulence, en tenue sportive, sur un tapis de course. Une bulle exprimant sa pensée indique « Pfff, perdre du poids ça devrait être comme perdre sa virginité : une fois que tu l’as perdue c’est fini, tu ne la récupères plus ! ».
Le texte accompagnant cette image est « Arrêtez de vous mentir. Faites du sport. Juillet et août offerts ».
2. Les arguments échangés
– Le plaignant considère que cette publicité est sexiste et irrespectueuse des femmes en général comme des femmes en surpoids. Il estime l’allusion à la virginité déplacée. Il s’agit selon lui d’humour oppressif, « grossophobe », comparant les obèses à des feignants qui se voilent la face.
– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 1er juillet 2016, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.
L’annonceur a transmis à titre d’explication le message qu’elle a publié sur sa page facebook qui expose sa vision de cette publicité, ainsi que des commentaires et messages de soutien de particuliers : « Devant l’incompréhension du message publicitaire…, nous souhaitons répondre en expliquant pourquoi nous avons fait cette affiche. A vous nos détracteurs, à votre tweet Madame Laurence Rossignol, Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des
femmes ; nous vous demandons de lire ce message et ensuite vous pourrez nous juger objectivement…
Sur cette affiche nous avons représenté une femme ronde courant sur un tapis roulant. Nous voyons une femme vêtue d’un legging et d’un débardeur décolleté violet ceinturé à la taille. Cette femme entoure son regard d’un trait d’eye liner « œil de chat ». Cette femme assume son corps. Elle fait preuve de féminité. Nous avons choisi de dessiner une femme ronde ET en bonne santé. Elle est dans l’effort, ce qui est représenté par les pommettes rosées. Sa foulée est conquérante. Les points fermés, elle lâche la machine. Notre image véhicule l’esprit d’une femme indépendante, ambitieuse et séductrice. Nous avons décidé de dessiner une femme ronde aux hanches fortes. Nous pensons que la morphologie féminine est diverse et variée. Si l’idée dominante qui pétrifie les femmes rondes à entrer dans une salle de sport, est que celles qui pratiquent le fitness ou la musculation ont une morphologie en I, en V ou en 8 ; nous affirmons que le sport est aussi accessible aux femmes en O en H ou en A. Nous encourageons les femmes rondes à nous rejoindre. Notre femme fait alors un parallèle entre perdre sa virginité et son poids.
L’idée est de présenter la virginité comme un acte que beaucoup appréhendent ou ont appréhendé, comme le regard sur notre corps et la douleur. Mais une fois le pas franchi, il laisse place à une vie d’épanouissement, de plaisir, symbole du passage de fille à femme. Un sentiment partagé par les femmes en surpoids, qui appréhendent le supposé jugement des femmes dans une salle de remise en forme. Elles se rendront compte que l’idée de douleur musculaire, laissera place au plaisir de se sentir bien dans son corps. Vous noterez que la plupart des salles mettent l’accent sur la performance, ou une idée d’un corps mince et athlétique. ….. La morphologie des femmes Hawaïennes dépassent les codes du fitness traditionnel. Elles sont souvent généreuses, plantureuses, magnifiques.
Par cette affiche, nous avons souhaité encourager les femmes rondes à se sentir bien dans leur peau, à accepter leur corps, tout en prenant soin d’elles et nous rejoindre lors de nos séances dans lesquelles toutes les femmes peuvent se sentir bien, belles, et en bonne santé. Pour conclure nous souhaitons remercier toutes les personnes qui nous ont soutenus et ont compris notre message, nous refusons la méchanceté gratuite, les propos haineux dont nous avons été victime…»
Une deuxième publication indiquait :
« Merci, 1000 fois merci à VOUS. Vous qui nous avez soutenus lors de cette campagne publicitaire, votre liberté de pensée vous honore et les commentaires et témoignages que vous nous avez laissés sont l’âme de notre « OHANA » (famille en Hawaiien)… tout ceci nous conforte dans l’idée que nos clients apprécient l’intérêt que nous leur portons… »
3. L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP dispose en son point 2 que :
« 2.1 La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet ».
Le Jury relève que la publicité en cause montre une femme de forte corpulence courant sur un tapis de course d’intérieur. A la façon d’une bande dessinée, il lui est prêtée la pensée
suivante « Pfff, perdre du poids ça devrait être comme perdre sa virginité : une fois que tu l’as perdue c’est fini, tu ne la récupères plus ! ».
Le texte accompagnant cette image est « Arrêtez de vous mentir. Faites du sport. Juillet et août offerts ».
Le Jury observe que le personnage représenté sur le visuel critiqué n’est pas une femme ronde, contrairement à ce qu’indique l’annonceur mais une femme en surpoids.
Le message d’explication qu’il a publié sur sa page facebook précise qu’il a voulu représenter une femme fière d’elle-même, assumant à la fois sa féminité et son apparence. Il expose son intention d’attirer les femmes rondes afin qu’elles puissent se sentir bien dans leur corps et assumer le regard d’autrui. Dans cette optique, la pensée qui est prêtée au personnage est à la fois incompréhensible et inutile. Il s’en déduit en effet que le personnage souhaiterait ne pas reprendre le poids qu’elle a pu perdre et, dans ce cas, cette idée se trouve en contradiction avec la présentation selon laquelle ce personnage assumerait parfaitement son corps et son apparence.
Par ailleurs, le visuel en cause associé à son slogan « Arrêtez de vous mentir. Faites du sport.» stigmatise le surpoids comme étant le résultat d’une paresse et contribue en outre à véhiculer l’idée d’une norme de beauté à laquelle il convient de se plier.
Dans cette mesure, ce message véhicule le stéréotype d’une femme qui se doit de correspondre à des critères de beauté ou de conformité et repose sur un stéréotype ancien et dévalorisant de femme objet.
En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause ne respecte pas le point 2.1 de la Recommandation précitée.
Le Jury est donc d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions de la Recommandation précitée.
Avis adopté le 8 août 2016 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Sophie-Justine Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé et Leers.