Avis publié le 31 décembre 2014
Plainte fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
– les représentants des sociétés annonceur, agence et afficheur, ayant été entendus,
– et, après en avoir débattu,
rend l’avis suivant :
1.La plainte
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi le 10 octobre 2014 d’une plainte d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en affichage, en faveur d’un site internet d’information destiné à une cible masculine.
Cette publicité montre une femme assise sur un banc public, consultant un ordinateur portable qu’elle tient verticalement à la façon d’un livre ouvert.
Le texte accompagnant cette image est « Le magazine web exclusivement réservé aux hommes », suivi de la précision entre parenthèse « comme cette blague ».
2.La procédure
L’annonceur ainsi que les supports d’affichage ont été informés par courrier recommandé avec avis de réception du 4 novembre 2014 de la plainte dont copie leur a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.
Ils ont été informés que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.
A la demande de l’agence, l’examen de la plainte a donné lieu à l’audition par le Jury de ses explications orales, ainsi que de celles de l’annonceur et de l’afficheur.
3.Les arguments échangés
La plaignante estime que la femme est présentée dans cette publicité comme étant idiote, ne sachant se servir d’un ordinateur puisqu’elle le tient à l’envers à la façon d’un magazine. Elle estime que cette représentation est discriminante et sexiste.
L’agence de communication et l’annonceur ont exposé que le groupe média digital s’adresse à une cible exclusivement masculine à travers le site traitant des thématiques de la mode masculine, l’automobile, le football, le high-tech, etc.
Le visuel, objet de la plainte, représente une femme tenant dans ses mains un ordinateur à la verticale comme s’il s’agissait d’un livre. A travers cette mise en scène, l’annonceur et son agence ont souhaité informer – de façon décalée, par une blague – leur cible que la lecture du magazine ne peut se faire qu’en ligne à l’aide d’un ordinateur ou d’une tablette.
L’analyse du visuel, tel qu’il ressort de la plainte, ne doit pas être circonscrite à la seule présentation de la femme mais à l’affiche prise dans son ensemble, c’est à dire avec la mention manuscrite «Le magazine web exclusivement réservé aux hommes (comme cette blague) ». L’agence aurait pu ajouter «de mauvais goût » à la fin de « comme cette blague », mais cela lui paraissait évident. Dans la même intention, la signature « Vous avez raison d’être un homme » vient amplifier le côté ubuesque de l’esprit de la campagne puisqu’en effet, personne ne décide d’être un homme.
Selon l’annonceur et son agence, il est clair que la publicité prise dans sa globalité démontre de manière indéniable la volonté de l’annonceur de communiquer sur l’humour douteux mais assumé des lecteurs de ce magazine web qui aiment faire des blagues de mauvais goût.
Ils ont expliqué que le terme « blague » montrait à lui seul qu’ils n’avaient pas l’intention d’utiliser un stéréotype censé représenter la réalité ou adresser une provocation humiliante aux femmes et que la stratégie de communication de la société était d’afficher clairement la philosophie de son magazine web dont les sujets traités correspondent aux centres d’intérêt masculins.
Ils ont ajouté que le concept de cette campagne n’était pas de heurter les femmes en les dévalorisant ou en les faisant passer pour des « idiotes », comme cela est souligné dans la plainte, mais bien au contraire de présenter l’esprit des lecteurs de ce magazine digital en utilisant l’ironie qui crée un décalage entre discours et réalité. Ainsi, la finalité de cette campagne était de se moquer des hommes aimant et assumant leur côté « beauf ».
La société d’affichage a fait valoir que le slogan et le visuel de cette publicité ne peuvent se comprendre l’un sans l’autre tant ils sont liés.
Au regard du visuel, on perçoit sans mal que le slogan se trouve en décalage complet avec la femme assise sur le banc puisque ce webmagazine serait réservé à l’homme alors qu’une femme le lit.
Mais une lecture plus attentive du slogan permet de constater que celui-ci inclut la mention « comme cette blague » qui, indiquée entre parenthèses, dans une police de caractère identique à celle du reste de l’accroche qui précède, entend préciser le ton sur lequel il convient de comprendre cette publicité, celui de l’humour.
A aucun moment, l’annonceur n’a voulu manquer de respect ou stigmatiser la femme en la traitant comme une « idiote » tel que le plaignant l’indique. Le slogan ne renvoie d’ailleurs à aucun stéréotype sexiste et la représentation d’une femme avec le slogan « réservé exclusivement aux hommes » visait à préciser sur fond de ton décalé entre l’image et le texte que ce site – leader français des médias généralistes en ligne – vise une clientèle essentiellement masculine.
Selon elle, il n’y a donc dans cette publicité aucune méconnaissance de la Recommandation de l’ARPP relative à l’image de la personne humaine. Elle ne réduit pas la femme à la fonction d’objet, ne cautionne nullement l’idée selon laquelle la femme serait inférieure à l’homme, n’utilise aucun stéréotype et ne valorise aucun comportement d’exclusion ou de tolérance.
Elle précise enfin que cette campagne qui a fait l’objet d’un affichage d’une durée de 7 jours sur des réseaux de communication visibles dans certains parkings de Paris, n’est à ce jour plus affichée.
4.L’analyse du Jury
Le Jury rappelle que la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose en son point 1 que :
« La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. »
« D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine ».
« L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation ».
Le Jury relève que la publicité mise en cause met en scène une représentation absurde d’une femme regardant un ordinateur portable ouvert à la verticale, entre ses mains, comme un livre ou un magazine. Le mode humoristique du message est souligné par la précision inscrite en haut de l’affiche selon laquelle ce visuel doit se regarder comme une « blague » réservée aux hommes, cœur de cible du site mensquare.com.
Si la volonté de s’inscrire dans le registre de l’humour est clairement exprimée dans ce visuel, il n’en demeure pas moins qu’il utilise une allégorie renvoyant à une sottise supposée des femmes, corollaire d’un statut d’infériorité sociale. Le Jury relève certes que la société revendique un esprit « machiste » qu’elle considère correspondre à sa clientèle, de sorte que cette représentation de la femme ne peut, selon elle, être regardée comme dépourvue de lien avec le produit promu. Pour autant, le lien ainsi invoqué n’apparaît pas au Jury comme étant de nature à justifier le recours à un stéréotype dévalorisant pour l’image de la femme, que les professions publicitaires ont, en adoptant la Recommandation « Image de la personne humaine », souhaité proscrire.
Dans ces conditions, le Jury est d’avis que la publicité en cause n’est pas conforme aux dispositions précitées de la Recommandation « Image de la personne humaine ».
Le présent avis sera publié sur le site internet du Jury de Déontologie Publicitaire.
Avis adopté le vendredi 12 décembre 2014 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, ainsi que MM. Depincé et Leers.