Décision publiée le 30.04.2014
Plainte partiellement fondée
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– et, après en avoir délibéré,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 3 février 2014, d’une plainte de deux sociétés, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité de l’exploitant d’un magasin de grande distribution en Corse.
La publicité en cause, diffusée en presse, dans un magazine gratuit et sur Internet, montre un graphique représentant une flèche dirigée vers le bas illustrant une baisse de prix.
Cette image, située au centre de l’annonce, est accompagnée des textes qui énoncent « Grâce à X depuis 2009, Ajaccio n’est plus la ville la plus chère de France. N’en déplaise à nos concurrents, nous avons fait baisser les prix de + de 15 % – Ainsi, nous avons contribué à rendre aux consommateurs corses chaque année 150 millions d’euros de pouvoir d’achat supplémentaire. Qui dit mieux ??! ».
2.Les arguments des parties
La partie plaignante considère que cette publicité est trompeuse à deux titres.
En premier lieu, elle fait valoir que le message publicitaire n’est nulle part identifié comme étant une publicité, ce qui est contraire aux prescriptions du 11° de l’article L. 121-1 du code de la consommation.
En deuxième lieu, elle expose que la publicité en cause apparaît comme trompeuse dans la mesure où elle repose sur des allégations de nature à induire en erreur le consommateur car elle porte sur des engagements de l’annonceur très certainement invérifiables, à savoir une baisse des prix de plus de 15% et 150 millions d’euros de pouvoir d’achat supplémentaires au profit des consommateurs corses.
Elle estime que le consommateur subit une désinformation et qu’il est ainsi incité à délaisser les autres supermarchés au profit du distributeur concerné.
Enfin, elle expose que cette publicité est également utilisée pour vanter les mérites de l’annonceur au détriment de ses concurrents.
L’annonceur fait valoir que le support du message ne laisse aucun doute sur le caractère publicitaire puisqu’il est situé en page 2 de couverture de la revue, partie qui est toujours consacrée à la publicité. Le libellé tri-colorisé du message démontre par ailleurs à l’évidence sa finalité (caractères noir et orange sur fond blanc) alors que tout le contenu éditorial de cette revue est imprimé en caractères noirs.
Elle précise que la publicité n’a pas été diffusée sur Internet de son fait mais à l’initiative de la revue, sans qu’elle même soit intervenue en ce sens ni même ait été consultée.
Sur le contenu de la publicité, la société annonceur expose que son message est exact et ne peut être déclaré mensonger. S’agissant de la baisse des prix de plus de 15% de 2009 à 2013, elle précise qu’il ressort des chiffres fournis par un organisme spécialiste de l’objectivation des prix qui fait autorité pour la grande distribution, que les prix ont baissé en Corse, entre 2007 et 2013, passant de l’indice 113,3 à l’indice 101,2 pour les indices dits majeurs. En cumulant les indices, on arrive toujours, selon l’institut, à une baisse de 12,15%.
Il ressort, selon elle, du tableau auquel elle se réfère qu’il y a concomitance entre l’implantation de l’enseigne en Corse, le 1er janvier 2009, et la chute des indices de 13 points en 2 ans. Il est fait remarquer que seule est concernée la grande distribution. Rapportée à une baisse des prix nécessairement induite pour les magasins de moins de 1000m2, le cumul est donc largement supérieur aux 15 % de baisse annoncés. A cela, doit s’ajouter le différentiel d’inflation entre le continent et la Corse qui est de 0,5 point par an sur 8 années. Cela majore donc ce chiffre de 4%. Elle en déduit que sa publicité reste encore en-deçà de la réalité de la baisse.
Sur l’allégation d’une économie de 150 millions d’euros, l’annonceur indique que le chiffre d’affaires dans la grande distribution en Corse est d’un milliard d’euros par an et qu’économiser 15% de ce chiffre est égal à la somme de 150 millions. La redistribution du pouvoir d’achat correspond donc bien au chiffre avancé.
Enfin, il fait observer que la plainte émane d’un exploitant d’une enseigne qui s’estime être le principal concurrent de l’annonceur en Corse.
3.Les motifs de la décision du Jury
Sur la procédure
Par lettre du 14 mars 2014, la Présidente du Jury de déontologie publicitaire a informé l’annonceur de la plainte concernant sa publicité, de la date de la séance le 11 avril 2014 et l’a invitée à présenter ses observations avant le 1er avril, date impérative. Par lettre du même jour, les plaignants ont été eux aussi invités à présenter leurs observations avant le 1er avril, avec la même précision concernant le caractère impératif de la date.
La société a adressé au JDP des observations le 1er avril 2014, puis le 9 avril 2014, répondant à des observations des plaignants adressées le 31 mars. Les plaignants ont adressé d’autres observations en réponse le 11 avril jour de la séance.
Le caractère impératif de la date du 1er avril ayant été spécifié tant à l’annonceur qu’aux plaignants, le Jury n’a pas pris connaissance des mémoires déposés postérieurement à celle-ci et ne les a pas pris en compte.
Sur l’identification de la publicité
La Recommandation « Identification de la publicité » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) énonce que : « La communication de marketing doit pouvoir être nettement distinguée en tant que telle (…) Lorsqu’une publicité est diffusée dans des médias qui comportent également des informations ou des articles rédactionnels, elle doit être présentée de telle sorte que son caractère publicitaire apparaisse instantanément ».
Le Jury observe que la page publicitaire critiquée énonce « Grâce à X, depuis 2009, Ajaccio n’est plus la ville la plus chère de France. N’en déplaise à nos concurrents, nous avons fait baisser les prix de + de 15 % ». Cette annonce précède un diagramme représentant une baisse de prix entre les années 2009 à 2013. Ce visuel est suivi d’une autre annonce indiquant « Ainsi nous avons contribué à rentre aux consommateurs corses chaque année 150 millions d’euros de pouvoir d’achat supplémentaire. Qui dit mieux ??! ». Au bas de la page figurent le logo de l’enseigne suivie de la précision « Drive » et de l’adresse internet, ainsi que les deux adresses de ces enseignes.
L’ensemble de ces mentions démontrent clairement leur caractère publicitaire et promotionnel pour l’enseigne. Le visuel ne laisse nullement imaginer que la page pourrait constituer une information objective ou avoir un contenu rédactionnel.
La plainte n’est donc pas fondée en ce qu’elle soutient que la publicité critiquée ne serait pas identifiable comme telle.
Sur le caractère trompeur
Le Jury rappelle que le Code consolidé de la Chambre de Commerce Internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale dispose à l’article 8 que « Toute description, assertion ou illustration relative à un fait véritable dans la communication commerciale doit pouvoir être justifiée. Cette justification doit être disponible de telle sorte que la preuve puisse être apportée sans délai et sur simple demande des organismes d’autorégulation responsables de la mise en œuvre du Code » ;
Par ailleurs la Recommandation « Etude de marché et d’opinion » de l’ARPP précise en son préambule que : « La publicité qui utilise d’une manière ou d’une autre des résultats d’études de marché et d’opinion, et/ou toutes statistiques visant à mesurer un comportement (…) doit, sous quelque forme que ce soit, respecter les règles déontologiques suivantes :
La communication de marketing ne doit pas (…) présenter de statistiques de manière à exagérer l’applicabilité d’une allégation relative à un produit. (…)
- [Elle doit préciser] le nom du promoteur ou du praticien, la date de réalisation de l’étude et la taille de l’échantillon (…)
- Toute donnée résultant de sondages ou d’enquêtes doit demeurer liée à la réponse à une question précise et ne peut être généralisée au bénéfice de l’annonceur, à des poduits ou activités non couverts par la question. (…)
- Aucune présentation chiffrée (…) ne doit laisser supposer que le résultat énoncé concerne une zone géographique ou un échantillon autre que ceux qui ont été l’objet de l’enquête, étude ou sondage (…)»
Enfin, la Recommandation « Mentions et renvois » de l’ARPP rappelle et reprend en son préambule, la disposition du Code CCI selon laquelle « La communication de marketing ne doit contenir aucune affirmation ou aucun traitement audio ou visuel qui soit de nature, directement ou indirectement, par voie d’omissions d’ambiguïté ou d’exagérations à induire en erreur le consommateur (…), notamment en ce qui concerne la valeur d’un produit et le prix total à payer par le consommateur ».
Le Jury relève que le diagramme précédemment décrit ne comporte aucune indication chiffrée des données qu’il est censé représenter. L’allégation selon laquelle l’enseigne aurait fait baisser les prix de plus 15 % à Ajaccio n’est étayée d’aucun renvoi et ne précise aucune source permettant au consommateur qui le souhaiterait de pouvoir vérifier la véracité de cette affirmation. Aucune référence à l’étude à laquelle la société se réfère dans ses observations ne figure dans la publicité en cause.
Par ailleurs, aucun élément objectif ne démontre que la baisse de prix alléguée serait imputable aux magasins de l’enseigne. La seule concomitance de l’installation de ces magasins et d’une baisse de prix en 2009 ne saurait suffire à établir un lien de causalité, alors d’ailleurs que, selon les éléments chiffrés produits par la société, cette baisse aurait été amorcée dès 2008, soit avant même cette installation, et les prix auraient de nouveau augmenté entre 2010 et 2012, contrairement à ce que le graphique reproduit sur la publicité prétend.
De surcroît, le Jury considère qu’un annonceur ne peut, sans induire en erreur le consommateur sur la réalité des prix qu’il pratique, s’attribuer les mérites d’une baisse de prix dans un secteur au seul motif que son arrivée y a stimulé la concurrence.
Il s’en déduit que le message publicitaire ne respecte pas les dispositions précitées.
4.La décision du Jury
– La plainte est fondée en ce que la publicité en cause n’est pas conforme aux dispositions de l’article 8 du Code consolidé de la Chambre de Commerce Internationale sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, à la Recommandation « Etude de marché et d’opinion » ni à celles de la Recommandation « Mentions et renvois » de l’ARPP ; elle n’est pas fondée pour le surplus ;
– La décision sera communiquée aux sociétés plaignantes et à la société annonceur ainsi qu’à la revue de diffusion;
– Elle sera publiée sur le site du Jury de déontologie publicitaire.
Délibéré le 11 avril 2014, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mme Drecq, et MM. Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.