JDP

Avis JDP n°288/13 – ORGANISMES HUMANITAIRES – Plainte rejetée

Décision publiée le 26.12.2013
Plainte rejetée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de  l’association, de la société d’affichage, ainsi que de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité,

– et après en avoir délibéré hors la présence des parties et de l’ARPP,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 15 octobre 2013, d’une plainte de la Fédération Total respect, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en affichage, à l’initiative d’une organisation humanitaire, dénonçant le phénomène du mariage précoce.

Elle montre une petite fille et un garçon plus âgé se tenant la main. Leur couleur de peau est foncée et ils portent des habits orientaux.

Le texte accompagnant cette image est « Avoir un mari plus tard, c’est un rêve de petite fille. Pour certaines, plus tard arrive bien trop tôt ».

2.Les arguments des parties

 La Fédération Total respect, qui affirme être solidaire des objectifs affichés par l’annonceur, fait valoir que cette publicité véhicule des clichés sexistes, homophobes, racistes et néocoloniaux. Sexistes en ce qu’elle fait du mariage l’horizon indépassable de l’accomplissement des femmes et en ce qu’elle laisse entendre que les garçons ne rêveraient pas, eux, d’avoir un mari plus tard. Racistes et néocoloniaux en ce que cette publicité désigne implicitement les parents comme prisonniers de cultures supposément arriérées et invite le public occidental à venir au secours de peuples présentés comme inférieurs.

L’association annonceur, se dit surprise par cette plainte. Elle rappelle le contexte et l’objectif de la campagne de sensibilisation qu’elle a lancée à l’occasion de la Journée internationale des filles.

Elle travaille depuis 75 ans pour améliorer les conditions de vie des enfants et défendre les droits de ceux qui sont le plus marginalisés. Des études menées depuis 2007 ainsi que les constats de ses équipes sur le terrain montrent que les filles font partie de ces enfants les plus vulnérables car elles sont victimes de très nombreuses discriminations tout au long de leur vie (absence de soins, violences sexuelles, exploitation, mariages précoces et forcés…).

Cette année, elle a choisi pour sa campagne 2013 de mettre l’accent et de dénoncer les mariages précoces dont sont victimes chaque année 14 millions de filles dans le monde et qui constituent l’un des freins majeurs à l’accès des filles à l’éducation.

Le message écrit « avoir un mari plus tard c’est un rêve de petite fille » fait référence à un schéma de pensée de notre société où beaucoup de petites filles imaginent qu’elles se marieront quand elles seront grandes. Le terme « un » a été volontairement employé et non pas « le » rêve de petite fille pour ne pas généraliser et affirmer que se marier serait l’unique rêve d’une petite fille. L’association réfute ainsi l’idée qu’elle cautionnerait un modèle social (celui du mariage pour toutes les filles et celui du mariage avec une personne du sexe opposé) et qu’elle stigmatiserait ou dénigrerait des cultures.

Elle précise que les photos, prises par une professionnelle reconnue, n’ont fait l’objet d’aucun montage. Ce visuel a d’ailleurs été diffusé aux parlementaires français dans un journal destiné à les sensibiliser, sans qu’aucune objection ou critique n’ait été émise.

Enfin, elle considère que les propos de l’association plaignante sur la portée colonialiste de ce visuel est totalement hors de propos.

L’agence de communication qui a réalisé cette campagne, fait valoir qu’elle est très fière de celle-ci et de la contribution qu’elle a pu apporter à l’association quant à son objectif de prôner l’éducation pour faire reculer les mariages précoces.

Elle indique qu’elle ne voit pas comment cette campagne pourrait contrevenir à la Recommandation Image de la personne humaine et à la Recommandation Races, religions, ethnies, sachant que l’objet même de cette campagne est le respect de la dignité humaine et que les photos utilisées pour illustrer ne sont ni caricaturées, ni caricaturales.

Elle comprend mal les motifs avancés par le plaignant mais ne souhaite pas polémiquer avec une association dont l’objet est de lutter contre toute forme de discrimination.

Cependant, elle tient à réfuter les insinuations désobligeantes émises par le plaignant à son égard, relatives à un hypothétique débat qui aurait dû avoir lieu au sein de l’agence alors qu’il n’avait pas lieu d’être, la campagne ne comportant aucun message subliminal.

La société responsable de l’affichage soutient que le visuel ne méconnaît aucune règle déontologique. Elle considère que la plainte procède de l’idée contestable selon laquelle les droits de l’Homme constitueraient une invention occidentale que l’Europe chercherait à exporter dans les pays en développement en lieu et place du système de valeurs propre à ces pays. Or, comme le montre la Déclaration universelle des droits de l’homme, ces droits sont communs à l’ensemble de l’humanité.

L’Autorité de Régulation professionnelle de la Publicité (ARPP) indique avoir été sollicitée dans le cadre de la procédure de conseil préalable. Elle a estimé que ce visuel était conforme aux dispositions déontologiques en vigueur et a fait l’objet d’une validation, sans réserves.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle que, selon la Recommandation « Image de la Personne Humaine » de l’ARPP :

1-3. « D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures (…) etc., attentatoires à la dignité humaine »

– 2-1. « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet. »

– 2-4. « La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance ou de racisme ».

En outre, la Recommandation « Races, religions, ethnies » dispose en son point 1 que :

« La publicité doit éviter avec le plus grand soin de faire appel, même indirectement, au sectarisme ou au racisme »

Et en son point 2 que :

« Toute allusion, même humoristique, à une quelconque idée péjorative ou d’infériorité liée à l’appartenance à une ethnie ou à une religion doit être bannie ».

Le Jury relève que la publicité mise en cause a pour objectif de sensibiliser le public au problème des mariages précoces qui touchent plus particulièrement les pays en développement, notamment l’Inde, l’Afghanistan, l’Ethiopie, le Népal et le Yémen.

Contrairement à ce que soutient l’association plaignante, la seule mention selon laquelle le mariage serait « un rêve de petite fille » n’induit nullement l’idée que toutes les filles concevraient le rêve de se marier, que les femmes ne pourraient s’épanouir que dans le mariage ou encore qu’aucun garçon n’envisagerait, une fois adulte, de s’unir à un homme. Elle traduit seulement les pensées d’un certain nombre de jeunes filles, en écho au visuel qui représente l’une d’elles le jour de son mariage. En aucun cas cette publicité ne peut donc être regardée comme véhiculant des stéréotypes sexistes ou homophobes.

De même, si elle dénonce les mariages précoces et leurs conséquences dramatiques sur l’éducation des jeunes filles, l’affiche ne porte aucun jugement de valeur sur les enfants, dont le visage est impassible, ou sur leurs parents, auxquels il n’est fait aucune allusion, et n’affirme en rien que cette pratique serait inhérente à une origine ethnique supposément inférieure. Elle se fait seulement l’écho d’une réalité qui touche essentiellement des pays du sous-continent indien ou de la Corne de l’Afrique, ce qui n’est pas contesté. Ainsi, loin de faire appel au racisme, de stigmatiser ou de dénigrer une population ou une ethnie, cette publicité vise au contraire à sensibiliser le public français à ce phénomène et à susciter son adhésion à la démarche de l’association Plan France qui soutient les personnes qui en sont victimes.

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la publicité en cause est conforme aux dispositions des Recommandations « Image de la Personne Humaine » et « Races, religions, ethnies » de l’ARPP.

4.La décision du Jury

– La plainte est rejetée ;

– La publicité en cause est conforme aux dispositions des Recommandations « Image de la Personne Humaine » et « Races, religions, ethnies » ;

– La décision sera communiquée à la Fédération Total Respect, à l’association annonceur, à la société d’affichage et à l’agence;

– Elle sera publiée sur le site du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le 6 décembre 2013, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mme Drecq, et MM. Benhaïm, Carlo, Depincé et Leers.

Quitter la version mobile