JDP

Avis JDP n°248/13 – ORGANISMES HUMANITAIRES – Plaintes partiellement fondées

Décision publiée le 23.05.2013
Plaintes partiellement fondées 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu le représentant de l’association,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 20 et 21 mars 2013, de plusieurs plaintes de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une campagne publicitaire en faveur d’une association de protection des enfants, diffusée sur les panneaux d’affichage de libre expression de la Ville de Courbevoie et disponible sur le site Internet de l’annonceur.

Cette campagne, destinée à promouvoir l’action de l’association en faveur des enfants victimes du conflit syrien et à susciter des dons, comporte sept affiches utilisant des images d’enfants en détresse, morts ou gravement blessés. Les visuels sont accompagnés des textes « SYRIE : MASSACRE D’ETAT. FAITES UN DON. Vos dons servent à envoyer des médecins sur place. »

Selon les images, différentes accroches sont utilisées :

  1. 1. « Mort à 7 ans, son père n’a pas pu le sauver. AGISSEZ »
  2. « Ce petit garçon pourrait être le votre. AGISSEZ ».
  3. « Les enfants sont les premières victimes de la guerre. AGISSEZ »
  4. « Ses parents ont dû payer pour récupérer son corps. AGISSEZ »
  5. « Battu à mort avant d’avoir vécu. AGISSEZ »
  6. « Il n’avait que 4 ans il ne sourit plus. AGISSEZ »
  7. « Ce n’est plus un petit garçon il est mort à 6 ans. AGISSEZ »

2.Les arguments des parties 

Les plaignants soutiennent que cette campagne publicitaire est de nature à choquer gravement le public, en particulier de jeunes enfants ou des personnes fragiles, du fait des images violentes utilisées et du moyen de diffusion employé.

L’annonceur indique avoir été alerté par l’un des plaignants via le formulaire courrier de son site internet et avoir été également contacté par un journaliste.

L’Association fait valoir que ces photos ont été prises dans le sud de la Syrie en novembre 2012 à l’aide du téléphone portable de l’un de ses membres médecin.

Son objectif n’est pas de traumatiser les consciences, mais de sensibiliser et d’alerter le public sur le drame syrien, dans un contexte d’indifférence générale à l’égard du sort des habitants et, plus particulièrement, des enfants, victimes des bombardements mais aussi de tortures.

Elle indique vouloir susciter des réactions et illustre son propos en prenant l’exemple des images apposées sur les paquets de cigarettes, qui ne sont pas moins choquantes et imposées à la vue de tous et des enfants notamment, ces derniers n’ayant pas forcément la latitude de s’y soustraire.

Elle relève par ailleurs que les textes déontologiques invoqués concernent les campagnes de publicité commerciale. Or, la campagne d’affichage ne peut s’apparenter à une campagne de publicité commerciale. Il s’agit d’une campagne d’information et de sensibilisation de la part d’une association créée sous le statut de la loi 1901 et donc pas à but lucratif mais humanitaire. Si elle vise à collecter des dons, elle constitue aussi l’expression d’un devoir de témoignage à l’égard d’une opinion publique mal informée, alors que les grandes organisations caritatives sont absentes de la zone de conflit.

Elle ajoute enfin que certains membres de l’Association ont été reçus au cabinet du Président de la République  afin de présenter leur mission humanitaire d’aide aux nombreuses victimes du conflit syrien, et y ont  montré, sans que des objections leur soient faites, les affiches faisant actuellement l’objet de plaintes.

La commune de Courbevoie fait valoir qu’un rapport d’information a été établi par la police municipale le 5 mars 2013 sur les lieux. Il ressort de ce rapport que l’apposition d’affiches par l’association sur des emplacements réglementaires destinés à l’affichage d’opinion et de publicité relative aux activités des associations sans but lucratif est conforme à la réglementation en vigueur et ne constitue pas un trouble à l’ordre public.

Elle ajoute qu’elle n’a reçu que quelques plaintes à l’encontre de cette campagne publicitaire sur une population de plus de 87 000 habitants.

3.Les motifs de la décision du Jury

 Le Jury rappelle qu’en vertu du point 1.1. de la Recommandation « Image de la personne humaine » de l’ARPP, « la publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence. »

Le point 3.3. dispose en outre que : « La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée (…). La notion de violence recouvre au minimum l’ensemble des actes illégaux, illicites et répréhensibles visés par la législation en vigueur. La violence directe se traduit par la représentation de l’acte de violence proprement dit ; la violence suggérée s’entend par une ambiance, un contexte voire par le résultat de l’acte de violence ;… »

Par ailleurs, la Recommandation «Enfant » de l’ARPP, qui s’applique, selon les termes de son Préambule, à « tout message diffusé en France, quelle que soit sa forme, lorsqu’il met en scène des enfants ou s’adresse à eux » dispose en son point 3.3. que « La publicité ne doit pas être de nature à susciter chez l’enfant un sentiment d’angoisse ou de malaise » et en son point 4.1 que « La publicité doit éviter toute scène de violence ou de maltraitance, directe ou suggérée, que celle-ci soit morale ou physique ».

Enfin, l’article 18 du code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale prévoit que la communication commerciale « ne doit comporter aucune déclaration ou aucun traitement visuel qui risquerait de causer aux enfants ou aux adolescents un dommage sur le plan mental, moral ou physique ».

 Le Jury précise à titre liminaire que l’ensemble de ces dispositions sont applicables non seulement aux messages publicitaires qui ont pour objet de promouvoir un produit commercial, mais aussi à ceux qui concourent à la défense d’une cause ou d’une idée, sans but lucratif. Il considère ainsi que les organismes poursuivant un objectif humanitaire ne peuvent s’affranchir du respect des règles relatives aux messages violents ou susceptibles de heurter le public, notamment les enfants.

Le Jury précise toutefois qu’il tient compte, dans la mise en œuvre des règles déontologiques dont il lui appartient d’apprécier le respect, des particularités de cette forme de communication publicitaire, dont l’objet même consiste, le plus souvent, à sensibiliser et à interpeller l’opinion publique sur un problème de société ou une cause d’intérêt général. Cet objectif légitime, ainsi que l’intérêt d’une information du public sur la réalité ou les enjeux d’une question, justifient que les annonceurs concernés disposent d’une plus grande latitude quant au contenu des campagnes qu’ils réalisent.

Le Jury veille néanmoins à ce que ces derniers fassent un usage responsable de la liberté d’expression qui leur est due et ne se livrent pas à des pratiques excessives, qui apparaissent d’ailleurs, en général, contreproductives pour servir la cause qu’ils défendent.

À ce titre, ces annonceurs doivent s’abstenir de diffuser des messages qui présenteraient, par leur degré élevé de violence et de réalisme ainsi que par leur mode de diffusion, un caractère excessivement traumatisant pour les personnes qui y sont exposées, notamment pour les enfants.

En l’espèce, le Jury relève que l’association en cause entend alerter l’opinion publique sur la situation mal connue des conséquences humaines du conflit syrien, et dénoncer les actes de violence voire de barbarie dont peuvent faire l’objet les enfants dans  ce pays. La campagne revêt ainsi une importante dimension informative, en sus de l’objectif de levée de fonds qui la motive à titre principal.

Sensible aux explications qui lui ont été données, lors de sa séance du 3 mai 2013, par le représentant de l’association présent, par ailleurs auteur des photographies diffusées, sur la finalité poursuivie par cette campagne dans le contexte actuel, le Jury estime que les trois premières affiches numérotées ci-dessus, qui représentent :

– un enfant inconscient porté par son père,

– un enfant ensanglanté et en pleurs,

– et un enfant dans un bloc opératoire,

sont certes susceptibles de choquer une partie de l’opinion publique, mais n’excèdent pas, dans les circonstances de l’espèce, les limites de ce qui est admissible pour une majorité du public.

Elles entretiennent en outre un lien direct avec l’objet même de la collecte de fonds, qui vise à permettre l’envoi de médicaments et de personnel afin d’assurer une prise en charge médicale des enfants blessés.

Il en va différemment, en revanche, des quatre autres visuels (numérotés 4 à 7 ci-dessus), représentant un enfant dans un linceul gisant à terre, et trois enfants décédés dont deux d’entre eux portent la trace de mutilations particulièrement graves.

Le Jury considère que ces images, qui confinent à l’insoutenable, ainsi que le texte qui les accompagne, revêtent, par leur degré de violence et de réalisme, un caractère excessivement traumatisant pour être affiché à la vue de tous, en particulier pour les enfants.

En conséquence, le Jury rejette les plaintes s’agissant des trois premiers visuels, mais estime que l’affichage des quatre autres méconnaît les règles déontologiques rappelées ci-dessus.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont partiellement fondées ;

– L’affichage des quatre visuels mentionnés ci-dessus méconnaît les points 1.1. et 3.3. de la Recommandation « Image de la personne humaine », les points 3.3. et 4.1. de la Recommandation « Enfant », et l’article 18 du code ICC.

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à assurer le non-renouvellement de cet affichage ;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants, à l’Association et à la commune de Courbevoie ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le 3 mai 2013, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président et MM. Benhaïm, Depincé et Leers.

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