JDP

Avis JDP n°235/13 – AUTOMOBILE – Plainte fondée

Décision publiée le 13.02.2013
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de l’ARPP, intervenant, ainsi que de l’annonceur, l’agence de communication, le journal et une autre société qui a pris part à la conception de la campagne,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 7 novembre 2012 et 2 janvier 2013, de deux plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de plusieurs visuels publicitaires diffusés en presse et sur internet en faveur d’une marque de véhicules automobiles.

Cette campagne publicitaire représente une jeune femme dans des situations inconfortables lors de l’utilisation de transports en commun.

Les différents visuels sont accompagnés de l’accroche suivante : « Vous seriez mieux en X».

Certaines publicités sont doublées d’un visuel présentant une jeune femme au volant de sa voiture en ville.

Les visuels de l’arrêt de bus et du wagon de métro, diffusés dans la presse et sur internet (bannière), montrent :

2.Les arguments des parties

Les plaignants considèrent que cette campagne dénigre ouvertement les transports en commun et incite le public à opter pour la voiture individuelle.

Concernant le visuel présentant la jeune femme au volant de la voiture, l’un des plaignants considère que la publicité est de nature à induire en erreur sur la conduite en ville, car il s’agit d’une représentation idéalisée, voire fantasmée de la conduite citadine en raison de la joie sur le visage de la femme et du paysage flouté, qui donne une sensation de vitesse dans une ville qui semble déserte.

La société annonceur fait valoir que la campagne ne vise aucun opérateur en particulier. Elle indique n’avoir reçu aucune réclamation ou observation de la part d’une entreprise ou d’un groupement professionnel et oppose qu’aucun des éléments constitutifs de la qualification de publicité trompeuse ne peut être relevé dans les visuels.

Elle soutient que ses messages n’abordent à aucun moment la question du développement durable et fait observer que si les transports en commun peuvent présenter, dans certaines circonstances, des avantages environnementaux, ils ne sont toutefois pas une solution parfaite sur ce terrain. A ce sujet elle fait valoir que la marque s’est, depuis plusieurs années, engagée fortement en faveur de l’environnement et cela lors de toutes les étapes du processus automobile

Elle fait observer que le reproche de dénigrement des transports en commun revient à interdire la communication par comparaison entre ce mode de déplacement et la voiture individuelle, alors qu’il existe un certain nombre de publicités qui, à l’inverse, jouent sur les inconvénients du transport individuel pour promouvoir les solutions communes.

Elle estime que l’application de l’article 9-2 de la Recommandation constitue une atteinte à la liberté d’expression et de communication vis-à-vis d’un de ses concurrents et oppose que l’anonymisation des plaintes ne lui permet pas de vérifier si celles-ci n’émaneraient pas de concurrents.

L’agence de communication assure que la campagne de publicité a été créée dans le respect des règles déontologiques.

Elle indique que la mise en scène est réalisée sur un mode outrancier et humoristique, décrivant, sur ce même ton, la vie quotidienne des actifs urbains, sans pour autant jamais remettre en cause l’intérêt écologique des transports en commun ni les dénigrer.

L’agence expose que le slogan se contente d’affirmer une vérité banale – que l’utilisateur d’une voiture jouirait d’un meilleur confort dans son véhicule plutôt que debout sous une pluie battante ou « collé » à la vitre du métro – cela ne remettant pas en cause l’intérêt écologique des transports en commun et étant aisément compréhensible par le public.

A titre informatif, elle indique que le véhicule laisse une faible empreinte écologique.

L’agence considère que juger cette campagne en contradiction avec la Recommandation « Développement durable » reviendrait à limiter la liberté de création et d’expression en matière de publicité automobile notamment.

Par ailleurs, elle ajoute que la Recommandation ne peut s’interpréter comme excluant toute référence à d’autres modes de transports communément jugés « plus écologiques ».

Le support presse indique qu’en matière publicitaire, l’insertion de publicités dans ses colonnes relève de la responsabilité déontologique de l’annonceur ou de son conseil en communication.

Il précise avoir interrompu la diffusion de la publicité litigieuse depuis le 5 novembre dernier.

L’ARPP expose être intervenue auprès de l’annonceur en novembre 2012 sur la campagne objet des plaintes. Elle précise que le fait de mettre en cause l’utilisation des transports en commun apparaît en totale contradiction avec les efforts et principes adoptés par l’interprofession publicitaire sur le thème du développement durable et que les présentations critiquées ne respectent pas le point 9/2 – « Impacts éco-citoyens » de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

L’Autorité explique qu’en application de la Charte signée avec le Ministère de l’Ecologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, en avril 2008, les professionnels se sont engagés à être particulièrement vigilants sur ce sujet et de la solliciter préalablement à la diffusion de publicités présentant un lien avec le respect et la protection de l’environnement.

L’incitation à moins utiliser les véhicules automobiles en ville et à préférer les transports en commun est par ailleurs une recommandation environnementale très régulièrement rappelée aux citadins, en France et en Europe et fait aussi l’objet de mesures incitatives, destinées à favoriser ce type de transport collectif.

Bien qu’elle ait perçu le caractère humoristique de la campagne, l’ARPP a considéré qu’il n’était toutefois  pas de nature à atténuer le caractère dénigrant du message.

3.Les motifs de la décision du Jury

Le Jury rappelle à titre liminaire que l’origine des plaintes est sans incidence sur leur recevabilité et leur examen, dès lors que les plaignants n’ont pas à justifier d’un intérêt pour agir. Ainsi, la circonstance, invoquée par l’annonceur, que les plaintes présentées par les particuliers soient anonymisées et qu’elles pourraient en réalité émaner de sociétés concurrentes, est  inopérante.

Le Jury rappelle ensuite que le point 9-2 de la Recommandation « Développement Durable » de l’ARPP dispose que : « La publicité ne doit pas discréditer les principes et objectifs, non plus que les conseils ou solutions, communément admis en matière de développement durable ».

 Le Jury constate que la campagne publicitaire présentée repose sur la mise en évidence de divers désagréments liés à l’utilisation de transports en commun, notamment en raison de l’affluence à certaines heures de la journée. Les images sont présentées de façon humoristique mais n’en mettent pas moins en scène des difficultés qui peuvent être rencontrées par les usagers.

L’usage des transports en commun est une solution de déplacement communément admise comme étant plus respectueuse du développement durable que l’usage d’un véhicule individuel, du simple fait, notamment, d’une émission de dioxyde de carbone et de particules moindre par personne transportée.

Si toute utilisation d’un procédé de déplacement motorisé présente certainement des inconvénients au regard de la préservation de l’environnement, les transports collectifs permettent de façon unanimement reconnue et sans qu’il soit nécessaire de recourir à une démonstration scientifique, de limiter de façon notable l’impact des déplacements quotidiens des personnes.

Or les différentes situations présentées dans la campagne pour le véhicule, qui mettent en scène différents inconvénients que peut subir tout utilisateur des modes collectifs de transports, sont accompagnées d’une accroche arguant que l’usage de cette voiture serait plus confortable et préférable pour ceux-ci.

Cette présentation dévalorisante pour les transports publics pour promouvoir l’usage de la voiture individuelle, quand bien même serait-elle emprunte d’un certain humour et ne ferait-elle aucune référence aux préoccupations de développement durable, n’en constitue pas moins une forme de dénigrement des transports collectifs.

Par ailleurs, le Jury observe que la Recommandation développement durable,  comme toutes les Recommandations de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, est le résultat d’un consensus entre les professions composant cette Autorité au sein de laquelle sont représentés les annonceurs, et parmi ceux-ci les constructeurs automobiles.

Elle traduit l’engagement de l’ensemble des parties prenantes de la profession publicitaire (agences, annonceurs, diffuseurs) au regard de préoccupations de la société, engagement solennellement énoncé dans la charte signée avec le Ministère de l’Ecologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, en avril 2008 et dont l’article 3 précise que :

« Les professionnels de la publicité et le BVP s’engagent (…) à actualiser les règles déontologiques en matière de développement durable, dans trois directions essentielles :

Ainsi, si les dispositions de la Recommandation Développement durable, comme l’ensemble des règles déontologiques applicables à la publicité, apportent des restrictions à la liberté d’expression et de communication en matière de publicité, ces limitations ont été, en l’occurrence, décidées et acceptées par les professionnels eux-mêmes, soucieux de montrer leur vigilance aux préoccupations du corps social ainsi que leur attachement à une publicité responsable et respectueuse des principes déontologiques.

Il en résulte nécessairement une asymétrie entre les publicités promouvant des modes de transport communément admis comme plus respectueux de l’environnement (transports publics en particulier), qui peuvent encourager leur utilisation par comparaison avec des modes de transport plus polluants, comme l’automobile, et les publicités qui valorisent ces derniers et qui ne peuvent dénigrer les premiers. Il existe, par ailleurs, bien d’autres moyens pour les industriels de promouvoir et faire valoir leurs produits.

Dans ces conditions, le Jury estime que la campagne publicitaire diffusée pour promouvoir le véhicule en cause ne respecte pas le point 9.2 de la Recommandation « Développement Durable » de l’ARPP.

En revanche, le visuel présentant une jeune femme au volant du véhicule promu et circulant dans une ville, s’il montre des conditions de circulation idéalisées, ne peut être considéré comme étant trompeur. En effet, le paysage flouté en arrière-plan, ne témoigne en rien d’une vitesse excessive ou irréaliste ; quant aux conditions de circulation fluide, elles relèvent certes d’une présentation idéaliste, mais ne saurait constituer une tromperie des consommateurs, ainsi que le soutient l’un des plaignants.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont fondées ;

– La campagne en cause contrevient au point 9.2 de la Recommandation « Développement Durable » de l’ARPP ;

– Il est demandé au Directeur général de l’ARPP de prendre toutes mesures de nature à faire cesser la diffusion de cette publicité et qu’elle ne soit pas renouvelée ;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur, à l’agence de communication, au journal et à la société qui a pris part à la conception de la campagne,

– Elle sera diffusée sur le site Internet du Jury de déontologie publicitaire.

Délibéré le vendredi 1er février 2013 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, M. Lallet, Vice-Président, Mmes Drecq et Moggio, ainsi que MM Benhaïm, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.

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