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Avis JDP n°210/12 – COMPAGNIE DE THÉÂTRE – Plaintes non fondées

Décision publiée le 26.09.2012
Plaintes non fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu le représentant de la compagnie de théâtre,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, les 13 et 15 juin 2012, de plusieurs plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une affiche publicitaire également visible sur Internet, en faveur de la compagnie de théâtre, pour son nouveau spectacle.

Le visuel en cause montre un cheval pendu par le cou à une corde, sur fond de décor de plaine d’ouest américain. Sur la gauche de cette image, figurent les dates et lieu de la représentation.

2.Les arguments des parties 

Les plaignants considèrent que cette affiche est violente car elle représente un acte de cruauté envers un animal, mort par strangulation. Ils estiment qu’elle est choquante, qu’elle  banalise la haine envers les animaux, et de ce fait, incite à de tels comportements.

Leurs plaintes expriment la conviction que de telles images et initiatives contribuent à banaliser la souffrance des êtres vivants que sont les animaux, en prenant à la légère leurs vies et leur capacité d’être affectés.

Selon les plaignants, l’utilisation de l’image d’un cheval pendu qui est « horrible (…) inconfortable et contrariante »  va à l’encontre du bon sens.

Ils soulignent qu’à l’heure actuelle, un ample courant abolitionniste met en œuvre une vaste communication, en France et partout dans le monde, pour que les animaux soient enfin reconnus en tant qu’êtres vivants égaux aux humains et respectés.

Ils ajoutent qu’au delà de tous les débats, il faut admettre que l’image va l’encontre du bon goût et de l’éthique élémentaire.

La compagnie de théâtre précise qu’elle est une compagnie de théâtre de rues créée en 1979. La vie de cette compagnie hors normes, basée à Nantes, est rythmée par des spectacles de petite et grande échelle. Ses créations ont toutes en commun un langage universel : la poésie et l’émotion, avec cette volonté d’aller jouer sur le macadam des villes du monde, et parfois même dans les décors les plus extrêmes des paysages d’Asie, d’Amérique ou d’Afrique.

Elle fait valoir que la campagne en cause est une campagne non marchande, qui s’inscrit dans un contexte purement artistique et non commercial qui participe pleinement de la liberté d’expression.

Le nom de la compagnie figure clairement sur l’affiche de sorte qu’il était particulièrement évident, pour le public, que le cheval présenté ne pouvait pas être la représentation de la pendaison d’un véritable cheval mais seulement une illustration de la machine utilisée dans le spectacle.

Celui-ci reprend, tout comme l’affiche litigieuse, les codes des films de Western en les détournant pour créer un décalage humoristique.

Le scénario raconte l’histoire d’un shérif qui doit mener une enquête dans une ville dénommée « Fall Street » dans laquelle il s’avère que des crimes sont commis par le propriétaire d’un cheval carnivore qui tue donc des hommes pour nourrir sa monture. Le spectacle retrace ainsi l’histoire de ce cheval dont une reproduction grandeur nature, manœuvrée par une grue, est présentée aux spectateurs en début et fin de spectacle, le cheval étant alors pendu comme l’étaient les criminels des Westerns « spaghettis ».

La compagnie fait valoir que L’illustration du cheval pendu est placée dans un cadre géographique et historique très éloigné de celui de la société française actuelle, de sorte qu’il ne ressort de ce dessin aucun message en faveur ou en défaveur de la protection des animaux.

L’absence de tout autre élément dessiné et notamment l’absence de représentation de personnages humains œuvrant pour la survie ou la condamnation du cheval empêche en outre de percevoir un quelconque message de cette nature.

Ce visuel ne peut donc être considéré comme contraire à la décence.

Enfin, l’affiche ne touche aucunement à la dignité humaine ni ne présente une quelconque expression de souffrance du cheval.

Le visuel se veut cohérent avec le spectacle dont un des éléments, même le héros, est justement un cheval. Bien qu’extrêmement réaliste, celui-ci est en résine et n’est aucunement réel. En aucun cas la compagnie n’aurait utilisé un véritable animal pour ce genre de mise en scène.

Ce spectacle est la trace d’un rêve ou d’un cauchemar dont rien ne permet l’exactitude. Il est nourri de légendes du cinéma qui ont hanté les rêves d’enfants, Fritz Lang, Sergio Leone, Jean Luc Godard, Arthur Penn, les frères Cohen, Jack London, et beaucoup d’autres les ont accompagnés. L’annonceur indique que ces légendes, jamais innocentes, célébraient la conquête d’une nation, mais parlaient aussi de la conquête d’un territoire. Au travers de cette affiche, il s’agissait donc pour la compagnie d’illustrer un spectacle qui met en scène un personnage « l’homme-légende » et son cheval et de raconter la terrible réalité de la conquête de l’Ouest, période très rude aussi bien pour les humains que pour les animaux.

La compagnie ajoute qu’elle comprend que l’image puisse paraître choquante à certains, mais elle fait observer que dans le flot actuel des images diffusées dans les médias, elle n’est en aucune manière une provocation, juste une image en cohérence avec un spectacle où la poésie et le décalage l’emportent sur une dure réalité. La compagnie, par ce choix artistique, n’a jamais eu l’intention de promouvoir la torture animale, mais juste de dessiner des réalités d’antan et d‘interpeller.

La société d’affichage explique qu’il est possible de relever le caractère irréaliste du visuel avec une corde qui semble « tomber du ciel » et un cheval en état de vie sans expression de souffrance particulière.

Ainsi, les principes de décence ou d’absence d’encouragement à la violence sont respectés tout en illustrant le spectacle donné par la compagnie nantaise, à savoir la volonté de cinéastes de faire revivre un ancien village de l’Amérique de l’Ouest à travers l’histoire d’un cheval pendu.

3.Les motifs de la décision du Jury

 

Le Jury rappelle que le Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale relatif à la Responsabilité sociale dispose :

Articles 1 – Principes élémentaires

« Toute communication commerciale doit se conformer aux lois, être décente, loyale et véridique …. Aucune communication ne doit être de nature à dégrader la confiance que le public doit pouvoir porter au marketing»

 Article 4 – Responsabilité sociale

« La communication commerciale doit respecter la dignité humaine et ne doit encourager ou cautionner aucune forme de discrimination, y compris fondée sur la race, l’origine nationale, la religion, le sexe, l’âge, le handicap ou l’orientation sexuelle.

La communication commerciale, sauf raison justifiable, doit proscrire toute exploitation des sentiments de peur, de malchance ou de souffrance.

La communication commerciale ne doit pas sembler cautionner ou encourager des comportements violents, illicites ou antisociaux. »

 Le Jury constate que l’affiche critiquée promeut un spectacle de rue gratuit et qu’elle concerne donc une prestation non marchande. Cette affiche constitue néanmoins, en tant qu’instrument de promotion et d’annonce, une publicité pour laquelle il a compétence à examiner le respect des principes déontologiques.

Il relève que l’affiche mise en cause est indiscutablement l’illustration d’une scène de la pièce et se rattache à l’œuvre dont elle constitue à la fois l’annonce et l’invitation à venir assister à sa représentation.

Dans ce contexte, l’examen du respect des principes déontologiques ne peut être identique à celui qui est exercé en matière de publicité d’offre de produits et services de consommation. Il doit tenir compte, notamment, de façon plus affirmée, du respect de la liberté créatrice et de son corollaire, la liberté d’expression.

Le visuel critiqué montre un cheval pendu dans un décor propre aux films consacrés à la conquête de l’ouest américain. L’image d’un mauvais traitement infligé à un animal est certes frappante, voire repoussante, pour le spectateur, mais elle revêt par elle-même un caractère surréaliste.

Le décor dans lequel elle est présentée permet aussi au spectateur de resituer l’image dans son contexte narratif et de prendre le recul suffisant à sa compréhension. Son caractère d’annonce de spectacle conduit à comprendre, pour celui qui la regarde, qu’elle ne constitue pas la banalisation des violences faites aux animaux, mais qu’elle utilise un phénomène d’étonnement pour attirer le regard et la mémoriser comme vecteur de promotion. Une telle image renvoie, de plus, à plusieurs références cinématographiques et artistiques qui permettent de la relativiser et de la distancer de la réalité.

En conséquence, le Jury considère que la représentation en cause demeure admissible au regard  des règles déontologiques rappelées ci-dessus.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont rejetées ;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants, à la compagnie de théâtre et aux sociétés ayant diffusées la campagne;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le 7 septembre 2012, par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mmes Drecq et Moggio et MM Benhaim, Carlo, Depincé, Lacan et Leers.

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