JDP

Avis JDP n°202/12 – COMPARATEUR D’ASSURANCES – Plainte rejetée

Décision publiée le 21.06.2012
Plainte rejetée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

– Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,

– après avoir entendu les représentants de la société annonceur, de l’agence de communication et de l’ARPP,

– et, après en avoir délibéré, hors la présence de l’ARPP et des parties,

rend la décision suivante :

1.Les faits

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi les 23, 26 et 27 avril 2012, de trois plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur, d’une publicité télévisée en faveur d’une société d’assurances pour son site de comparaison d’assurances.

Le film publicitaire présente une femme au volant de son véhicule, subitement percuté par un camion arrivant sur sa droite. Les images de la collision, accompagnées d’une berceuse et filmées au ralenti, mettent en scène la conductrice qui, pendant que la voiture fait un « tonneau », attrape son téléphone portable volant dans l’habitacle et contacte son assureur pour l’interroger sur les services qu’il propose dans le cas d’un « petit accrochage ».

La suite de l’accident n’est pas filmée; au moment où la voiture s’apprête à retomber sur ses roues, la femme se trouve dans son salon en train de consulter son ordinateur.

Le film est signé « N’attendez pas qu’il soit trop tard pour connaître les services de votre assurance – XXX invente le 1er comparateur de services– XXX réinventons notre métier ».

2.Les arguments des parties

Les plaignants, qui sont des particuliers considèrent que ce film présente des infractions au code de la route, ce qui est contraire aux principes de la sécurité routière. Par ailleurs, la scène est perçue comme violente et choquante.

L’un des plaignants observe que le feu tricolore, devant lequel passe la voiture avant l’accident,  étant éteint, la conductrice aurait dû ralentir ce qui constitue une erreur de conduite. L’accident est décrit comme violent, la roue arrière droite se détache, les vitres sont brisées, l’airbag se déclenche. La personne à l’écran évoque un « petit accrochage », ce qui ne correspond pas du tout à l’image présentée à l’écran. Le ralenti exagéré et la voix fluette de la dame dédramatisent fortement le contenu des images.

De plus, cette publicité laisse à penser que les assurances peuvent couvrir n’importe quel comportement dangereux.

La régie publicitaire des chaînes de télévision publique fait valoir que, si la situation représentée est effectivement un accident de la circulation, il ne lui apparaît pas pour autant que ce message publicitaire puisse être considéré comme une banalisation de la violence, ou une incitation à un comportement répréhensible.

Elle rappelle que la violence est définie par la Recommandation « Image de la personne humaine » comme, au minimum, « les actes illégaux, illicites et répréhensibles visés par la législation en vigueur ». De ce fait, un accident de la circulation ne saurait en lui-même être constitutif de tels actes, ni sa représentation caractériser une incitation à la violence ou une banalisation de celle-ci.

S’agissant ensuite du comportement de la conductrice, il peut être remarqué que, contrairement aux allégations des plaignants :

Celle-ci ne refuse pas une priorité à droite, l’intersection étant dotée d’un feu tricolore qui lui donne le droit de passer.

De plus, les différences de marquages au sol et de niveaux de chaussée visibles pendant l’appel téléphonique montre qu’en réalité le camion sort d’une voie, qui  peut être une voie privée et non une voie normalement ouverte à la circulation au même titre que la route empruntée par la conductrice ; c’est donc au conducteur du camion et non à la conductrice de la voiture que pourrait être imputé le comportement fautif et donc  la responsabilité de l’accident.

Cette dernière semble au contraire attentive à son environnement immédiat, et ne téléphone pas en conduisant ; ce n’est qu’une fois l’accident engagé, qu’elle profite de la valse des objets autour d’elle dans l’habitacle du véhicule pour saisir son téléphone et appeler son assureur ; l’usage de son téléphone, dans ce cas d’urgence, n’est donc pas un comportement fautif cause de l’accident, ce que précisément cherche à réprimer le code de la route, mais une conséquence.

Le caractère totalement irréaliste de cette séquence, confirmé par la confrontation du texte (« le jour où j’ai un petit accrochage… ») avec les images des tonneaux spectaculaires du véhicule, suffit à l’évidence à montrer que ce message publicitaire ne saurait être constitutif des faits qui lui sont reprochés. Bien au contraire, il incite les usagers à ne pas attendre qu’il soit trop tard pour prendre les précautions qui s’imposent.

L’ARPP indique que, comme toute publicité destinée à être diffusée en télévision, ce spot lui a été soumis pour avis avant diffusion sur les chaines. Elle précise que plusieurs échanges avec l’agence de communication, pour conseils sur le projet, ont eu lieu dès le mois de janvier 2012.

L’ARPP s’est ainsi principalement accordée avec l’agence à ce que ce projet :

Par exemple, il a été tout particulièrement déconseillé de présenter la conductrice téléphonant au volant.

Par ailleurs, l’agence a été engagée à accentuer le caractère totalement irréaliste de la scène montrant une femme qui prend la peine de passer un appel téléphonique à son assureur pendant que son véhicule effectue des tonneaux.

Un travail important a ainsi été réalisé par l’agence de communication au niveau des images (ralenti accentué, signalisation routière, ajout d’éléments en lévitation dans l’habitacle, attitude et voix légères et détendues de la femme) ainsi que de la bande son qui les accompagne (suppression des bruits de freinage, d’impact, de tôle).

De son côté, l’Autorité a également pris en compte l’identité de l’annonceur et le propos même du message (qui relèvent du secteur de l’assurance automobile) pour analyser la faisabilité de cette campagne.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, ce spot lui est au final apparu acceptable au regard des principes déontologiques en vigueur, notamment ceux contenus dans les Recommandations Sécurité, Image de la personne humaine et ceux du Code ICC selon lesquels la publicité ne doit pas choquer.

Il a ainsi pu être validé dans sa version finalisée au mois d’avril dernier.

L’ARPP indique avoir cependant alerté l’agence sur le rendu final du film, l’expérience montrant en effet que la mise en scène d’un accident de la circulation est toujours susceptible de générer des réactions de la part du public, notamment liées à la sensibilité de victimes ou de proches de victimes d’accidents de la route.

L’agence de communication confirme que l’ARPP a été consultée à plusieurs reprises et qu’elle a donné son accord sur ce film. Elle précise que le ressort de celui-ci n’est pas de montrer en soi un accident mais d’inciter les spectateurs à ne pas attendre qu’il soit trop tard.  Elle fait observer que la musique, la suppression des bruits réels, le ralenti, le fait que le téléphone arrive dans la main de la conductrice, la tranquillité affichée par celle-ci  la fin du film dans le salon, montrent un scénario mental, totalement déconnecté de la réalité.

Lors de la séance, elle a précisé que les « posts tests » ont montré que la publicité avait été comprise.

L’annonceur fait valoir que, parce qu’il est un annonceur certes, mais également et avant tout un assureur, sa mission est de protéger sur le long terme les personnes et les biens. Elle va au-delà de la seule indemnisation des sinistres pour s’étendre à la prévention, à l’accompagnement et à la gestion responsable des risques de toute nature. Pour cette raison, la société annonceur a décidé de s’engager et d’agir en tant qu’entreprise responsable et de se positionner comme un acteur majeur en matière de prévention. Elle détaille les actions menées à ce titre.

La société annonceur fait valoir également qu’elle est signataire de la Charte d’engagement des annonceurs pour une communication responsable, en décembre 2010, afin d’affirmer ses engagements et son attachement à développer une communication publicitaire et institutionnelle responsable.

Cette volonté de transparence et de responsabilité se manifeste notamment par la consultation systématique de l’ARPP et ses fréquentes demandes de conseils, mais aussi par ses process de validation en interne.

Spécifiquement pour cette campagne, soucieuse du respect des règles de déontologie publicitaire, elle a soumis régulièrement l’avancée de ses travaux à l’ARPP, que ce soit les scripts, à trois reprises ; les story-boards à deux reprises ; les montages, à deux reprises, et le film définitif, intégrant systématiquement les conseils qui lui étaient données par les services de l’Autorité.

Son objectif est ici de faire prendre conscience au public de la nécessité de vérifier l’adéquation des services de son assurance à ses besoins.

Le message qu’elle souhaite communiquer à sa cible est le suivant : « N’attendez pas qu’il soit trop tard pour vérifier les services que propose votre assurance ».

Le principe créatif de la campagne repose sur une hyperbole publicitaire qui met en scène une situation extraordinaire de fiction. Grâce à un procédé d’images ralenties, le temps se suspend, nous permettant d’attendre le dernier moment (avant que le sinistre n’intervienne vraiment) pour se renseigner sur les services de son assurance, et ce de manière aussi sereine que chez soi. Le traitement par le ralenti rend ces situations à la fois spectaculaires, cinématographiques et invraisemblables.

La campagne est composée de deux films qui fonctionnent sur le même principe créatif et sont construits de la même manière: Auto et Ski. Elle a choisi ces 2 exemples pour sensibiliser sur 2 typologies de risques potentiels : les accidents de la vie courante (ici exemple du ski) et ceux de la route.

Les films sont une illustration littérale et fictive de l’expression connue de tous « N’attendez pas qu’il soit trop tard », une mécanique déjà utilisée par d’autres.

L’annonceur relève que deux préoccupations majeures des 3 plaignants ne sont pas remises en cause par le film.

Ainsi, s’agissant de la prétendue banalisation des accidents de la route induisant une décrédibilisation des actions de la prévention routière : l’hyperbole publicitaire, le principe de l’image ralentie et la tonalité décontractée du dialogue sont autant d’éléments permettant une prise de distance et qui inscrivent la situation dans l’irréel. L’irréalité de la situation marquée par le concept créatif de l’hyperbole et le traitement en ralenti sont suffisamment apparents pour éviter tout risque de confusion dans l’esprit de tout public.

Concernant le manquement aux codes de la route et de sécurité routière allégués, la société annonceur fait observer que le téléphone au volant n’est pas la cause de l’accident qui est provoqué par l’impact avec le camion. Jusqu’à ce moment-là, la femme n’est pas au téléphone. C’est seulement une fois que l’accident s’est produit qu’elle attrape son téléphone au vol afin de se renseigner sur son assurance.

Sur le prétendu refus de priorité à droite, elle explique que pour laisser planer l’ambigüité sur la cause de cet accident irréel, le spot ne désigne pas de responsable à l’accident. Le but de cette communication n’était pas d’imputer l’accident à l’un des deux conducteurs. Cet accident est un évènement exceptionnel lié à une panne de feu ou à une inattention et non à un comportement dangereux.

En utilisant une hyperbole publicitaire pour le film voiture de la campagne en faveur du comparateur d’assurances, elle a voulu délibérément ancrer cette publicité dans une projection irréelle pour mieux inviter à se renseigner sur les services de son assurance.

3.Les motifs de la décision du Jury

 Le Jury rappelle que la Recommandation Sécurité de l’ARPP dispose, en son point 2 que : « L’ARPP recommande aux publicitaires d’avoir toujours à l’esprit le souci de la sécurité et d’appeler les utilisateurs à la prudence chaque fois qu’un risque peut exister ».

A ce titre, les publicitaires sont invités à « n’utiliser aucun (…) visuel susceptible d’induire directement ou indirectement un comportement pouvant porter atteinte à la santé et à la santé et à la sécurité des biens et des personnes (…) ».

Le Jury relève que la publicité en cause qui met en scène une situation d’accident ne présente aune infraction ou comportement dangereux au Code de la route. La femme ne téléphone pas au volant, elle roule à une vitesse modérée, contrôle son rétroviseur, ne viole pas la priorité. Le feu devant lequel le véhicule passe est éteint, ce qui ne permet nullement de penser qu’elle a pu ne pas respecter le signal lumineux.

Par ailleurs, le choc que le spectateur pourrait ressentir à la vision de ce film est considérablement atténué par la déconnexion de la situation à la réalité. La musique douce et tranquille, la voix apaisée de la femme, le ralenti, le fait qu’elle ait le temps de composer le numéro de son assureur et de poser sa question, l’absence de bruits liés à l’accident, la fin du film où l’on retrouve le personnage dans son salon ont pour effet de montrer que la scène ne se situe pas dans la réalité, mais constitue, comme l’indique l’annonceur, un scénario mental.

Il résulte de ces éléments que cette publicité n’est pas choquante pour la grande majorité du  public et qu’elle ne contrevient pas aux règles déontologiques rappelées ci-dessus.

4.La décision du Jury

– Les plaintes sont rejetées ;

– La présente décision sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur, l’agence de communication, la régie publicitaire des chaînes de télévision publique, au syndicat représentant les chaînes de télévision et à l’ARPP ;

– Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.

Délibéré le 1er juin 2012, par Mme Michel-Amsellem, Vice-présidente, substituant la Présidente empêchée, Mmes Drecq et Moggio et MM Benhaïm, Carlo, Lacan et Leers.

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