Décision publiée le 11.06.2009
Plaintes fondées
Le Jury de Déontologie Publicitaire,
– après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
– après avoir entendu l’un des plaignants, l’ARPP et les représentants de l’agence de communication et du support de diffusion ;
– et, après en avoir délibéré, hors la présence de l’ARPP et des parties,
rend la décision suivante :
1.Les faits
Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre le 27 avril et le 16 mai 2009, de 12 plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne de publicité diffusée sur Internet et par voie de presse, en faveur d’un loueur de véhicules.
Cette campagne comporte différents visuels représentant des véhicules automobiles en situation d’accidents grotesques (véhicule au fond d’une piscine, encastré dans l’escalier d’une bouche de métro, ou dans un bateau amarré à quai) ou d’infractions manifestes au code de la route (véhicule garé sur deux places) ou encore la photographie d’un volant sur lequel ont été collés deux post it, comportant les indications « gauche » et « droite » pour signaler ces orientations. Ces visuels sont accompagnés du texte « OUI, nous louons aussi aux femmes ».
2.Les arguments des parties
Les plaignants considèrent que cette campagne est sexiste car elle utilise et entretient le préjugé de caractère discriminatoire selon lequel les femmes conduisent moins bien que les hommes. Elle porte ainsi, selon eux, atteinte à l’image des femmes.
L’ARPP indique avoir été consultée par l’agence de communication, et par un support adhérent, sur le projet de cette publicité pour une diffusion notamment en presse. Elle expose que si le principe de la campagne a été accepté, les différentes images associées ont été déconseillées, seules des photos qui présenteraient des situations d’accidents hors de portée du conducteur ont été considérées comme envisageables. Elle ajoute avoir demandé que la portée de l’accroche soit atténuée par un renvoi à une étude démontrant que les femmes constituent une population de conducteurs ayant statistiquement moins d’accidents graves que les hommes, ce qui a pour effet « de légitimer et d’expliciter le texte ».
L’ARPP rappelle que la doctrine déontologique qui s’est imposée depuis de nombreuses années conduit à refuser que les messages publicitaires puissent diffuser l’idée d’une infériorité, directe ou suggérée, de la femme. Elle ajoute que le fait de conforter, dans l’esprit du public, l’idée reçue selon laquelle les femmes sont de piètres conductrices, ont des comportements routiers irresponsables et génèrent des accidents invraisemblables, le tout par une affirmation et des visuels d’accidents grotesques ou d’infractions manifestes au code de la route, concourt à renforcer un stéréotype dégradant pour l’image des femmes en général.
Le support de diffusion a exposé que malgré des hésitations, elle avait accepté de diffuser la publicité en cause car, par son ton humoristique et décalé ainsi que par le caractère irréaliste des photos utilisées, elle lui semblait au contraire combattre le stéréotype sexiste critiqué.
L’agence de communication qui a réalisé la campagne explique que l’annonceur a fait le choix d’utiliser en France les mêmes ressorts d’humour et d’impertinence, pratiqués de longue date dans ses campagnes en Allemagne et qui lui ont donné une image positive auprès du public. Elle précise que la campagne en cause constitue l’adaptation sur Internet, pour la France, d’une campagne déjà réalisée en Allemagne à laquelle ont été ajoutés les visuels. Cette campagne repose, selon ses explications, sur une mécanique classique de « contre-clichés » avec un effet de teasing destiné à surprendre et choquer, puis à délivrer un message final qui intervient dans un deuxième temps. Ainsi, en cliquant sur les bannières de messages comportant un stéréotype négatif, les internautes étaient conduits vers le site de l’annonceur qui expliquait, étude scientifique à l’appui, que les femmes sont globalement meilleures conductrices que les hommes, ce qui justifie qu’elles soient des clients privilégiés de la société.
L’agence souligne que ce procédé a été validé par I’ARPP, consultée au moment de l’élaboration de la campagne, qui a indiqué qu’avec la mention apparaissant sur le site Internet, «une solution en ce qui concerne le stéréotype dénigrant de la conductrice semble bien avoir été trouvée ».
Elle ajoute que son objectif était seulement de réaliser une campagne décalée et fondée sur le second degré, remettant en cause un stéréotype qui ne repose sur aucune réalité. Elle regrette la mauvaise perception de certains internautes qui, faute d’avoir cliqué sur les bannières, n’ont vu que la première partie du message et elle affirme qu’il n’a jamais été dans son intention de s’écarter des recommandations de l’ARPP en matière de respect de l’image de la personne humaine.
L’annonceur conteste la compétence du Jury pour rendre une décision concernant une publicité diffusée à son bénéfice. Elle fait valoir à cet égard qu’aucune société du groupe auquel elle appartient n’est adhérente de l’ARPP, que les Recommandations auxquelles se réfère le Jury n’ont aucune valeur normative et que les délibérations de cette instance n’engagent que les membres associés à l’ARPP et ne sont pas opposables aux tiers dont elle fait partie.
3.Les motifs de la décision du Jury
Sur la compétence du Jury de déontologie
Le Jury de déontologie publicitaire, créé par décision du conseil d’administration de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, dite ARPP et anciennement BVP, est une instance associée au dispositif de régulation professionnelle de la publicité telle que définie dans les statuts de l’ARPP. Cette autorité est indépendante des pouvoirs publics, administrée par les trois professions impliquées dans la production et la diffusion des
campagnes publicitaires (annonceurs, agences et médias) et s’est donné pour but de mener toute action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine, dans l’intérêt des consommateurs, du public et des professionnels de la publicité.
Ainsi que le précise l’article 3, alinéa 3, des statuts du Jury, ses décisions concernent seulement les questions relatives à la déontologie que la profession, dans ses différentes composantes, s’est fixée. Elles s’inscrivent dans ce seul cadre. Ses membres sont indépendants tant à l’égard de l’ARPP que des trois professions qui la composent.
Le champ d’action que s’est fixée l’ARPP, et dont découle celui du Jury de Déontologie qui lui est associé, n’est pas limité aux comportements de ses adhérents. L’article 3 du règlement intérieur du Jury précise que celui-ci est compétent pour traiter les plaintes portant sur des publicités, que les professionnels qui en sont à l’origine soient ou non adhérents de l’ARPP.
En conséquence, le fait que l’annonceur ne soit pas adhérente à l’ARPP et au système d’autorégulation que cette autorité promeut est sans portée sur la compétence du Jury pour connaître des plaintes portant sur des publicités dont cette société est à l’origine.
Sur le fond
Le Jury rappelle que la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP dispose dans ses points 2-1 et 2.2 que :
« La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son appartenance à un groupe social, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société. »
« L’expression de stéréotypes, évoquant les caractères censés être représentatifs d’un groupe social, ethnique, etc., doit tout particulièrement respecter les principes développés dans la présente Recommandation. ».
Les messages en cause qui présentent des photos d’accidents automobiles grotesques ou d’infractions manifestes au code de la route mettent en scène des conduites totalement irresponsables et inciviques. Associées au slogan « Oui nous louons aussi aux femmes », ces images, ainsi que celle comportant des indications de direction « gauche » « droite », induisent l’idée que les femmes sont coutumières de tels comportements, conduisent moins bien que les hommes, sont, par nature, étourdies et peu respectueuses du code de la route et constituent des dangers.
Le renvoi à une étude selon laquelle les femmes auraient moins d’accidents graves que les hommes est inapproprié à démentir l’idée ainsi induite, d’une part, en ce qu’il n’était accessible qu’à la condition que l’internaute effectue la démarche volontaire de cliquer sur la première bannière, d’autre part, en ce que cette étude ne concerne que les accidents graves et non les comportements irresponsables mis en scène par les images.
Bien qu’il soit facilement compréhensible que le message doive être interprété comme se voulant humoristique et décalé, il repose néanmoins sur un stéréotype dévalorisant des femmes et contribue, par sa présentation, à le renforcer plutôt qu’à le démentir.
Le Jury considère en conséquence que la publicité en cause est contraire aux dispositions précitées.
4.La décision du Jury
– Les plaintes sont fondées ;
– Le message publicitaire en cause contrevient aux dispositions 2-1 et 2-2 de la Recommandation Image de la Personne Humaine de l’ARPP
– La présente décision sera communiquée aux plaignants, à l’annonceur, à l’agence de communication et au diffuseur. Elle sera diffusée sur le site Internet du JDP.
Délibéré le vendredi 5 juin 2009 par Mme Michel-Amsellem, vice-présidente, suppléant la présidente empêchée, Mmes Drecq et Moggio, et Ms Benhaim, Carlo, Leers et Raffin.