Avis JDP n°539/18 – PRODUITS DE NETTOYAGE AUTO-MOTO – Plainte fondée

Avis publié le 23 octobre 2018
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,
  • et compte tenu de la demande de révision présentée par le représentant de la société annonceur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 18 juillet 2018, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée en point de vente, en faveur d’une société, pour promouvoir ses produits de nettoyage auto-moto.

Le visuel publicitaire montre le bas du corps d’une femme, assise sur un bidon du produit lequel est agrémenté d’un ruban ; une petite culotte rouge à pois blancs laisse apparaître une fesse largement dénudée, ses jambes sont revêtues de bas résilles et de chaussures à talons compensés. Le texte figurant au bas de l’affiche est « Fêtes-vous plaisir ».

Deux autres visuels, joints à la plainte, ne relèvent pas de la compétence du Jury, en ce qu’ils concernent le conditionnement même des produits.

2. Les arguments échangés

– Le plaignant considère que cette publicité, observée sur un point de vente le 18 juillet 2018, est choquante car elle avilit la femme en la reléguant au plan d’objet de décoration érotique destiné à attirer l’œil des clients masculins pour vendre un produit. Sans visage, la femme est de plus, rendue anonyme, ce qui est sexiste et répugnant.

Le plaignant joint à sa plainte la réponse que la société annonceur lui a adressée directement.

– La société annonceur a, par courrier recommandé avec avis de réception du 1er août 2018, été informée de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir que l’égérie Rita est une « Pin-up ». Dans l’univers des « Bikers », qui est la cible première de la société, le tatouage de pin-up est clairement répandu, il est même devenu un genre de tatouage à part entière. Publicitairement, la Pin-up représente à elle seule un univers vintage américain/anglo-saxon, qui n’est pas une simple silhouette sexy, mais fait référence au « Biker » en Harley-Davidson, à la Route 66 avec les Diner’s, etc. Les modèles féminins que l’annonceur utilise sont donc directement liés à son égérie Rita.

La société ajoute que sa clientèle est composée d’hommes à 99% et qu’aucune de ses publicités ne montre une femme en train de nettoyer.

L’annonceur précise que cette affiche avait été diffusée à l’occasion des fêtes de Noël 2016, d’où le jeu de mot, plutôt pauvre mais qui ne dit en aucune façon que la Pin-up sur l’affiche est une prostituée et que l’on peut se faire plaisir avec. Le message est « Pour Noël, faites-vous plaisir en achetant X » et l’égérie Rita est habillée en mère Noël.

Il ajoute que la plupart des photos utilisées dans les publicités sont des photos libres d’utilisation commerciale, avec parfois certaines restrictions qui empêchent d’afficher clairement le visage du modèle, afin de préserver la personne. Il s’agit à nouveau d’une question d’interprétation.

Il soutient qu’il n’y a pas de sexisme dans ses publicités, ni d’avilissement, ni de dévalorisation/domination, ni de volonté de réduire les personnes humaines à la fonction d’objet, et que ses publicités sont très loin de la pornographie, que toutes les femmes ou hommes dans celles-ci représentent un univers et non un simple désir, afin que les personnes s’identifient à cet univers.

La société souligne enfin qu’elle fait de la publicité pour son produit depuis plus de 5 ans et n’a jamais eu aucune réflexion de la part de ses clients, de ses fans Facebook, ni des clients de ses revendeurs en France.

– Le Réviseur de la Déontologie publicitaire a été saisi d’une demande de révision formulée par la société annonceur le 5 octobre 2018. Le Réviseur a examiné cette demande conformément à l’article 22.1 du Règlement intérieur du Jury de Déontologie Publicitaire et lui a apporté la réponse jointe en annexe du présent Avis.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), dispose que :

« 2.1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

2.2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2.3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme. »

Le Jury relève que la publicité en cause est une affiche présentée sur un support cylindrique montrant, de profil, le postérieur et les jambes d’une femme, elle-même assise sur un bidon cylindrique comportant la marque du produit et entouré d’un ruban rouge. Un voile ourlé de satin rouge descend légèrement sur les hanches du modèle et laisse apparaître une fesse largement dénudée. Les jambes sont habillées de bas-résilles, tenus par des jarretières. La main gauche est posée sur le genou gauche qui est légèrement relevé, tandis que la jambe droite est plus tendue. Le modèle porte des chaussures rouges à talons hauts compensés. Le texte figurant au bas de l’affiche est « Fêtes-vous plaisir ».

Le Jury estime qu’en s’appuyant sur l’ambiguïté de ce slogan, qui renvoie, par un sous-entendu de nature sexuelle, au plaisir que peut procurer la femme, l’annonceur utilise la mise en scène des fesses d’une femme sans visage pour rendre « sexy » et attractif un produit dénué de lien avec le corps féminin. Cette instrumentalisation de l’image de la femme, accentuée par la dépersonnalisation dévalorisante du sujet dont seul le bas du corps est représenté, la réduit ainsi à la fonction d’objet sexuel et porte atteinte à sa dignité.

En conséquence, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions précitée de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.

Avis adopté le 7 septembre 2018 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Drecq, MM. Acker, Benhaïm, Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.