Avis JDP n°578/19 – SYNDICAT DES TRANSPORTS – Plainte fondée

Avis publié le 8 juillet 2019
Plainte fondée 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plaintes,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 9 mai 2019, d’une plainte émanant de la Ligue de Protection des Oiseaux, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire de sensibilisation au harcèlement sexiste dans le réseau des transports, diffusée par voie d’affichage dans les transports publics.

L’affiche en cause montre le dessin de trois loups assis, dont l’un hurlant, accompagné des textes suivants : « Tout le réseau – face au harcèlement sexiste – fait bloc » ; « Il agit en prédateur… nous réagissons ! », ainsi que de la mention des différents moyens d’alerte et de signalement.

2. Les arguments échangés

– La Ligue de Protection des Oiseaux (LPO) indique avoir été choquée par cette campagne publicitaire qui choisit l’image d’un groupe de loups pour représenter le harcèlement sexuel.

Le loup est une espèce protégée par la Convention de Berne, une directive européenne et le droit français. Cette espèce recolonise difficilement le territoire français après avoir été exterminée (poison et tirs). Il n’y a pas de rapport entre la prédation d’un carnivore et le harcèlement sexuel. Cette campagne contribue donc au dénigrement d’une espèce sauvage en véhiculant les fantasmes les plus éculés.

– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 14 mai 2019, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

Par un courrier du 24 mai 2019, elle a indiqué, à titre liminaire, qu’elle est un établissement public administratif dont la communication n’a aucune visée commerciale, que cette communication institutionnelle est l’une des nombreuses démarches qu’elle a engagées pour lutter contre le harcèlement et que le délai de sept jours qui lui a été imparti pour présenter ses arguments ne lui semble pas suffisant pour garantir le respect du contradictoire.

Sur le fond, elle explique avoir fait appel à des professionnels après une mise en concurrence pour élaborer, préparer et diffuser cette campagne qui a trait au harcèlement sexiste dans le réseau – campagne qui s’adresse aux victimes et témoins de harcèlement sexiste. Elle indique que la « baseline » de cette campagne est « tout le réseau fait bloc », pour porter à la connaissance des usagers qu’en étant ensemble, comme une meute soudée, il est possible de faire face au harcèlement sexiste. Il s’agit d’une reprise de la thématique de « l’union fait la force », la meute de loups symbolisant évidemment les usagers témoins, ce que traduit le slogan « Nous réagissons ». L’annonceur explique que l’image montre d’ailleurs qu’un loup en protège un autre et veille, devant lui, pendant qu’un troisième alerte et appelle à l’aide. Ainsi, loin de stigmatiser le loup, ce message appelle l’usager à se rassembler et réagir comme le fait la meute pour défendre les siens.

– L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, saisie directement par la LPO, indique être intervenue auprès de l’annonceur, afin de l’informer de l’Avis précédemment rendu par le Jury de déontologie publicitaire sur une représentation publicitaire comparable.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que le code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale dispose, en son article 1er, que « Toute communication commerciale doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle ».

En outre, la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP prévoit, au point g) de son article 9-1, que « la publicité doit proscrire toutes les déclarations ou les représentations visuelles susceptibles de générer des craintes irrationnelles ou infondées ».

Le Jury rappelle également que la lutte contre le harcèlement sexuel est une cause d’intérêt général et que le Conseil de l’Ethique Publicitaire a estimé, dans un avis publié le 28 janvier 2009, « qu’une plus grande souplesse peut légitimement s’appliquer pour les grandes causes nationales qui présentent toutes les garanties et légitimité nécessaires à une meilleure acceptation de la part du public. / Il faut en effet distinguer les causes incontestables dans l’opinion (par exemple la lutte contre la pédophilie) des combats plus contestés (comme la lutte contre la corrida). Dans le second cas, les partis pris militants exprimés par les campagnes, parce qu’ils sont sujets à controverse, créent un risque supplémentaire de non acceptation du message par le public (…) Notons néanmoins que cette marge de tolérance ne peut porter que sur des éléments de nature à choquer le public (violence, indécence,…) et en aucun cas sur des éléments de nature à tromper ou nuire (par ex. atteinte à la dignité humaine) ».

Le Jury relève que l’affiche publicitaire en cause montre le dessin stylisé de trois loups assis, dont l’un hurlant, accompagné des textes suivants : « Tout le réseau – face au harcèlement sexiste – fait bloc » ; « Il agit en prédateur… nous réagissons ! », ainsi que de la mention des différents moyens d’alerte et de signalement.

Le Jury comprend des explications de l’annonceur que celui-ci n’a pas entendu utiliser l’image des loups pour représenter le « prédateur » sexuel auquel se réfère le texte du message, mais qu’il a, au contraire, entendu utiliser le visuel de ces trois loups pour suggérer une meute protectrice, et inciter, ainsi, les usagers des transports en commun à adopter des réflexes d’alerte s’ils détectent des victimes de harcèlement sexuel dans les transports en commun, en effectuant un signalement.

Il constate toutefois que la mise en scène retenue peut prêter à confusion, dès lors que le texte « il agit en prédateur » figure en surplomb du dessin des loups, dont l’un semble hurler et un autre regarde fixement devant lui, et que le choix du loup peut renvoyer à l’imaginaire populaire des contes de fées où il est assimilé à un animal menaçant. Cette mise en scène lui paraît ambiguë, alors qu’il s’agit d’un affichage publicitaire dans les stations de métro, où le temps d’exposition et de lecture des usagers est particulièrement bref et ne permet pas nécessairement d’analyser avec recul les messages publicitaires.

Dans ces conditions, le Jury estime qu’en utilisant ainsi de façon ambiguë l’image d’une meute de loups, espèce menacée, non prédatrice de l’homme, cette publicité, même si telle n’était pas l’intention de ses concepteurs, est de nature à contrevenir aux points 9.1, g) précité de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP ainsi qu’aux articles 1 et 4 du code ICC.

Avis adopté le 7 juin 2019 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Lenain, MM. Acker, Depincé, Lacan et Leers.