Avis JDP n° 565/19 – EQUIPEMENTS MAISON – Plainte non fondée

Avis publié le 4 avril 2019
Plainte non fondée 

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société annonceur et de l’agence de communication,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 31 janvier 2019, d’une plainte émanant de l’association Mountain Wilderness France, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de vidéos diffusées sur Internet, à l’initiative de la société annonceur.

La campagne comporte huit vidéos publicitaires diffusées sur le site internet de la société annonceur, intitulées « Vertical Home », qui montrent, sous forme de film documentaire, les étapes et coulisses du tournage d’une opération publicitaire consistant à installer deux produits de la marque, une cuisine équipée et un dressing, sur la paroi d’une falaise. Un alpiniste y cuisine ensuite des œufs et cherche un pull dans le dressing.

2. Les arguments échangés

– L’association Mountain Wilderness France indique que cette campagne dépasse les limites d’une publicité respectueuse du développement durable selon les recommandations de l’ARPP.

En effet, pour valoriser ses cuisines, la marque a décidé d’installer une cuisine et un dressing sur mesure à grand renfort de rotations d’hélicoptères, au milieu d’une falaise, à 1800 m d’attitude au Parmelan, en Haute-Savoie… pour permettre à un alpiniste de renom de réaliser des œufs brouillés dans sa cuisine.

L’association explique que la montagne est un puissant vecteur d’imaginaire depuis toujours, mais qu’elle est fragile car elle souffre fortement de l’accélération du réchauffement climatique avec la multiplication des effondrements et le fort recul des glaciers, ou encore la baisse du niveau des lacs alpins.

En tant qu’association nationale de protection de la montagne reconnue d’utilité publique et agréée environnement au niveau national, elle estime qu’au-delà de l’absurdité du projet, reconnue d’ailleurs par plusieurs intervenants dans les 8 épisodes en ligne qui narrent cette aventure, cette publicité ne respecte ni la charte déontologique de la publicité, notamment sur sa non prise en compte des contraintes de développement durable, ni la Charte d’engagements et d’objectifs pour une publicité éco-responsable.

Selon l’association, face à l’urgence climatique, les publicités ne peuvent plus ignorer les principes du développement durable et leur rôle doit davantage inciter les hommes à aimer et à respecter la nature et la montagne en particulier pour éviter la disneylandisation des espaces montagnards.

L’association indique avoir, en parallèle, interpellé la marque en cause sur les réseaux sociaux, pour leur suggérer une vision plus durable en équipant plutôt un refuge de haute-montagne avec une cuisine bien adaptée et qui servirait pour le confort des gardiens et au service des vrais amateurs de montagne.

– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 8 février 2019, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle explique qu’elle a souhaité mettre en avant, dans cette campagne publicitaire, sa capacité à s’adapter à tout environnement et toute contrainte, en l’espèce une façade naturelle, non lisse et dans le vide.

Elle indique que, pour la mise en place de ce projet et du tournage de cette campagne, elle a obtenu toutes les autorisations nécessaires, tant pour l’utilisation d’un hélicoptère et de drones autour de la montagne, que pour la diffusion du film publicitaire télévisuel, notamment de la mairie du lieu du tournage de la campagne publicitaire pour réaliser un tournage sur la falaise du Parmelan, réaliser des manœuvres d’hélitreuillage, interrompre la circulation de façon intermittente pour sécuriser le passage et stationner des véhicules. Elle s’est en outre entourée de professionnels et spécialistes de la haute-montagne afin d’assurer le respect de l’environnement ainsi que la sécurité des habitants, des randonneurs et des équipes de tournage. En particulier, le projet a été réalisé en collaboration avec un alpiniste professionnel et avec l’aide et la supervision de plusieurs alpinistes et guides de haute montagne locaux.

La société remarque d’ailleurs que deux d’entre eux sont membres de l’association Mountain Wilderness, et n’ont pas semblé considérer que la campagne publicitaire n’était pas conforme aux principes du développement durable ou à leurs engagements de protection de la montagne.

Elle ajoute que la société de production est signataire de la Charte « ProdAgainstWaste » de l’Alliance des Producteurs de Films Publicitaires (APFP), qui a pour objectif de limiter l’impact écologique des productions publicitaires, et que conformément à cette Charte, les équipes ont privilégié lors du tournage l’utilisation de drones à celle de l’hélicoptère lorsque cela était faisable, et utilisé des matériaux recyclables. Les déplacements en voiture ont été réduits au maximum au profit du train et d’un hébergement proche du lieu du tournage pour éviter les redescentes quotidiennes en vallée.

La société annonceur explique qu’une fois le tournage effectué, la cuisine et le dressing montés sur la montagne ont été démontés avec la plus grande précaution afin de ne pas causer de dommages à la montagne. Le processus de démontage et d’effacement des accrochages a été supervisé par des spécialistes de la montagne et de sa protection.

Elle fait valoir que la campagne ne repose sur aucun « argument faisant référence au développement durable » ou « écologique », selon la définition du champ d’application de la Recommandation « Développement durable », puisqu’ il s’agit par cette campagne de montrer le savoir-faire de l’annonceur dans la réalisation de cuisines sur-mesure dans un contexte complexe. Cela n’est d’ailleurs pas prétendu par l’association plaignante, qui ne démontre pas non plus que cette campagne présenterait « des éléments non compatibles avec les objectifs du développement durable, même sans y faire référence ». De fait, les contenus publicitaires en cause ne contiennent aucune incitation à des comportements irrespectueux des pratiques de développement durable. A ce titre, le fait de monter une cuisine ou un dressing sur une falaise ne saurait « véhiculer un message contraire aux principes communément admis du développement durable », selon les termes de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP (article 9).

L’objectif de cette publicité est, précisément, d’installer une cuisine et un dressing dans un endroit improbable et dans une situation irréelle, afin de montrer le savoir-faire de la société annonceur, de sorte qu’il est évident que cette installation ne peut pas être reproduite dans la vie courante. D’ailleurs, dans les films composant la série Web, les équipes et notamment les alpinistes et guides de haute montagne expliquent en détail la complexité et la dangerosité d’une telle opération qui requiert des professionnels de haut niveau (alpinistes, techniciens…) et n’est certainement pas accessible pour le public. Ils indiquent aussi clairement l’ensemble des précautions qu’il est nécessaire de prendre — et qui ont été prises — afin de respecter et préserver la montagne. Par conséquent, l’annonceur estime qu’il ne peut être sérieusement soutenu que la campagne en cause « banalise ou valorise des pratiques ou idées contraires au développement durable » et notamment « à la protection de l’environnement et à la préservation des ressources naturelles » (point 9.1. a/) ou de nature à « inciter, directement ou indirectement, […] au gaspillage d’énergies et ressources naturelles » (point 9.1. b/).

Au demeurant, cette Recommandation n’interdit pas aux annonceurs de réaliser des tournages de publicité dans des environnements naturels. La réalisation de ces tournages nécessite toujours la mobilisation de moyens matériels importants sans que cela puisse, en soi, être considéré comme contraire à la Recommandation précitée. La campagne publicitaire en cause a, de plus, été respectueuse de son environnement dans sa conception et sa réalisation.

La société annonceur a, au surplus, exposé le projet de campagne publicitaire à l’ARPP, plusieurs mois avant le tournage, afin d’obtenir ses observations et recommandations. L’agence en charge de la réalisation du projet a clairement indiqué à l’ARPP que « la scène ne sera pas le fruit d’un montage, ce projet ambitieux sur lequel nous travaillons avec notre client depuis plusieurs mois nécessitera de monter réellement une cuisine et un dressing à flanc de montagne », lui permettant ainsi de se prononcer en toute connaissance de cause.

Par courrier du 7 mars 2018, l’ARPP a indiqué qu’il convenait de veiller à ce que l’alpiniste soit muni des équipements de sécurité adéquats afin de respecter la Recommandation « Sécurité » et à ce que le petit déjeuner représenté soit équilibré, en application de la Recommandation « Comportements alimentaires » mais n’a présenté aucune mise en garde relative au montage d’une cuisine et d’un dressing sur la montagne. Et à la demande de la société annonceur, l’ARPP a indiqué, le 19 avril 2018, que le contenu du petit déjeuner prévu était bien équilibré. Peu de temps avant le début du tournage de la campagne publicitaire, la société annonceur a requis une dernière validation du projet définitif, dont l’ARPP lui a indiqué, le 23 mai 2018, qu’il était conforme aux dispositions déontologiques et juridiques en vigueur. Enfin, à la suite du tournage et du montage vidéo, le film publicitaire télévisuel a été soumis à la validation de l’ARPP (dans une version 15 secondes et une version 20 secondes). Les deux versions ont reçu un avis de diffusion favorable, sans réserve.

Enfin l’annonceur indique que si l’association Mountain Wilderness estime que les recommandations de l’ARPP en matière de développement durable ne sont pas suffisantes, il lui appartient de formuler ses reproches et le cas échéant ses propositions directement auprès de l’ARPP. Mais la publicité de la société annonceur – qui respecte la Recommandation en l’état – ne peut lui servir de prétexte pour faite passer son message.

Enfin, pour répondre au souci de vision durable de la cuisine et du dressing utilisés au sein de la publicité, ces équipements ont été, à la fin du tournage, donnés à la mairie du lieu de tournage pour être réinstallés dans un foyer de jeunes de la ville.

Il découle de l’ensemble de ce qui précède que la campagne publicitaire Vertical Home, ne méconnaît pas, selon l’annonceur, la Recommandation « Développement Durable » de l’ARPP.

– Le représentant de l’agence de communication, présent lors de l’audience, a expliqué que l’objectif de cette campagne publicitaire était de montrer la capacité de l’annonceur à réaliser du sur-mesure ultra-personnalisable, et a souligné que le tournage avait été effectué avec le concours de guides et de professionnels locaux, qui n’auraient jamais laissé abîmer leur montagne dont ils sont de fervents défenseurs. Il a également indiqué que ce projet avait emporté l’adhésion des équipes internes de la marque. Enfin, il a souligné que le seul écho négatif sur les réseaux sociaux était une interrogation sur le fait de savoir si la réalisation montrée dans cette publicité était réelle ou s’il s’agissait d’effets spéciaux en 3D.

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP prévoit dans son point 9 « Impacts éco-citoyens » que :

« La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant compte notamment de la sensibilité du corps social à un moment donné et du contexte de diffusion de la publicité.

9.1. La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, et a fortiori valoriser, des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple :

a/ La publicité doit bannir toute évocation ou représentation de comportement contraire à la protection de l’environnement et à la préservation des ressources naturelles (gaspillage ou dégradation des ressources naturelles, endommagement de la biodiversité, pollution de l’air, de l’eau ou des sols, changement climatique etc.), sauf dans le cas où il s’agit de le dénoncer.

b/ La publicité ne saurait inciter, directement ou indirectement, à des modes de consommation excessive (…). Elle ne saurait suggérer ou cautionner des agissements manifestement inconséquents ou irresponsables. »

Le Jury relève que sont en cause les huit vidéos diffusées sur le site internet de la société annonceur, intitulées « Vertical Home », qui montrent, sous forme de film documentaire, les étapes et coulisses du tournage d’une opération publicitaire consistant à installer deux,produits de la marque, une cuisine équipée et un dressing, sur la paroi d’une falaise. Un alpiniste y cuisine ensuite des œufs et cherche un pull dans le dressing.

Le Jury considère que ces vidéos, qui se rapportent directement à la publicité diffusée en télévision et ont pour objet de promouvoir directement la marque en cause en vantant son savoir-faire, font partie de la campagne publicitaire et ont donc, elles-mêmes, un caractère publicitaire, lequel n’est au demeurant pas contesté par l’annonceur.

Le Jury comprend que l’idée d’accrocher une cuisine et un dressing, en état de fonctionnement, à une paroi de montagne, a été choisie aux fins de montrer le savoir-faire de l’annonceur et sa capacité à s’adapter à toute demande de ses clients.

Si la réalisation de cette idée a nécessité la mobilisation de moyens importants dont un hélicoptère, d’une part, aucune règle déontologique de l’ARPP n’interdit à un annonceur de mobiliser de tels moyens pour le tournage d’une campagne, d’autre part, l’annonceur indique que la société de production a cherché à limiter l’impact écologique du tournage, notamment en privilégiant autant que possible l’utilisation de drones, en utilisant des matériaux recyclables et en limitant l’utilisation des voitures. Le Jury relève également que l’annonceur a indiqué avoir pris toutes les précautions nécessaires, y compris lors du démontage des installations, pour éviter d’abîmer la falaise du Parmelan, et avoir fait don desdites installations à un foyer de jeunes de la commune.

Dans ces conditions, le Jury estime que la campagne publicitaire en cause n’évoque pas un comportement contraire à la protection de l’environnement et à la préservation des ressources naturelles.

Par ailleurs, le montage d’une cuisine et d’un dressing sur une falaise, en raison de la technicité et des précautions que cela requiert, et du caractère absurde du projet qui n’aurait aucune justification dans la vie courante, ne peut être regardé comme pouvant inciter à un mode de consommation excessive ou à un comportement manifestement inconséquent ou irresponsable.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la campagne publicitaire en cause ne méconnaît pas les points précités de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Avis adopté le 8 mars 2019 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Lenain, MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.