Avis JDP n°484/17 – SITE DE RENCONTRES – Plaintes fondées

Avis publié le 21 novembre 2017
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre le 24 et le 26 octobre 2017, de quatre plaintes émanant de particuliers et d’une plainte émanant de la Fédération des Associations Générales Etudiantes (FAGE), afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité en faveur d’un site internet de rencontres entre particuliers, diffusée par voie d’affichage sur un support mobile se déplaçant sur la voie publique, à proximité des universités parisiennes.

Le visuel publicitaire montre un couple allongé, accompagné du texte « Hey les étudiant(e)s! Romantique, passion et pas de prêt étudiant. Sortez avec un sugar daddy ou sugar mama ».

2. La procédure

– L’article 17 du règlement intérieur du Jury prévoit que : « Dans le cas d’un manquement manifestement grave et sérieux, qu’il convient de faire cesser rapidement, le Président de l’ARPP ou, par délégation, son Directeur Général, peut, conformément à la procédure d’urgence prévue par le règlement intérieur de l’ARPP, prendre sur le champ les mesures qui s’imposent, notamment en adressant une demande de cessation de diffusion aux professionnels concernés (annonceurs, agence, médias). Il en informe le Président du Jury. En cas de plainte, le cas est présenté pour délibération au Jury lors de la séance qui suit cette intervention. Sa décision fait l’objet d’une publication aux conditions prévues à l’article 21. ».

Le 26 octobre 2017, le Directeur général de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) a, par lettre, demandé à la société annonceur, la cessation de la diffusion de cette publicité, puis en a informé la Présidente du Jury, dans les conditions prévues par l’article 17 de son règlement intérieur.

L’ARPP a tout d’abord précisé que cette campagne suscitait de nombreuses et violentes réactions de particuliers et de représentants d’étudiants, qui se déclarent choqués par cette publicité qui encourage, selon eux, la « prostitution » des étudiants en situation de précarité, réactions très largement relayées par les médias et les réseaux sociaux.

L’ARPP a ensuite exposé dans sa lettre que cette publicité, qui incite des jeunes gens étudiants à avoir des relations intimes afin d’améliorer leur situation financière, suggère une idée de soumission sexuelle, banalise des situations de soumission et de dépendance et est en ce sens de nature à choquer le public.

Du point de vue de l’application des règles déontologiques en vigueur, cette campagne contrevient gravement aux règles contenues dans la Recommandation de l’ARPP Image et respect de la personne, qui reprend dans son préambule, les principes élémentaires de respect et protection de la personne, énoncés par le code de la Chambre de commerce internationale (ICC) sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, en particulier les points relatifs au respect de la décence, de la dignité et ceux prohibant la soumission, violence ou dépendance.

A titre d’information, l’Autorité indique que le Jury d’Ethique Publicitaire belge – membre, comme l’ARPP, de l’Alliance européenne pour l’éthique en publicité (EASA) – également saisi de plusieurs plaintes de particuliers, a rendu une décision portant sur une affiche similaire de cet annonceur. Dans sa décision, l’organisme belge a relevé plusieurs manquements aux dispositions du code ICC, ainsi qu’aux règles applicables en Belgique, relatives à la représentation de la personne et à la responsabilité sociale. Le Jury a également demandé à l’annonceur de ne plus diffuser cette publicité.

De surcroît, l’Union de la Publicité Extérieure, membre administrateur de l’ARPP, a précisé à l’annonceur qu’un tel dispositif publicitaire est illégal et à plusieurs titres. L’article R. 58-48 du code de l’environnement, qui traite des véhicules publicitaires terrestres, prohibe en effet tant le stationnement du véhicule publicitaire, ce qui est le cas en l’espèce, que l’utilisation d’une surface publicitaire excédant 12m² (cumul des deux faces publicitaires), ce qui semble être aussi le cas. De plus, l’article P.5-1 du règlement local de publicité de Paris, institué le 7 juillet 2011, « interdit la publicité apposée sur les véhicules terrestres équipés ou utilisés à des fins essentiellement publicitaires » dans toute la commune.

L’ARPP constate donc que cette campagne publicitaire méconnaît les règles juridiques et déontologiques applicables à la publicité et lui paraît, à ce titre, susceptible de nuire gravement aux efforts de l’autorégulation professionnelle pour ce qui est de la diffusion d’une publicité responsable, attentive à l’image de la personne en publicité, qui plus est dans un contexte où les situations de dépendances sexuelles sont fortement dénoncées par l’opinion publique.

– L’annonceur a été informé, par courrier recommandé avec avis de réception du 26 octobre 2017, des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

La lettre qui lui a été adressée est revenue au motif qu’il ne résidait plus à l’adresse indiquée, il a toutefois aussi été averti des plaintes par courrier électronique comportant copie de celles-ci.

Il n’a pas présenté d’observations.

3. Les arguments échangés

– Les plaignants particuliers considèrent que cette publicité constitue une incitation à la prostitution étudiante et présente une image dégradante fondée sur des rapports de domination et de dépendance.

L’un des plaignants ajoute que la prostitution induit de graves problèmes d’estime de soi, une dépendance notamment financière et morale vis-à-vis du client, pouvant mener à la dépression. Cette image véhicule le cliché sexiste et moyennageux qu’une femme doit être entretenue par un homme et ne peut être indépendante, autonome, compétente dans sa vie active et pourvoir seule à ses besoins par un travail respectable. Ce site place encore les femmes dans des positions d’objets sexuels à disposition des hommes.

– La Fédération des Associations Générales Etudiantes énonce que cette publicité propose à l’évidence aux jeunes étudiants de se prostituer pour obtenir des aides financières (ou un remboursement de leur prêt étudiant) en exigeant sans équivoque de se lier avec des personnes plus âgées dans des conditions que propose la photographie montrant un couple dans une position lascive.

Elle ajoute que cette publicité lui paraît contraire aux dispositions des articles 2 et 4 du code ICC ainsi qu’aux dispositions de la recommandation de l’ARPP sur les services électroniques à caractère érotique.

La Fédération indique avoir déposé une plainte auprès du Procureur de la République.

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 1/1 La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.

1/3 D’une façon générale, toute représentation dégradante ou humiliante de la personne humaine, explicite ou implicite, est exclue, notamment au travers de qualificatifs, d’attitudes, de postures, de gestes, de sons, etc., attentatoires à la dignité humaine. ».

Le point 2/1 de la même Recommandation prévoit que : « La publicité ne doit pas réduire la personne humaine, et en particulier la femme, à la fonction d’objet. »

Les points 4/1, 4/2 et 4/3 de cette Recommandation disposent que :

« La publicité doit éviter d’induire une idée de soumission ou de dépendance dévalorisant la personne humaine et en particulier les femmes »

« Toute présentation complaisante d’une situation de domination ou d’exploitation d’une personne par une autre est exclue »

« La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique. »

Par ailleurs, le Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale dispose, à son article 1er, que « Toute communication commerciale doit se conformer aux lois, être décente, loyale et véridique. / Toute communication commerciale

doit être conçue avec un juste sens de la responsabilité sociale et professionnelle » et à son article 4, que « La communication commerciale doit respecter la dignité humaine (…) ».

Le Jury rappelle que sa mission consiste exclusivement à examiner la conformité des publicités aux règles déontologiques dont la profession s’est dotée. En vertu de l’article 3 de son règlement intérieur, qui définit son champ de compétences : « Ses décisions concernent uniquement le contenu des messages publicitaires diffusés et ne portent, en aucun cas, sur les produits ou services concernés ». Il en résulte qu’il n’appartient pas au Jury de se prononcer, fût-ce de manière indirecte, sur la licéité, la validité et la conformité aux dispositions législatives ou réglementaires en vigueur des produits qui font l’objet des publicités contestées devant lui, cette prérogative appartenant aux seules juridictions.

Le Jury relève que la publicité en cause montre un couple allongé de façon suggestive, accompagné des mentions « Hey les étudiant(e)s! Romantique, passion et pas de prêt étudiant. Sortez avec un sugar daddy ou sugar mama », afin de promouvoir le site.

L’association du visuel et du slogan évoque sans ambigüité la prostitution, en proposant explicitement aux étudiants et étudiantes de s’inscrire sur le site pour bénéficier de contreparties financières de « sugar daddies » ou de « sugar mamas » en l’échange de relations sexuelles.

Si la prostitution n’est pas elle-même réprimée, et si les règles déontologiques applicables à la publicité n’ont pas pour objet d’interdire toute référence à la prostitution, le Jury observe néanmoins que cette activité fait l’objet d’un encadrement étroit, que les articles 225-5 et suivants du code pénal répriment le délit de proxénétisme et que la Convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui du 2 décembre 1949 ratifiée par la France qualifie par ailleurs cette activité d’ « incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine ».

La représentation de cette activité appelle donc une vigilance particulière de la part des professionnels de la publicité. En l’espèce, la publicité en cause, en jouant sur la notion de fragilité financière des étudiants et étudiantes qu’elle cible, auxquels elle propose de remédier à cette situation en ayant recours à des relations sexuelles payantes avec des personnes plus âgées et plus aisées, présente de façon complaisante une situation de dépendance d’étudiants ou étudiantes en précarité financière. Ce faisant, elle porte atteinte à leur dignité, de façon d’autant plus renforcée qu’elle les réduit, qui plus est, à la fonction d’objets sexuels.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que la publicité en cause n’est pas conforme aux dispositions précitées de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP et du code ICC.

Avis adopté le vendredi 10 novembre 2017 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio, MM. Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.