Avis JDP n°558/19 – BOUTIQUE EROTIQUE – Plainte fondée

Avis publié le 11 février 2019
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et après en avoir débattu dans les conditions prévues par l’article 12 du règlement intérieur,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 19 décembre 2018, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une campagne publicitaire diffusée sur Internet, en faveur de la société annonceur, pour promouvoir son produit, de la bière.

Le visuel publicitaire initialement mis en cause par la plainte présente une femme nue, cadrée au niveau du bassin, debout, les jambes légèrement écartées, la culotte baissée sur les cuisses. Elle maintient avec un doigt la bouteille de bière devant son pubis intégralement épilé.

Le texte accompagnant cette image est : « X – Le 22 décembre 2018 – dégustation et vente privée de la 1ère bière vaginale au monde ».

Quatre autres visuels ont fait l’objet d’un complément à la plainte. Ils montrent :

– les jambes d’une femme portant une culotte très échancrée et des chaussures à talons aiguille, une bouteille de bière posée au sol, entre les pieds, accompagné du texte en anglais : « The first vaginal beer in the world » ;

– les jambes d’une femme allongée, portant des chaussures à talons aiguille, une bouteille de bière posée au sol, à ses côtés, accompagné du nom du produit ;

– une femme penchée en avant, baissant son collant sur ses mollets, chaussée de talons aiguille, une bouteille de bière posée au sol, entre les pieds, accompagné du texte en anglais : « The first vaginal beer » ;

– un verre et une bouteille de bière, sur laquelle est posée une culotte en dentelle rouge, accompagnés du texte en anglais : « X. The first beer with vaginal lactic acid in the world » ainsi que le logo et le nom du produit ;

2. Les arguments échangés

– Le plaignant considère que cette publicité est choquante. Elle participe à la culture du viol et constitue une présentation de stéréotypes sexuels, une atteinte à la dignité humaine et un mépris du corps de la femme.

Il estime que le nom « bière vaginale » porte atteinte à la dignité féminine. L’adjectif « vaginal » évoque à la fois l’origine de la bière ainsi que la destination de la bière, le goulot de la bouteille devenant l’objet pénétrant.

En étant ainsi associé à la bière (produit de consommation), le vagin est dévalorisé et devient lui aussi produit de consommation. L’anatomie féminine n’est plus associée à la maternité et l’intimité. Sa fonction est celle de produire une boisson pour les autres ou d’accompagner les plaisirs de la fête. Cette publicité entretient l’association mentale de l’alcool avec le sexe.

En outre, la femme est objectivée, sans visage, réduite à son entrejambe et sa main aux ongles vernis.

Enfin, cette publicité véhicule une norme d’épilation intégrale comme les actrices porno et/ou valorise l’absence de pilosité. Le sexe féminin est exposé aux yeux de tous, laissant entendre qu’il est aussi accessible à tous. La femme, culotte baissée, épilée, debout, est présentée comme active et décisionnaire. Elle détient la bière et en maintient la capsule d’un seul doigt. Autrement dit, c’est elle qui la présente, peut l’ouvrir, peut la boire, la donner ou l’utiliser. Ceci laisse entendre qu’elle prend part, qu’elle consent à l’ouverture de cette bière et ses conséquences.

En accumulant les indices (texte et image), cette femme est donc d’accord pour « battre tous les records » : produire « la première bière vaginale au monde », s’associer à ceux/celles qui vont la déguster (la femme ou la bière ?) lors d’une vente privée et vivre les effets de cette boisson (ivresse, plaisir, dégoût).

– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 19 décembre 2018, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a été également informée que cette affaire ferait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure simplifiée prévue à l’article 12 du règlement intérieur du Jury.

La société annonceur fait valoir que le produit proposé depuis un mois, la « Vaginal beer », d’une marque polonaise, est un produit insolite et original qu’elle a choisi de proposer car il dispose d’un lien atypique avec son domaine d’activité, l’érotisme et le bien-être. C’est le premier produit alcoolisé ajouté à son catalogue.

Elle considère que le produit ne véhicule aucun sexisme. La marque élabore une version masculine du produit qui sortira fin 2019. ll n’y a donc aucune discrimination. En outre, l’équipe de la société est mixte et, en tant que femme, sa responsable n’a pas été choquée par le produit ou les visuels. C’est avant tout le procédé de fabrication qui l’a étonné et amusée.

La société annonceur a réutilisé les visuels du producteur de la bière. Les modèles ayant servi à la réalisation des clichés sont des femmes polonaises, faisant partie de l’aventure de la marque polonaise, sous contrat, dont la profession est le mannequinat. Elles sont majeures, et en aucun cas la société annonceur ou la marque ne font la promotion de la culture du viol, de pédopornographie ou l’apologie de la pornographie et de ses stéréotypes. Les femmes ne sont pas objectivées car elles sont clairement identifiées comme représentantes des produits. Dans le blog, leurs noms complets sont mentionnés. Enfin, Monika et Paulina ne sont pas des personnes œuvrant dans le domaine du sexe.

Si l’appellation du produit fait débat, bière vaginale ou vaginal beer, ce nom est le fait de la marque créatrice. Les visuels suggestifs ont été créés pour mettre en évidence le lien entre l’intimité et la fabrication de la boisson.

Une communication a été réalisée auprès des médias qui ont parfois déformé la présentation du produit et occulté certaines informations.

Contrairement à ce qui est dit dans la plainte, la société s’attache à corriger ou dialoguer dès qu’elle détecte une incompréhension du produit. La bière n’est pas « à déverser dans le vagin » et la bouteille ne se substitue pas au pénis. La bière n’a pas pour vocation de dénigrer le vagin d’une quelconque manière mais de mettre en avant un procédé de fabrication original et sécurisé.

La photo avec les courbes nues et la bouteille devant ne valorise pas « une norme prépubère d’absence de pilosité » mais simplement une femme, majeure polonaise libre qui a choisi de poser et choisi d’être épilée.

La bière ne fait pas référence à des situations de beuverie et d’orgie mais à la convivialité. La société indique qu’autant de femmes que d’hommes achètent ses produits. La promotion de ce produit alcoolisé est bien réservée aux adultes, comme ses produits érotiques, sex-toys, accessoires ou cosmétiques et la communication dans les bars, en soirée, est réservée également à une clientèle adulte. Il faut être majeur pour commander un produit, et stipuler être majeur pour accéder à la fiche produit du pack découverte de bières.

La société ajoute n’avoir en aucune manière cherché à faire de la femme un objet sexuel. C’est le ton décalé de la marque, pour se faire plaisir sans tabou en toute légèreté.

La société indique en outre ne pas être responsable de la manière dont peuvent communiquer d’autres médias ou d’autres revendeurs de la bière. Cependant, elle se porte garante de la manière dont cela est fait en son sein avec une volonté constante de s’améliorer.

L’entreprise est dirigée par une femme qui se bat chaque jour pour les droits de la femme. La société fait partie de différentes associations, donne bénévolement des cours d’entreprenariat dans les Ateliers Girls for tech, est membre de l’association Sextech. Sa responsable est sociologue de formation.

C’est une jeune entreprise dynamique, pleine de bonnes intentions et surtout ouverte au dialogue. L’annonceur précise que les visuels joints dans les plaintes ont été supprimés des réseaux afin que personne ne soit froissé.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), dispose que :

« 1.1. La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.

2.1. La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet ».

Le Jury relève que les publicités en cause comportent cinq visuels montrant :

1/ une femme nue, cadrée au niveau du bassin, debout, les jambes légèrement écartées, la culotte baissée sur les cuisses. Elle maintient avec un doigt la bouteille de bière devant son pubis intégralement épilé. Le texte accompagnant cette image est : « X – Le 22 décembre 2018 – dégustation et vente privée de la 1ère bière vaginale au monde » ;

2/ les jambes d’une femme portant une culotte très échancrée et des chaussures à talons aiguille, une bouteille de bière posée au sol, entre les pieds, avec le texte suivant, en anglais : « The first vaginal beer in the world » ;

3/ les jambes d’une femme allongée, portant des chaussures à talons aiguille, une bouteille de bière posée au sol, à ses côtés, avec le nom du produit ;

4/ une femme penchée en avant, baissant son collant sur ses mollets, chaussée de talons aiguille, une bouteille de bière posée au sol, entre les pieds, avec le texte en anglais : « The first vaginal beer » ;

5/ un verre et une bouteille de bière, sur laquelle est posée une culotte en dentelle rouge, accompagnés du texte en anglais « X. The first beer with vaginal lactic acid in the world » ainsi que du logo et du nom du produit.

Le Jury relève qu’à l’exception du dernier visuel, les quatre premières publicités en cause représentent des corps féminins nus, sexualisés, intégralement épilés et sans visage, dans un contexte déshumanisé. Les bouteilles de bière, dont la forme phallique est mise en relief par scénographie, accentuent la présentation de la femme uniquement comme un objet de pénétration.

Cette instrumentalisation de l’image de la femme la réduit ainsi à la fonction d’objet et porte atteinte à sa dignité.

Par ailleurs, le Jury estime que la présentation du produit assortie de slogans promouvant une « bière vaginale » est de nature à choquer le public et à propager une image de la personne humaine portant atteinte à la dignité et à la décence.

En conséquence, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions précitées de la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP.

Avis adopté le 11 janvier 2019 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Lenain, MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier