Avis JDP n° 531/18 – BOISSONS RAFRAICHISSANTES – Plainte fondée

Avis publié le 11 octobre 2018
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société annonceur,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 26 mai 2018, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité diffusée sur Internet, en faveur d’une marque de soda à l’orange.

La vidéo publicitaire en cause met en scène une canette sur laquelle figure l’inscription « La boîte à Meuuuh ». Elle s’adresse à une bouteille de ketchup ouverte, un liquide rouge s’écoulant du flacon.

Le texte accompagnant cette image est : « Wow ! Comment tu t’es fait défoncer ! Il t’a même mis la fessée ! Si t’aimes bien être retournée, tu réalises un vœu et tout le monde est content ! Reconvertis-toi en canette X ».

2. La procédure

La société annonceur a, par courrier recommandé avec avis de réception du 8 juin 2018, été informée de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle a sollicité un report de cet examen, afin de permettre à ses représentants, n’ayant pu se déplacer le 1er juillet 2018, de présenter oralement des observations en réponse à la plainte. La séance a été reportée au 7 septembre 2018.

3. Les arguments échangés

– Le plaignant considère que cette vidéo valorise et même encourage les violences sexuelles contre les femmes.

– La société a présenté des observations en réponse, en indiquant que ce film publicitaire digital s’inscrivait dans le cadre d’une activation globale pour la marque de boisson.

L’annonceur a fait le choix de retirer le film « Boîte à Voeuuuh — bouteille de Ketchup » des supports digitaux dès réception de la plainte, en précisant que cela ne constitue pas une reconnaissance du bien-fondé des griefs.

Son intention n’était pas de heurter la sensibilité du public mais bien de s’inscrire dans un cadre humoristique.

Inscrit dans l’image historique de la marque depuis longtemps, le « secouement » est bien connu des consommateurs des produits qui doivent être secoués, « sinon la pulpe elle reste en bas ». Pour le rappeler, une opération en édition limitée a été lancée, qui détourne la fameuse boîte à Meuuuh, objet culte et transgénérationnel qui doit être retourné, en « Boîte À Voeuuuh ». L’idée a donc été de détourner d’autres objets cultes du quotidien (boîte à meuh, boule de neige, etc.) dont la bouteille de ketchup.

Le film critiqué s’attache donc à rappeler ce mouvement, tout en utilisant les codes humoristiques et décalés auxquels la cible sur le digital est habituée.

En outre, ce film met en scène une canette qui parle à une bouteille de ketchup. Même si, pour les besoins de la comédie la parole a été donnée à la canette, la personnification des objets s’arrête là. En effet, ces objets ne sont aucunement représentés sous des aspects humains : absence de visage, de bras, de jambes, aucun mouvement comparable à ceux d’un être humain. Aucun élément n’a de plus été utilisé afin d’attribuer un genre aux objets représentés. L’accord au féminin du verbe « retourner » est utilisé dans les sous-titres parce qu’on parle ici d’une bouteille de ketchup. Il pourrait tout aussi bien s’agir d’un personnage masculin.

La société, qui soutient que le film ne donne lieu à aucune scène de violence, insiste sur le caractère invraisemblable de ce scénario qui ne fait référence à aucune situation réelle et dont la vocation humoristique n’est pas contestable. L’objet du film et des autres films réalisés dans le cadre de la campagne est de confronter des bibelots du quotidien, qui eux aussi doivent être retournés pour être utilisés (boule à neige, boîte à meuh), avec la canette, afin de démontrer que la canette a bien plus d’intérêt. Les objets sont représentés de manière tout à fait habituelle et conventionnelle : le ketchup est rouge, la bouteille doit être retournée et tapée pour que le condiment soit accessible.

L’annonceur signale que le public semble avoir accueilli favorablement cette activation ainsi que les films publicitaires digitaux qui y sont liés.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP) dispose que :

«1.1. La publicité ne doit pas être susceptible de heurter la sensibilité, choquer ou même provoquer le public en propageant une image de la personne humaine portant atteinte à sa dignité et à la décence.

4.3 La publicité doit éviter toute scène de violence, directe ou suggérée, et ne pas inciter à la violence, que celle-ci soit morale ou physique.

La notion de violence recouvre au minimum l’ensemble des actes illégaux, illicites et répréhensibles visés par la législation en vigueur.

La violence directe se traduit par la représentation de l’acte de violence proprement dit ; la violence suggérée s’entend par une ambiance, un contexte voire par le résultat de l’acte de violence ; la violence morale comprend notamment les comportements de domination, le harcèlement (moral et sexuel).

4.4 La publicité ne doit, en aucun cas, par ses messages, ses déclarations ou sa présentation, banaliser la violence ».

Le Jury relève que la publicité en cause met en scène un dialogue entre une canette sur laquelle figure l’inscription « La boîte à Voeuuuh » et une bouteille de ketchup. Cette dernière, qui entre en scène en glissant sur une surface plane blanche, laisse derrière elle une traînée de liquide rouge. Elle s’arrête devant la cannette qui lui dit, en tournant autour d’elle : « Wow ! Comment tu t’es fait défoncer ! Il t’a même mis la fessée ! Si t’aimes bien être retournée, tu réalises un vœu et tout le monde est content ! Reconvertis-toi en canette Orangina ».

Le Jury relève tout d’abord que, si le scénario met en scène deux objets – une canette et une bouteille de ketchup – ces objets sont personnifiés puisqu’ils sont présentés comme des personnages qui dialoguent entre eux. Or ce dialogue, rappelé par un sous-titrage au bas des images, emprunte sans ambiguïté au champ lexical des violences sexuelles avec les expressions « tu t’es fait défoncer », « mettre la fessée » et « t’aimes bien être retournée ». Les images, qui donnent à voir une traînée de liquide rouge pourraient être interprétées, dans ce contexte, comme renvoyant à la représentation d’un écoulement de sang et venant renforcer l’idée que le personnage de la bouteille de ketchup, « défoncé », « fessé » et « retourné » a subi une agression.

La mise à distance que permet le scénario, qui se situe dans le registre de l’absurde, n’enlève rien à la violence suggérée par ce film qui, en banalisant les comportements de domination voire de violences sexuelles, est de nature à porter atteinte à la dignité des personnes et à choquer le public.

En conséquence, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions précitées de la Recommandation de l’ARPP.

Avis adopté le 7 septembre 2018 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mme Drecq, MM. Acker, Benhaïm, Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.