Avis JDP n° 579/19 – CINEMA – Plainte fondée

Avis publié le 8 juillet 2019
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société annonceur,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 31 mars 2019, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’un film publicitaire diffusé au cinéma, en faveur de la société annonceur, pour promouvoir un événement autour du cinéma.

La publicité en cause se présente comme un film de fiction, d’une minute et quatre secondes, mettant en scène une famille dans une forêt. Sur un gros-plan montrant deux escargots sur une branche, un bandeau indique « X présentent ». Dans un décor naturel de forêt, apparaissent deux enfants et leur père et mère en promenade. Une voix d’enfant interroge « Papa, c’est quoi le printemps ? », le père répond « Ben, le printemps, c’est la nature, c’est les sourires qui reviennent, c’est… ». La voix off des parents diffuse une conversation banale et enjouée sur le fait qu’il faisait beau, qu’ils ont « chargé la voiture », « laissé la vie dernière [eux] », « direction la forêt ». En voix directe, le père propose « Et si on faisait un cache-cache ? », le fils répond « oh ouais, trop cool, c’est moi qui compte ! », sa jeune sœur court se cacher d’un côté, les parents de l’autre, tandis que se poursuit la voix off. Un plan montre la jeune fille chutant derrière un buisson et, lorsque le garçon finit de compter « Cinquante ! », elle crie « Maman ! » alors qu’une vue plongeante la montre allongée sur le dos, agitant les bras et les jambes. La caméra présente ensuite le point de vue des parents, cachés derrière des branches, tandis que le jeune garçon avance en appelant « Papa, maman, vous êtes où ? ». La mère propose « On y va !», le père répond « non, non, non, attends deux secondes ». La scène suivante indique que la nuit est tombée et qu’un orage éclate, matérialisé par des éclairs et le bruit du tonnerre. La mère dit « Non, ça suffit ! Les enfants ? », elle appelle « Anouck ! », le père « Roméo !». De brèves images de courses, de branches cassées, de chutes se succèdent, associées à des éclairs ainsi qu’à des bruits de tonnerre et de respiration haletante. La mère, une lampe à la main, le visage affolé et couvert de boue, hurle « ça fait une heure que je les cherche partout ! », le père réplique « Arrête de suréagir comme ça ! », puis « Je voulais te faire plaisir, voilà où ça m’amène d’être gentil, tu vois ! ». Une voix off intervient sur un ton badin « Ramzy, sinon y a le X, du 17 au 19 mars, 4 euros la séance », au moment où apparaît à l’écran la mention « X – DU DIMANCHE 17 AU MARDI 19 MARS 2019 4 € la séance », assortie des adresses, puis des remerciements à l’équipe du film, et aux acteurs, dont Ramzy Bédia. La caméra reste en plan fixe sur la forêt, tandis que les parents continuent à se disputer hors champ, le père insistant « Mais ma chérie c’est le printemps », la mère pestant « C’est le printemps ! C’est le printemps ! ».

2. Les arguments échangés

– Le plaignant estime que cette publicité est horrible, angoissante et reproche sa diffusion avant la projection d’un film destiné à un jeune public.

Il ajoute que la publicité n’a aucun sens par rapport au message de l’évènement en question.

– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 14 mai 2019, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle explique qu’elle organise chaque année deux opérations de promotion du cinéma en salles. Elle fait connaître ces opérations auprès du public à l’aide d’affiches et de films annonces diffusés dans les salles de cinéma.

Depuis 2017, l’annonceur a souhaité confier la réalisation des films « annonce » à des réalisateurs sous forme d’une « carte blanche » destinée à leur laisser une véritable liberté d’expression créative pour faire connaitre ces opérations de promotion. Depuis 2017, Eric Lartigau, Félix Moati, Jean Paul Salomé, Cédric Klapisch ont participé à cette opération.

Le film annonce de l’évènement en cause a été confié à un comédien et réalisateur, connu du grand public. Le réalisateur a souhaité faire un film annonce sur le ton de l’humour décalé, destiné principalement aux adolescents et aux jeunes adultes, qui reprend certains codes du cinéma de genre.

L’annonceur estime que le ton des voix des comédiens, l’expression de leur visage et le décalage entre l’apparence dramatique de la situation (la nuit, les cris, le tonnerre) et le caractère anodin de la situation réelle (une famille s’est perdue en forêt mais se retrouve) produit le caractère comique de la situation.

Il reconnaît, cependant, que cette comédie pouvait ne pas être comprise par de très jeunes enfants et qu’il a donc recommandé à l’ensemble des cinémas, lors du lancement de la campagne, de visionner le film pour estimer si celui-ci était adapté à tous les publics en fonction de leur programmation.

L’annonceur souligne que le critère de l’adaptation aux plus jeunes publics est un sujet dont il est parfaitement conscient, tant au sein de la Commission de classification des films où il est représenté, qu’à l’occasion de discussions ponctuelles sur ce sujet, comme en 2013 avec le Défenseur des droits, au sujet des bandes annonces intégrées dans le programme publicitaire par les régies.

Les cinémas adaptent toujours la programmation de leur première partie de séance au public de celle-ci, cependant, il peut arriver qu’une erreur se glisse dans la programmation des bandes annonces et films publicitaires de la séance. C’est ce qui s’est manifestement produit lors de la séance à laquelle ce spectateur s’est rendu, ce que l’annonceur regrette.

Il s’engage à prêter, encore plus à l’avenir, une attention particulière à l’adéquation de ses films-annonces à l’ensemble du public des cinémas afin d’éviter que ceux-ci puissent être mal compris par certaines catégories de publics et sensibilisera une nouvelle fois ses adhérents à accroitre leur vigilance sur ces questions.

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que le Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale dispose, à son article 2, que « La communication commerciale, sauf raison justifiable, doit proscrire toute exploitation des sentiments de peur, de malchance ou de souffrance ».

Le Jury relève que publicité en cause se présente comme un film de fiction d’une minute et quatre secondes, mettant en scène une famille dans une forêt. Sur un gros-plan montrant deux escargots sur une branche, un bandeau indique « X présentent ». Dans un décor naturel de forêt, apparaissent deux enfants et leur père et mère en promenade. Une voix d’enfant interroge « Papa, c’est quoi le printemps ? », le père répond « Ben, le printemps, c’est la nature, c’est les sourires qui reviennent, c’est… ». La voix off des parents diffuse une conversation banale et enjouée sur le fait qu’il faisait beau, qu’ils ont « chargé la voiture », « laissé la vie dernière [eux] », « direction la forêt ». En voix directe, le père propose « Et si on faisait un cache-cache ? », le fils répond « oh ouais, trop cool, c’est moi qui compte ! », sa jeune sœur court se cacher d’un côté, les parents de l’autre, tandis que se poursuit la voix off. Un plan montre la jeune fille chutant derrière un buisson et, lorsque le garçon finit de compter « Cinquante ! », elle crie « Maman ! » alors qu’une vue plongeante la montre allongée sur le dos, agitant les bras et les jambes. La caméra présente ensuite le point de vue des parents, cachés derrière des branches, tandis que le jeune garçon avance en appelant « Papa, maman, vous êtes où ? ». La mère propose « On y va !», le père répond « non, non, non, attends deux secondes ». La scène suivante indique que la nuit est tombée et qu’un orage éclate, matérialisé par des éclairs et le bruit du tonnerre. La mère dit « Non, ça suffit ! Les enfants ? », elle appelle « Anouck ! », le père « Roméo !». De brèves images de courses, de branches cassées, de chutes se succèdent, associées à des éclairs ainsi qu’à des bruits de tonnerre et de respiration haletante. La mère, une lampe à la main, le visage affolé et couvert de boue, hurle « ça fait une heure que je les cherche partout ! », le père réplique « Arrête de suréagir comme ça ! », puis « Je voulais te faire plaisir, voilà où ça m’amène d’être gentil, tu vois ! ». Une voix off intervient sur un ton badin « Ramzy, sinon y a le X, du 17 au 19 mars, 4 euros la séance », au moment où apparaît à l’écran la mention « X DU DIMANCHE 17 AU MARDI 19 MARS 2019 4 € la séance », assortie des adresses, puis des remerciements à l’équipe du film, et aux acteurs, dont Ramzy Bédia. La caméra reste en plan fixe sur la forêt, tandis que les parents continuent à se disputer hors champ, le père insistant « Mais ma chérie c’est le printemps », la mère pestant « C’est le printemps ! C’est le printemps ! ».

Le Jury relève tout d’abord que, si le film destiné à promouvoir l’opération a été réalisé, selon les vœux de l’auteur, comme un « film utilisant les codes du cinéma de genre », il n’en demeure pas moins que ce film était destiné à tous les publics. Tout en prenant acte des recommandations adressées par l’annonceur à l’ensemble des cinémas, lors du lancement de la campagne, leur prescrivant de vérifier si le film publicitaire était adapté à tous les publics en fonction de leur programmation, il rappelle qu’il ne porte pas d’appréciation sur la fréquence ou le mode de diffusion, mais sur le seul contenu de la publicité.

Le Jury précise ensuite qu’il tient compte, dans la mise en œuvre des règles déontologiques dont il lui appartient d’apprécier le respect, de la liberté d’expression et de création des auteurs et des licences dont ceux-ci peuvent se prévaloir, notamment au titre de l’humour ou de la parodie.

Le Jury constate enfin que, si l’intention du réalisateur était d’utiliser le suspense et les codes du film d’horreur pour montrer la puissance évocatrice du cinéma, tout en utilisant un ton humoristique et décalé, il s’avère que le scénario, les images et la bande-son du film publicitaire donnent à voir un univers inquiétant en associant la forêt, la nuit, l’orage et des enfants perdus dans l’indifférence apparente de leurs parents.

Il estime que le seul élément de décalage, introduit par une voix extérieure alors que les parents poursuivent leur dispute, est induit par la phrase « Ramzy, sinon y a le X, du 17 au 19 mars, 4 euros la séance », qui invite à une prise de distance et permet de comprendre que tout cela n’était que du cinéma.

Hormis cette phrase peu explicite, le scenario est construit sur une montée en puissance de l’angoisse des enfants, puis de la mère, dans un contexte réaliste où est exploitée la peur du spectateur, sans dénouement apaisant, dès lors que les parents ne retrouvent pas les enfants à la fin.

Dans ces conditions, le Jury considère qu’un tel film, diffusé à des fins publicitaires, est de nature à heurter certains publics en se fondant sur une exploitation des sentiments de peur, sans que puisse être retenue l’excuse de l’humour ou de la parodie.

En conséquence, le Jury estime que cette publicité, même si telle n’était pas l’intention de ses concepteurs, est de nature à contrevenir à l’article 2 du code ICC précité.

Avis adopté le 7 juin 2019 par Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Lenain, MM. Acker, Depincé, Lacan et Leers.