Avis JDP n° 564/19 – GRANDE DISTRIBUTION – Plainte fondée

Avis publié le 4 avril 2019
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société annonceur,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 16 janvier 2019, d’une plainte émanant d’un particulier, tendant à ce qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur de deux publicités diffusées en radio, en faveur de la société annonceur, propriétaire d’une enseigne de grande distribution, pour promouvoir des offres promotionnelles sur certains produits à l’occasion de l’anniversaire de l’enseigne.

Le premier spot met en scène un dialogue entre un homme et une femme, à propos de leur enfant, la femme se réjouissant que l’enfant utilise le pot, l’homme au contraire, estimant que « ça tombe très mal, ça ! », car il ne pourra pas profiter de l’offre promotionnelle proposée pour l’achat de couches de la marque du distributeur.

Le deuxième spot consiste en un dialogue entre une femme et un enfant, ce dernier indiquant que son frère risque de se tacher car il joue avec de la peinture. La mère lui répond que, au prix de la lessive proposée, « il peut, hein. Allez, va jouer dans la boue ! ».

2. Les arguments échangés

– Le plaignant estime que cette campagne est choquante car elle va à l’encontre d’une éducation aux bons comportements en matière de développement durable.

– La société annonceur a été informée, par courrier recommandé avec avis de réception du 8 février 2019, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle fait valoir, s’agissant de la première publicité radio, qu’il s’agissait d’un jeu proposé du 14 au 20 janvier 2019 dans le cadre des 50 ans de l’enseigne de grande distribution en 2019 : dès 25 euros d’achat, dont un produit du rayon bébé, le consommateur était invité à participer à un jeu lui permettant de gagner un an de couches, dans la limite de quatre paquets de couches par mois. Un total de 100 dotations a été proposé.

Pour promouvoir ce jeu, les propos suscités ont été volontairement exagérés, et sont dits sur le ton de l’humour comme cela est très fréquemment le cas en matière publicitaire.

La société ajoute que ce spot radio n’avait naturellement pas vocation à aller à l’encontre de l’éducation des enfants et plus particulièrement de l’apprentissage de la propreté dès leur plus jeune âge. Quant au cadeau offert au consommateur, consistant en un an de couches, il s’agit d’un cadeau d’une valeur d’environ 500 euros, particulièrement apprécié des parents dans la mesure où le budget consacré aux couches est important.

Toutefois, la finalité de ce cadeau ne consistait pas à inciter à la consommation de produits qui ne seraient pas compatibles avec les objectifs du développement durable. La dotation offerte consiste en des couches « 100% Made in France », le mot d’ordre de l’usine de production étant la qualité des produits offerts à la vente.

S’agissant de la seconde publicité radio, l’annonceur précise qu’elle relaie une offre promotionnelle sur un lot de lessive liquide au prix de 11,90 €, dont 70% en avantage carte c’est-à-dire en avantage cagnotté sur la carte de fidélité.

L’annonceur explique que, là encore, les termes employés sont exagérés et dits sur le ton de l’humour, et que la finalité du message n’est aucunement d’inciter à une consommation excessive d’un produit pouvant avoir un impact négatif sur l’environnement.

L’annonceur ajoute que cette offre promotionnelle a été proposée dans un contexte législatif particulier. En effet, le 1er janvier 2019, les dispositions de l’ordonnance du 12 décembre 2018, qui prévoient un encadrement des promotions en valeur pour les denrées alimentaires, sont entrées en vigueur. Depuis cette date, les avantages promotionnels, accordés au consommateur pour un produit alimentaire déterminé, ne doivent pas être supérieurs à 34% du prix de vente au consommateur ou à une augmentation de la quantité vendue équivalente. Les produits non alimentaires tels que la lessive n’entrent pas dans le champ du texte et peuvent donc faire l’objet de promotions supérieures. Cela explique par conséquent qu’un avantage carte de 70% ait été accordé sur le lot de lessive.

La finalité du spot vise donc simplement à faire bénéficier le consommateur d’une offre intéressante sans l’inciter toutefois à une surconsommation de lessive.

Lors de la séance, le représentant de la société souligne qu’il n’y avait pas d’intention de promouvoir la surconsommation, que le consommateur pouvait d’ailleurs profiter de cette promotion pour stocker (et non pour consommer davantage de quantité des produits faisant l’objet de la promotion), qu’enfin de nombreuses publicités montrent des enfants qui se salissent.

– La station de radio, qui a diffusé les messages en cause, indique que ces spots ont été diffusés sur l’antenne, à raison de 46 passages sur la période du 14 janvier 2019 au 17 janvier 2019.

Il s’agit de messages qui présentent en situation :

– pour le spot couche (22 diffusions), un couple qui s’extasie sur leur bébé qui va sur le pot et qui de fait, n’aura plus besoin de couches. Ce spot ne va pas à l’encontre de la Recommandation « Développement durable » puisqu’il met en avant un jeu-concours permettant de gagner des couches. Ce n’est donc pas une incitation à utiliser des couches. Au contraire, la phrase « Ah mince ! ça tombe très mal ça » démontre bien que les parents ne vont plus utiliser de couches et donc ne pourront pas participer au jeu-concours, bébé allant sur le pot désormais. Il n’y a en l’espèce aucune incitation au gaspillage ;

– pour le spot lessive (26 diffusions), un enfant qui attire l’attention de sa mère sur son plus jeune frère qui salit ses vêtements en faisant de la peinture. Ce spot ne véhicule pas, non plus, un message contraire au développement durable. S’il incite à utiliser de la lessive, la recommandation n’interdit pas l’utilisation de la lessive ; aucun des propos n’incite à sur-utiliser de la lessive mais rappellent simplement qu’un enfant peut et a droit de se tacher lorsqu’il pratique des activités d’éveil (peinture) ou autres. Aucun des principes érigés par la Recommandation de 1’ARPP n’ont été bafoués dans ce message.

Les scènes de la vie courante, illustrées avec humour dans ces spots, se doivent d’être prises avec la distance nécessaire ; ces spots participant à sensibiliser l’auditeur au développement durable, à la consommation responsable et à l’éducation.

Conscients de sa responsabilité d’éditeur, le support assure de sa vigilance lors la mise en œuvre des dispositifs de publicité afin qu’ils respectent les Recommandations de l’ARPP.

4. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP prévoit dans son point 9 « Impacts éco-citoyens » que :

« La publicité doit s’inscrire dans un contexte de responsabilité sociale en tenant compte notamment de la sensibilité du corps social à un moment donné et du contexte de diffusion de la publicité.

9.1. La publicité doit proscrire toute représentation susceptible de banaliser, et a fortiori valoriser, des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. A titre d’exemple :[…]

b/ La publicité ne saurait inciter, directement ou indirectement, à des modes de consommation excessive (…). Elle ne saurait suggérer ou cautionner des agissements manifestement inconséquents ou irresponsables. »

Le Jury relève que le premier spot met en scène un dialogue entre un homme et une femme, à propos de leur enfant, la femme se réjouissant que l’enfant utilise le pot, l’homme au contraire, estimant que « ça tombe très mal, ça ! », car il ne pourra pas profiter de l’offre promotionnelle proposée pour l’achat de couches de la marque du distributeur.

Le deuxième spot consiste en un dialogue entre une femme et un enfant, ce dernier indiquant que son frère risque de se tacher car il joue avec de la peinture. La mère lui répond que, au prix de la lessive proposée, « il peut, hein. Allez, va jouer dans la boue ! ».

Dans les deux cas, la publicité associe une promotion (prix réduits sur de la lessive ou jeu pour gagner des couches) à un encouragement à ce que l’enfant se salisse davantage et conduise ses parents à utiliser plus de produits : utilisation des couches au-delà de ce dont l’enfant aurait réellement besoin (les parents regrettent que l’enfant aille sur le pot) ou lessives supplémentaires du fait de l’invitation à aller jouer dans la boue. Si ces incitations sont formulées sur un mode humoristique et décalé, elles véhiculent néanmoins un message tendant à inciter à la surconsommation. La promotion est ainsi présentée comme invitant à plus d’achats, alors que ceux-ci pouvaient être évités si le consommateur avait agi selon le comportement qui était le sien avant la promotion.

Une telle présentation suggère, même sans l’avoir voulu, un mode de consommation excessive.

En conséquence de ce qui précède, le Jury est d’avis que les messages publicitaires en cause méconnaissent le point précité de la Recommandation « Développement durable » de l’ARPP.

Avis adopté le 8 mars 2019 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Lenain, MM. Depincé, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.