Avis JDP n°483/17- CUISINISTES – Plainte fondée

Avis publié le 5 décembre 2017
Plainte fondée

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • et, après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. La plainte

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, le 2 octobre 2017, d’une plainte émanant d’un particulier, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité, déposée en boîte aux lettres, en faveur d’un fabricant installateur de cuisines équipées.

Cette publicité présente, au recto, l’image du haut du corps d’une femme, cadré au niveau du bas de son nez jusqu’au haut de sa poitrine, ce qui laisse apparaître la bretelle d’un soutien gorge ou d’un débardeur. Elle porte, sur son bras droit, un tatouage représentant une cuisine équipée, entourée d’un motif floral.

Les textes accompagnant cette image sont « Venez faire une rencontre qui dure », « Du 3 au 21 octobre 2017 LE MOIS COUP DE COEUR », « X – A l’écoute de vos envies ».

Au verso de la publicité, sont présentés des éléments de rangement de cuisine, ainsi que les conditions de l’offre promotionnelle.

2. Les arguments échangés

– Le plaignant considère que cette publicité est sexiste et qu’il est choquant que la femme soit présentée comme un objet de désir, assimilée à une cuisine puisqu’elle porte en tatouage la marque indélébile du rôle qu’on lui assigne et de l’espace étroit dans lequel on la cantonne.

– L’annonceur a été informé, par courrier recommandé avec avis de réception du 13 octobre 2017, de la plainte dont copie lui a été transmise et des dispositions dont la violation est invoquée.

Le groupe, propriétaire de la marque, expose que sur l’affiche, la femme est représentée de profil, épaule découverte pour afficher son tatouage. Elle ne présente aucune position suggestive et l’épaule a été volontairement choisie car il s’agit d’une partie du corps « non provoquante », qui est communément tatouée aussi bien chez les femmes que chez les hommes. La femme est, selon l’annonceur, élégante et sobre et n’affiche aucune position lascive, provocante ou choquante qui la réduirait à la fonction d’objet de désir et détériorerait son image.

Il précise que l’objet de désir est ici clairement la cuisine, qui se situe au premier plan sous la forme d’un tatouage, la femme se trouvant quant à elle au second plan.

L’annonceur indique que son souhait n’était pas de mettre en avant la femme et de centrer la publicité sur elle mais bien de montrer un bras sur lequel on a tatoué une cuisine. Le tatouage représente la cuisine rencontrée lors du « Mois Coup de Cœur ».

Pour lui, cette publicité évoque une relation qui dure par le biais d’un « tatouage indélébile ». Généralement, les gens se tatouent les faits marquants de leur vie. L’idée ici est de se tatouer la cuisine qui est un projet important de la vie de chacun. Par cette publicité, on comprend que la marque fait partie de la vie des gens, qu’acheter une cuisine est un fait marquant dans la vie de chacun. Ainsi, l’objet de désir est clairement la cuisine : objet de désir qu’on souhaite même se graver dans la peau.

Ainsi, il apparait clairement dans cette publicité que la femme n’est pas présentée comme un objet de désir et qu’il n’est fait aucune référence à la sexualité. La publicité ne porte donc, selon lui, ni atteinte à la dignité, ni atteinte à la décence de la personne représentée : la femme n’a jamais été réduite à la fonction d’objet.

Il précise encore que cette campagne a également été déclinée sur des visuels représentant un homme, visuel qui a, notamment, été publié sur les réseaux sociaux depuis le 7 octobre 2017.

Le but de cette communication n’était pas de lier la femme à un rôle de « cuisinière » ou de « ménagère » ni même de la cantonner à la pièce de la cuisine mais bel et bien de démontrer que les hommes comme les femmes peuvent faire des « rencontres qui durent » lors du « Mois Coup de Cœur de X », au point se de faire tatouer sur l’épaule la cuisine rencontrée et tant aimée, celle qui les suivra pour de nombreuses années.

Pour l’annonceur, le slogan accompagnant le visuel à savoir « Venez faire une rencontre qui dure » accentue la notion de relation durable, indélébile marquée dans la peau (donc tatouée). On propose aux consommateurs de venir « rencontrer » leur future cuisine « coup de cœur », celle qui va marquer leur vie et par définition leur peau. Selon lui, cette campagne est donc axée sur la durabilité, la qualité, la solidité et la robustesse des produits de la marque, le slogan « Venez faire une rencontre qui dure » signifie que les produits sont durables et que plus que le choix d’un meuble, c’est le choix d’un mode de vie, d’une pièce qui est au cœur de la maison et qui accompagne chacun de nous durant de nombreuses années.

Il en conclut que dans cette publicité, il n’y a aucune notion d’infériorité de la personne en raison de son sexe et aucune volonté de réduire la femme à un rôle de « ménagère dans sa cuisine ».

3. L’analyse du Jury

Le Jury rappelle que la Recommandation « Image et respect de la personne » de l’ARPP dispose que :

« 2-1 La publicité ne doit pas réduire les personnes humaines, et en particulier les femmes, à la fonction d’objet.

2-2 La publicité ne doit pas cautionner l’idée de l’infériorité d’une personne en raison de son sexe, de son origine, de son appartenance à un groupe social, de son orientation ou identité sexuelle ou de tout autre critère de discrimination, notamment en réduisant son rôle et ses responsabilités dans la société.

2-3 La publicité ne peut valoriser, même indirectement, des sentiments ou des comportements d’exclusion, d’intolérance, de sexisme ».

Le Jury relève que la publicité en cause présente donc le bas du visage d’une jeune femme et le haut de son buste faisant apparaître sur son épaule dénudée un tatouage représentant une cuisine aménagée entourée d’un motif floral. Au-dessus de l’épaule est inscrit « Venez faire une rencontre qui dure » et à côté de la photo sont apposées les mentions « Le mois coup de cœur » et « X à l’écoute de vos envies ».

Cette présentation utilise donc le corps de la femme comme un support publicitaire et la réduit en cela à une fonction d’objet. Cette analyse serait identique si le modèle avait été un homme.

Par ailleurs et contrairement à ce que soutient l’annonceur, le champ lexical utilisé – « rencontre qui dure », « coup de cœur », « l’écoute de vos envies » – est celui du couple et du désir. L’association entre ce registre lexical et la présentation du décolleté d’une femme jeune renvoie au stéréotype de la femme objet de désir, sans qu’importe sur ce point que le sujet ne soit pas présenté dans une position lascive ou érotique.

Il résulte de ce qui précède que le Jury est d’avis que la publicité pour la marque en cause ne respecte pas le point 2.1 de la Recommandation Image de la personne, précité.

Les intentions dont fait part l’annonceur ne sont pas de nature à modifier l’analyse sur la non-conformité relevée, car si le Jury peut comprendre ce que celui-ci a souhaité exprimer dans son message et qui ressort des explications reprises ci-dessus, il n’en demeure pas moins que le résultat donne à voir au public une image stéréotypée à signification dégradante pour l’image des femmes, image que les professions de la publicité ont, par la Recommandation précitée, souhaité ne plus reproduire et véhiculer dans leurs messages.

Avis adopté le vendredi 10 novembre 2017 par Mme Michel-Amsellem, Présidente, Mme Lieber, Vice-Présidente, Mmes Drecq et Moggio, MM. Benhaïm, Depincé, Lacan et Leers.