Avis JDP n° 506/18 – AUTOMOBILES – Plaintes fondées

Avis publié le 16 avril 2018
Plaintes fondées

Le Jury de Déontologie Publicitaire,

  • Après examen des éléments constituant le dossier de plainte,
  • les personnes intéressées ayant été invitées à faire valoir leurs observations,
  • après avoir entendu les représentants de la société annonceur, de l’agence et de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, ainsi que l’un des plaignants,
  • et après en avoir débattu,

rend l’avis suivant :

1. Les plaintes

Le Jury de Déontologie Publicitaire a été saisi, entre les 23 et 25 janvier 2018, d’une vingtaine de plaintes émanant de particuliers, afin qu’il se prononce sur la conformité aux règles déontologiques en vigueur d’une publicité télévisée, en faveur d’un modèle de véhicule.

Le film publicitaire en cause met en scène un homme au volant du véhicule, souriant, qui conduit en écoutant de la musique. A l’approche d’un passage piéton en partie masqué par un camion en stationnement, le véhicule, dont le système d’aide au freinage a été actionné, s’arrête alors qu’un adolescent, skate-board sous le bras, s’apprête à traverser alors qu’il n’a pas repéré la voiture.

Le texte utilisé en voix hors champ pendant les images de conduite, énonce : « Si nous avons équipé la X du système de freinage automatique d’urgence, c’est pour Antoine. Ce système permet un arrêt d’urgence automatique, parce qu’on sait qu’Antoine est un peu distrait. ». La voix poursuit, en désignant le piéton « Ah, au fait, Antoine, c’est lui ! ». Le film se termine sur le texte « X avec 36 combinaisons de personnalisations et 11 technologies d’aide à la conduite » et des informations relatives à une offre promotionnelles proposée par l’annonceur.

2. Les arguments échangés

– Les plaignants particuliers considèrent que ce film n’est pas conforme à la Recommandation « Automobile » de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) ni à l’article R. 415-11 du code de la route qui dispose que : «Tout conducteur est tenu de céder le passage, au besoin en s’arrêtant, au piéton s’engageant régulièrement dans la traversée d’une chaussée ou manifestant clairement l’intention de le faire ou circulant dans une aire piétonne ou une zone de rencontre.»

Ils estiment que le comportement de l’automobiliste est dangereux car il ne prête aucune attention au piéton qui traverse sur un passage clouté et est donc prioritaire, et qu’il s’agit d’une mise en danger d’autrui volontaire. Ils en déduisent que l’automobiliste est montré comme pouvant se dédouaner de toutes ses responsabilités grâce à la technologie de son véhicule alors que le piéton est désigné comme imprévisible et pouvant causer un accident à n’importe quel moment.

Certaines plaintes s’étonnent de ce que le piéton, à la fin de la séquence, s’excuse auprès du conducteur alors que c’est ce dernier qui est en tort.

L’un des plaignants ajoute que les publicités pour les voitures ne doivent pas laisser penser ni que la technologie permet de se dédouaner de toute responsabilité, ni que la voiture est systématiquement prioritaire dans l’espace public.

Le plaignant présent à l’audience reprend ces arguments et souligne aussi que la publicité inverse les responsabilités de l’automobiliste – qui doit toujours céder le passage au piéton s’engageant sur la chaussée – et du piéton, qui est l’usager le plus fragile de la route. Il ajoute que le piéton ne peut, en outre, être assimilé à un événement de force majeure, car la circonstance qu’un piéton traverse à un passage protégé n’est ni imprévisible, ni irrésistible.

– La société annonceur a, par courrier recommandé avec avis de réception du 14 février 2018, été informée des plaintes dont copies lui ont été transmises et des dispositions dont la violation est invoquée.

Elle indique que ce film publicitaire a été développé par son agence de publicité et que son objectif est d’illustrer l’un des systèmes d’aide à la conduite dont est équipée la voiture, au service de la sécurité des automobilistes et des piétons. Ce système ne dispense pas le conducteur de respecter toutes les règles de conduite (et le conducteur présenté dans ce film respecte bien ces règles), mais permet dans des situations imprévisibles de préserver la sécurité de l’ensemble des usagers de la route, sujet sur lequel la marque est fortement engagée.

– L’agence de communication souligne que le film publicitaire litigieux porte sur le système d’aide à la conduite mis en place sur le véhicule, dont l’objectif est de détecter un éventuel obstacle et de déclencher automatiquement le freinage d’urgence.

Afin de mettre en avant cette caractéristique nouvelle du véhicule, le parti pris choisi a été de jouer sur la visibilité réduite de l’automobiliste et la survenance d’un piéton. Les images du film sont accompagnées, au fur et à mesure de leur progression, de l’explication du système de freinage automatique d’urgence qui détecte un éventuel obstacle et déclenche automatiquement le freinage. La scène est banale, l’automobiliste n’est pas blâmable car rien dans son comportement ne peut être assimilé à de l’inattention. En outre, on ne peut considérer qu’il serait en infraction au regard de l’article R. 415-11 du code de la Route car il ne refuse pas la priorité au piéton mais est victime de circonstances qui lui sont imprévisibles, irrésistibles et extérieures.

Il ne s’agit nullement d’une mise en valeur de la légèreté des automobilistes dans leur conduite, tel qu’allégué. Cet automobiliste maîtrise une conduite prudente de son véhicule, roule à une vitesse modérée et n’est pas attiré par d’autres éléments que sa conduite même s’il semble chantonner. Toutefois, au-delà d’une conduite attentive, la survenance d’un évènement extérieur, s’apparentant à une force majeure, peut être paré grâce à la technologie du véhicule. Cette publicité n’avait donc que pour objectif de mettre en avant celle-ci au même titre que d’autres campagnes en faveur des constructeurs concurrents le font aujourd’hui. L’agence a travaillé le film en ce sens, tout en étant en conformité avec les règles du code de la route, le véhicule ne faisant pas obstacle à la traversée du piéton.

Une première version a été diffusée à compter du 22 janvier. Une version modifiée a été livrée aux régies le 29 janvier, compte tenu des réactions négatives sur Twitter correspondant à celles faisant l’objet des plaintes. A savoir, le plan qui renforçait l’inattention du piéton commençant à regarder à droite avant d’être surpris par l’arrivée du véhicule a été écourté pour n’avoir que celui du freinage qui intervient très en amont du passage piéton.

Ce film ne fait donc qu’illustrer l’un des systèmes d’aide à la conduite de la voiture, de façon non exagérée, présentant ce système comme un élément de sécurité supplémentaire au réflexe du conducteur sans jamais donner le sentiment de s’y substituer. L’agence n’a pas recherché à déresponsabiliser l’automobiliste en blâmant le piéton, mais seulement à faire état d’une scène du quotidien entre automobiliste et piéton. Ses représentants ajoutent, lors de l’audience, que le choix a été fait de présenter une situation banale du quotidien, et non une scène anxiogène.

L’agence en conclut que le message est donc parfaitement conforme aux règles déontologiques notamment à la Recommandation « Automobile », son ton décalé étant tout à fait perceptible pour la majorité des consommateurs.

– Le Syndicat National de la Publicité télévisée (SNPTV) fait valoir que, conformément à la procédure d’avis préalable dans le cadre de l’autodiscipline mise en place depuis 1990 par l’interprofession publicitaire sur délégation du CSA, ce film a été diffusé dans la mesure où il a reçu un avis favorable de l’ARPP sans commentaire.

– L’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) rappelle qu’elle est, de façon générale, particulièrement vigilante quant à l’application des règles dont s’est dotée la profession en matière de publicité automobile. Il s’agit d’un sujet auquel les professionnels dans leur ensemble et les constructeurs automobile en particulier accordent une grande vigilance, avec une attention toute particulière pour la question de la sécurité routière.

L’ARPP souligne qu’en parallèle, les annonceurs du secteur souhaitent faire valoir, en publicité, les évolutions technologiques que les marques élaborent et les équipements des véhicules qui en découlent, notamment pour ce qui est des équipements d’aide à la conduite (freinage d’urgence, franchissement de ligne, etc.).

A ce titre, les échanges réguliers menés avec le Délégué à la Sécurité routière montrent que ces équipements peuvent être considérés comme des avancées en matière de sécurité sur la route et donc que les constructeurs automobile peuvent en faire légitimement la promotion.

Au quotidien, l’ARPP travaille de manière très étroite avec les annonceurs du secteur et leurs agences pour que les messages publicitaires puissent mettre en avant, de manière créative, ces avancées et ne contiennent bien sûr pas de visuels ou d’allégations contraires aux règles.

Ces règles sont contenues essentiellement dans la Recommandation « Automobile» qui est un texte déontologique que la profession a elle-même élaborée et qu’elle s’applique à respecter dans tous les médias.

En l’espèce, l’ARPP a été interrogée en amont de la diffusion de cette campagne par l’agence de communication, son adhérent, sur des projets de films successifs, en décembre 2017.

Le projet décrit visait donc à promouvoir le système de freinage d’urgence automatique dont est équipé le véhicule, en accompagnant cette promotion d’une offre de reprise.

L’ARPP avait relevé la nécessité de ne pas présenter des comportements dangereux, tant de la part du conducteur (qui ne devait pas apparaître visiblement distrait de sa conduite) que de la part du piéton. Lors de l’examen du film réalisé, ses services ont ainsi pu noter précisément que le véhicule roule à vitesse modérée. A aucun moment le conducteur n’adopte un comportement de conduite non conforme au code de la route : il a les 2 mains sur le volant, il porte sa ceinture de sécurité, il n’est pas inattentif et a le regard dirigé vers la route, il met son clignotant en changeant de direction, il chante et sourit mais sans que les éléments cités plus haut ne soient altérés ; même si la voix-off entretien pendant quelques secondes l’ambiguïté sur le personnage qualifié de « distrait », la révélation est immédiate et indique qu’il s’agit du piéton. Celui-ci, un adolescent, traverse sur un passage piéton. Un camion noir, dont les portes arrière et les parois sont opaques, est stationné juste avant le passage piéton, masquant la visibilité du conducteur et du piéton.

La scène finale permet ainsi de mettre en évidence les propriétés de l’équipement de sécurité du véhicule, la voiture effectuant un freinage sec, le tableau de bord montrant que le système a été actionné. Si les deux personnages paraissent surpris, une distance de sécurité suffisante demeure.

Le spot définitif qui a été soumis pour avis avant diffusion a donc été considéré comme conforme aux règles en vigueur et a pu être validé.

Toutefois, en accord avec l’agence, l’ARPP a examiné et validé une deuxième version du film, pour laquelle une image furtive montrant le piéton le visage tourné vers la droite au moment où il amorce sa traversée sur le passage piéton a en effet été supprimée.

3. L’analyse du Jury

Il résulte des dispositions déontologiques, notamment celles contenues dans la Recommandation « Automobile » de l’ARPP que :

– article 3 : « La publicité ne doit pas donner à penser, dans les messages, que les qualités des véhicules en matière de sécurité active et passive permettent de transgresser les règles élémentaires de prudence qui s’imposent à tout conducteur » ;

Le Jury relève que la publicité en cause présente un conducteur, en ville, détendu et souriant, au volant de sa Citroën C3, qui chantonne en écoutant de la musique. Une voix off indique « Si nous avons équipé la Citroën C3 du système de freinage automatique d’urgence, c’est pour Antoine. Ce système permet un arrêt d’urgence automatique, parce qu’on sait qu’Antoine est un peu distrait. ». Le conducteur s’approche d’un passage clouté, mais sa visibilité est gênée par un camion en stationnement ; le système de freinage automatique du véhicule se déclenche alors, permettant à un adolescent qui s’engageait sur le passage de poursuivre sa traversée. Le jeune piéton, surpris, se retourne d’un air gêné vers le conducteur qui fait une moue réprobatrice, tandis que la voix off indique « Ah au fait, Antoine, c’est lui !», désignant le jeune homme.

Le Jury comprend et estime légitime que le constructeur automobile souhaite promouvoir son nouveau système de freinage d’urgence automatique, qui, comme cela a été indiqué oralement à l’audience par les représentants de la marque, permet de détecter avant le conducteur d’éventuels obstacles et de faire réagir immédiatement le véhicule, plus rapidement que ne le permettent les réflexes humains, et a pour vocation de protéger l’ensemble des usagers de la chaussée.

Il estime cependant qu’il y a, dans le film publicitaire, une disparité dans le traitement des deux protagonistes. Le conducteur est présenté comme détendu, écoutant de la musique dont le volume dans l’habitacle est raisonnable, n’ayant pas un comportement agressif au volant et conduisant prudemment. Mais alors que tant l’automobiliste que le piéton cherchant à s’engager dans un passage clouté sont tous les deux gênés par le camion en stationnement, seul le piéton est désigné spécifiquement comme « distrait » et, l’air contrit, fait un signe d’excuse ou de remerciement au conducteur, tandis que ce dernier lui adresse un regard de reproche. Ainsi, le choix de montrer une situation d’imprévu, qui se comprend, aboutit en l’espèce à faire porter toute la responsabilité de la situation de danger sur le seul piéton, qui traversait pourtant dans un passage clouté où il est prioritaire, alors que l’automobiliste aurait dû, de lui-même, prendre en compte une visibilité réduite près de ce passage clouté.

Or, le conducteur du véhicule ne paraît pas se rendre compte de sa propre imprudence et ne manifeste aucun signe d’excuse envers le piéton, qui peut laisser penser que le mécanisme de sécurité vanté peut excuser un comportement insuffisamment prudent du conducteur.

En conséquence, le Jury est d’avis que la publicité en cause méconnaît les dispositions de l’article 3 précité de la Recommandation « Automobile » de l’ARPP.

Avis adopté le 16 mars 2018 par Mme Lieber, Présidente, Mme Gargoullaud, Vice-Présidente, MM. Acker, Benhaïm, Lacan, Leers et Lucas-Boursier.